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lui rendre. Cet autre préfère chercher fortune à la guerre que se reposer en sécurité dans sa maison. Il en est qui courtisent les vieillards sans enfants, pensant ainsi s’enrichir plus commodément ; d’autres, bien entendu, font le même manège auprès des vieilles femmes fortunées. Tout cela prépare aux Dieux un spectacle bien amusant pour le jour où les dupeurs sont dupés.

Une race très folle et très sordide est celle des Marchands, puisqu’ils exercent un métier fort bas et par des moyens fort déshonnêtes. Ils mentent à qui mieux mieux, se parjurent, volent, fraudent, trompent et n’en prétendent pas moins à la considération, grâce aux anneaux d’or qui encerclent leurs doigts. Ils ont, au reste, l’admiration des moinillons adulateurs, qui les appellent en public « vénérables », probablement pour s’assurer leur part dans l’argent mal acquis. Ailleurs, vous voyez certains Pythagoriciens si persuadés de la communauté des biens que, tout ce qui sans surveillance passe à leur portée, ils s’en emparent tranquillement comme d’un héritage. Il en est qui ne sont riches que de leurs souhaits ; les rêves agréables qu’ils font suffisent à les rendre heureux. Quelques-uns, satisfaits de paraître fortunés hors de chez eux, à la maison meurent consciencieusement de faim. Tout ce qu’il possède, celui-ci se hâte de le dissiper, et celui-là thésaurise sans scrupule. Celui-ci se fatigue à briguer les honneurs populaires, cet autre s’acoquine au coin de son feu. Bon nombre intentent des procès sans fin et leur opiniâtreté batailleuse n’avantage que la lenteur des juges et la collusion de l’avocat. L’un se passionne pour la nouveauté d’un projet, l’autre seulement pour sa grandeur. Et en voici un qui, pour aller à Jérusalem, à Rome, ou bien chez saint Jacques, où rien ne l’appelle, plante là sa maison, sa femme et ses enfants.

En somme, si vous pouviez regarder de la Lune, comme autrefois Ménippe, les agitations innombrables de la Terre, vous penseriez voir une foule de mouches ou de moucherons, qui se battent entre eux, luttent, se tendent des pièges, se volent, jouent, gambadent, naissent, tombent et meurent ; et l’on ne peut croire quels troubles, quelles tragédies, produit un si minime animalcule destiné à sitôt périr. Fréquemment, par une courte guerre ou l’attaque d’une épidémie, il en disparaît à la fois bien des milliers !