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se faire déchirer à leur tour, en perdant à la fois leur propre temps et celui des autres, qu’ils apprissent le grec, l’hébreu, ou tout au moins le latin ! La connaissance de ces langues a une telle importance pour la science des saintes Écritures qu’il me semble être éperdument impudent pour qui les ignore de prétendre au nom de théologien.


XXV. — Aussi, excellent Martin, en raison de mes bons sentiments pour toi, je ne cesserai de t’exhorter, comme je l’ai fait souvent jusqu’ici, à joindre à tes connaissances au moins l’étude du grec. Tu as une sorte de bonheur d’esprit vraiment rare. Ton style solide, nerveux, coulant et abondant annonce non seulement du bon sens, mais encore de la fécondité. Tu es non seulement dans la force de ton âge, mais encore dans sa verdeur et dans sa fleur. Tu viens d’achever avec succès le cours ordinaire des études. Crois-moi, si à de si brillants débuts tu ajoutes le couronnement de la littérature grecque, j’ose me promettre, à moi et aux autres, que tu accompliras de grandes choses, et qu’aucun des modernes théologiens qui t’ont précédé ne te dépassera. Si tu es en disposition de croire qu’il faille, par amour pour la véritable piété, mépriser toute l’érudition humaine ; si tu penses qu’on parvient plus vite à la sagesse par une transfiguration dans le Christ, et que tout ce qui mérite d’être connu se découvre plus complètement à l’aide des lumières de la foi qu’à celle des livres des hommes, je souscrirai volontiers à ton avis. Mais si, comme le comporte l’état des choses humaines, tu te fais fort de connaître vraiment la théologie, sans savoir les langues, celle surtout dans laquelle on nous a transmis les saintes Écritures, tu es complètement dans l’erreur. Plaise au ciel que je puisse t’en convaincre autant que je le désire, car je le désire autant que je t’aime et autant que je m’intéresse à tes études : or je t’aime de tout mon cœur et je m’intéresse à toi de tout mon être. Si je ne puis te persuader, accorde du moins à mes prières d’en courir le risque. Je ne me déroberai à aucun châtiment, si tu ne reconnais pas que mon conseil était amical et sûr. Si tu attribues quelque prix à l’amitié que j’ai pour toi, quelque poids à notre communauté de patrie, si tu fais cas, je n’oserais dire de ma science, mais du moins de mes laborieux travaux littéraires, si tu fais cas de mon âge (car, sous le rapport des années,