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les bonnes à ne point dégénérer ainsi, et les mauvaises à cesser de se comporter ainsi. Il a écrit à Népotien Sur la vie des clercs. Il a écrit à Rusticus Sur la vie des moines, et il dépeint avec des couleurs remarquables, il censure avec des traits remarquables les vices des deux états. Ceux à qui il a écrit ne s’en sont pas choqués, parce qu’ils savaient que rien de tout cela ne les visait. Pourquoi Guillaume Montjoy, qui est loin d’être le dernier parmi les grands de la cour, ne s’est-il pas froissé des nombreuses plaisanteries de la Folie contre les dignitaires de la cour ? Sans doute parce qu’étant un homme aussi bon qu’il est sage il juge avec raison que le mot qu’on y dit des grands qui sont méchants ou sots ne le vise pas le moins du monde. Que de brocards la Folie n’a-t-elle pas lancés contre les évêques méchants et mondains ! Pourquoi l’archevêque de Cantorbéry ne s’en est-il pas choqué ? Sans doute parce que cet homme qui est le modèle accompli des vertus en tout genre juge qu’aucun de ces brocards ne le vise.


XVII. — Mais pourquoi continuer à citer nommément les princes souverains, les autres évêques, abbés, cardinaux, et illustres érudits, dont pas un jusqu’ici ne m’a encore témoigné qu’il eût été froissé le moins du monde à cause de la Folie ? Je ne puis être amené à croire que des théologiens soient irrités de ce livre, si ce n’est le tout petit nombre de ceux qui ne comprennent pas ou qui me jalousent ou qui sont d’un naturel si chagrin que rien du tout ne trouve grâce devant eux. Car cette catégorie de gens, comme tout le monde en convient, compte dans ses rangs certains individus qui sont d’abord d’un esprit et d’un jugement si médiocres qu’ils ne sont propres à aucune étude, et moins qu’à toute autre à la théologie ; qui ensuite, pour avoir appris par cœur quelques règles d’Alexandre le Gaulois, effleuré tant soit peu d’inepte sophistique, retenu sans les comprendre dix propositions d’Aristote et autant de questions de Scot, ou d’Occam, se réservant de prendre le reste dans le Catholicon, le Mammetrectus et autres dictionnaires analogues, comme dans une corne d’abondance, dressent la crête il faut voir comment, car rien n’est plus arrogant que l’ignorance. Ce sont ces gens-là qui méprisent le saint Jérôme comme un grammairien, parce qu’ils ne le comprennent pas. Ce sont eux qui se moquent du grec, de l’hébreu et même du latin ; et, bien