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mais à votre passion : sans compter que les injures réciproques qu’entraînent les représailles amènent quelque-fois une grande guerre, et que les médisances que l’on se renvoie tour à tour de part et d’autre font naître assez souvent un incendie des plus dangereux. Et, de même qu’il est peu chrétien de rendre injure pour injure, il est d’un cœur peu généreux d’assouvir son ressentiment par des outrages, comme font les femmes.


VII. — Telles sont les raisons qui m’ont persuadé d’écrire des œuvres toujours dépourvues de malice et de cruauté, et de ne point les souiller d’aucun terme empreint de méchanceté. Nous n’avons pas eu d’autre visée dans la Folie que dans nos autres écrits, quoique par une voie différente. Dans le Manuel nous avons tracé simplement une esquisse de la vie chrétienne. Dans le petit livre de l’Éducation d’un prince nous exposons ouvertement les principes dont il convient qu’un prince soit instruit. Dans le Panégyrique, sous le voile de l’éloge, nous traitons obliquement le sujet même que nous avons traité là à visage découvert. Et les idées exprimées dans la Folie, sous forme de badinage, ne sont rien d’autre que celles qui étaient exprimées dans le Manuel. Nous avons voulu avertir, et non mordre ; être utile, et non offenser ; réformer les mœurs humaines, et non scandaliser.


VIII. — Platon, ce philosophe si pondéré, approuve les nombreuses rasades dans les beuveries, parce qu’il sait qu’on peut par la gaîté du vin dissiper certains vices que par l’austérité on ne pourrait corriger ; et Flaccus estime que l’avis donné en plaisantant n’a pas moins d’effet que le sérieux : « Qui empêche, proclame-t-il, de dire la vérité en riant ? » C’est ce que n’ont pas manqué de voir les hommes les plus sages de l’antiquité, qui ont mieux aimé exprimer les principes de conduite les plus salutaires dans des apologues en apparence ridicules et puérils, parce que la vérité un peu austère par elle-même, parée de l’attrait du plaisir, pénètre plus facilement dans l’esprit des mortels. Sans doute est-ce là ce miel que, dans Lucrèce, les médecins pour faire prendre un remède à des enfants appliquent autour d’une coupe d’absinthe. Et les princes d’autrefois n’ont pas eu d’autre intention en introduisant dans leurs cours l’espèce des fous, que de trouver dans leur franc-parler, qui ne