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membres de phrases assez longs, se faisant bien équilibre les uns aux autres jusqu’à : « et depuis… ». — Ensuite, pour peindre l’anarchie, un rythme relativement brisé et heurté : Des retours soudains, des changements inouïs, | la rébellion retenue et à la fin tout à fait maîtresse, | nul frein à la licence, | les lois abolies. » — Enfin, pour peindre la bonace revenue, la période tombant et se reposant sur un rythme très net, très précis, presque de versification (un vers de 9, un vers de 10) et majestueux : « Un trône indignement renversé et miraculeusement rétabli. »

Mais ici l’harmonie expressive ne fait que se mêler un peu et de temps en temps au nombre. Voici où elle règne en maîtresse et fait la période toute sienne.

« Comme un aigle qu’on voit toujours, soit qu’il vole au milieu des airs, soit qu’il se pose sur le haut de quelque rocher, porter de tous côtés ses regards perçants, | et tomber si sûrement sur sa proie qu’on ne peut éviter ses ongles non plus que ses yeux ; | aussi vifs étaient les regards, aussi vite et impétueuse était l’attaque, aussi fortes et inévitables, | étaient les mains du prince du Condé. »

Au point de vue de la tenue de l’haleine, il faut scander, je crois, comme j’ai fait ; mais au point de vue de l’harmonie expressive il faut accentuer les mots airs, rocher, perçants, proie, yeux, regards, attaque et inévitables, et alors nous voyons que les choses