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DADA et Moi


Dada a voulu être le mot d’ordre d’un certain esprit, équivalant à ce qu’on entend par symbolisme, par cubisme.

Dans ce sens je suis devenu dadaïste vers 1916, quand le mot Dada n’était pas encore trouvé ; dans le même sens John Rodker était devenu dadaïste, pendant la guerre, en Angleterre ; et Ezra Pound en Amérique. Et combien d’autres l’étaient devenus, à leur insu et sans la moindre influence d’autrui.

Car dans ce sens encore, le point de départ théorique de l’école, qui aurait pu s’appeler Dada et qui, quoi donc, restera malgré tout dénommée comme telle, remonte à Alfred Jarry pour l’idée et au Stéphane Mallarmé du « Un coup de dés » et de certaines « divagations » pour l’expression.

Par Alfred Jarry pour l’idée, je veux dire, le côté bêtement farcesque de la vie, qu’il nous a été donné de vivre si comi-tragiquement pendant la guerre.

La guerre coupa net la continuité de toutes les spéculations d’avant 1914. Si Einstein a définitivement établi sa philosophie du Relativisme, c’est la guerre qui lui en a fourni les éléments. Avant 1914, on pouvait avoir l’intuition de certaines lignes-forces. L’arrêt complet de tous les courants ordinaires de la vie et leur déviation vers la destruction, y compris l’auto-destruction, a rendu tangible certaines voies insoupçonnables dans le dédale organisé de l’atavisme qu’avait créé la civilisation.