Calmann-Lévy (p. 303-344).


cinquième partie

I


… À la fin de cette journée de printemps qu’ils avaient eue, la nuit tombante ramena le sentiment de l’hiver et ils rentrèrent dîner devant leur feu, qui était une flambée de branchages.

Leur dernier repas ensemble !… Mais ils avaient encore toute une nuit à dormir entre les bras l’un de l’autre, et cette attente les empêchait d’être déjà tristes.

Après dîner, ils retrouvèrent encore un peu l’impression douce du printemps, quand ils furent dehors sur la route de Pors-Even : l’air était tranquille, presque tiède et un reste de crépuscule s’attardait à traîner sur la campagne.

Ils allèrent faire visite à leurs parents, pour les adieux de Yann, et revinrent de bonne heure se coucher, ayant le projet de se lever tous deux au petit jour.

II


Le quai de Paimpol, le lendemain matin, était plein de monde. Les départs d’Islandais avaient commencé depuis l’avant-veille et, à chaque marée, un groupe nouveau prenait le large. Ce matin-là, quinze bateaux devaient sortir avec la Léopoldine, et les femmes de ces marins, ou les mères, étaient toutes présentes pour l’appareillage. — Gaud s’étonnait de se trouver mêlée à elles, devenue une femme d’Islandais elle aussi, et amenée là pour la même cause fatale. Sa destinée venait de se précipiter tellement en quelques jours, qu’elle avait à peine eu le temps de se bien représenter la réalité des choses ; en glissant sur une pente irrésistiblement rapide, elle était arrivée à ce dénouement-là, qui était inexorable, et qu’il fallait subir à présent — comme faisaient les autres, les habituées…

Elle n’avait jamais assisté de près à ces scènes, à ces adieux. Tout cela était nouveau et inconnu. Parmi ces femmes, elle n’avait point de pareille et se sentait isolée, différente ; son passé de demoiselle, qui subsistait malgré tout, la mettait à part.

Le temps était resté beau sur ce jour des séparations ; au large seulement une grosse houle lourde arrivait de l’ouest, annonçant du vent, et de loin on voyait la mer, qui attendait tout ce monde, briser dehors.

… Autour de Gaud, il y en avait d’autres qui étaient, comme elle, bien jolies et bien touchantes avec leurs yeux pleins de larmes ; il y en avait aussi de distraites et de rieuses, qui n’avaient pas de cœur ou qui pour le moment n’aimaient personne. Des vieilles, qui se sentaient menacées par la mort, pleuraient en quittant leurs fils ; des amants s’embrassaient longuement sur les lèvres, et on entendait des matelots gris chanter pour s’égayer, tandis que d’autres montaient à leur bord d’un air sombre, s’en allant comme à un calvaire.

Et il se passait des choses sauvages : des malheureux qui avaient signé leur engagement par surprise, quelque jour dans un cabaret, et qu’on embarquait par force à présent ; leurs propres femmes et des gendarmes les poussaient. D’autres, enfin, dont on redoutait la résistance à cause de leur grande force, avaient été enivrés par précaution ; on les apportait sur des civières et, au fond des cales des navires, on les descendait comme des morts.

Gaud s’épouvantait de les voir passer : avec quels compagnons allait-il donc vivre, son Yann ? et puis quelle chose terrible était-ce donc, ce métier d’Islande, pour s’annoncer de cette manière et inspirer à des hommes de telles frayeurs ?…

Pourtant il y avait aussi des marins qui souriaient ; qui sans doute aimaient comme Yann la vie au large et la grande pêche. C’étaient les bons, ceux-là ; ils avaient la mine noble et belle ; s’ils étaient garçons, ils s’en allaient insouciants, jetant un dernier coup d’œil sur les filles ; s’ils étaient mariés, ils embrassaient leurs femmes ou leur petits avec une tristesse douce et le bon espoir de revenir plus riches. Gaud se sentit un peu rassurée en voyant qu’ils étaient tous ainsi à bord de cette Léopoldine, qui avait vraiment un équipage de choix.

Les navires sortaient deux par deux, quatre par quatre, traînés dehors par des remorqueurs. Et alors, dès qu’ils s’ébranlaient, les matelots, découvrant leur tête, entonnaient à pleine voix le cantique de la Vierge : « Salut, Étoile-de-la-Mer ! » sur le quai, des mains de femmes s’agitaient en l’air pour de derniers adieux, et des larmes coulaient sur les mousselines des coiffes.


Dès que la Léopoldine fut partie, Gaud s’achemina d’un pas rapide vers la maison des Gaos. Une heure et demie de marche le long de la côte, par les sentiers familiers de Ploubazlanec et elle arriva là-bas, tout au bout des terres, dans sa famille nouvelle.

La Léopoldine devait mouiller en grande rade devant ce Pors-Even, et n’appareiller définitivement que le soir ; c’était donc là qu’ils s’étaient donnés un dernier rendez-vous. En effet, il revint, dans la yole de son navire ; il revint pour trois heures lui faire ses adieux.

À terre, où l’on ne sentait point la houle, c’était toujours le même beau temps printanier, le même ciel tranquille. Ils sortirent un moment sur la route, en se donnant le bras ; cela rappelait leur promenade d’hier, seulement la nuit ne devait plus les réunir. Ils marchaient sans but, en rebroussant vers Paimpol, et bientôt se trouvèrent près de leur maison, ramenés là insensiblement sans y avoir pensé ; ils entrèrent donc encore une dernière fois chez eux, où la grand’mère Yvonne fut saisie de les voir reparaître ensemble.

Yann faisait des recommandations à Gaud pour différentes petites choses qu’il laissait dans leur armoire ; surtout pour ses beaux habits de noces : les déplier de temps en temps et les mettre au soleil. — À bord des navires de guerre les matelots apprennent ces soins-là. — Et Gaud souriait de le voir faire son entendu ; il pouvait être bien sûr pourtant que tout ce qui était à lui serait conservé et soigné avec amour.

D’ailleurs, ces préoccupations étaient secondaires pour eux ; ils en causaient pour causer, pour se donner le change à eux-mêmes…

Yann raconta qu’à bord de la Léopoldine, on venait de tirer au sort les postes de pêche et que, lui, était très content d’avoir gagné l’un des meilleurs. Elle se fit expliquer cela encore, ne sachant presque rien des choses d’Islande :

— Vois-tu, Gaud, dit-il, sur le plat-bord de nos navires, il y a des trous qui sont percés à certaines places et que nous appelons trous de mecques ; c’est pour y planter des petits supports à rouet dans lesquels nous passons nos lignes. Donc, avant de partir, nous jouons ces trous-là aux dés, ou bien avec des numéros brassés dans le bonnet du mousse. Chacun de nous gagne le sien et, pendant toute la campagne après, l’on n’a plus le droit de planter sa ligne ailleurs, l’on ne change plus. Eh bien, mon poste à moi se trouve sur l’arrière du bateau, qui est, comme tu dois savoir, l’endroit où l’on prend le plus de poissons ; et puis il touche aux grands haubans où l’on peut toujours attacher un bout de toile, un cirage, enfin un petit abri quelconque, pour la figure, contre toutes ces neiges ou ces grêles de là-bas ; — cela sert, tu comprends ; on n’a pas la peau si brûlée, pendant les mauvais grains noirs, et les yeux voient plus longtemps clair.

… Ils se parlaient bas, bas, comme par crainte d’effaroucher les instants qui leur restaient, de faire fuir le temps plus vite. Leur causerie avait le caractère à part de tout ce qui va inexorablement finir ; les plus insignifiantes petites choses qu’ils se disaient semblaient devenir ce jour-là mystérieuses et suprêmes…

À la dernière minute du départ, Yann enleva sa femme entre ses bras et ils se serrèrent l’un contre l’autre sans plus rien dire, dans une longue étreinte silencieuse.

Il s’embarqua, les voiles grises se déployèrent pour se tendre à un vent léger qui se levait dans l’ouest. Lui, qu’elle reconnaissait encore, agita son bonnet d’une manière convenue. Et longtemps elle regarda, en silhouette sur la mer, s’éloigner son Yann. — C’était lui encore, cette petite forme humaine debout, noire sur le bleu cendré des eaux, — et déjà vague, perdue dans cet éloignement où les yeux qui persistent à fixer se troublent et ne voient plus…

… À mesure que s’en allait cette Léopoldine, Gaud, comme attirée par un aimant, suivait à pied le long des falaises.

Il lui fallut s’arrêter bientôt, parce que la terre était finie ; alors elle s’assit, au pied d’une dernière grande croix, qui est là plantée parmi les ajoncs et les pierres. Comme c’était un point élevé, la mer vue de là semblait avoir des lointains qui montaient, et on eût dit que cette Léopoldine, en s’éloignant, s’élevait peu à peu, toute petite, sur les pentes de ce cercle immense. Les eaux avaient de grandes ondulations lentes, — comme les derniers contre-coups de quelque tourmente formidable qui se serait passée ailleurs, derrière l’horizon ; mais dans le champ profond de la vue, où Yann était encore, tout demeurait paisible.

Gaud regardait toujours, cherchant à bien fixer dans sa mémoire la physionomie de ce navire, sa silhouette de voilure et de carène, afin de le reconnaître de loin, quand elle reviendrait, à cette même place, l’attendre.

Des levées énormes de houle continuaient d’arriver de l’ouest, régulièrement l’une après l’autre, sans arrêt, sans trêve, renouvelant leur effort inutile, se brisant sur les mêmes rochers, déferlant aux mêmes places pour inonder les mêmes grèves. Et à la longue, c’était étrange, cette agitation sourde des eaux avec cette sérénité de l’air et du ciel ; c’était comme si le lit des mers, trop rempli, voulait déborder et envahir les plages.

Cependant la Léopoldine se faisait de plus en plus diminuée, lointaine, perdue. Des courants sans doute l’entraînaient, car les brises de cette soirée étaient faibles et pourtant elle s’éloignait vite. Devenue une petite tache grise, presque un point, elle allait bientôt atteindre l’extrême bord du cercle des choses visibles, et entrer dans ces au delà infinis où l’obscurité commençait à venir.

Quand il fut sept heures du soir, la nuit tombée, le bateau disparu, Gaud rentra chez elle, en somme assez courageuse malgré les larmes qui lui venaient toujours. Quelle différence, en effet, et quel vide plus sombre s’il était parti encore comme les deux autres années, sans même un adieu ! Tandis qu’à présent tout était changé, adouci ; il était tellement à elle son Yann, elle se sentait si aimée malgré ce départ, qu’en s’en revenant toute seule au logis, elle avait au moins la consolation et l’attente délicieuse de cet au revoir qu’ils s’étaient dit pour l’automne.

III


L’été passa, triste, chaud, tranquille. Elle, guettant les premières feuilles jaunies, les premiers rassemblements d’hirondelles, la pousse des chrysanthèmes.

Par les paquebots de Reickawick et par les chasseurs, elle lui écrivit plusieurs fois ; mais on ne sait jamais bien si ces lettres arrivent.

À la fin de juillet, elle en reçut une de lui. Il l’informait qu’il était en bonne santé à la date du 10 courant, que la saison de la pêche s’annonçait excellente et qu’il avait déjà quinze cents poissons pour sa part. D’un bout à l’autre c’était dit dans le style naïf et calqué sur le modèle uniforme de toutes les lettres de ces Islandais à leur famille. Les hommes élevés comme Yann ignorent absolument la manière d’écrire les mille choses qu’ils pensent, qu’ils sentent ou qu’ils rêvent. Étant plus cultivée que lui, elle sut donc faire la part de cela et lire entre les lignes la tendresse profonde qui n’était pas exprimée. À plusieurs reprises, dans le courant de ses quatre pages, il lui donnait le nom d’épouse, comme trouvant plaisir à le répéter. Et d’ailleurs, l’adresse seule : À Madame Marguerite Gaos, maison Moan, en Ploubazlanec, était déjà une chose qu’elle relisait avec joie. Elle avait encore eu si peu le temps d’être appelée : Madame Marguerite Gaos !

IV


Elle travailla beaucoup pendant ces mois d’été. Les Paimpolaises, qui d’abord s’étaient méfiées de son talent d’ouvrière improvisée, disant qu’elle avait de trop belles mains de demoiselle, avaient vu, au contraire, qu’elle excellait à leur faire des robes qui avantageaient la tournure ; alors elle était devenue presque une couturière en renom.

Ce qu’elle gagnait passait à embellir le logis — pour son retour. L’armoire, les vieux lits à étagères, étaient réparés, cirés, avec des ferrures luisantes ; elle avait arrangé leur lucarne sur la mer avec une vitre et des rideaux, acheté une couverture neuve pour l’hiver, une table et des chaises.

Tout cela, sans toucher à l’argent que son Yann lui avait laissé en partant et qu’elle gardait intact, dans une petite boîte chinoise, pour le lui montrer à son arrivée.

Pendant les veillées d’été, aux dernières clartés des jours, assise devant la porte avec la grand’mère Yvonne dont la tête et les idées allaient sensiblement mieux pendant les chaleurs, elle tricotait pour Yann un beau maillot de pêcheur en laine bleue ; il y avait, aux bordures du col et des manches des merveilles de points compliqués et ajourés ; la grand’mère Yvonne, qui avait été jadis une habile tricoteuse, s’était rappelé peu à peu ces procédés de sa jeunesse pour les lui enseigner. Et c’était un ouvrage qui avait pris beaucoup de laine, car il fallait un maillot très grand pour Yann.

Cependant, le soir surtout, on commençait à avoir conscience de l’accourcissement des jours, certaines plantes, qui avaient donné toute leur pousse en juillet, prenaient déjà un air jaune, mourant, et les scabieuses violettes refleurissaient au bord des chemins, plus petites sur de plus longues tiges ; enfin les derniers jours d’août arrivèrent, et un premier navire islandais apparut un soir, à la pointe de Pors-Even. La fête du retour était commencée.

On se porta en masse sur la falaise pour le recevoir ; — lequel était-ce ?

C’était le Samuel-Azénide ; — toujours en avance celui-là.

— Pour sûr, disait le vieux père d’Yann, la Léopoldine ne va pas tarder ; là-bas, je connais ça, quand un commence à partir, les autres ne tiennent plus en place.


V


Ils revenaient, les Islandais. Deux la seconde journée, quatre le surlendemain, et puis douze la semaine suivante. Et, dans le pays, la joie revenait avec eux, et c’était fête chez les épouses, chez les mères : fête aussi dans les cabarets, où les belles filles paimpolaises servent à boire aux pêcheurs.

Le Léopoldine restait du groupe des retardataires ; il en manquait encore dix. Cela ne pouvait tarder, et Gaud, à l’idée que, dans un délai extrême de huit jours qu’elle se donnait pour ne pas avoir de déception, Yann serait là, Gaud était dans une délicieuse ivresse d’attente, tenant le ménage bien en ordre, bien propre et bien net, pour le recevoir.

Tout rangé, il ne lui restait rien à faire, et d’ailleurs elle commençait à n’avoir plus la tête à grand’chose dans son impatience.

Trois des retardataires arrivèrent encore, et puis cinq. Deux seulement manquaient toujours à l’appel.

— Allons, lui disait-on en riant, cette année, c’est la Léopoldine ou la Marie-Jeanne qui ramasseront les balais du retour.

Et Gaud se mettait à rire, elle aussi, plus animée et plus jolie, dans sa joie de l’attendre.

VI


Cependant les jours passaient.

Elle continuait de se mettre en toilette, de prendre un air gai, d’aller sur le port causer avec les autres. Elle disait que c’était tout naturel, ce retard. Est-ce que cela ne se voyait pas chaque année ? Oh ! d’abord, de si bons marins, et deux si bons bateaux !

Ensuite, rentrée chez elle, il lui venait le soir de premiers petits frissons d’anxiété, d’angoisse.

Est-ce que vraiment c’était possible qu’elle eût peur, si tôt ?… Est-ce qu’il y avait de quoi ?…

Et elle s’effrayait, d’avoir déjà peur…

VII


Le 10 du mois de septembre !… Comme les jours s’enfuyaient !

Un matin où il y avait déjà une brume froide sur la terre, un vrai matin d’automne, le soleil levant la trouva assise de très bonne heure sous le porche de la chapelle des naufragés, au lieu où vont prier les veuves ; — assise, les yeux fixes, les tempes serrées comme dans un anneau de fer.

Depuis deux jours, ces brumes tristes de l’aube avaient commencé, et ce matin-là Gaud s’était réveillée avec une inquiétude plus poignante, à cause de cette impression d’hiver… Qu’avait donc cette journée, cette heure, cette minute, de plus que les précédentes ?… On voit très bien des bateaux retardés de quinze jours, même d’un mois.

Ce matin-là avait bien quelque chose de particulier, sans doute, puisqu’elle était venue pour la première fois s’asseoir sous ce porche de chapelle, et relire les noms des jeunes hommes morts.

En mémoire de
GAOS, Yvon, perdu en mer
aux environs de Norden-Fiord…

. . . . . . . . . . . . .

Comme un grand frisson, on entendit une rafale de vent se lever de la mer, et en même temps, sur la voûte, quelque chose s’abattre comme une pluie : les feuilles mortes !… Il en entra toute une volée sous ce porche ; les vieux arbres ébouriffés du préau se dépouillaient, secoués par ce vent du large. — L’hiver qui venait !…

… perdu en mer
aux environs de Norden-Fiord,
dans l´ouragan du 4 au 5 août 1880.

. . . . . . . . . . . . .

Elle lisait machinalement, et, par l’ogive de la porte, ses yeux cherchaient au loin la mer : ce matin-là, elle était très vague, sous la brume grise, et une panne suspendue traînait sur les lointains comme un grand rideau de deuil.

Encore une rafale, et des feuilles mortes qui entraient en dansant. Une rafale plus forte, comme si ce vent d’ouest, qui avait jadis semé ces morts sur la mer, voulait encore tourmenter jusqu’à ces inscriptions qui rappelaient leurs noms aux vivants.

Gaud regardait, avec une persistance involontaire, une place vide, sur le mur, qui semblait attendre avec une obsession terrible, elle était poursuivie par l’idée d’une plaque neuve qu’il faudrait peut-être mettre là, bientôt, avec un autre nom que, même en esprit, elle n’osait pas redire dans un pareil lieu.

Elle avait froid, et restait assise sur le banc de granit, la tête renversée contre la pierre.

… perdu aux environs de Norden-Fiord,
dans l’ouragan du 4 au 5 août
à l’âge de 23 ans…
Qu’il repose en paix !

L’Islande lui apparaissait, avec le petit cimetière de là-bas, — l’Islande lointaine, lointaine, éclairée par en dessous au soleil de minuit… Et tout à coup, — toujours à cette même place vide du mur qui semblait attendre, — elle eut, avec une netteté horrible, la vision de cette plaque neuve à laquelle elle songeait : une plaque fraîche, une tête de mort, des os en croix et au milieu, dans un flamboiement, un nom, le nom adoré, Yann Gaos !… Alors elle se dressa tout debout, en poussant un cri rauque de la gorge, comme une folle…

Dehors, il y avait toujours sur la terre la brume grise du matin : et les feuilles mortes continuaient d’entrer en dansant.


Des pas dans le sentier ! — Quelqu’un venait ? — Alors elle se leva, bien droite ; d’un tour de main, rajusta sa coiffe, se composa une figure. Les pas se rapprochaient, on allait entrer. Vite elle prit un air d’être là par hasard, ne voulant pas encore, pour rien au monde, ressembler à une femme de naufragé.

Justement c’était Fante Floury, la femme du second de la Léopoldine. Elle comprit tout de suite, celle-ci, ce que Gaud faisait là ; inutile de feindre avec elle. Et d’abord elles restèrent muettes l’une devant l’autre, les deux femmes, épouvantées davantage et s’en voulant de s’être rencontrées dans un même sentiment de terreur, presque haineuses.

— Tous ceux de Tréguier et de Saint-Brieuc sont rentrés depuis huit jours, dit enfin Fante, impitoyable, d’une voix sourde et comme irritée.

Elle apportait un cierge pour faire un vœu.

— Ah ! oui… un vœu… Gaud n’avait pas encore voulu y songer, à ce moyen des désolées. Mais elle entra dans la chapelle, derrière Fante, sans rien dire, et elles s’agenouillèrent près l’une de l’autre comme deux sœurs.

À la Vierge Étoile-de-la-Mer, elles dirent des prières ardentes, avec toute leur âme. Et puis bientôt on n’entendit plus qu’un bruit de sanglots, et leurs larmes pressées commencèrent à tomber sur la terre…

Elles se relevèrent plus douces, plus confiantes. Fante aida Gaud qui chancelait et, la prenant dans ses bras, l’embrassa.

Ayant essuyé leurs larmes, arrangé leurs cheveux, épousseté le salpêtre et la poussière des dalles sur leur jupon à l’endroit des genoux, elles s’en allèrent sans plus rien se dire, par des chemins différents.

VIII


Cette fin de septembre ressemblait à un autre été un peu mélancolique seulement. Il faisait vraiment si beau cette année-là que, sans les feuilles mortes qui tombaient en pluie triste par les chemins, on eût dit le gai mois de juin. Les maris, les fiancés, les amants étaient revenus, et partout c’était la joie d’un second printemps d’amour…

Un jour enfin, l’un des deux navires retardataires d’Islande fut signalé au large. Lequel ?…

Vite, les groupes de femmes s’étaient formés, muets, anxieux, sur la falaise.

Gaud tremblante et pâlie, était là, à côté du père de son Yann :

— Je crois fort, disait le vieux pêcheur, je crois fort que c’est eux ! Un liston rouge, un hunier à rouleau, ça leur ressemble joliment toujours ; qu’en dis-tu, Gaud, ma fille ?

» Et pourtant non, reprit-il avec un découragement soudain ; non, nous nous trompons encore, le bout dehors n’est pas pareil et ils ont un foc d´artimon, c’est la Marie-Jeanne. Oh ! mais bien sûr, ma fille, ils ne tarderont pas.


Et chaque jour venait après chaque jour ; et chaque nuit arrivait à son heure, avec une tranquillité inexorable.

Elle continuait de se mettre en toilette, un peu comme une insensée, toujours par peur de ressembler à une femme de naufragé, s’exaspérant quand les autres prenaient avec elle un air de compassion et de mystère, détournant les yeux pour ne pas croiser en route de ces regards qui la glaçaient.

Maintenant elle avait pris l’habitude d’aller dès le matin tout au bout des terres, sur la haute falaise de Pors-Even, passant par derrière la maison paternelle de son Yann pour n’être pas vue par la mère ni les petites sœurs. Elle s’en allait toute seule à l’extrême pointe de ce pays de Ploubazlanec qui se découpe en corne de renne sur la Manche grise, et s’asseyait là tout le jour aux pieds d’une croix isolée qui domine les lointains immenses des eaux…

Il y en a ainsi partout, de ces croix de granit, qui se dressent sur les falaises avancées de cette terre des marins, comme pour demander grâce ; comme pour apaiser la grande chose mouvante, mystérieuse, qui attire les hommes et ne les rend plus, et garde de préférence les plus vaillants, les plus beaux.

Autour de cette croix de Pors-Even, il y avait les landes éternellement vertes, tapissées d’ajoncs courts. Et, à cette hauteur, l’air de la mer était très pur, ayant à peine l’odeur salée des goémons, mais rempli des senteurs délicieuses de septembre.

On voyait se dessiner très loin, les unes par-dessus les autres, toutes les découpures de la côte, la terre de Bretagne finissait en pointes dentelées qui s’allongeaient sur le tranquille néant des eaux.

Au premier plan, des roches criblaient la mer ; mais, au delà, rien ne troublait plus son poli de miroir ; elle menait un tout petit bruit caressant, léger et immense, qui montait du fond de toutes les baies. Et c’étaient des lointains si calmes, des profondeurs si douces ! Le grand néant bleu, le tombeau des Gaos, gardait son mystère impénétrable, tandis que des brises, faibles comme des souffles, promenaient l’odeur des genêts ras qui avaient refleuri au dernier soleil d’automne.

À certaines heures régulières, la mer baissait, et des taches s’élargissaient partout, comme si lentement la Manche se vidait ; ensuite, avec la même lenteur, les eaux remontaient et continuaient leur va-et-vient éternel, sans aucun souci des morts.

Et Gaud, assise au pied de sa croix, restait là, au milieu de ces tranquillités, regardant toujours, jusqu’à la nuit tombée, jusqu’à ne plus rien voir.

IX


Septembre venait de finir. Elle ne prenait plus aucune nourriture, elle ne dormait plus.

À présent, elle restait chez elle, et se tenait accroupie, les mains entre les genoux, la tête renversée et appuyée au mur derrière. À quoi bon se lever, à quoi bon se coucher ; elle se jetait sur son lit sans retirer sa robe, quand elle était trop épuisée. Autrement elle demeurait là, toujours assise, transie ; ses dents claquaient de froid, dans cette immobilité ; toujours elle avait cette impression d’un cercle de fer lui serrant les tempes ; elle sentait ses joues qui se tiraient, sa bouche était sèche, avec un goût de fièvre, et à certaines heures elle poussait un gémissement rauque du gosier, répété par saccades, longtemps, longtemps, tandis que sa tête se frappait contre le granit du mur.

Ou bien elle l’appelait par son nom, très tendrement, à voix basse, comme s’il eût été là tout près, et lui disait des mots d’amour.

Il lui arrivait de penser à d’autres choses qu’à lui, à de toutes petites choses insignifiantes ; de s’amuser par exemple à regarder l’ombre de la Vierge de faïence et du bénitier, s’allonger lentement, à mesure que baissait la lumière, sur la haute boiserie de son lit. Et puis des rappels d’angoisse revenaient plus horribles, et elle recommençait son cri, en battant le mur de sa tête…

Et toutes les heures du jour passaient, l’une après l’autre, et toutes les heures du soir, et toutes celles de la nuit, et toutes celles du matin. Quand elle comptait depuis combien de temps il aurait dû revenir, une terreur plus grande la prenait ; elle ne voulait plus connaître ni les dates, ni les noms des jours.


Pour les naufrages d’Islande, on a des indications ordinairement ; ceux qui reviennent ont vu de loin le drame ; ou bien ils ont trouvé un débris, un cadavre, ils ont quelque indice pour tout deviner. Mais non, de la Léopoldine on avait rien vu, on ne savait rien. Ceux de la Marie-Jeanne, les derniers qui l’avaient aperçue le 2 août, disaient qu’elle avait dû s’en aller pêcher plus loin vers le nord, et après, cela devenait le mystère impénétrable.

Attendre, toujours attendre, sans rien savoir ! Quand viendrait le moment où vraiment elle n’attendrait plus ? Elle ne le savait même pas, et à présent elle avait presque hâte que ce fût bientôt.

Oh ! s’il était mort, au moins qu’on eût la pitié de le lui dire !…

Oh ! le voir, tel qu’il était en ce moment même, — lui, ou ce qui restait de lui !… Si seulement la Vierge tant priée, ou quelque autre puissance comme elle, voulait lui faire la grâce, par une sorte de double vue, de le lui montrer, son Yann ! lui, vivant, manœuvrant pour rentrer — ou bien son corps roulé par la mer… pour être fixée au moins ! pour savoir !!…

Quelquefois il lui venait tout à coup le sentiment d’une voile surgissant du bout de l’horizon : la Léopoldine, approchant, se hâtant d’arriver ! Alors elle faisait un premier mouvement irréfléchi pour se lever, pour courir regarder le large, voir si c’était vrai…

Elle retombait assise. Hélas ! où était-elle en ce moment, cette Léopoldine ? où pouvait-elle bien être ? Là-bas, sans doute, là-bas dans cet effroyable lointain de l’Islande, abandonnée, émiettée, perdue…

Et cela finissait par cette vision obsédante, toujours la même : une épave éventrée et vide, bercée sur une mer silencieuse d’un gris rose ; bercée lentement, lentement, sans bruit, avec une extrême douceur, par ironie, au milieu d’un grand calme d’eaux mortes.

X


Deux heures du matin.

C’était la nuit surtout qu’elle se tenait attentive à tous les pas qui s’approchaient : à la moindre rumeur, au moindre son inaccoutumé, ses tempes vibraient ; à force d’être tendues aux choses du dehors, elles étaient devenues affreusement douloureuses.

Deux heures du matin. Cette nuit-là comme les autres, les mains jointes, et les yeux ouverts dans l’obscurité, elle écoutait le vent faire sur la lande son bruit éternel.

Des pas d’homme tout à coup, des pas précipités dans le chemin ! À pareille heure, qui pouvait passer ? Elle se dressa, remuée jusqu’au fond de l’âme, son cœur cessant de battre…

On s’arrêtait devant la porte, on montait les petites marches de pierre…

Lui !… Oh ! joie du ciel, lui ! On avait frappé, est-ce que ce pouvait être un autre !… Elle était debout, pieds nus ; elle, si faible depuis tant de jours, avait sauté lestement comme les chattes, les bras ouverts pour enlacer le bien-aimé. Sans doute la Léopoldine était arrivée de nuit, et mouillée en face dans la baie de Pors-Even, — et lui, il accourait ; elle arrangeait tout cela dans sa tête avec une vitesse d’éclair. Et maintenant, elle se déchirait les doigts aux clous de la porte, dans sa rage pour retirer ce verrou qui était dur…

. . . . . . . . . . . . . . . . .

— Ah !… Et puis elle recula lentement, affaissée, la tête retombée sur la poitrine. Son beau rêve de folle était fini. Ce n’était que Fantec, leur voisin… Le temps de bien comprendre que ce n’était que lui, que rien de son Yann n’avait passé dans l’air, elle se sentit replongée comme par degrés dans son même gouffre, jusqu’au fond de son même désespoir affreux.

Il s’excusait, le pauvre Fantec : sa femme, comme on savait, était au plus mal, et à présent, c’était leur enfant qui étouffait dans son berceau, pris d’un mauvais mal de gorge ; aussi il était venu demander du secours, pendant que lui irait d’une course chercher le médecin à Paimpol…

Qu’est-ce que tout cela lui faisait, à elle ? Devenue sauvage dans sa douleur, elle n’avait plus rien à donner aux peines des autres. Effondrée sur un banc, elle restait devant lui les yeux fixes, comme une morte, sans lui répondre, ni l’écouter, ni seulement le regarder. Qu’est-ce que cela lui faisait, les choses que racontait cet homme ?

Lui comprit tout alors ; il devina pourquoi on lui avait ouvert cette porte si vite, et il eut pitié pour le mal qu’il venait de lui faire.

Il balbutia un pardon :

— C’est vrai, qu’il n’aurait pas dû la déranger… elle !…

— Moi ! répondit Gaud vivement, — et pourquoi donc pas moi, Fantec ?

La vie lui était revenue brusquement, car elle ne voulait pas encore être une désespérée aux yeux des autres, elle ne le voulait absolument pas. Et puis, à son tour, elle avait pitié de lui ; elle s’habilla pour le suivre et trouva la force d’aller soigner son petit enfant.


Quand elle revint se jeter sur son lit, à quatre heures, le sommeil la prit un moment parce qu’elle était très fatiguée.

Mais cette minute de joie immense avait laissé dans sa tête une empreinte qui, malgré tout, était persistante ; elle se réveilla bientôt avec une secousse, se dressant à moitié, au souvenir de quelque chose… Il y avait eu du nouveau concernant son Yann… Au milieu de la confusion des idées qui revenaient, vite elle cherchait dans sa tête, elle cherchait ce que c’était…

— Ah ! rien, hélas ! — non, rien que Fantec.

Et une seconde fois, elle retomba tout au fond de son même abîme. Non, en réalité, il n’y avait rien de changé dans son attente morne et sans espérance.

Pourtant, l’avoir senti là si près, c’était comme si quelque chose émané de lui était revenu flotter alentour ; c’était ce qu’on appelle, au pays breton, un pressigne ; et elle écoutait plus attentivement les pas du dehors, pressentant que quelqu’un allait peut-être arriver qui parlerait de lui.

En effet, quand il fit jour, le père de Yann entra. Il ôta son bonnet, releva ses beaux cheveux blancs, qui étaient en boucles comme ceux de son fils, et s’assit près du lit de Gaud.

Il avait le cœur angoissé, lui aussi ; car son Yann, son beau Yann était son aîné, son préféré, sa gloire. Mais il ne désespérait pas, non vraiment, il ne désespérait pas encore. Il se mit à rassurer Gaud d’une manière très douce : d’abord les derniers rentrés d’Islande parlaient tous de brumes très épaisses qui avaient bien pu retarder le navire ; et puis surtout il lui était venu une idée : une relâche aux îles Feroë, qui sont des îles lointaines situées sur la route et d’où les lettres mettent très longtemps à venir ; cela lui était arrivé à lui-même, il y avait une quarantaine d’années, et sa pauvre défunte mère avait déjà fait dire une messe pour son âme… Un si beau bateau, la Léopoldine, presque neuf, et de si forts marins qu’ils étaient tous à bord…

La vieille Moan rôdait autour d’eux tout en hochant la tête ; la détresse de sa petite-fille lui avait presque rendu de la force et des idées ; elle rangeait le ménage, regardant de temps en temps le petit portrait jauni de son Sylvestre accroché au granit du mur, avec ses ancres de marine et sa couronne funéraire en perles noires ; non, depuis que le métier de mer lui avait pris son petit-fils, à elle, elle n’y croyait plus, au retour des marins ; elle ne priait plus la Vierge que par crainte, du bout de ses pauvres vieilles lèvres, lui gardant une mauvaise rancune dans le cœur.

Mais Gaud écoutait avidement ces choses consolantes, ses grands yeux cernés regardaient avec une tendresse profonde ce vieillard qui ressemblait au bien-aimé ; rien que de l’avoir là, près d’elle, c’était une protection contre la mort, et elle se sentait plus rassurée, plus rapprochée de son Yann. Ses larmes tombaient, silencieuses et plus douces, et elle redisait en elle-même ses prières ardentes à la Vierge Étoile-de-la-Mer.

Une relâche là-bas, dans ces îles, pour des avaries peut-être ; c’était une chose possible en effet. Elle se leva, lissa ses cheveux, fit une sorte de toilette, comme s’il pouvait revenir. Sans doute tout n’était pas perdu, puisqu’il ne désespérait pas, lui, son père. Et, pendant quelques jours, elle se remit encore à attendre.

C’était bien l’automne, l’arrière-automne, les tombées de nuit lugubres où, de bonne heure, tout se faisait noir dans la vieille chaumière, et noir aussi alentour, dans le vieux pays breton.

Les jours eux-mêmes semblaient n’être plus que des crépuscules ; des nuages immenses, qui passaient lentement, venaient faire tout à coup des obscurités en plein midi. Le vent bruissait constamment, c’était comme un son lointain de grandes orgues d’église, jouant des airs méchants ou désespérés ; d’autres fois, cela se rapprochait tout près contre la porte, se mettant à rugir comme les bêtes.

Elle était devenue pâle, pâle, et se tenait toujours plus affaissée, comme si la vieillesse l’eût déjà frôlée de son aile chauve. Très souvent elle touchait les effets de son Yann, ses beaux habits de noces, les dépliant, les repliant comme une maniaque, — surtout un de ses maillots en laine bleue qui avait gardé la forme de son corps ; quand on le jetait doucement sur la table, il dessinait de lui-même, comme par habitude, les reliefs de ses épaules et de sa poitrine ; aussi à la fin elle l’avait posé tout seul dans une étagère de leur armoire, ne voulant plus le remuer pour qu’il gardât plus longtemps cette empreinte.

Chaque soir, des brumes froides montaient de la terre ; alors elle regardait par sa fenêtre la lande triste, où des petits panaches de fumée blanche commençaient à sortir çà et là des chaumières des autres : là partout les hommes étaient revenus, oiseaux voyageurs ramenés par le froid. Et, devant beaucoup de ces feux, les veillées devaient être douces ; car le renouveau d’amour était commencé avec l’hiver dans tout ce pays des Islandais…

Cramponnée à l’idée de ces îles où il avait pu relâcher, ayant repris une sorte d’espoir, elle s’était remise à l’attendre…

. . . . . . . . . . . . . . . . .

XI


Il ne revint jamais.

Une nuit d’août, là-bas, au large de la sombre Islande, au milieu d’un grand bruit de fureur, avaient été célébrées ses noces avec la mer.

Avec la mer qui autrefois avait été aussi sa nourrice ; c’était elle qui l’avait bercé, qui l’avait fait adolescent large et fort, — et ensuite elle l’avait repris, dans sa virilité superbe, pour elle seule. Un profond mystère avait enveloppé ces noces monstrueuses. Tout le temps, des voiles obscurs s’étaient agités au-dessus, des rideaux mouvants et tourmentés, tendus pour cacher la fête ; et la fiancée donnait de la voix, faisait toujours son plus grand bruit horrible pour étouffer les cris. — Lui, se souvenant de Gaud, sa femme de chair, s’était défendu, dans une lutte de géant, contre cette épousée de tombeau. Jusqu’au moment où il s’était abandonné, les bras ouverts pour la recevoir, avec un grand cri profond comme un taureau qui râle, la bouche déjà emplie d’eau ; les bras ouverts, étendus et raidis pour jamais.


Et à ses noces, ils y étaient tous, ceux qu’il avait conviés jadis. Tous, excepté Sylvestre, qui, lui, s’en était allé dormir dans des jardins enchantés, — très loin, de l’autre côté de la Terre…



FIN