Optique minéralogique – Le diamant et les pierres précieuses/01

Optique minéralogique – Le diamant et les pierres précieuses
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 9 (p. 799-823).
II  ►
OPTIQUE MINÉRALOGIQUE





DU DIAMANT ET DES PIERRES PRÉCIEUSES.





Le diamant, appelé par les Grecs et les Latins adamas, indomptable, à cause de sa dureté et de sa non-frangibilité, a appelé l’attention des amateurs de pierres précieuses dès la plus haute antiquité. — Quant à la dureté, dit Lucrèce, les diamans sont en première ligne, et ils ne redoutent point le choc du marteau.

... Adamantina saxa
Prima acie constaat, ictus contemnere sueta.


La seconde de ces deux particularités est bien plus contestable que la première, et malgré toutes les assertions fabuleuses des auteurs anciens, le diamant, qui raie tous les corps et n’est rayé par aucun, est susceptible de clivage, c’est-à-dire qu’en dirigeant le tranchant d’une lame d’acier dans le sens des lames naturelles de la pierre, on la fait éclater et on la divise sans beaucoup de difficulté. Lorsque les rudes Helvétiens s’emparèrent des trésors que contenait la tente de Charles le Téméraire, plus somptueuse que celle des rois, ils partagèrent avec la hache quelques-uns des diamans de ce prince, au grand détriment de la valeur de ces pierres, qui, dans leur intégrité, avaient un prix infiniment supérieur à celui des morceaux qu’ils se distribuaient. Si l’on ouvre les compilations de la renaissance, on y trouve une masse d’érudition indigeste sur les gemmes. Malgré l’incertitude des noms appliqués à plusieurs pierres précieuses, on lit toujours Pline, compilateur lui-même d’ouvrages plus anciens qui sont perdus, mais surtout écrivain de premier ordre, qui osa composer l’histoire de la nature, comme on avait, avant lui, composé celle de divers peuples. Ce mot histoire naturelle est devenu depuis longtemps d’un usage si familier, que cette idée d’écrire l’histoire des êtres qui composent le monde, minéraux, végétaux et animaux, a tout à fait perdu pour nous son originalité. Il n’est pas inutile d’insister sur ce point, que la science, dans ses progrès continus, est devenue de plus en plus modeste, car chez les Grecs le mot nature, physis, avait pour signification la génération ou l’origine des êtres. Le même mot chez les Romains se rapportait à la naissance des êtres sans remonter à leur principe. Enfin, chez nous, le mot nature s’applique à l’ensemble des êtres de toute sorte qui constituent, occupent ou peuplent le monde physique, indépendamment de la cause ou des moyens qui les y ont placés. Là, comme partout ailleurs, la science, pour devenir positive et faire des progrès réels, a quitté les ambitieuses spéculations métaphysiques pour les sages observations de la nature, et la théorie pour les faits.

Il ne serait pas sans intérêt de suivre l’histoire des gemmes à travers celle de l’humanité, depuis l’éphod d’Aaron jusqu’à la croix pastorale de Mgr l’archevêque de Paris; depuis les offrandes de rubis, de saphirs, d’émeraudes, de diamans, de topazes, de sardoines, d’améthystes, d’escarboucles, de pierres d’aimant, faites dans les temples de Jupiter et des autres divinités païennes, jusqu’aux richesses de même nature qui, avant le XVIe siècle, s’étaient accumulées dans ce qu’on appelait le trésor des basiliques chrétiennes. On conserve encore à Rome une émeraude du Pérou, envoyée en hommage au pape après la conquête de ce pays. On doit cependant remarquer que ces précieux dépôts, provenant de la piété des fidèles, n’ont pas toujours été fidèlement respectés. Lorsque la réformation de Luther et de Calvin dans les pays allemands, et plus tard la révolution française dans les pays restés catholiques, transmirent aux autorités civiles la possession de ces richesses votives, on a pu constater que bien des substitutions frauduleuses avaient été opérées, et que le strass avait bien souvent remplacé la gemme primitive.

La fameuse exposition de Londres en 1851 s’enorgueillissait d’un grand diamant, le Koh-i-noor (montagne de lumière), enlevé aux maha-radjas de l’Inde et envoyé à la reine Victoria. Cette pierre, aussi mal taillée que mal éclairée, ne produisait aucun effet. La taille du Koh-i-noor a occupé les derniers loisirs du grand Wellington; quant à son antiquité, on a prétendu que ce diamant avait été porté par Karna, roi d’Anga, trois mille et un ans avant notre ère. Notez ce chiffre précis, 3001 ans ! A cela je n’ai rien à objecter; je me porte même garant de cette curieuse assertion, car qui me démentira dans ce témoignage ?

On en peut dire autant de toutes les propriétés merveilleuses des pierres gemmes que l’antiquité et le moyen âge ont admises sans hésiter, comme ils admettaient les influences des planètes, des comètes et des aspects célestes. Pour toutes les cures de maladies nerveuses et morales où l’imagination peut avoir une grande influence, les gemmes étaient certes un remède souverain. En disant à un malade qu’une émeraude placée sous le chevet de son lit devait le guérir de l’hypocondrie, éloigner le cauchemar, calmer les palpitations du cœur, égayer l’imagination, apporter la réussite dans les entreprises, dissiper les peines de l’âme, on était sûr du succès par la croyance seule du malade à l’efficacité du remède. L’espérance de la cure dans ces affections est la cure elle-même, et dans toutes les nombreuses circonstances où le moral a de l’influence sur le physique, la cause imaginaire devait produire un effet très réel. Enfin cette éternelle déception de l’esprit humain, qui n’enregistre que les guérisons et qui ne met pas en ligne de compte tous les cas où les moyens curatifs ont manqué le but, contribuait à maintenir la croyance aux vertus occultes des pierres précieuses. Il n’y a pas un demi-siècle que l’on envoyait encore emprunter dans les familles riches des pierres montées en anneaux pour les appliquer sur les parties malades. Quand le bijou devait être introduit dans la bouche pour cause de mal de dents, de mal de gorge ou de mal d’oreille, on avait soin de le retenir par une ficelle assez forte pour éviter qu’il ne fût avalé par le malade.

Il est inutile de dire qu’aujourd’hui, si l’on demande ce que sont devenues toutes ces croyances incontestables pour nos pères, on répondra qu’elles sont allées avec les influences lunaires, si puissantes au temps de Louis XIV, prendre place dans le magasin immense des erreurs de l’esprit humain : vieille friperie qui n’est pas encore tellement usée, que de temps en temps on n’en retire quelque chapeau ou table tournante, quelque miracle ridicule, ou même telle autre chose actuelle que le lecteur voudra bien nommer. Ce qu’il y a de curieux, c’est de voir, sous l’étendard du scepticisme, plus d’un écrivain qui, suivant le conseil de Voltaire,

Crie à l’impie, à l’athée, au déiste,
Au géomètre !


anathème que ne lancent plus depuis longtemps les auteurs disant la messe ! Pour trouver quelque chose de plus poétique que ces misères, il faut lire dans Lucain la description du festin donné à César par les souverains d’Egypte, Cléopâtre et son frère. La reine pliait sous le faix de ses ornemens. Le vin était bu dans de grandes coupes creusées dans des pierres gemmes :

Gemmaeque capaces
Excepere merum.


Rien n’y manque, pas même le vin mousseux chanté par Pindare. César est ébloui de cette magnificence; il a honte d’avoir fait la guerre à un pauvre, à un indigent comme Pompée ! C’est sans doute pour se relever de cette humiliation que le même capitaine se procura peu de temps après, dans les dépouilles de Juba, roi de Mauritanie, des tables de bois de citronnier incrustées de pierreries, et estimées dans les prix de un à deux millions de francs.

Les pierres précieuses ont donc été de tout temps en grande estime, et le seront sans doute tout autant dans les siècles à venir. Lorsqu’aux somptuosités des cours de l’Orient et des citoyens romains enrichis des dépouilles du monde on compare notre luxe moderne, nous avons l’infériorité sur bien des points, excepté pour les diamans. Si dans une des brillantes réunions actuelles des Tuileries on apprécie la valeur des diamans, même en défalquant les parures en strass, on trouve que notre richesse française, quoique plus disséminée, ne le cède en rien à la richesse romaine tant vantée, pas plus que le vin mousseux de Champagne servi aux invités ne le cède aux crus antiques, grecs et romains, qui offraient la même particularité.

L’étude des pierreries, qui peut paraître frivole lorsqu’on ne voit en elles que des objets d’ornement, se relève lorsqu’on les considère du côté de l’importante question du commerce et sous le point de vue de l’optique et de la minéralogie, deux des sciences auxquelles notre époque a fait faire le plus de progrès. Le sévère Haüy, le créateur de la minéralogie cristallographique française, n’a pas dédaigné de composer un livre sur les pierres précieuses, où, fort de toutes les notions de la physique, de la chimie, de la mécanique et de l’optique, il ne laisse aucune place à l’indécision sur les caractères d’une pierre taillée quelconque. Il n’est guère d’ouvrages qui contiennent si peu d’erreurs que ce traité d’Haüy. L’auteur indique dans sa préface qu’il a eu recours aux lumières pratiques de M. Achard, lapidaire et minéralogiste, qui lui a fait connaître toutes les dénominations en usage. «Je dois, dit-il, un témoignage de reconnaissance à M. Achard, l’un des joailliers de cette ville les plus éclairés sur tout ce qui se rapporte aux objets de son commerce. » J’en puis dire autant de M. Achard fils, que j’ai connu lorsque je me livrais aux études d’optique qui m’ont ouvert les portes de l’Institut, et qui m’avait été indiqué par M. Haüy lui-même. Ce joaillier expert, qui est maintenant à la tête d’une de nos premières maisons de Paris, joint à l’expérience et à la probité de son père une pratique que la science, aidée des notions théoriques, ne trouve jamais en défaut. Je n’aurais même pas écrit avec assurance ces pages sur le diamant et les pierres précieuses, si je n’eusse pu compter sur la collaboration consultative de M. Achard.

Qu’est-ce que le diamant ? C’est ce qu’il y a de plus précieux et de plus cher au monde. Qu’est-ce que le charbon ? C’est la matière usuelle la plus commune et une de celles que l’on trouve en dépôts immenses dans les entrailles de la terre, en même temps que les plantes, les arbres de toute espèce en contiennent une inconcevable quantité. L’argent peut à peine payer le diamant, car si l’on imagine un diamant pur du poids d’une pièce de 25 francs, il pèsera environ 125 carats et vaudra au minimum 4 millions de francs, tandis qu’un poids pareil de charbon n’aura, même avec les pièces de cuivre les plus petites, aucune valeur assignable. Et cependant le diamant et le charbon sont identiques : le diamant n’est que du charbon cristallisé.

Lorsqu’une substance quelconque tenue en fusion dans de l’eau ou tout autre liquide vient à se déposer tranquillement, il en résulte un produit auquel on était loin de s’attendre. Ce n’est point un corps compacte comme une pierre, un caillou, un morceau de pavé ou de moellon tiré d’une carrière et n’offrant aucune forme déterminée. Si le corps fondu dans l’eau est du sel ordinaire, du salpêtre, du sucre, de l’alun, le dépôt laissé par l’eau en s’évaporant affectera des formes régulières et telles que l’art les aurait produites avec le secours de la géométrie. Le sel offrira des figures carrées en tout sens, et ses grains seront ce que la géométrie appelle des cubes. Telle serait la forme d’un livre qui, coupé carrément, aurait autant de hauteur que de largeur, et autant d’épaisseur que de largeur ou de hauteur. Telle est encore la figure connue d’un dé à jouer, que les Grecs appelaient techniquement un cube, et même chez eux le mot cuber désignait l’action de jouer aux dés. Si c’est du salpêtre, on obtiendra des tiges ou baguettes allongées ayant quatre côtés plats, et terminées par deux bouts sans pointes. Le sucre prendra la forme connue sous le nom de sucre candi, et qui se rapporte à un cube écrasé dans lequel les faces sont posées obliquement l’une sur l’autre. Enfin l’alun offrira en tout sens une double pointe carrée, comme si, prenant une petite règle carrée, on lui faisait à l’un des bouts une pointe formée de quatre biseaux aboutissant à un même point. Cette pointe porte le nom de pyramide, par assimilation à la forme géométrique de pyramide carrée qu’offrent les pyramides d’Egypte. Cette même pointe ou pyramide porte dans les arts le nom de pointe de diamant, car c’est précisément sous cette forme que la nature nous offre le charbon cristallisé ou diamant. Après que les chimistes eurent découvert que le diamant n’était que du charbon disposé sous forme régulière, on espéra pouvoir répéter dans le laboratoire les opérations de la nature, et faire du diamant avec du charbon; mais jusqu’ici la nature a gardé son secret. Elle triomphe dans l’art de se cacher, comme le dit Lucain de la source du Nil :

Sed vincit adhuc natura latendi.

On appelle cristaux ces produits géométriques réguliers de la nature. Ils sont à faces lisses et polies, avec des arêtes droites et bien dressées; ils offrent des plans parfaits, tels que l’acier tranchant ou la roue du lapidaire aurait pu les produire. De plus, ils sont transparens comme l’eau pure, le verre ou le cristal de nos verreries. Leur couleur, quand ils ne sont pas blancs, ne nuit pas à leur limpidité; le rouge du rubis, le bleu du saphir, le jaune de la topaze, le vert de l’émeraude, le violet de l’améthyste, le rose du spinelle, le cramoisi du grenat, n’empêchent pas qu’on voie au travers, et le diamant lui-même, quand il est coloré comme le diamant bleu de M. Hope, unique dans sa beauté, est aussi limpide et aussi pur que s’il eût été sans couleur. La chimie nous offre plusieurs centaines de cristaux de diverses formes variant avec la nature de la substance qui les compose, et que la minéralogie ne nous présente point. En revanche, la nature a produit dans le cours des âges, et sous l’influence d’actions à peine encore soupçonnées, des cristaux que l’art n’a pu jusqu’à ce jour imiter. Tel est expressément le diamant, telle est aussi l’émeraude, tels sont plusieurs autres minéraux, non compris parmi les gemmes. Ce sont ces formes géométriques que le célèbre Haüy étudia pendant un grand nombre d’années avant et depuis le commencement de ce siècle, et dont il créa une science nouvelle, l’un des titres de gloire de l’esprit humain. Bacon disait : « Plusieurs se succéderont, et la science s’augmentera; » multi pertransibunt, et augebitur scientia. Espérons qu’un esprit lucide et profond aura l’art d’exposer clairement et complètement ces titres de noblesse de la pensée humaine, en rendant justice à tous les inventeurs. Telle était l’intention exprimée par Napoléon quand il demanda le fameux rapport sur les prix décennaux, dont l’idée sera probablement reprise. Pythagore et Platon avaient sans aucun doute la notion des formes cristallographiques, lorsque dans leurs écoles ils énonçaient ce bel axiome, que la nature se livre à des opérations géométriques dans les profondeurs de la terre, et que Dieu géométrise sans cesse.

Ἀεί Θεὸς γεωμέτρει.

Les anciens alchimistes étaient d’avis que la pierre philosophale devait être faite avec la matière la plus vile possible. Nos ancêtres, plus au fait que nous des rêveries relatives au grand œuvre, riaient aux éclats lorsqu’à la comédie italienne Arlequin alchimiste veut, d’après cette théorie, mettre le vieux Cassandre, adepte nouveau, dans un creuset de grandeur d’homme. Ces plaisanteries seraient aujourd’hui inintelligibles ; mais la nature, dans la production des pierres précieuses, semble avoir suivi l’idée des alchimistes en produisant les gemmes les plus belles avec les substances les plus communes. Elle prend un peu de charbon noir, sale et pulvérulent ; elle en fait un diamant transparent, d’une dureté et d’un éclat sans pair, et d’un prix au-dessus de toute comparaison. Elle prend un peu de la glaise que le potier de terre et le faiseur de briques façonnent en ouvrages grossiers, puis, la colorant avec un peu de fer, elle produit un rubis, un saphir ou une topaze orientale. Un peu de caillou cristallisé avec quelques légers mélanges accessoires lui donne la topaze proprement dite, l’émeraude et l’améthyste. Plusieurs de ces dernières gemmes ont été reproduites par Ébelmen dans les fourneaux de Sèvres, comme sans doute la nature les avait élaborées dans ses vastes usines volcaniques par une de ces opérations mystérieuses qui ont valu au Vésuve le titre de fabricant de cristaux. Tout le monde connaît l’apostrophe chagrine de Jean-Jacques Rousseau, qui reprochait au chimiste Rouelle de détruire la farine en l’analysant, et qui lui demandait de faire de la farine avec les ingrédiens chimiques qu’il y trouvait, plutôt que de détruire de la farine déjà toute produite. Qu’aurait-il dit s’il eût vu les chimistes faire avec un diamant un peu de charbon, comme ils eussent fait avec une petite branche de bois ou un petit morceau de sucre, sans pouvoir avec du charbon faire un diamant de prix ?

Les contrées les plus favorisées sembleraient donc être celles qui contiennent des mines de diamant ou de charbon cristallisé. Il n’en est rien. Les mines de Golconde et de Visapour dans l’Inde, du Brésil en Amérique, de l’Oural et de Bornéo, ne valent pas un de ces dépôts de charbon de terre dont la nature, un peu avare pour la France et encore plus pour la vaste Russie, a doté si libéralement la petite Belgique, l’Angleterre au territoire si restreint, et l’immense étendue des États-Unis, auxquels, suivant l’expression grecque, il ne manque rien. Là, le charbon de terre est si commun et d’une exploitation si facile, qu’on trouve de l’avantage à l’embarquer sur l’Ohio pour le transporter à la Nouvelle-Orléans, à près de deux mille kilomètres, plutôt que d’abattre les bois voisins de cette ville, qui sont aussi abondans que peu élevés en valeur. Pour fixer les. idées, nous dirons que la riche Angleterre ne reçoit en pierreries (diamans et gemmes) qu’environ pour 12 ou 13 millions de francs chaque année, tandis qu’elle tire de ses mines de charbon de terre, tant en combustible vendu en nature qu’en combustible employé à produire du fer, la somme énorme de 500 millions de francs par an. Quelle mine précieuse que ce charbon, que ce diamant non cristallisé !

On trouve ordinairement le diamant empâté dans une sorte de ciment naturel rougeâtre, assez analogue à nos briques de terre glaise ferrugineuse. Quelquefois on brise la roche qui contient ce ciment; d’autres fois on recueille le sable du fond des torrens ou bien la teffe qui a reçu les détritus des roches diamantifères, et au moyen de lavages successifs on exclut les pierres et le sable le plus grossier pour trier ensuite à la main ce qui reste de la quantité primitive soumise au lavage. Les diamans sont toujours voilés d’une espèce de dépoli qui semble attester l’action chimique de la formation cristalline. Presque tous les autres cristaux, et notamment le caillou cristallisé ou cristal de roche, ont un aspect infiniment plus brillant. Que M. Achard vous montre une sébile de diamans bruts, tout raboteux et tout ternes : vous ne concevrez de l’estime pour le contenu que quand il vous dira combien de fois 20,000 francs il y a dans cette assiette de bois ou de carton; mais que, vous ouvrant des paquets de papier blanc remplis de diamans travaillés, il fasse briller à vos yeux leurs mille étincellemens et leurs feux d’arc-en-ciel, vous ne reconnaîtrez plus vos petits cailloux ternes de tout à l’heure. Si Socrate, qui considérait l’homme non instruit comme un bloc de marbre dont l’art devait ensuite tirer une belle statue, avait eu sous les yeux la transformation du diamant brut au moyen de la taille, il eût certainement adopté cette comparaison de préférence. Cependant la différence de prix entre le diamant non taillé et le diamant taillé est nulle, car si d’une part un diamant brut perd la moitié de son poids par la taille, il double de prix par cette opération, sans compter que la poudre qui résulte de ce qu’on lui enlève a encore dans les arts une valeur considérable, et qu’on l’emploie à polir plusieurs gemmes et le diamant lui-même.

Les anciens ne paraissent pas avoir soupçonné que le diamant pût être taillé; ils ne connaissaient que le diamant à pointes naturelles, ayant huit faces triangulaires et formant en tout sens une double pyramide. C’est un artiste de Bruges, nommé Louis de Berquen, qui, vers le milieu du XVe siècle, eut l’idée de le tailler en usant d’abord deux diamans l’un contre l’autre. En effet, si après avoir monté deux diamans naturels sur deux tiges ou manches en bois, on les frotter pointe contre pointe, on émousse peu à peu celles-ci, et on fait naître en place une face artificielle non polie. Le diamant, dans cette opération, fait entendre un bruit sec et aigre, comme on doit l’attendre d’une matière si dure, qui s’égrène péniblement. Cette face faite, il faut la polir ; pour cela, on a une plaque ronde d’acier ou de fonte qui tourne rapidement comme une meule posée à plat. Il va sans dire que, si on appuyait le diamant sur cette espèce de meule, on mettrait plus d’un siècle à en polir une face. Tout ce qu’on obtiendrait, ce serait un sillon profond, une entaille circulaire que le diamant creuserait dans le fer ou l’acier. Pour user et polir la face posée sur la meule, Berquen eut l’heureuse idée de saupoudrer de poussière de diamant mouillée d’huile la surface de la meule sur laquelle le diamant était posé ; alors l’effet désiré se produisit. La face obtenue par égrénement devint régulière et plane, puis ensuite elle prit un poli parfait : on fut donc maître de donner à un diamant toutes les facettes désirées. Des essais successifs indiquèrent la forme la plus avantageuse à choisir, et voici les deux tailles principales auxquelles on s’arrêta.

La première est celle qui porte le nom de taille en brillant. Il faut, pour cette taille, avoir un diamant à pointes, ou le ramener à cette forme par un travail préliminaire. Ensuite on abat un peu plus de la moitié de la hauteur de la pointe ou pyramide carrée qui est au-dessus, on abat environ un demi-quart de la hauteur de la pyramide d’en dessous, — et alors la lumière, entrant par la grande face que l’on a faite en dessus, allant frapper le fond formé par la petite face, revient en avant, puis, traversant les faces de côté, éprouve l’action connue sous le nom d’effet prismatique. On sait en quoi consiste cet effet : la lumière blanche se décompose dans les sept couleurs de l’arc-en-ciel, savoir le rouge, l’orangé, le jaune, le vert, le bleu, l’indigo, le violet, et ces couleurs, venant à l’œil, lui montrent le rayon rejaillissant teint des plus vives couleurs : c’est ce qu’on appelle les feux du diamant. Pour que cet effet se produise, il ne faut pas que la lumière éclairante soit trop volumineuse, car il y aurait recouvrement des diverses couleurs et reproduction du blanc. Il ne faut pas non plus que les facettes du diamant soient trop larges, car alors l’œil recevrait toutes les couleurs à la fois, ce qui reproduirait encore du blanc. Les gros diamans taillés à larges facettes, comme le Régent, qui appartient à la couronne de France, et le Koh-i-noor, qui appartient à celle d’Angleterre, sont taillés à facettes beaucoup trop grandes et trop peu nombreuses. Il aurait fallu remplacer la grande face d’en dessus, qu’on appelle la table, par une série de facettes plus petites taillées en échelons ou en retraite, comme on le fait pour les pierres de couleur. Je n’hésite point à prononcer que le diamant anglais, réduit par la taille à 102 carats ¾[1], a été taillé suivant le système désavantageux des facettes peu nombreuses, lequel convient aux pierres de médiocre dimension.

Voici au reste le procédé infaillible par lequel j’étudie l’effet d’un diamant : je perce un carton blanc d’un trou un peu plus grand que la grosseur du diamant à essayer, puis, faisant passer un rayon de soleil au travers de ce trou, j’oppose à ce rayon la pierre à essayer en la mettant à une certaine distance du trou derrière le carton, mais de manière à ce qu’elle reçoive en plein le rayon solaire sur la face antérieure, où est la table. Aussitôt on voit le reflet de la table se marquer sur le carton par une figure blanche semblable à la table elle-même. Tout à l’entour sont de petites bandes irisées des couleurs primitives de la lumière, dont les principales sont le rouge, le jaune, le vert, le blanc et le violet. Alors, si les couleurs sont bien séparées dans ces petites bandes irisées, si le nombre de ces petites bandes est considérable, si elles sont espacées bien également autour du reflet blanc de la table, le diamant est bien taillé. Chacune de ces bandes donne un des feux du diamant, et l’on peut ainsi les compter. On pourra donc désormais exprimer pour un diamant le nombre, la qualité et la symétrie de ses feux, et étudier ultérieurement la taille la plus convenable à lui donner. C’est une étude qu’aucun physicien n’a encore tentée, et que j’ai toujours moi-même ajournée, étant (comme dit Homère) « pressé par un autre travail. »

Ἐπεὶ πόνος ἄλλος ἐπείγε.

Le procédé expérimental que je viens de décrire servira à vérifier l’effet attendu. En l’absence du soleil, une lampe électrique de Duboscq permettra de compter les feux de la pierre et d’en étudier la disposition.

La seconde espèce de taille, que l’on appelle, je ne sais pourquoi, taille en rose, consiste à laisser au diamant une large face plane en dessous et à recouvrir le dessus de plusieurs facettes pour obtenir par le reflet sur la face d’en dessous des feux semblables à ceux du brillant. On emploie cette taille pour des pierres de forme plate qu’on aurait trop diminuées de poids en les ramenant à la forme de brillant. C’est ainsi qu’était le diamant indien d’Angleterre, quand il a été présenté à la reine. En le taillant en brillant, on l’a réduit de 186 carats anglais à 103 environ. Je n’ai pas besoin de dire qu’au moyen de mon procédé on vérifiera l’effet de la taille en rose ainsi qu’on vérifie celui de la taille en brillant. Comme pour la taille en brillant, évitez les trop grandes facettes pour les diamans trop gros.

On n’est pas bien d’accord sur l’identité du diamant qui porte le nom de Sancy, l’un des capitaines de Henri IV. Tous les diamans auxquels on a donné ce nom pesaient de 55 à 70 carats; mais tous étaient taillés en poire aplatie presque ronde ayant la forme dite de pendeloque, et facetés en dessus et en dessous, avec une très petite table en dessus. Évidemment les rayons, entrant par les diverses facettes du dessus, vont se refléter sur les facettes du dessous et reviennent, en s’irisant, repasser par les diverses facettes du dessus. Plusieurs strass taillés ainsi m’ont donné d’admirables effets, et je crois que c’est d’après ce modèle qu’on aurait dû tailler, sans grande perte de poids, et le diamant royal d’Angleterre, et le beau diamant brut désigné sous le nom d’Etoile du sud, qui a été récemment présenté par M. Dufrénoy à l’Académie des Sciences. Cette taille, que je hasarderai d’appeler taille Sancy, mérite autant d’être étudiée que la taille en brillant et la taille en rose. M. Achard se propose de l’essayer d’abord pour le faux de strass) et ensuite pour le diamant.

L’industrie de la taille du diamant est complètement nulle en France. Il n’existe aujourd’hui à Paris qu’un seul diamantaire, arrivé récemment de Hollande. Tout se taille à Amsterdam. Cependant les Français semblent être nés pour tout ce qui exige de la dextérité et du goût. C’est ainsi que la fabrication des glaces et des meubles ornés d’incrustations n’a pu nous être enlevée ni par les Anglais, qui, faisant très bien, produisent à un trop haut prix, ni par les Allemands, qui travaillent à bas prix, mais sans élégance. Il nous manquerait, dit-on, les matières premières, et il nous faudrait des traités avec le Brésil, qui produit aujourd’hui presque tout le brut arrivant sur les marchés d’Europe, et avec les grandes Indes, qui n’ont guère de princes indépendans de l’Angleterre. Cependant on voit chez M. Halphen des diamans à pleines sébiles, dont la taille pourrait occuper plusieurs ouvriers français. Ne pourrait-on donner à ces ouvriers quelques subventions en logement ou en outils qui leur permissent de travailler à prix convenable pour les importateurs de diamans ? Cette idée était déjà celle de M. Achard, qui en a étudié la réalisation. Le travail exquis du strass à Paris est garant de ce que feraient les ouvriers français en fait de taille dure. En attendant, j’apprends que le pauvre Gallais, le dernier diamantaire français, est mort de faim, comme tous ceux qui l’ont précédé à Paris.

Si un seul point lumineux multiplié par les facettes du diamant produit plusieurs feux colorés, il est évident qu’avec plusieurs points lumineux on obtiendra des feux bien plus nombreux et plus agréables à l’œil. C’est ainsi que l’illumination aux bougies : ou aux petits becs-de gaz à nu est infiniment plus favorable à l’éclat des diamans que l’illumination par des lampes ou becs de gaz entourés de gros globes de verre dépoli. Il y a quelques années, c’était la mode (qui peut-être subsiste encore) pour les dames parées qui assistaient à l’Opéra d’aller pendant l’entr’acte prendre des glaces dans les salons de Tortoni. La pièce d’entrée, sans doute pour éviter l’effet du vent, était éclairée par des lampes à globe; la seconde l’était par un lustre à bougies. Or, en suivant de l’œil la marche d’une dame couverte de diamans et passant d’une pièce à l’autre, il se faisait à l’entrée de la pièce illuminée par des bougies une radiation telle que l’œil le plus distrait en eût été frappé, et l’on a pu entendre plus d’une fois une exclamation d’étonnement à la vue d’un : effet si inattendu. Ajoutons que, dans les soirées de contrat où l’on expose l’écrin de la fiancée à la curiosité du public, on met souvent deux grosses lampes pour éclairer la table sur laquelle est posé cet écrin. C’est une maladresse. Faites apporter deux candélabres de quatre ou cinq bougies chacun, et vous changerez comme par magie l’effet des diamans, dont l’ensemble fera tout de suite ce qu’on appelle parterre ou corbeille de fleurs.

Lorsque j’ai été invité à voir des collections d’amateur qui renfermaient un beau diamant princier (au-dessus de 10 carats), je me suis donné souvent le plaisir de lui faire produire tous ses feux en allumant devant une glace posée sur une cheminée de marbre huit ou seize bougies. Le reflet de la glace doublait le nombre des bougies; alors, en tournant le dos à la glace et tenant le diamant à la hauteur de la tête, en face de l’œil, on obtenait, en le secouant haut et bas et le faisant miroiter, des effets ravissans et tout à fait inconnus au propriétaire. Si ce bel effet eût été connu du prince Potemkin, qui jouissait en sybarite de la société de ses beaux diamans, avec lesquels, dit-on, il se délassait des ennuis de la grandeur, je ne doute pas qu’il n’eût encore obtenu plus de plaisir de sa contemplation favorite. Je ne pense pas apprendre quelque chose aux dames qui tiennent à faire briller leurs riches parures en leur conseillant de donner la préférence aux salles illuminées par des lustres à bougies. Bans les vastes appartemens des Tuileries, rien n’est plus facile à remarquer que le désavantage des diamans dans celles des salles qui sont illuminées par des globes dépolis. La marche, la danse et tous les mouvemens du corps, quelque légers qu’ils soient, sont aussi très favorables au jeu des feux de cette belle et précieuse gemme.

On a remarqué que le prix des diamans est resté à peu près invariable depuis plusieurs siècles. Le diamant parfait pesant un carat (205 milligrammes 1/2) se paie environ 200 fr.; s’il pèse le double, on double deux fois ce prix, ce qui fait d’abord 400 fr, puis, doublant encore, 800 fr. Un diamant de 10 carats vaudrait dix fois 200 fr. ou 2,000 fr, puis, décuplant toujours, on aurait 20,000 fr. ; ce serait plus qu’un beau solitaire. Quoiqu’il n’entre pas dans notre plan de parler de la mise en œuvre des diamans et de la manière de les monter, ce qui est à proprement parler de la joaillerie ou de la bijouterie, nous dirons que récemment on a obtenu d’admirables effets, et avec une grande économie de prix, en substituant à une pierre très grosse et très chère une pierre de dimensions moindres entourée de huit brillans d’un carat. En supposant au milieu une pierre de 4 carats, dite milieu de collier, valant 3,200 fr, et 8 carats à l’entour valant 1,600 fr, on aura pour 4,800 francs un effet égal à la pierre unique de 10 carats, dont la valeur est de 20,000 à 25,000 francs.

Les mines de l’Inde, à Golconde, à Raolconde, à Visapour, ont été longtemps en possession d’approvisionner de diamans le marché du monde entier. Plus tard, le Brésil apporta ses produits, presque toujours marqués d’une légère teinte jaunâtre, qui contrastait avec le blanc parfait des diamans indiens. C’est aujourd’hui le Brésil qui envoie en Europe par l’Angleterre tous les diamans qui, après avoir été portés à la taille à Amsterdam, reviennent à Londres et à Paris, pour être montés et mis dans le commerce. Bornéo fournit aussi quelques centaines de carats. M. de Humboldt avait conjecturé, d’après la nature géologique des monts Oural, qu’il devait s’y trouver des diamans, et l’expérience a justifié la théorie. Il ne paraît pas cependant que ces gisemens soient exploités comme mines productives. L’Algérie avait été signalée comme donnant quelques diamans, et l’on en avait vu quelques-uns entre les mains d’amateurs de minéralogie à Paris; ces envois, provenant de gisemens vrais ou supposés, n’ont point eu de suite. On peut en dire autant jusqu’ici de l’Australie et de la Californie. En général, la quantité des diamans en circulation paraît augmenter dans la même proportion que la population humaine qui est appelée à les posséder, ce qui rend leur prix à peu près constant. Une panique due à la découverte de nouveaux gisemens au Brésil avait, vers 1845, fait baisser momentanément la valeur de cette gemme; mais l’équilibre s’est promptement rétabli, et aujourd’hui à Londres, comme à Paris, le carat a repris sa valeur de 200 fr. environ.

Le nombre des pierres qui surpassent eu poids 100 carats est excessivement restreint. On estime que sur dix mille diamans il ne s’en trouve qu’un pesant 10 carats, et par suite méritant le nom de diamant princier. La Russie, la France, la Toscane, l’Angleterre, ont des diamans d’une grosseur au-dessus de 100 carats. Le premier pour la beauté est de beaucoup le Régent, ainsi nommé parce que c’est au régent qu’on en doit l’acquisition. Tous ces diamans viennent de l’Inde. L’Etoile du sud, dont nous avons déjà parlé, et dont le brut a été montré le 3 janvier dernier à l’Académie des Sciences, est venue du Brésil, et sort de l’une des mines nouvelles qui avaient momentanément fait baisser le prix du diamant. Elle a été trouvée en juillet 1853 et pèse 254 carats 1/2. Ce diamant m’a paru parfaitement limpide et exempt de la teinte reprochée anciennement aux diamans du Brésil. La taille en brillant le réduira à moitié, et le mettra à peu près au poids du Régent, qui est de 136 carats 1/2. La taille en forme du Sancy lui aurait laissé, je pense, les trois quarts de son poids et lui aurait donné beaucoup plus de feux. Quand j’ai voulu en parler à M. Halphen, l’Etoile du sud était déjà partie pour Amsterdam. Elle figurera à l’exposition universelle de Paris cette année. On estime qu’elle pèsera environ 127 carats. Ce sera le cinquième des diamans souverains que la nature aura cédés à l’activité intéressée de l’homme. Tout indique sérieusement que le nombre de ces beaux minéraux est très restreint. Si l’on n’en trouve pas plus, c’est qu’il n’y en a guère, ce qui rappelle le mot de Tacite sur les perles d’Angleterre, savoir que la nature manque plutôt à ces produits que l’avidité aux hommes.

Bornéo n’a point encore envoyé de diamant considérable en grosseur. Il est vrai que les impénétrables forêts de cette belle île équatoriale n’en permettent guère le parcours. Le dernier numéro des publications de la société de géographie de Londres indique environ 2,000 carats pour le produit annuel des mines de Bornéo, qui n’ont encore donné qu’un diamant de 36 carats. Le monopole du gouvernement hollandais est indiqué comme peu avantageux (profitless) à cette puissance, et sans doute, comme au Brésil, la contrebande soustrait une portion considérable des produits. En vérité, si les Hollandais, comme les Américains des États-Unis, envahissaient leur propre territoire, ils décupleraient facilement leur population ; mais cette question nous mènerait trop loin : elle n’est pas cependant étrangère à notre sujet, car la valeur d’un produit naturel dépend de ce qu’on appelle si justement aujourd’hui le marché, c’est-à-dire du nombre et de la richesse des acheteurs. C’est ce qu’a très bien établi M. de Humboldt dans l’appréciation des métaux précieux. Ainsi les États-Unis auront à la fin de ce siècle cent millions de citoyens, non pas de ces malheureux qu’une industrie surexcitée entasse dans les usines de Londres, de Manchester, de Liverpool, de Birmingham, et dont l’existence est liée à celle de l’industrie elle-même, mais bien de riches conquérans d’un sol fertile et généreux, qui, appelés par le travail aux jouissances nobles de la vie, entreront en partage des richesses commerciales de l’humanité, et feront hausser la valeur des objets de luxe.

Le rang qu’occupe un diamant souverain ne doit que secondairement être fixé d’après son poids. S’il n’est pas d’une belle eau, parfaitement pur, incolore et limpide, il ne peut prétendre au premier titre. De même, si sa taille est imparfaite et ses feux peu éclatans, il aura besoin d’être retaillé pour être parfait, et il devra perdre de son poids dans cette opération. Le Règent et le Koh-i-noor sont égaux en beauté; mais le Régent, de 136 carats, l’emporte de beaucoup en poids sur son rival, qui, d’après une note manuscrite de M. Tennant, a été réduit de 186 carats 1/16 à 102 carats 1/2 1/4 1/16. Le diamant de Toscane est d’une mauvaise couleur jaune citrin. Le gros diamant de Russie est à peu près informe. On le compare à un œuf de pigeon coupé en deux, avec des facettes sur tout son contour. Ce n’est donc qu’une pierre dégrossie, une espèce de lourde rose infiniment trop épaisse. Si le Koh-i-noor et l’Etoile du sud eussent été taillés dans la forme du Sancy, il est probable qu’ils eussent, avec des feux et une qualité pareils à ceux du Régent, conservé un poids supérieur. L’Etoile du sud, d’une forme avantageuse et d’une très belle eau, pesait, au moment où je la pris, à l’Institut, des mains de M. Dufrénoy, 154 carats 1/2! On pense la réduire à 127 carats environ. Quel dommage! Qu’on me permette encore de revenir sur la taille en forme de Sancy, et de faire observer que cette taille, qui laisse toujours la facilité d’arriver ensuite à la taille en brillant, se prêterait merveilleusement à des essais préliminaires, et qu’il serait prudent, pour des valeurs si considérables, de ne sacrifier qu’à la dernière extrémité l’immense quantité de substance qu’enlève la taille ordinaire dans des pierres qui ont la forme du diamant indien ou du diamant du Brésil. J’ai vu le modèle de la forme que doit prendre par la taille ce dernier diamant à Amsterdam. Ce sera, comme le Koh-i-noor dans sa forme actuelle, une pierre d’étendue, c’est-à-dire trop peu épaisse pour sa largeur vue de face. En comparant le diamant anglais avec le modèle de 100 carats donné par Jeffries, on trouve que son étendue de face est à peu près le double de ce qu’elle devrait être pour un diamant taillé régulièrement.

Ce sera une chose curieuse que de suivre le sort futur de l’Etoile du sud. Après avoir brillé à l’exposition française, quel nom prendra ce diamant souverain ? S’appellera-t-il Albert ou François-Joseph ? Les fiers Américains, estimateurs de toute valeur commerciale, ambitionneront-ils la possession d’une des rares productions du globe ? — Comment avez-vous pu mettre un prix si exorbitant à cette belle perle ? disait Philippe II à un simple marchand arrivant de l’Orient. — Sire, je pensais qu’il y avait au monde un roi d’Espagne pour me l’acheter!

Nous avons jusqu’ici fait une bien petite part à la science, et pourtant les pierres précieuses, — et en général tous les cristaux, par leurs formes géométriques, par leurs propriétés mécaniques, par leur nature chimique, par leur poids, leur couleur, leur action sur la lumière, leur électricité, — nous offrent un développement immense d’applications de la physique des plus délicates et des plus savantes. Un cristal s’offre sous une forme régulière; Haüy le conçoit comme un assemblage de petites parties de forme semblable entre elles et disposées d’une certaine manière, à peu près comme on peut supposer un massif ou une pyramide composée de briques d’une certaine forme déterminée assemblées régulièrement. Avec ces petits élémens, il forme le cristal géométriquement; il examine si l’on ne pourrait point les arranger autrement, ce qui donnerait, pour la même substance, un cristal d’une autre structure. La nature lui répond qu’elle a réalisé d’avance sa spéculation théorique, et lui montre un cristal de cette nouvelle forme. Si le calcul et la géométrie trouvent dix, trente, cent figures géométriques possibles avec la forme primitive des briques ou élémens primitifs, la chimie et la minéralogie fournissent des cristaux de la forme prévue mathématiquement. Enfin les formes déclarées impossibles par l’analyse ne se rencontrent jamais dans la nature ni dans les produits du laboratoire. M. Tennant me fournit l’exemple utile que voici : un gentleman, en Californie, voit une pierre à six pans avec deux pointes en pyramide aussi sexangulaire. Cette pierre est brillante, blanche et d’un vif éclat; ce ne pouvait être un diamant, puisque celui-ci n’admet que des pointes à quatre pans et non à six. Cette pierre raie le verre. Ne doutant pas que ce puisse être autre chose qu’un beau diamant, le gentleman en offre 200 livres sterl. (5,000 francs). Heureusement que le propriétaire de la pierre, tout aussi ignorant et tout aussi honnête que l’acheteur, refuse un si bas prix! Plus tard, le même échantillon, qui était du cristal de roche, fut consigné dans une collection minéralogique au prix de 2 ou 3 francs.

La dureté est encore un caractère mécanique qui distingue les pierres fines, et qui peut être étudié dans les cristaux, ainsi que ses variations, suivant les divers sens où l’on veut entamer la pierre. Dans la taille du Koh-i-noor, il y eut des facettes qui demandèrent un jour de travail, tandis que communément on les produisait en trois heures : encore fallait-il augmenter la vitesse de rotation de la roue qui portait la poudre de diamant. Dans un essai fait il y a quelques années aux frais de l’Institut, un diamant noir de Bornéo, dont on voulait éprouver la dureté, fut remis au diamantaire Gallais. Il y usa une roue d’acier et une grande quantité de poudre de diamant ordinaire sans pouvoir l’entamer le moins du monde. La pierre n’y perdit aucune de ses aspérités, quoique chargée d’un poids considérable et chauffée à blanc par le frottement, qui faisait jaillir des étincelles de la roue d’acier, laquelle fut mise hors de service. Il eût fallu, pour cette substance si intraitable, de la poudre d’autres diamans noirs, égrenés l’un contre l’autre. Cette égrisée de diamans noirs sera sans doute quelque jour employée avec avantage pour la taille des diamans ordinaires.

Tout le monde a vu un vitrier, armé d’une petite pointe de diamant, tracer sur le verre un imperceptible sillon qui en fend la croûte et qui permet ensuite de le diviser par éclatement. On pense que les anciens, en gravant sur des pierres très dures, telles que le rubis et le saphir, se sont servis de pointes de diamant comme de burin, et le fini de quelques parties rentrantes des camées et des intailles antiques autorise cette présomption. Voilà encore un art perdu pour la France! Qui le fera renaître ? Depuis les derniers encouragemens donnés à la gravure sur pierre dure par l’impératrice Joséphine et par Napoléon, tout nous est venu de l’Italie, et il n’y a pas un seul monument glyptique des règnes qui ont suivi l’empire.

Le diamant est plus lourd que le cristal de roche et plus léger que le saphir blanc. Il est à peu près du même poids que la topaze blanche du Brésil appelée goutte d’eau. Il est souvent confondu avec ces trois pierres, blanches comme lui. Voyons comment le poids l’en fera distinguer. C’est ici précisément le problème de la couronne proposé par le roi Hiéron de Syracuse au savant Archimède, son parent. Suspectant la fidélité de l’orfèvre Démétrius, qui avait été chargé de faire une couronne votive de douze livres en or pour une offrande à Jupiter, le roi Hiéron désira que, sans endommager le travail précieux de l’artiste, on vérifiât si tout l’or fourni avait été employé. Après bien des réflexions, Archimède pensa que plus les corps étaient compactes, moins ils déplaçaient d’eau, et moins ils avaient de tendance à flotter; en d’autres termes, ils devaient perdre dans l’eau une moindre partie de leur poids. Or Archimède trouva que, pour faire l’équivalent de la perte de poids de la couronne pesant douze livres, il fallait peser dans l’eau onze livres d’argent et une livre d’or. Il fut donc constaté que Démétrius, plus habile qu’honnête, avait substitué onze livres d’argent à pareil poids d’or. On ne dit pas s’il fut mis au bagne de Syracuse.

Maintenant on sait qu’en attachant par un fil très fin, au-dessous d’une balance délicate, un diamant véritable, et en équilibrant la balance, on trouve ensuite le diamant moins pesant des deux septièmes de son poids au moment où on le plonge dans un verre d’eau placé sous cette balance. Il faut donc alors remettre des poids du côté du diamant immergé pour rappeler l’équilibre. Ainsi un diamant qui pèserait 21 centigrammes perdrait dans l’eau environ 6 centigrammes. Un saphir blanc du même poids ne perdrait qu’un quart de son poids dans l’eau, c’est-à-dire environ 5 centigrammes. Un morceau de cristal de roche dans le même cas perdrait 8 centigrammes. Ainsi, dès que la perte dans l’eau pour un cristal quelconque s’éloigne des deux septièmes du poids de la pierre, on peut assurer que ce n’est pas un diamant. Nous verrons tout à l’heure comment le diamant se distingue de la topaze blanche, qui, comme lui, perd dans l’eau les deux septièmes de son poids.

Les opérations chimiques étant en général trop difficiles à faire et occasionnant la destruction de la substance que l’on y soumet, nous ne dirons rien de ces procédés, et nous indiquerons un caractère optique fort délicat, qui trace tout de suite une ligne de démarcation entre le diamant et toutes les gemmes sans couleur. Il s’agit de la double réfraction. Ce mot signifie qu’en regardant au travers d’une pierre transparente un objet délié, comme la pointe d’une aiguille ou un petit trou percé dans une carte, on voit quelquefois l’objet double, comme si on eût tenu à la main deux aiguilles au lieu d’une, ou bien que l’on eût percé deux petits trous à côté l’un de l’autre. Or c’est ce que l’on observe avec toutes les gemmes blanches ou incolores, et jamais avec le diamant. Ce caractère exclut donc immédiatement du rang des diamans toute pierre qui double ainsi les objets. Comme il est besoin d’un peu de dextérité et d’exercice pour bien montrer cette curieuse propriété, on pourra fixer la pierre et l’aiguille sur un léger support avec de la cire à modeler, et montrer commodément l’effet aux intéressés. M. Haüy a souvent eu à donner des consultations de ce genre, et il a été aussi appelé quelquefois comme expert judiciaire dans des cas de vente frauduleuse. La topaze blanche du Brésil ou goutte d’eau double les objets, et sa double réfraction la fait reconnaître tout de suite pour un diamant faux. J’ai toujours conservé un pénible souvenir de la visite d’un Anglais de distinction amené chez moi par un cicérone des plus brillans hôtels de Paris. Ce voyageur avait dans un petit écrin une magnifique goutte d’eau, qui eût été un diamant d’un immense prix. Il me fut facile, d’après la taille de la pierre, d’y reconnaître le doublement de l’aiguille vue au travers; mais je ne pus le faire observer au propriétaire de la pierre avant d’avoir fixé l’aiguille et la topaze sur une petite règle de bois avec de la cire verte, tant ses mains tremblaient convulsivement. Au moment où il aperçut l’aiguille doublée, sa vue se troubla complètement, car je lui avais d’avance expliqué la portée de ce caractère optique que le diamant ne possède jamais. Le cicérone, qui déjà avait très bien vu la double image en tenant la pierre à la main, s’extasiait avec un sang-froid cruel sur la netteté de vision et la parfaite certitude de la duplicature annoncée. Après être resté assis quelque temps dans un état d’insensibilité maladive, le gentleman prit congé tout à coup de moi, sans doute parce qu’il se trouvait mal. Quelques minutes plus tard, le cicérone m’apporta sa carte et ses excuses de son brusque départ, en disant que celui qu’il m’avait amené se trouvait un peu remis de son émotion. Je n’ai jamais su quel intérêt si grand j’avais compromis en déterminant la nature de sa pierre. On voit dans l’ouvrage de Mawe que le saphir blanc et la topaze blanche ont un prix plus élevé à cause de l’intention quelque peu frauduleuse (somewhat fraudulent) de les faire passer pour des diamans. Mawe aurait pu y ajouter le zircon blanc, qui ressemble bien mieux au diamant, mais qui est encore plus lourd que le saphir. Faire passer un saphir blanc ou un zircon que l’on porte en bague pour un vrai diamant, c’est une vanité peu sincère; mais le vendre pour un vrai diamant, c’est un vol.

J’appelle un chat un chat, ce vendeur un fripon.


Et, malheureusement pour ces honnêtes vendeurs, les tribunaux sont de mon avis.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que le zircon blanc a, comme la topaze et le saphir, la double réfraction qui manque au diamant, et même cette pierre la possède à un très haut degré. Ce caractère d’exclusion a de plus ceci de très avantageux, qu’il s’observe sans démonter la pierre, sans aucun appareil compliqué. Il ne s’agit que d’un peu d’exercice pour apprendre à voir. C’est payer bien peu une certitude bien importante. ,

Les diamans sont susceptibles d’être colorés de diverses manières, quoiqu’ils soient le plus ordinairement incolores. Une teinte légère en diminue beaucoup le prix : tel est le cas du diamant de Toscane et un peu du gros diamant russe; mais, quand les couleurs sont vives et riches, ils sont très recherchés comme pierres curieuses. Le marquis de Drée en possédait plusieurs de ce genre, et notamment un diamant d’un très beau rose. Les pierres qui ont cet avantage spécial sont assez bien nommées pierres d’affection, et réellement leurs propriétaires éprouvent pour elles un sentiment qui ne peut guère admettre d’autre nom. Il y avait dans les diamans de la couronne de France un diamant bleu triangulaire de plus de 60 carats, qui était signalé comme de la teinte saphir la plus exquise et la plus pure. Ce diamant a disparu au moment du vol. des diamans de la couronne, parmi lesquels le Régent seul a pu être recouvré, sans doute à cause de la difficulté de le vendre secrètement. On cite, comme un fait remarquable dans les singularités de l’esprit humain, que l’auteur de ce vol. jouissait au bagne parmi ses confrères d’une considération proportionnée à l’importance du vol. qui l’y avait conduit. Où la considération va-t-elle se nicher !

Mais la merveille des diamans colorés, c’est le diamant bleu de M. Hope, dont la figure a été gravée dans le livre de l’exposition de Londres. Mawe qualifie cette pierre de superlativement belle. Elle pèse 44 carats 1/4, et, suivant M. Tennant, unit la belle couleur du saphir aux feux prismatiques et à l’éclat du diamant. Tous ceux qui, dans nos brillantes assemblées de nuit, ont étudié le jeu et l’effet des pierres précieuses ont dû remarquer que le saphir, si beau dans le jour et sous les rayons du soleil, devient, ainsi que le grenat, terne et sans éclat à la lumière des lampes, des bougies et du gaz. Il serait curieux d’observer si le même effet se produit avec le diamant bleu de M. Hope, dont je n’hésite pas à placer la valeur à côté de celle des diamans souverains, qu’il surpasse, sinon en poids, du moins en rareté. Ce serait trop peu d’appeler, avec les amateurs, ce diamant une pierre d’affection ; il faudrait aller avec lui à la tendresse, à la passion même ! J’ai vu, il y a fort longtemps, chez M. Bapst un diamant dé- signé sous le nom de diamant noir. Il avait la teinte bistrée du jus de tabac, et ne se recommandait guère que par la singularité. Il avait été retenu par Louis XVIII pour la couronne au prix de 24,000 fr. ; mais il n’avait pas été livré. Ces diamans sont toujours taillés très minces, car à quoi servirait l’épaisseur à une pierre qui n’est pas transparente ? Du reste, l’éclat superficiel en était fort vif. Si ce diamant était devenu pour un amateur une pierre d’affection, on conviendra qu’il ne faut pas disputer des goûts. Il est curieux de voir Pline employer le même mot à l’occasion de Nonius, possesseur d’une belle opale, qui aima mieux quitter Rome comme proscrit que de céder à Antoine sa pierre d’affection. « C’est une étonnante férocité de la part d’Antoine, dit Pline, que de proscrire un citoyen à cause d’une gemme ; mais l’entêtement de Nonius n’est pas moins prodigieux, car plutôt que de s’en dessaisir il affectionnait sa proscription (proscriptionem suam arnantis). » En lisant du reste les interminables listes des propriétés merveilleuses des gemmes dans les compilateurs qui ont précédé le XVIIe siècle, on s’expliquera le prix que certaines personnes pouvaient autrefois attacher à la possession d’une pierre. Parmi les curiosités que les princes indiens, grands amateurs de diamans, recherchent avec soin, j’ai vu un petit diamant naturel, à pointes vives et à surfaces brillantes, enchâssé dans le ciment rouge qui enveloppe ordinairement les diamans dans la mine. Ce ciment, de la grosseur d’une petite noisette, portait à son milieu le petit diamant enchâssé. C’était en même temps un curieux échantillon minéralogique.

Mawe établit par plusieurs exemples que de toutes les valeurs la moins variable est le diamant. Il cite diverses crises dans la quantité des diamans que reçoit l’Angleterre, crises qui, quant au prix, ont été assez légères ou peu durables. On a eu deux exemples de paniques plus graves depuis 1840. Le premier, ce fut à l’époque de la découverte des nouvelles mines du Brésil, vers 1843 et 1844; le second fut en France la secousse financière amenée naturellement par la république de 1848. Le prix des diamans suivit alors exactement le cours de la rente, haussant et baissant dans la même proportion. Ce prix est maintenant au-dessus de 200 francs le carat, prix indiqué par Jeffries, car il atteint 250 francs environ. M. de Castelnau, dans son voyage à travers l’Amérique du Sud, semble indiquer, comme cause de l’abaissement du prix des diamans à cette époque, un moindre goût de la société pour des parures frivoles. Si pour voir déprécier le diamant il faut attendre que le goût du luxe, l’ostentation, les rivalités jalouses et envieuses, le désir de briller, la cupidité même, aient disparu de, âmes, le riche commerce des diamans à Paris et à Londres peut être rassuré pour bien des siècles.

Sans recourir aux Mille et Une Nuits et aux légendes du moyen âge, où l’on voit les gnomes et les griffons, gardiens jaloux des trésors de la terre, forcés par la puissance de la cabale d’en faire part aux mortels privilégiés, il est évident qu’une valeur considérable attachée à une petite quantité de substance matérielle doit occasionner de singulières péripéties. Je ne sais sur quel fondement Mawe dit que Sieyès, ambassadeur à Berlin, obtint une alliance offensive et défensive en faisant briller aux yeux du roi de Prusse les feux du Régent, dont il laissait espérer la cession. Plusieurs fois les pierreries des souverains et des républiques ont été engagées et mises en dépôt comme garanties de sommes prêtées ou de dépenses faites. Ces transactions n’offrent qu’un médiocre intérêt. On aime mieux voir un pauvre jardinier de Golconde trouver dans la terre de son jardin un beau diamant qui lui donne l’aisance, à lui et à sa famille, et qui ouvre à toute la contrée une source de richesses. On aime mieux voir une pauvre négresse découvrir l’Etoile du sud en juillet 1853, en lavant les sables de la mine brésilienne de Bagagen. Les anciens avaient préposé leur Hercule à la découverte des trésors. Peut-être avaient-ils voulu dire que la force active et la patience infatigable nous conduisent à de vrais trésors. Quoi qu’il en soit, jamais chez eux la découverte d’une gemme ne fut mise au rang des trouvailles dues à la faveur d’Hercule; dives amico Hercule.

Une anecdote de fidélité honorable s’attache au Sancy, rapporté de Constantinople dans une ambassade par un seigneur de ce nom et payé 600,000 livres. Pendant les nombreuses années où Henri IV, après la mort de son prédécesseur, fut plutôt prétendant au trône de France que roi en réalité, plusieurs des seigneurs de son parti vinrent à son secours par des services pécuniaires, et entre autres le baron de Sancy. Le diamant de ce nom fut remis à un domestique, qui, avec d’autres valeurs, fut dépêché vers Henri IV. Au milieu de la confusion et du brigandage qui désolait alors la France, ce messager fut attaqué et assassiné. Son maître fut longtemps sans savoir ce qu’il était devenu. enfin, à force de recherches, on apprit qu’il avait péri dans une commune rurale, et que par les soins du curé il avait été enterré dans le cimetière de la localité. Des témoignages de condoléance furent adressés au baron de Sancy sur la perte du diamant confié à son domestique. « Détrompez-vous, messieurs, leur dit-il; dès que je sais où est le corps de mon homme, mon diamant est sauvé. » En effet, on retrouva dans le corps du fidèle domestique le diamant qu’il avait avalé pour le mettre en sûreté.

Je puis citer un autre fait qui m’est personnel. Un jeune commerçant en objets de curiosité, que j’avais prié de faire retailler pour moi un assez beau diamant à Amsterdam, y fit ce qu’on appelle de mauvaises affaires, et revint à Paris dans un tel état de détresse, que durant les derniers jours de son voyage, au retour, il fut obligé de manger des fruits sauvages et de coucher en plein air. J’allai le voir quelques jours après, et le trouvai dans un logis parfaitement dénué de tout meuble, couchant à terre sur un peu de paille, avec quelques débris de vieilles tapisseries pour couvertures. L’entrevue eut lieu debout, faute de sièges. Après une assez longue conversation, il réclama le prix que lui avait coûté l’amélioration de mon diamant, et me le rendit le plus simplement du monde. Au reste, la. fortune lui a souri depuis cette triste époque, et je désire y voir une récompense providentielle de sa probité et de sa délicatesse.

Avant de passer à la question de la possibilité de faire artificiellement du diamant, je dirai que ces beaux produits de la nature sont sujets à être fort dépréciés par des corps étrangers, par une cristallisation imparfaite, enfin par tout ce qui peut nuire à la limpidité de la pierre. On doit admettre que des diamans choisis par un connaisseur auront une valeur double de celle des pierres imparfaitement taillées ou remplies de défauts intérieurs. Il importe donc beaucoup à ceux qui veulent acheter de ces parures si chères de s’adresser à des lapidaires ou à des joailliers habiles et incapables de tromper ceux qui leur accordent leur confiance.

On a presque recherché avec autant d’activité l’art de faire du diamant que celui de faire de l’or. La question n’est pas la même en principe; car faire du diamant, c’est seulement faire cristalliser le carbone ou charbon, comme on fait cristalliser tant d’autres substances, tandis que les alchimistes prétendaient changer la nature même des corps et faire de l’or de toutes pièces. Dès que la chimie moderne eut brûlé le diamant et que les produits de la combustion se trouvèrent les mêmes que ceux de la combustion du carbone, on dut espérer qu’en choisissant des composés convenables de charbon, qui abandonneraient lentement et dans un grand calme le charbon qu’ils contiennent, celui-ci se déposerait en formes régulières et cristallines. C’est ainsi que le sel ordinaire, le sucre, l’alun, se déposent au fond de l’eau qui les contient, quand celle-ci s’évapore lentement et sans trouble. À ce point de vue, il existe une substance curieuse qui donnait de grandes espérances. On ne se figure pas en général qu’en unissant ensemble du charbon et du soufre, il en résulte un liquide incolore tout à fait semblable à de l’eau et ne contenant expressément que du charbon et du soufre. Si donc par un procédé quelconque on eût pu retirer lentement le soufre en tout ou en partie, on pouvait s’attendre à voir le charbon se déposer à l’état cristallin. Cet espoir a été déçu. Bien d’autres tentatives n’ont pas eu un plus heureux succès, en sorte qu’aujourd’hui la question, pour beaucoup de personnes, paraît désespérée. Un de nos confrères de l’Institut, M. Despretz, n’en a pas jugé ainsi. Au moyen de la pile de Volta, il a obtenu, sur des fils de platine, de légers dépôts cristallins qui semblent, par leur forme et leur dureté, être de vrais diamans embryonnaires. Ces cristaux, — disons mieux, cette poussière de diamant a poli les pierres dures, comme le fait la poudre ordinaire de diamant appelée égrisée. La question scientifique est donc à peu près résolue; mais l’actif académicien n’en est pas resté là : il a organisé, on peut dire par centaines, des appareils propres à faire précipiter et cristalliser le charbon sous l’influence électrique, agent qu’il est habitué dans ses recherches à faire obéir et fonctionner à son gré. Tout Porte donc à croire que le résultat de travaux si persévérans et si consciencieux sera la cristallisation du charbon ou la fabrication du diamant.

Quand bien même ce résultat ne serait pas utile au commerce, il le serait beaucoup à la science, que cette substance semble défier. De plus la nature ne nous offre nulle part le diamant en place : il est toujours dans des terrains de transport, ce qui ne nous donne aucune lumière sur sa formation en cristaux dans le principe. Une chose qui semble confirmer les vues de M. Despretz, c’est qu’au Brésil, à côté des diamans, on trouve la curieuse substance, aussi dure que le diamant, que les portugais appellent carbonado. Le commerce de Paris appelle tout simplement cette substance du carbone. voici ce qu’en dit M. Tonnant à l’occasion des mines du Brésil : « On y trouve une quantité considérable d’une substance noire, d’une pesanteur spécifique semblable à celle du diamant, mais lamellaire, ou plutôt composée d’une suite de plaques lamellaires, mais en général brisée en fragmens séparés. Cette substance est trop imparfaitement cristallisée pour être taillée, quoiqu’elle possède par places l’éclat du diamant, et on peut la réduire en poudre pour polir les autres pierres. Ceux qui l’ont découverte l’ont nommée carbonade à cause de son apparence analogue à celle du charbon. » Ne serait-ce point là le produit naturel obtenu artificiellement par M. Despretz, indépendamment des parties cristallisées de ses produits chimiques, lesquelles sont sans doute de vrais diamans très petits ? Tout le siècle de Louis XIV a cru à la possibilité de faire croître en grosseur des diamans naturels déposés dans certains liquides, comme on fait croître des cristaux de sel dans une solution de cette même substance. M. Despretz a sans doute pensé à cette influence bien connue qu’exerce un cristal déjà formé pour appeler autour de lui et faire déposer régulièrement des particules analogues aux siennes. Voilà le passé, le présent et l’avenir de la science en ce point. Attendons.

Il y a déjà plusieurs années que des annonces prématurées, relatives à une production de diamant prétendue facile, mirent en émoi tout le commerce de Paris. Le baron Thénard, notre célèbre chimiste, rassura par un examen expérimental les marchands et les familles alarmés sur les valeurs considérables ayant pour base cette reine de toutes les gemmes. Depuis cette époque, la richesse de la France s’est beaucoup accrue et s’accroît chaque jour. Les diamans, plus encore en France qu’en Angleterre, représentent un immense capital. Suivant la remarque de M. Achard, il n’est aucune valeur mobilière qui, étant revendue, éprouve une aussi faible perte, une aussi petite dépréciation, en même temps que le marché est toujours ouvert pour ces valeurs. C’est presque une monnaie courante. Il est donc agréable d’avoir à déclarer que, dans l’état actuel de la physique et de la chimie, rien n’autorise à craindre que les diamans artificiels viennent faire concurrence aux produits de la nature. D’ailleurs, si j’en juge par ce que je puis avoir entendu dire, ce serait vouloir rassurer des gens qui n’ont aucunement peur. Tout le monde sait l’histoire des pièces d’or de M. Sage, dont la matière avait été extraite des cendres des végétaux brûlés. C’était un beau résultat scientifique, mais peu lucratif, puisque chaque pièce de 20 francs lui revenait à 125 francs de frais d’extraction. A voir les résultats obtenus, il se passera bien des années encore avant qu’un diamant d’un carat sorte d’un laboratoire.

Encore un mot sur une question intimement liée à celle du haut prix justement attaché au diamant à cause de la beauté et de la rareté de cette parure : je veux dire la question du luxe considérée au point de vue des agrémens de la vie élégante, the high life. Quand un pays laborieux, actif, intelligent, comme la France, l’Angleterre ou l’Union américaine, a conquis les élémens des jouissances délicates de la civilisation, ne serait-il pas absurde de vouloir le priver de ces biens qui n’ont rien de contraire à ce que j’appellerai son hygiène politique ? Les premiers de ce peuple, les possédans, laisseront-ils de côté leurs avantages pour aller disputer aux moins favorisés par la fortune ce que ceux-ci consomment dans une sphère inférieure ? Les manufactures perfectionnées qui tissent à grands frais les vêtemens du riche font économiquement le vêtement du pauvre, et dans les contrées sans industrie manufacturière, où les premiers d’entre le peuple sont grossièrement habillés, la classe inférieure ne porte que des haillons. Il y a une solidarité forcée dans toute société humaine. L’intelligence et le travail, la pensée et l’action, la tête et la main, tout est coordonné, et, suivant la belle idée de Fontenelle, après avoir bien raisonné sur toute chose, on arrive toujours à ce résultat, que ce qui est a une raison d’être, et qu’on serait fort embarrassé non-seulement de faire mieux, mais encore de faire autrement. Un prélat rigoriste, trouvant un jour de jeûne Charlemagne assis, longtemps avant le soir, à une table abondamment servie, blâma et son repas peu frugal et l’heure à laquelle il le prenait. « Ne voyez-vous point, lui dit le sage empereur, que si je ne mangeais pas à cette heure, les derniers de mes gens n’arriveraient à prendre leur repas qu’au milieu de la nuit, et que si ma table était moins bien servie, il ne resterait rien pour eux ?»


BABINET, de l’Institut.

  1. Le carat anglais est de 205,4 milligrammes, et le carat français de 205,5 milligr.