Opérations des troupes égyptiennes en Candie

ÎLE DE CANDIE. (24 octobre.) — Allocution du major-général Osman bey aux chefs des troupes albanaises. — Les premières opérations de LL. EE. Mustafa pacha et du major-général Osman bey ont eu pour but de faire connaître aux Grecs les avantages qui, selon eux, leur étaient offerts de la part du vice-roi d’Égypte, si, livrés à eux-mêmes et repoussant les intrigues du dehors, ils se décidaient à la soumission sans affronter les chances d’une lutte inégale.

Depuis ce temps, les représentans du vice-roi n’ont pas cessé de poursuivre leur entreprise.

En attendant, Mustafa pacha qui, dans sa lettre, avait donné aux insurgés quinze jours de délai pour accepter ou refuser la soumission, a dû ne pas leur laisser l’idée qu’il se bornait à des paroles, et a ordonné les préparatifs pour une sortie prochaine. Tout le monde a été prêt en trois jours.

Avant de gagner la campagne, les deux généraux du vice-roi ont voulu faire connaître aux Albanais irréguliers les devoirs qu’ils avaient à remplir vis-à-vis des Grecs qu’ils allaient combattre. Ainsi, après avoir réuni dans une des salles les officiers-supérieurs et capitaines de drapeaux (baïractars) de ces corps, le major-général Osman bey leur a tenu le discours suivant :


« Capitaines,

« L’ordre du départ vous a été donné ; le soleil de demain doit nous trouver entre cette ville et le premier poste des insurgés. Mais, suivant les instructions que j’ai reçues de S. A., qui vous offre par mon organe ses plus affectueux souvenirs, je sens la nécessité de commencer par vous communiquer mes pensées, dignes chefs des vétérans de l’armée de Crète, pour vous développer tout ce qu’a de délicat la nouvelle tâche que vous allez remplir, et de noble la gloire que vous allez acquérir.

» La guerre que nous allons entreprendre aujourd’hui ne ressemble plus à celle que votre vaillance a soutenue sur cette île depuis huit ans. Alors il fallait vaincre, il fallait conquérir, et vous l’avez fait, bien qu’isolés des Crétois, vos co-religionnaires, vous ne fussiez qu’une poignée d’hommes comparativement aux forces que vous opposait l’ennemi. Aujourd’hui nous devons rappeler à nous des vassaux de S. A. le vice-roi d’Égypte, trompés par la cupidité de quelques spéculateurs, et vous concevez bien que c’est moins par la force des armes que par celle de la persuasion et de la confiance, que nous devons réussir. Quel interprète plus loyal, plus éloquent, pourrons-nous donc choisir pour remplir ce but, que celui de la douceur et de la clémence ? Demain nos yeux verront déployés ces drapeaux sous lesquels vous avez acquis tant de renommée ; mais n’oubliez pas que les longs malheurs de cette île excitent une compassion générale, et que l’Europe entière a les yeux fixés sur vous. Gardez-vous donc bien dans les combats, si nous avions le malheur de nous voir obligés d’en livrer, de vous abandonner à la moindre action qui pût souiller votre gloire passée.

» Vous serez, sans doute, obligés de frapper celui qui vous résistera, mais ne le faites qu’en le plaignant, et que tous ceux qui se soumettront de bon gré, même ceux qui céderont à la force, trouvent toujours auprès de vous l’indulgence et la protection d’un ami.

» Les insultes que font des hommes à des femmes ou à des enfans, avilissent trop l’âme noble du guerrier, pour que je croie nécessaire de vous faire entendre à cet égard mes recommandations ; mais je vous parlerai avec un soin particulier du respect que vous devez aux propriétés, en vous déclarant que nul de vous n’a le droit de détruire ni de s’approprier celles des Grecs, même les plus rebelles. La terre est couverte de bestiaux qui, plus tard, doivent servir aux besoins de tous ; ceux qui tomberont en votre pouvoir devront être respectés par vous, pour être restitués à leurs propriétaires ou à leurs héritiers ; et quant à ceux qui seront nécessaires à votre subsistance, ils seront payés avec les deniers que vous fournit généreusement le vice-roi.

» Tels sont, capitaines, les points sur lesquels j’ai cru devoir vous entretenir ; que chacun de vous fasse connaître ces instructions aux troupes qu’il commande, et pour lesquelles nous le constituons garant, et je me plais à croire que le soldat imitant son chef, et le suivant dans la voie de l’honneur, ne fournira jamais à la discipline militaire la triste occasion de punir suivant sa sévérité.

» Osman-Bey. »