On n’est pas des bœufs/Une infâme calomnie du Petit Journal


UNE INFÂME CALOMNIE
DU
PETIT JOURNAL


Nous recevons la lettre suivante, que, fidèle à notre vieille tradition d’impartialité, nous n’hésitons pas à insérer.

Nous insérerons de même, s’il y a lieu, la réponse de M. Francisque Sarcey ou de son fils Jean.


« Monsieur le raidacteur,

« Je vous écri asseulfain de protesté ôtement conte les imputacion calaumenieuse que M. Francisque Sarcey, mon patron, a mis dans le Petit Journal de hiere an datte du 6 sétambre 1895.

» Son artique dit que son fisse Jean a di à Royan, ouque nous somme an ce moman toute la fammille, que je ne me jenerait pas pour fère pacé des piaisses fosses au monde.

» Du raiste, Monsieur le Raidacteur, jugé par vousmaime. Je découpe avec des siso le passage ouqu’il ait cestion de moi et je le caule ici avec dais pin à cachté :


« J’étais ces jours derniers en villégiature à Royan. Vous n’ignorez pas qu’on y joue, comme dans tous les casinos de bains de mer, aux petits chevaux. Or, à Royan on est, je ne sais pourquoi, empoisonné de pièces papales, ou suisses, ou roumaines. J’en reçus une, sans y prendre garde, et naturellement la première fois que j’eus besoin de payer quelque chose, on me la refusa.

» — C’est bien ! dis-je ; voilà qui m’apprendra à faire attention.

» Et j’allais en faire cadeau à quelqu’un pour la vendre au poids de l’argent :

» — Oh ! donne-la-moi, me dit mon gamin de fils. Je la ferai bien passer, moi.

» — Et où cela ?

» — Aux petits chevaux. Comme les préposés ne peuvent pas examiner toutes les pièces, c’est là qu’on porte toutes celles qui ne sont pas bonnes.

» — Non, répondis-je, j’aime mieux la donner à la bonne pour qu’elle l’échange à son prix en argent.

» — Ah bien ! si tu crois qu’elle ne la fera pas passer, elle.

» — C’est une autre affaire ! Elle sera dans son tort ; mais l’ayant prévenue, je n’y serai pour rien.

» J’avoue qu’il n’eut pas l’air très convaincu. »

. . . . . . . . . . . . . . .

» Dabor, je pourais me pleindre que M. Sarcey socupe de ma vie privé et qu’il n’a pas le droi de me mette dan les journo san ma permisillon, mais je ne lui an veu pas de tro pour ça, rapor à tou les artique quil a afer et que ce povre omme ait bien forcé de prande des sujé ouquil les trouve, mais ce que je nademai pa sou socun prétaisque, cet quil dise publiqman que je sui une fame a fer pacé des piaisses fosse au monde.

» An noute, ça ma fé bocou de pène de voire que M. Jean, le fisse à monsieur, tenai des propo comme ça sure moi, car un gamain quon na vu naite pour insidir, ça fait toujoure de la pène de voire quit n’a pas une meilleure opinion sure vous.

» Dans tou les cas, je man raporte à vos colone, monsieur le raidacteur, poure dire publiqman que je ne sui pa une fame a fer pacé des piaisse fosse au monde.

» Joré bien écri au petit journal lui maime mé je sui sure que M. Poidatz moré mi des baton dans lé rou pour quon ninser pas ma lette, alaure cét à vou que jécri.

» Je vous remerci bocou, monsieur le raidacteur et recevé le salu de vote dévoué servante.

 » Signé : Françoise,
 » Bonne ché M. Sarcey depui biento
catorse ans. »


La protestation de Françoise nous paraît des plus légitimes. M. Sarcey a agi avec une impardonnable légèreté, en laissant supposer aux huit cent millions de lecteurs du Petit Journal que sa cuisinière est femme à faire passer des pièces fausses au monde, comme elle dit.

Quant à M. Jean Sarcey, il trouvera, je l’espère, dans sa conscience, le châtiment de sa jeune inconséquence.