Odes et Chansons
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 65 (p. 231-232).
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I. — L’ALOUETTE

a mme p. de s……

Le jour commence à peine à blanchir les collines,
La plaine est grise encor ;
Au long des prés bordés de sureaux et d’épines
Le soleil aux traits d’or
N’a pas encor changé la brume en perles fines,

Et déjà, secouant dans les sillons de blé
Tes ailes engourdies,
Alouette, tu pars, le gosier tout gonflé
De jeunes mélodies,
Et tu vas saluer le jour renouvelé.

Dans l’air te balançant, tu montes et tu chantes,
Et tu montes toujours ;
Le soleil luit, les eaux frissonnent blanchissantes ;
Il semble qu’aux entours
Ton chant ajoute encor des clartés plus puissantes.

Plus haut, toujours plus haut, dans le bleu calme et pur
Tu fuis allègre et libre ;
Tu n’es plus pour mes yeux déjà qu’un point obscur,
Mais toujours ta voix vibre ;
On dirait la chanson lointaine de l’azur.


Ô charme aérien !… Alouette, alouette,
Est-ce du souffle heureux
Qui remue en avril les fleurs de violette,
Ou du rhythme amoureux
Des mondes étoilés, que ta musique est faite ?

Pour qui l’écoute, un jour de réveil printanier,
Lorsque la feuille pousse,
Elle a de ces accens qu’on ne peut oublier :
Moins exquise et moins douce
Est la framboise mûre aux marges du sentier,

Moins vive l’eau jaillit dans la roche creusée
Où le martin-pêcheur
Baigne l’extrémité de son aile irisée,
Moins fine est la senteur
De la reine-des-prés, moins fraîche est la rosée.

Tout s’éveille à ta voix : le rude laboureur
Qui pousse sa charrue,
Le vieux berger courbé qui traverse rêveur
La grande friche nue,
Se sentent rajeunis et retrouvent du cœur.

Sur tes ailes, tu prends les larmes de la terre
À chaque aube du jour,
Et des hauteurs du ciel, par un joyeux mystère,
Tu nous rends en retour
Des perles de gaîté pleuvant dans la lumière.

Par le doute ébranlé, je suis venu souvent
Errer seul dans la plaine ;
Ma volonté pliait, et comme une herbe au vent
Flottait mon âme en peine…
Tout à coup sur les blés tu planais en chantant ;

Tu chantais, alouette, et la mélancolie
S’enfuyait de mon cœur,
Et, de sérénité l’âme toute remplie,
Je retournais sans peur
Tremper ma lèvre encore aux coupes de la vie.