Nouvel Atlas de la Chine (La Haye)/Advertissement

AVERTISSEMENT.


A yant jugé à propos d’assembler en corps & comme en un Cinquième Volume toutes les Cartes Géographiques qui appartiennent à la Description de l’Empire de la Chine & de la Tartarie Chinoise, publiée par le Pere du Halde, nous avons cru devoir expliquer les raisons de cet arrangement. La principale est le format de notre Édition. On conçoit bien que des Cartes de la grandeur de celles-ci, dont on est obligé de plier un grand nombre dans l’édition de l’Ouvrage in folio, & même quelquesunes dans cet Atlas, n’auroient pu entrer dans un in quarto sans souffrir beaucoup par les plis, & sans défigurer les volumes par l’espace qu’elles auroient pris entre les feuilles, ainsi que par l’épaisseur qu’elles auroient donné aux Volumes mêmes. D’ailleurs on a eu dessein de faire plaisir au Public ; parce qu’en séparant ainsi les Cartes de la Description, ceux qui voudront se passer de la dernière, pourront avoir séparement les prémières, en tout ou en partie. Quant à l’ordre, nous avons suivi celui qui a paru le plus naturel. Il est vrai que la Corée, qui n’entre pas directement dans le dessein de l’Ouvrage, non plus que le Voyage du Capitaine Beerings, semble d’abord devoir être placée après les Feuilles particulières du Thibet: mais on a cru pouvoir lui assigner un autre rang, parce que ce Royaume, limitrophe de la Tartarie Orientale du côté du continent, est représenté sur la Carte générale de la Tartarie Chinoise.

Ce seroit ici le lieu de parler de la différence notable qu’il y a entre nos Cartes & celles de l’Édition de Paris ; mais il suffira de l’Avertissement que mus avons mis à la tête du Prémier Volume de l’Ouvrage, où on trouve une analyse si détaillée des changemens faits à quelques-unes, qu’elle pourra aisement faire juger du reste. Pour donner cependant aux personnes, qui acheteront cet Atlas séparement, la satisfaction de ne pas ignorer comment, en quel tems & par qui les Cartes ont été dressées, nous rapporterons en abregé ce que le Pere du Halde nous en apprend dans sa Préface.

La méthode qu’on a employée pour en lever la plus grande partie est celle des Triangles, comparée avec celle des Éclipses observées en divers endroits fort éloignez les uns des autres. Ceux qui connoissent la précision de ces deux méthodes, surtout lorsqu’elles sont combinées & se servent réciproquement de preuve, ainsi que cela se rencontre ici, ne douteront point de la justesse des Cartes. Ce qui suit fait voir le tems qu’il a fallu pour perfectionner ce grand Ouvrage, le plus considerable en ce genre qu’on ait jamais fait en suivant les régies de l’Art.

L’Empereur Cang-hi ayant chargé les Missionaires Jésuites de dresser les Cartes de toutes les Provinces de la Chine, ainsi que de la Tartarie qui lui est soumise ; les PP. Bouvet, Regis & Jartoux entreprirent le 4. Juillet 1708. de déterminer exactement la situation de la Grande Muraille. La Carte qu’ils en apporterent à Pe-king avoit plus de quinze pieds. En 1709. les PP. Regis, Jartoux & Fridelli firent une Carte qui comprenoit la Province de Leao-tong, l’ancien Pays des Mantcheoux, les limites septentrionales de la Corée, les Terres des Yu-pi-ta-se, les Habitations des Ke-tchin-ta-se, & tous les Districts des Mongous depuis le 45ᵉ degré de latitude septentrionale jusqu’au-dessus du quarantieme. Ces trois Peres commencerent le 10. Décembre de là même année la Province de Pé-tche-li, & la finirent le 29. Juin 1710. Le 22. Juillet suivant, les mêmes Pères reçurent ordre de lever la Carte des nouveaux établissemens faits par l’Empereur sur le Fleuve Saghalien-Oula. Elle fut achevée le 14. Décembre 1710. & comprenoit principalement les Gouvernemens de Tsitcikar, de Merghen, de Saghalien-Oula-hotun. L’année 1711. les PP. Regis & Cardoso entreprirent la Carte de la Province de Chan-tong, pendant que les PP. Jartoux, Fridelli & Bonjour, qui s’étoient rendus au Pays de Hami, mesurerent presque toutes les Terres des Kalkas. Dans le partage qu’on fit de ce travail est 1712., les Provinces de Chan-si, de Chen-si, de Kiang-si, de Quang-tong & de Quang-si, échurent aux PP. Cardoso & de Tartre. Les Cartes qu’ils firent des deux prémieres avoient chacune dix pieds en quarré. Les Provinces de Ho-nan, de Kiang-nan, de Tche-kiang & de Fo-kien furent données à faire aux PP. de Mailla & Henderer ; les PP. Fridelli & Bonjour eurent les Provinces de Se-tchuen & d’Yun-nan : mais l’un de ces Peres étant mort & l’autre tombé malade, le P. Regis acheva en 1715. la Province d’Yun-nan ; après quoi ce Pere se joignit au P. Fridelli qui avoit repris ses forces, & leva avec lui les Provinces de Koei-tcheou & de Hou-quang. Tout cela étant achevé en 1716. les Missionaires assemblez à Pe-king travaillèrent, sous la direction du P. Jartoux, à la réünion de toutes ces Provinces dans une Carte générale, qui fut présentée à l’Empereur en 1718.

Le Thibet n’a été levé, ni suivant la même méthode, ni par les Missionaires. On a été obligé de s’en rapporter aux Routiers les mieux détaillez & au compte qu’en rendirent les Tartares du Tribunal des Mathématiques, envoyez exprès par l’Empereur pour mesurer ce Pays, mais instruits & dirigez par les Jésuites. Pour ce qui est de la Core’e, comme il n’a pas été possible aux Missionaires d’y pénétrer, on convient qu’elle n’a pas été dressée par eux. Cette espece de défaut, si l’on veut, ne doit pourtant point prévenir contre sa perfection. Il est à croire, au contraire, que si Carte doit passer pour exacte, ce doit être celle-ci, puisqu’elle a été levée originairement par des Géographes Coréens, par les ordres même du Roi, & que l’Original s’en conserve dans son Palais. C’est sur cet Original qu’a été tirée celle qu’on donne ici ; & il est probable que les Missionaires en examinant & déterminant les frontières de ce Royaume du côté du Nord, n’ont trouvé aucune différence notable entre leurs observations & les limites marquées sur ladite Carte, puisqu’ils n’auroient pas manqué d’en faire mention. Cette circonstance seule semble répondre de son exactitude.

Au reste, toutes les Cartes ayant été mises au même point & sous une projection générale, les Originaux furent présentez à S. M. T. C. par le P. du Halde, tels qu’il les avoit reçus des Missionaires, & se conservent dans la Bibliothèque du Roi. Avant que d’être mises entre les mains des Graveurs, elles ont passé par celles de Mr. d’Anville, Géographe ordinaire de S. M. qui les a rédigées, & qui en a formé ensuite les Cartes générales. Il s’est servi pour celle de la Tartarie des Mémoires du Pere Gerbillon, en les comparant avec les Cartes particulières; & pour en remplir le quarré, il a ajouté le Japon & quelques Terres plus septentrionales. Dans la Carte générale du Thibet, les particulières ont servi de base, mais le long des confins de ce Pays avec l’Indostan, on s’est aidé des connoissances positives qu’on a pû prendre de ce côté-là. Enfin, comme les Missionaires avoient eu quelques connoissances, quoiqu’imparfaites des Pays situez entre le Thibet, la Tartarie & la Mer Caspienne. Mr. d’Anville en a fait usage dans la Carte la plus générale de toutes, après les avoir comparées & jointes à ce qu’il a pû en sçavoir d’ailleurs.

Voilà en abrégé ce que le P. du Halde nous en apprend. Ceux qui auront lû ce détail dans la Préface même, n’auront qu’à sauter cet Avertissement qui ne leur apprendra rien de nouveau, & qui est uniquement pour les Personnes dont la curiosité s’étend moins à la Description même de la Chine, qu’aux Cartes géographiques de ce grand Empire.

Mais comme entre autres Pays que Mr. d’Anville a ajoutez sur la Carte la plus générale, ainsi que nous venons de le dire, se trouve celui de Bochara, ou la Boucharie, dont le P. du Halde fait à peine mention à la page 64. du IVTome  ; nous avons ajouté une petite Relation de cette partie de la Tartarie qui n’a jamais encore été imprimée. Elle nous a été communiquée par une personne de qualité, qui la tient elle-même de l’Officier Suédois qui en est l’Auteur. C’est un nouveau mérite que notre Edition a sur celle de Paris,& nous mus flattons que le Public nous en tiendra compte.