Nouveau Traité de versification française/Préface 1

et Édouart Thieulin
Masson (p. 5-6).

PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION

Entre les métriques savantes, qui ne se défendent point assez de l’hypothèse, et les métriques élémentaires, qui écartent de parti pris toutes les difficultés, nous avons cru qu’il pouvait y avoir place pour une métrique à la fois simple et renseignée, d’où la spéculation serait proscrite et qui se tiendrait étroitement sur le domaine de l’histoire et de l’observation.

Nous avons mis à profit les travaux de nos devanciers ; nous les avons complétés quelquefois ; nous ne les avons point toujours suivis. Mais là où nous nous sommes séparés d’eux, et particulièrement dans nos théories sur l’e muet, sur l’hiatus et sur le système des coupes, on doit croire que ce n’est point par recherche de la nouveauté, mais pour obéir à la logique même de nos observations. C’est ainsi qu’une étude plus attentive des documents nous a permis de redresser, à propos du Lai, une erreur commune à tous les traités.

On trouvera dans cette métrique un certain nombre d’exemples empruntés aux versificateurs les plus récents. Nous pensons qu’il n’y a pas lieu de nous en excuser. On ne connaîtrait qu’imparfaitement l’histoire du vers français, si l’on s’arrêtait à Hugo et aux romantiques de 1830. Un vers n’est point une chose indéfiniment stable. Les belles œuvres peuvent le fixer pour un temps ; elles ne le fixeront point pour toujours. Certes on peut regretter que notre versification ne se soit pas arrêtée à telle ou telle forme ; c’est affaire de goût et nous n’avons qu’à nous incliner. Mais des considérations de cette nature n’auraient point été à leur place dans un livre comme celui-ci, où l’on s’est justement efforcé d’éviter tout dogmatisme et d’apporter à l’étude des faits l’esprit le plus dégagé. Au reste, un traité de métrique n’a point pour but d’apprendre à « faire des vers », mais de chercher la loi des vers. Demandons-nous donc d’abord s’il est vrai que le vers français obéisse à une évolution précise. Si oui, et sans plus, nous n’avons qu’à suivre cette évolution et à en déterminer les causes. C’est là notre rôle ; c’est pour cela que nous sommes remontés aux origines de la versification et pour cela aussi que nous n’avons pas craint d’interroger le présent, afin d’éclairer un peu l’avenir.

Nous n’avons point oublié que ce livre s’adressait premièrement à des élèves ; aussi en avons-nous banni tous les termes techniques inutiles ; et pour ceux qu’il nous fallait employer, nous les avons expliqués avec un soin extrême. En terminant, nous nous permettrons de signaler à nos collègues du professorat les modèles de devoirs qu’ils trouveront ici. C’est la première fois que des exercices de cette nature prennent place dans un traité de versification française. Ils répondent tous à quelque chapitre ou à des paragraphes de chapitre, et nous nous sommes efforcés de les faire aussi simples et aussi clairs que le livre lui-même.

Janvier 1893.