Notes d’un condamné politique de 1838/26

Librairie Saint-Joseph (p. 223-227).


XXVI

À LONDRES.


Chacun s’empressa de prendre terre ; nous descendîmes, mon protecteur M. Mesnier, madame Mesnier et moi, dans un hôtel que mon généreux protecteur connaissait. Je me répandis en remerciments, offerts du plus profond de mon cœur, à mon bienfaiteur et à sa noble compagne, et leur offris de les servir à Londres si quelqu’affaire pouvait leur rendre mes services désirables. M. Mesnier n’avait pas besoin de moi ; mais j’avais encore plusieurs jours à jouir de leur aimable compagnie. Que Dieu les récompense de m’avoir rendu mon pays et d’avoir mis, dans cette œuvre de charité, des procédés si nobles et si délicats !

Je n’eus rien de plus pressé, en ce qui me concernait, à mon arrivée à Londres, que de m’informer de l’endroit où je pourrais trouver les secours expédiés du Canada pour le retour des exilés politiques. Je ne savais où aller, à qui parler, dans cette immense confusion qui s’appelle Londres, où chacun semble poursuivi par le démon de la convoitise et n’avoir pas une minute à donner au prochain. Dans cette perplexité, je résolus de m’adresser à M. Roebuck, l’illustre membre des Communes d’Angleterre, dont le zèle pour les intérêts canadiens m’était connu. J’allai donc à son bureau ; mais la personne qui en avait soin me dit que M. Roebuck était à Ham dans sa famille ; cependant, on l’attendait de jour en jour. On était au mercredi quand j’allai, pour la première fois, au bureau de l’ami des Canadiens, j’y retournai de nouveau le lendemain, puis le vendredi : M. Roebuck n’étant pas encore revenu le samedi, je pris le parti de lui écrire, pour lui demander les renseignements qui m’étaient en ce moment si nécessaires.

Dès le lundi matin je reçus une réponse à ma lettre. M. Roebuck me donnait toutes les informations nécessaires ; puis me faisait une foule de questions, pleines de sympathie et de sollicitude pour mes compagnons d’exil restés en Australie. Je m’empressai de répondre à sa bienveillante lettre ; je lui donnai le nombre des exilés Canadiens retenus à Sydney, je lui fis connaître leur triste condition et la quasi impossibilité pour eux de revenir, de longtemps, par le moyen de leurs propres ressources, à raison de l’état des affaires dans la colonie ; enfin je fis de mon mieux pour augmenter, si possible, l’intérêt qu’il portait à mes compagnons et amis que j’avais laissés si tristes en la Nouvelle-Galles du Sud.

M. Roebuck m’avait adressé à M. Graham, en m’indiquant avec précision où je pourrais rencontrer ce monsieur. Je pris une voiture, et, accompagné de M. Mesnier qui continuait à m’être utile, j’allai à la rue et au numéro indiqués. M. Graham me reçut avec une bonté toute cordiale, m’adressa des paroles de félicitation sur mon heureux retour de l’exil et me fit, de suite, remise de la somme nécessaire pour payer mon passage jusqu’à Montréal et faire honneur aux frais de mon séjour à Londres.

De retour à mon hôtel, je trouvai une seconde lettre de M. Roebuck qui m’informait qu’il ne pouvait venir à Londres, pour raison de maladie dans sa famille ; il me faisait encore des questions sur les circonstances dans lesquelles se trouvaient mes compatriotes exilés. Je répondis de suite à cette seconde lettre, et lui exprimais l’espoir de le voir à Londres, avant mon départ, à l’ouverture alors prochaine du parlement, lui disant que j’avais maintenant deux motifs de le désirer : celui du rétablissement de la santé de la personne malade chez lui, et celui qui avait pour objet le bonheur de le voir et de le remercier en personne. Ce vœu ne se réalisa pas, cependant ; M. Roebuck ne vint pas à Londres avant mon départ ; mais je reçus une troisième lettre de lui, deux heures avant mon départ pour le Canada. Il me disait dans cette dernière lettre que la somme déposée en Angleterre n’était pas suffisante pour effectuer le retour en Canada de tous les Canadiens restés en Australie. Il ne faut pas, disait-il, qu’un seul d’entre eux reste en exil faute des moyens pécuniaires nécessaires à son retour dans la patrie. Il m’engageait donc à faire connaître ce fait, à mes compatriotes, à mon arrivée en Canada, et à solliciter une nouvelle souscription.

Immédiatement à la suite de mon entrevue avec M. Graham, j’avais retenu mon passage à bord d’un navire qui devait partir le 10 juillet ; ce navire s’appelait Le Montréal. Entre tous les navires en partance pour le Canada, j’avais choisi Le Montréal, à cause de son nom : il me semblait que ce nom du pays devait me porter bonheur.

Je trouvai bien longs les quelques jours que j’eus à passer encore dans la sombre métropole de l’Angleterre en attendant le départ du navire qui devait m’emporter vers les bords du Saint-Laurent, dont les rives semblaient déjà me sourire. De toutes les distractions que j’essayai à me donner, une seule pour ainsi dire m’est restée en mémoire : je veux parler de ma présence à une grande revue militaire, passée par le duc de Wellington, en l’honneur du vice-roi d’Égypte, alors en visite à la cour de Saint-James. Ce n’était pas une revue aussi nombreuse qu’on en voit quelquefois en France et dans d’autres contrées militaires de l’Europe ; mais c’est la plus considérable que j’aie jamais vue, et c’était un spectacle des plus imposants et des plus magnifiques. Je pus être témoin de l’enthousiasme fanatique dont le peuple anglais était animé pour la personne du Duc ; car il n’y avait pas besoin d’ajouter son nom de Wellington : il y avait, comme toujours, plusieurs ducs en Angleterre à cette époque, mais lui c’était Le Duc (The Duke). Les troupes étaient magnifiques, et tous les bourgeois de Londres, en voyant passer le duc de Wellington sur son superbe cheval, entouré de son état-major, ne se gênaient pas pour le mettre au-dessus d’Alexandre, de César, et surtout de Napoléon.