C.O. Beauchemin & Fils (p. 192-193).

ANGLOMANIE

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Il y a toujours eu des snobs et il y en aura toujours, parce que le snobisme est le seul moyen qu’ait trouvé l’Insignifiance pour se distinguer.

Dans l’impossibilité d’être « mieux » les sots se sont imaginé d’être « autres » que ceux qui les entourent. Or comme un sot trouve toujours de plus sots qui l’admirent, le truc, à la vérité, ne réussit pas trop mal auprès des badauds.

Et voilà toute la raison d’être de nos anglomanes.

Avoir l’avantage d’être français et tirer vanité d’être la mauvaise copie d’une nationalité étrangère, se faire gloire de passer pour autre chose qu’un français, pareille bizarrerie ne peut venir que de l’ignorance.

Soyez donc sûr que quand vous entendez une française ou un français, au magasin, dans la rue, parler anglais à des gens aussi français qu’eux ; quand vous recevez une carte de visite ou une lettre écrite dans le même idiome, d’une dame qui signe quelque chose comme Françoise Durand, soyez sûr, vous dis-je que ces personnes ne recourrait à un langage facile que dans la crainte de parler ou d’écrire leur propre langue d’une façon ridicule. Ne la parle pas qui veut notre belle et aristocratique langue. Sa hauteur nargue les médiocrités. Fièrement inaccessible au vulgaire elle ne se reconnaît que de rares initiés.

Les cervelles obtuses qui après des années d’école n’arrivent, encore, en faisant de leur mieux, qu’à pondre de pareilles phrases : « Je me suis « permise » de vous « donner du trouble », ou encore : « Les apparences sont déceptives. » Celles-là, abandonnons-les à la nationalité qui veut bien les réclamer ou les souffrir.

On cèderait à bon compte également à qui voudrait le prendre le parfait club-man, sportsman, bicyclist, anglomane, qui ne saurait être que cela.

Si ces âmes frivoles et serviles étaient en majorité parmi nous, par exemple, la nation canadienne-française lutterait en vain pour le maintien de ses prérogatives. Car ce sont là de ces proies malavisées qui s’offrent d’elles-mêmes à toutes les exploitations.

Entre l’excès d’anglomanie et celui de déloyauté nous avons, nous Canadiens-Français, une conduite à suivre.

La fidélité au drapeau qui nous abrite et nous protège, nous laisse le devoir de rester attachés à nos souvenirs, à notre langue, à notre religion. C’est si vrai que les gouverneurs anglais du Canada, et des plus éminents, ont encouragé ce sentiment patriotique qui fait honneur à notre peuple.

Qu’est-ce que c’est qu’une nation qui renie son sang, son passé, ses aïeux ?… Et qui donc s’honorerait de compter parmi les siens pareils ilotes ?

Nous semblerions au monde une race bien dégénérée si nous permettions à nos enfants d’oublier les noms des Champlain, des La Salle, des d’Iberville, si, volontairement, nous laissions périr la gloire de ces grands Français qui taillèrent à la France, de la pointe de leur épée, de magnifiques royaumes à même le continent nouveau.

Des dépouilles de ces héros, de grandes nations en ont fait leur fortune. Si les peuples se parent des débris de l’héritage français, soyons fiers des glorieux ancêtres qui les leur ont valu.

Et pardonnons ensuite aux pauvres anglomanes qui ne savent pas ce que furent leurs pères.


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