Nids d’oiseaux
LES TISSERINS







Nids d’oiseaux… Je me prends à rêver chaque fois qu’un hasard béni me remet sous les yeux un de ces petits chefs-d’œuvre dus à tant d’artistes charmants, qui, non satisfaits de nous éblouir par la richesse de leur toilette, ou de nous enchanter par la fraîcheur de leur voix, deviennent si merveilleusement pratiques pour les besoins de la vie réelle, et se font ingénieurs, architectes, maçons, tisserands, etc., pour les premières exigences de la famille. Je proteste, indigné, contre l’injurieuse qualification d’instinct que daigne leur accorder du bout des lèvres l’être si peu remplumé qui s’attribue fastueusement le nom d’homme. C’est bel et bien de l’intelligence qui les caractérise, et de l’intelligence du meilleur rayon ; non de l’intelligence verbeuse comme celle des avocats, mais de l’intelligence appliquée sans bruit à des œuvres de dévouement et d’amour, auxquelles le cœur ne reste jamais étranger ; servant au domicile futur, à l’éclosion, à la nourriture de ceux qu’on attend comme de petits messies dans la chaude lumière des soleils printaniers. Quant aux vêtements, la nature s’en charge, et nos plus grands couturiers de la rue de la Paix, ou d’ailleurs, n’habilleront jamais leurs clients comme l’un d’eux.

Et ne croyons pas qu’il suffit de naître pour devenir un artiste dans la sérieuse acception du mot ; l’oiseau de trois ou quatre ans en sait toujours beaucoup plus que les petits jeunes. L’observation, la réflexion, la comparaison, la logique des pensées, l’expérience, en un mot, viennent en aide à son esprit naturel, et l’oiseau travaille de mieux en mieux en prenant des années ; de même qu’un rossignol un peu mûr, de cinq ou six ans, par exemple, déjà ténor del primo cartello, rendra toujours des points aux débutants pour les notes d’attaque et les tours de gosier.

Quand donc posséderons-nous un traité technique et un peu étendu sur cette grave question des nids et des œufs, nous expliquant l’infinie variété des formes pour les uns, pour les autres la riche variété des colorations ? Un ouvrage analogue à ceux de l’Américain Audubon, pour les oiseaux ! Mais ils deviennent rares, ces maîtres observateurs consacrant leur vie tout entière, et la risquant à chaque heure pour étudier de visu, dans leurs plus intimes manifestations, les libres sujets qu’ils tiennent à connaître ; affrontant comme les sauvages, dans un canot d’écorce, le courant des grands fleuves, grimpant comme des chèvres à des rocs inaccessibles, rampant comme des couleuvres sous d’inextricables broussailles, s’aventurant de plain-pied sur le fond mouvant des marécages, sans souci des fondrières, des reptiles ou des fièvres ; et tout cet obscur héroïsme pour enrichir de quelques observations inédites le grand écrin de la science ; ce dont peut-être jamais ne les remerciera le vulgaire troupeau des hommes. Mais peu importe à qui travaille avec amour !

En attendant, bornons-nous à fournir quelques indications brèves à nos lecteurs en prenant pour exemple les diverses manières de procéder de nos oiseaux d’Europe, très souvent moins splendides de plumage que leurs frères des pays chauds, mais si industrieux sous notre ciel gris du Nord pour abriter des grands vents et des pluies leur couvée et leurs joies de famille.

Les nids diffèrent non-seulement d’après la manière de vivre et les habitudes de l’oiseau, mais encore d’après les ciels, les eaux, les terrains, la nature des végétations ; le maçonnage agglutiné des hirondelles sous les poutres de nos granges ne ressemble pas aux bûchettes entre-croisées du ramier dans les chênes ; le trou rond des piverts, creusé à coups de bec dans un fût de hêtre avec la précision du compas, n’a guère de rapports avec le hamac du loriot ou la conque régulière si bien capitonnée des pinsons ou des chardonnerets ; les nids en boule de la mésange à queue longue, dans les hautes et fines brindilles qui ondulent au vent, sont ceux qui se rapprochent le plus, par leur forme, des nids curieux qui nous occupent aujourd’hui. De loin, ils offrent l’aspect du bédégar des rosiers. C’est la chambre nuptiale du tisserin : textor, tisserand, tisseur, tisserin, l’oreille s’accommode également bien de tous ces vocables. Le nid est en sphère, en pomme, en boule, comme vous voudrez. On sort, on entre par en bas ; l’ouverture est à l’abri des pluies. Les nids sont quelquefois par centaines sur le même arbre, assujettis aux longues branches flexibles et menues qui, loin de tout danger, les bercent sur les eaux. Essayez d’en atteindre les œufs, fouines, singes ou serpents !