Nicolas Nickleby (traduction La Bédollière)/Conclusion

Nicolas Nickleby. Édition abrégée
Traduction par Émile de La Bédollière.
Eugène Ardant et Cie (p. 334-336).

CONCLUSION.


À l’expiration de son deuil, Madeleine donna sa main et sa fortune à Nicolas, et le même jour Catherine devint madame Frank Cheeryble. Tim Linkinwater et miss la Creevy refusèrent de suivre immédiatement cet exemple ; mais deux ou trois semaines après, ils sortirent ensemble un matin avant déjeuner, et revinrent une heure après tout joyeux annoncer qu’ils s’étaient mariés sans cérémonie.

Nicolas plaça son argent chez les frères Cheeryble, dont Frank devint l’associé. Quelques années plus tard, la maison fut mise sous la raison sociale Cheeryble et Nickleby, et la prophétie de madame Nickleby se trouva réalisée.

Les deux frères se retirèrent des affaires. Est-il nécessaire de dire qu’ils furent heureux, entourés de gens dont ils avaient fait le bonheur, et ne vivant que pour l’augmenter ?

Tim Linkinwater consentit, non sans peine, à accepter un intérêt dans la maison, mais sans souffrir que son nom fût associé à ceux de Cheeryble et de Nickleby. Il continua à s’acquitter régulièrement de ses devoirs de commis. Il se logea avec sa femme dans la vieille maison, et occupa la chambre à coucher où il couchait depuis quarante-quatre ans. L’âge ne fit qu’accroître l’insouciante gaieté et l’enjouement de sa petite femme, et leurs amis disaient : Lorsque Tim est assis dans son fauteuil à bras au coin de sa cheminée et que sa femme est à l’autre, riant, folâtrant et se démenant sans cesse, il est impossible de décider lequel des deux a l’air le plus content.

Le merle fut enlevé du comptoir et placé dans le salon des deux époux. Sous sa cage étaient suspendues deux miniatures dues au pinceau de madame Linkinwater. L’une était son portrait, l’autre celui de Tim. Comme la perruque poudrée et les lunettes de ce dernier étaient d’une ressemblance parfaite, les étrangers finissaient par le reconnaître au premier coup d’œil ; et soupçonnant que l’autre portrait représentait la maîtresse du logis, ils s’enhardissaient à le dire sans scrupule. Madame Linkinwater était toute glorieuse de cet hommage rendu à ses talents, auxquels son mari croyait comme à l’Évangile.

Ralph étant mort intestat, sa fortune revenait à ceux qu’il avait poursuivis de son inimitié. Mais ils ne purent s’habituer à l’idée de profiter d’un bien si mal acquis et les richesses qui lui avaient coûté tant de peine et tant de mauvaises actions allèrent s’engloutir dans les coffres de l’État.

Arthur Gride fut mis en jugement pour la possession illégale du testament qu’il avait dérobé au grand-père de Madeleine. Il fut acquitté, faute de preuves suffisantes, grâce aux arguties des avocats, qui firent valoir qu’on n’avait pas trouvé le testament entre ses mains ; mais ce ne fut que pour subir un châtiment plus horrible : car, quelques années après, des voleurs, attires par sa réputation d’homme immensément riche, s’introduisirent chez lui la nuit, et on le trouva assassiné dans son lit.

Peg Sliderskow accompagna Squeers à Botany-Bay, et ni l’un ni l’autre ne revinrent. Brooker mourut repentant. Sir Mulberry Hawk fit encore quelque figure en pays étranger, fut mis en prison pour dettes à son retour en Angleterre, et périt misérablement. C’est la fin ordinaire de ses pareils.

Nicolas racheta la maison de son père ; et comme sa famille s’accrut avec le temps, il agrandit la vieille demeure, mais sans changer la disposition des anciens appartements, sans déraciner aucun arbre, sans déranger rien de ce qui lui rappelait le passé.

À une portée de fusil de là était une retraite habitée par Catherine, son mari et ses enfants.

Madame Nickleby demeurait tantôt avec son fils et tantôt avec sa fille, parlait toujours de son expérience, et donnait avec dignité d’excellents conseils sur la tenue du ménage et l’éducation des enfants ; il se passa longtemps avant qu’elle traitât madame Linkinwater comme par le passé, et il est même douteux qu’elle lui eut jamais pardonné.

Il y avait un vieillard à cheveux gris, paisible et peu bruyant, qui occupait une petite maison située auprès de celle de Nicolas ; quand celui-ci était absent, le vieillard prenait la surintendance des affaires domestiques. Son principal plaisir était de jouer avec les enfants, et il semblait redevenir enfant lui-même pour les amuser. Ils ne pouvaient se passer de leur cher Newman Noggs.

Un vert gazon recouvrait la tombe de Smike, et les pieds qui foulaient l’herbe du cimetière étaient si petits et si légers, qu’ils courbaient à peine la tôle des pâquerettes. Au printemps et en été, des guirlandes de fleurs nouvelles, tressées par de faibles mains, étaient déposées sur la pierre ; et quand les enfants venaient les changer, de peur qu’elles ne se fanassent et ne cessassent de lui être agréables, leurs yeux se remplissaient de larmes, et ils parlaient à voix basse de leur pauvre cousin qui n’était plus.



FIN.