Niétotchka Nezvanova/Introduction

Traduction par J. W. Bienstock.
Mercure de France (compilation) (p. 1-2).


NIÉTOTCHKA NEZVANOVA




Bien que le roman de Dostoievski, Niétotchka Nezvanova, occupe une place importante dans l’œuvre du génial écrivain russe, il était resté jusqu’à présent inédit en langue française.

Il est vrai que si l’on cherche parmi les ouvrages de Dostoievski, parus en français, on découvre trois romans, attribués à cet auteur, traduits par M. Halpérine-Kaminsky, et dans chacun desquels se retrouvent certains des personnages et des faits qui appartiennent au roman de Dostoievski Niétotchka Nezvanova.

Ces trois traductions, publiées chez trois éditeurs différents, sont, dans l’ordre de leur parution :

dostoievsky : Âme d’enfant[1] ;

dostoievsky : Les Étapes de la Folie ;

dostoievsky : Netotchka.

Chez les antiquaires, il existe un procédé très répandu pour fabriquer de faux meubles. On prend, par exemple, un canapé du plus authentique Louis XVI, et on le coupe en trois parties : le dossier, les pieds, le siège. En complétant chacune de ces parties par du moderne, parfaite imitation de l’ancien, on obtient trois faux canapés de style Louis XVI, qu’il est facile de vendre comme pièces authentiques.

C’est à peu près le procédé qu’a employé le traducteur à l’égard du roman de Dostoievski Niétotchka Nezvanova. Dans les six premiers chapitres il a taillé un roman : Les étapes de la folie. Avec le reste il a composé un second roman : Âme d’enfant. Enfin réunissant ces deux pseudo-romans de Dostoievski, il en a fait paraître un troisième : Netotchka.

Je ne citerai ici aucun des passages du roman de Dostoievski qui ont été omis ou altérés dans les traductions précitées. Je me bornerai à faire remarquer que le roman Netotchka, présenté par M. Halpérine-Kaminsky, ne donne guère plus de la moitié de l’œuvre de Dostoievski ; mais que par contre ce traducteur a jugé à propos de mettre des noms où Dostoievski n’avait mis que des initiales (ainsi le musicien B…, dans les Étapes de la folie, s’appelle Bouvarov, et devient Berner, dans Netotchka) et de compléter le roman de Dostoievski par cette conclusion de son crû :

« Deux ans après, grâce à un travail acharné et à la protection du prince X… j’arrivai à entrer au grand opéra de Pétersbourg, et j’y obtins les succès les plus flatteurs dès le début de ma carrière.

« Je ne revis jamais Katia. Six mois après les terribles événements que je viens de raconter, elle avait épousé un consul ; et depuis elle vit constamment à l’étranger. »

Ainsi le public français, qui croit connaître trois romans de Dostoievski, connaît en réalité trois « œuvres » de M. Halpérine-Kaminsky, tandis qu’il ignore le roman de Dostoievski Niétotchka Nezvanova. C’est pourquoi nous donnons ici la traduction complète de cet ouvrage[2]. — J.-W. B.]


  1. Ce livre ne porte pas le nom du traducteur ; cependant cette traduction appartient à M. H.-K., puisque celle de « Netotchka », signée de lui, la reproduit mot pour mot.
  2. Publié pour la première fois en langue russe dans la Revue Otiétchestvennïa Zapiskï (les Annales de la Patrie), année 1849, nos 62-64.