Naïvetés enfantines


NAÏVETÉS ENFANTINES




Quand j’avais dix-huit ans je croyais que les grès
Qu’un peuple jette aux rois cimentent le progrès ;
Je croyais qu’il est beau, sur la place publique,
De crier, l’arme au poing : Vive la République !
J’aurais voulu mourir dans ma naïveté
Pour la démocratie et pour la liberté ;
Le peuple était pour moi ce champ encore en friche
Où germe l’avenir dans un sol gras et riche ;

Je croyais qu’au bonheur chacun aurait sa part.
Et que l’humanité s’en allait quelque part !

Oh ! que j’étais enfant dans ma noble croyance !
Les leçons du malheur et de l’expérience
Ont corrigé mon cœur, et mon rêve est brisé.

« Des vieilles royautés le vase est épuisé, »
Dites-vous ; « nous voulons du temple populaire
Gâcher avec du sang le ciment séculaire. »

Hommes ! infirmes nains qui faites les géants.
Qui remuez les cieux pour bâtir des néants,
Et croyez recueillir l’héritage d’Hercule,
Que votre orgueil stupide est vain et ridicule !
Ô mouches, vous croyez d’un effort martial
Faire avancer d’un pas le coche social !
Et vous ne voyez pas que le monde sans terme
Tourne autour d’un poteau comme un cheval de ferme ;
Que vos efforts sont vains, et que l’humanité
Est un coucou traîné par la fatalité.