Néologie, ou Vocabulaire de mots nouveaux/Rossignoler

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Rossignoler, imiter le rossignol ; ce n’est pas là trop bien chanter : or, daignez m’écouter. D’où vient cette espèce d’opiniâtreté à louer exclusivement le chant du rossignol, à le regarder, à le prôner comme le premier des chantres des bois ? Est-ce parce que les anciens l’ont tant célébré dans leurs vers ? Mais que n’ont-ils pas dit du cygne ? et qui ne connaît pas son cri rauque et perçant ?

Qu’une oreille impartiale écoute avec attention le rossignol ; qu’elle entende ses sons souvent aigus, toujours fortement prononcés, mais sans variété, si ce n’est quatre tons, sans modulation, sans nuances, elle éprouvera une sensation pénible, désagréable. Transportez l’oiseau, suspendez sa prison à une fenêtre ; le chant sera le même, et le passant l’entendra avec indifférence. S’il s’arrête, ce n’est pas par l’attrait du plaisir, c’est de surprise et d’étonnement. Il croyait que l’oiseau ne chantait que dans les bois, et pendant la nuit ; mais la lune ne brille pas au travers des branchages touffus ; le silence solemnel de la nature ne l’environne pas… le murmure vague d’un ruisseau ne s’unit pas aux légers frémissemens du feuillage sous lequel il est assis : il est dans la ville.

Que peut-on comparer au clappement dur et déchirant que l’oiseau tant vanté fait entendre au milieu ou à la fin de son chant imphrasé ? Je souffre quand je réfléchis aux efforts redoublés des muscles de son gosier

Mais on ne dit presque rien du chant doux, moelleux et varié de la semillante fauvette ; on n’a pas songé aux sons brillans et délicats du plus petit de nos oiseaux, le roitelet ; on néglige celui de la linotte, qui semble ne commencer sa douce mélodie que pour la faire desirer. Personne ne s’est avisé de nous peindre le rouge-gorge aux grands yeux noirs et brillans ; perché sur une branche sèche, ou sur l’angle d’une humble cabane, il invite ses paisibles habitans à saluer les derniers rayons du soleil qui va bientôt disparaître, et prolonge fort avant dans la nuit, ses cadences plaintives et touchantes.

Qui connaît l’Évêque, ainsi nommé à cause de ses ailes pendantes et violettes, et dont le corps est couvert de plumes d’un beau bleu entremêlé de nuances rouges ? L’Évêque dont le gosier est si flexible, les tons si variés, le ramage si tendre, n’est guères plus gros que le roitelet.

Il déploie son chant mélodieux pendant douze à quinze minutes, et module en aspirant. Il se repose une demi-heure, pour laisser à l’écouteur le plaisir de l’admirer, et le temps de se préparer à l’entendre une seconde fois ; mais l’Évêque est américain, l’Évêque naît et chante dans les forêts de la Louisiane.

Si c’est le son seulement qui nous plaît, pourquoi oublions-nous l’alouette, le serin instruit, le bouvreuil de petite espèce, dont les sons flûtés touchent, pénètrent et transportent les plus insensibles ? Depuis et avant deux mille ans, on a dit que le rossignol était le chantre par excellence, et nous l’avons répété.

Chacun a son goût : voilà le grand mot, la grande et dernière réponse.

J’ai voulu dire que Rossignoler n’était pas délicieusement chanter ; que pour une oreille délicate et sensible, il y a beaucoup d’oiseaux plus tendres musiciens que le rossignol, et que parmi les chanteurs à voix humaine, ce n’était pas le plus couru, le plus vanté qui est le meilleur.