Nécrologie de M. Charles Dejob

Nécrologie de M. Charles Dejob
Revue pédagogique, premier semestre 191668 (p. 457-458).

M. Charles Dejob.

M. Charles Dejob vient de mourir. Il appartient à d’autres d’apprécier son œuvre comme professeur d’Université ; la Revue n’oublie pas qu’il fut un de ses vieux collaborateurs, et un membre dévoué des commissions de l’Enseignement primaire. M. Dejob s’était spécialisé ici dans les questions d’éducation italienne ; par la belle ordonnance de ses articles et l’élégante clarté du style, il épargnait presque toute fatigue au lecteur en lui communiquant une solide information. Il restait l’un des rares survivants parmi les fondateurs de l’enseignement des langues vivantes dans les écoles normales et les écoles primaires supérieures. Membre du Comité de Patronage des Boursiers à l’étranger, il guidait pas à pas ses pupilles (M. Dejob n’a jamais cru que l’on pût sans danger laisser aux jeunes gens la bride sur le cou) et entretenait avec eux une correspondance assidue ; à l’entendre, aux séances du Comité, rendre compte, par le menu, de leurs lettres, de leur vie, de leurs progrès, de leurs petits écarts aussi, et de la façon dont il comptait bien les ramener dans le droit chemin, on sentait que ce vieillard avait pour ses ouailles des entrailles de grand-père. M. Dejob montrait, au sein des commissions, une qualité essentielle, mais plus rare qu’on ne pense : il savait écouter, et, s’il donnait toujours un avis personnel, se rendait de bonne grâce aussitôt que l’avis d’un collègue était trouvé meilleur que le sien. Aux examens, nous le voyions invariablement arriver avec son affabilité souriante, son urbanité de vieille France, sa conversation polie, volontiers égayée d’une pointe de malice — pure de la moindre aigreur — et les années nous avaient appris que ces dehors courtois et discrets de « l’honnête homme » recouvraient une conscience et une indépendance à toute épreuve. Il y a quelques années, nous avions vu notre vieil ami fléchir, puis, la crise passée, il s’était ressaisi et nous était revenu avec la mème sérénité ; il savait son mal implacable, et en plaisantait doucement : ce sage était prêt à partir. La mort lui fut douce, puisqu’elle l’a enlevé subitement ; il eût été cruel à cet ardent patriote de la voir venir avant la victoire de nos armes.

En cherchant précisément, ces jours derniers, des sujets d’examen, j’ai retrouvé cette parole de Victor Hugo : « Les morts sont invisibles ; ils ne sont pas absents. » Et j’ai pensé : Nos morts ne sont pas absents, si leur mémoire continue de flotter parmi nous, et si nous gardons la tradition qu’ils ont établie, Cette tradition, que M. Dejob, avec moins d’exubérance, tenait de M. Jost — autre vétéran, toujours regretté, de nos commissions d’examen — peut se résumer en deux mots : absolue franchise et bonne camaraderie, non seulement entre les membres du Jury, mais entre le Jury et les aspirants. Nous ne la laisserons pas tomber.

A. G.
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Le gérant de la « Revue Pédagogique »,
Alix Fontaine.