Montlosier et les constitutionnels pendant l'émigration

Montlosier et les constitutionnels pendant l'émigration
Revue des Deux Mondes, 3e périodetome 33 (p. 71-105).
MONTLOSIER
ET
LES CONSTITUTIONNELS
PENDANT L’ÉMIGRATION
D’APRÈS DES DOCUMENS INÉDITS[1].

Dès les premiers événemens qui la suivirent, l’émigration fut jugée par les libéraux comme elle l’a été plus tard par l’histoire. « Il y a des devoirs inflexibles, en politique comme en morale ; le premier de tous est de ne jamais livrer son pays aux étrangers, alors même qu’ils s’offrent pour appuyer avec leurs armées le système qu’on regarde comme le meilleur. » Ainsi s’exprime l’éloquent écrivain des Considérations sur la révolution. Ainsi pensait Mallet Du Pan. Ainsi parlait Malouet dans sa Lettre aux émigrans. Il ne les blâmait pas de quitter la France, il les invitait à écouter d’autres conseils que ceux du ressentiment. « Si vous mêlez vos ressentimens à une colère étrangère, disait-il, quelque fondés que vous soyez dans vos griefs, vous n’êtes plus des citoyens français. Pour venger vos injures, il faut les oublier. » Ni les violences, ni les injustices, n’étaient en effet la révolution. Elle était indépendante des excès qui la signalaient. Mais elle dut plus qu’on ne le croit à l’émigration systématique le caractère qu’elle prit dès les premiers jours.

Vivant à l’étranger et toujours dans le même cercle, les émigrés de leur côté se persuadèrent facilement que tout était rébellion hors de leurs anciennes habitudes. Leurs répulsions prirent par degré une sorte d’inflexibilité sacerdotale. Leurs traditions politiques devinrent à leurs yeux des articles de foi. C’est ainsi que se consomma définitivement le divorce entre la vieille France et la France nouvelle. La noblesse anglaise avait eu plus de dignité dans les troubles civils.

En face des émigrés, nous trouvons ceux qu’on appelait plus justement les fugitifs ou les réfugiés. Il ne faut pas confondre les proscrits que le régime de la terreur avait forcés à chercher un asile hors de la patrie avec ceux qui en étaient sortis ayant la pensée d’y rentrer en vainqueurs les armes à la main, les patriotes de 89, les constitutionnels de 91 et les royalistes immaculés, la colonie de Coblentz.

Les haines dont furent honorés dans toutes les parties de l’Europe, pendant leur exil, ceux qui avaient voulu sincèrement le gouvernement représentatif n’iront qu’en s’aggravant. « Ni l’âge ni le sexe, a écrit Rœderer, ni la parenté, ni l’ancienne amitié, ni le malheur ne trouvèrent grâce devant l’implacabilité des nobles de l’armée de Condé. Ils les dépistaient avec acharnement ; ils requéraient avec arrogance leur expulsion au nom des puissances étrangères. » Dans une brochure qui fit sensation en 1794, le comte d’Entraigues osait écrire que la postérité, d’accord avec la justice, verrait toujours en eux les premiers régicides. Discutant l’étendue de l’amnistie qu’on daignerait accorder, il déclarait que la justice des hommes n’avait jamais eu et n’aurait jamais le droit de leur pardonner.

Montlosier nous a déjà fait connaître, dès les premiers mois de la constituante, les violentes antipathies que soulevaient dans l’entourage de la cour les noms des La Fayette, des Lameth, des Malouet, des Mounier, des Lally-Tollendal. Il faut qu’il soit bien difficile de rester libéral quand même et toujours. Rester un libéral, c’est en effet vouloir rompre avec les violences et les exagérations, c’est presque toujours, dans les momens troublés, risquer de perdre sa popularité.


I.

Les papiers de Montlosier, en nous apportant des faits nouveaux, nous aideront plus particulièrement à apprécier les idées et les personnes. Dès les premiers jours de son arrivée au milieu de ce monde aveugle et ignorant de l’émigration, il avait retrouvé Mallet Du Pan et avait reçu ses conseils. « Séparez-vous de ces gens-là, lui avait-il dit ; d’après tout ce que je vois, les puissances feront mal, nos princes ne feront pas mieux. Vous avez du courage, on n’en veut pas ; vous avez des vues sages, on en veut encore moins. De cette manière, vous serez écarté de tout et employé à rien. — Mon ami, répondait Montlosier, relativement au dénoûment final de l’entreprise, j’ai les mêmes craintes que vous. Relativement à ma conduite, elle est commandée. Ni vous, ni moi, ni qui que ce soit, ne pouvons prévoir au juste les événemens. Ils peuvent être tels qu’ils éclairent l’aveuglement et commandent à la raison, — et puis j’ai dans la noblesse d’Auvergne quelques bons camarades. Au surplus, donnez-moi un ordre du roi, j’obéirai. » C’est avec cette résignation exempte d’illusions que Montlosier avait rejoint les émigrés de sa province.

Encore que son arrivée fût annoncée, elle avait causé un peu d’embarras. On ne lui reprochait pas seulement le système des deux chambres, ce qui était déjà un crime ; on avait écrit de Paris qu’il était associé au club des Feuillans et qu’il en avait été nommé président. Pendant une courte absence à Cologne, où il était allé remettre au maréchal de Castries une lettre de Malouet et une autre de Duport, lettres qui n’avaient eu aucun succès, les gentilshommes d’Auvergne hésitèrent sur son admission dans leurs rangs. On convint d’une assemblée générale où il serait appelé. On le pria de donner des explications sur ses opinions et ses intentions.

Il répondit que ses opinions avaient été tellement manifestées pendant trois ans à l’assemblée constituante que les rappeler était inutile. « Relativement à l’état présent et futur de la France, ajouta-t-il, s’il plaît aux princes de m’interroger, je leur dirai avec plaisir ce que je sais et ce que je pense. Quant à mes intentions, je suis venu comme simple soldat m’associer à mes camarades et combattre avec eux pour le roi et la patrie. »

On vota sur cette déclaration et, à l’exception de deux ou trois voix, Montlosier fut admis. Il n’en fut pas moins obligé le lendemain de se battre en duel avec le chevalier d’Ambly, qui critiquait son admission en termes plus que désobligeans.

Chateaubriand raconte que pareille scène s’était répétée pour lui et avait failli lui faire rebrousser chemin. À lui aussi on avait objecté qu’il arrivait quand la victoire était décidée ; qu’on n’avait pas besoin de lui. Heureusement il avait rencontré son cousin Armand, qui l’avait pris sous sa protection, avait assemblé les Bretons et plaidé sa cause. Après explications, l’affaire s’était arrangée, et Chateaubriand, avec Atala et René dans son havresac, avait été admis à servir. Dès le lendemain, il avait reçu ordre de marcher sur Thionville par un temps affreux. Il chantait O Richard, ô mon roi, en cheminant au milieu de la pluie et de la boue. Mais il eut la révélation de l’avenir, lorsque, arrivé en vue des bois qui bordaient l’horizon, on lui dit que ces bois étaient en France. Passer en larmes la frontière de la patrie lui fit un effet qu’il ne put rendre. Il était là, suivant son expression, comme Falkland dans l’année de Charles Ier

Montlosier ne pensait pas autrement. Il fut une des figures les plus originales de l’émigration, quittant de temps à autre le camp pour courir les bibliothèques du pays, tantôt à Mayence, tantôt sur le Rhin, tantôt dans les bois, avec ses compagnons de misère, jurant à la fois contre Calonne et les jacobins, lisant, admirant et contant le tout à Mallet Du Pan dans des lettres qui nous ont été en partie conservées.

Ces lettres témoignent de la confiance que les constitutionnels avaient fondée sur l’intervention de Mallet Du Pan auprès des princes. Ce n’était pas chose facile d’arriver jusqu’à eux, quand on ne partageait pas leurs préjugés ou leurs passions. De tout leur entourage, l’homme qui montra le plus d’élévation dans le caractère et dont la sagesse, la modération, ne se démentirent jamais dans le cours de la révolution, fut le maréchal de Castries.

Les efforts de Mallet Du Pan pour essayer d’une transaction entre Louis XVI et les chefs du parti jacobin sont trop connus pour que nous tentions d’en faire l’objet spécial de cette étude ; mais des documens nouveaux les éclairent d’un jour plus complet.

Mallet avait été appelé (en 1792) au milieu des fêtes du couronnement de l’empereur François. M. de Castries lui fit savoir que les princes l’invitaient à se rendre à Coblentz sous le nom de Fournier, marchand de toiles. Il avait à communiquer un projet de manifeste et avait prévenu Montlosier qu’il désirait ne pas le manquer à son passage. Son arrivée fut un événement. On aurait bien voulu lui faire quelque avanie, on n’osa pas. Le plan qu’on eut alors à discuter était proposé par La Fayette. C’était précisément de ce côté que le parti royaliste continuait à porter toutes ses craintes. Les propositions, que Bertrand de Molleville a textuellement transcrites dans ses mémoires, furent écartées. Il n’y avait aucun moyen de former des espérances. Le marquis de Laqueuille, un des compatriotes de Montlosier, chaque fois qu’il le rencontrait lui décochait ce trait : On ne compose pas avec des factieux.

Il avait rejoint Mallet Du Pan à Francfort. Le hasard un matin lui fit rencontrer aux portes de la ville un carrosse accompagné d’une grande suite. C’était l’abbé Maury, de retour de Rome. Les princes l’avaient fort recommandé au pape, aux cardinaux et à Mesdames de France. Ces recommandations avaient eu leur effet. Le pape avait commencé par le nommer archevêque de Thèbes. « Il avait reçu, nous apprend Montlosier, l’huile sainte du cardinal Zélada. Mesdames avaient voulu assister à la cérémonie. Il avait été ensuite nommé nonce extraordinaire à la diète de Francfort. Pour cela même on lui avait donné soixante mille écus romains. Il ne s’était pas contenté du don du pape. L’évêque de Spire lui avait fourni ses équipages, l’électeur de Bavière le linge de table et la cuisine. Il était arrivé de cette manière avec quarante domestiques de livrée. Il tenait une maison excellente où il recevait à merveille tout le monde, excepté les Français. » Tel était l’abbé Maury dans l’exil. Nous connaissons déjà sa conduite à Bruxelles vis-à-vis de Montlosier. On ne s’étonnera pas qu’il n’ait eu aucune envie de le revoir.

Mallet Du Pan avait enfin obtenu une entrevue avec les princes. Il était fort mécontent et paraissait navré de tout ce qui se préparait. Le marquis de Bouille, ayant osé soutenir en plein conseil que le moment des sacrifices était arrivé et que l’on se trompait en croyant que la noblesse pût rentrer dans tous ses privilèges, avait été relégué le plus poliment possible auprès de l’électeur de Mayence. L’abbé de Calonne au contraire était bien en cour, parce qu’ayant entendu dire que le roi de Prusse arrivait avec cinquante mille hommes, il s’était écrié : Que veut-il faire de tout cela ? Quinze cents gentilshommes suffiront pour faire la contre-révolution.

Les habiles croyaient qu’il y avait intérêt à déprécier dans tous les cabinets les forces de la révolution, de répandre à tout prix la confiance, afin d’armer d’abord les souverains, qui une fois engagés ne se dessaisiraient plus de leur entreprise. Montlosier leur répondait que la révolution était une immense puissance avec laquelle il ne fallait pas se jouer ; qu’avec les moyens moraux tirés des passions, elle était un ennemi terrible.

Pressé un jour de s’expliquer sur les forces nécessaires pour dégager le roi : « Quarante mille hommes me paraissent suffire, si les princes sont à la tête de l’armée, le maréchal de Broglie commandant l’aile droite, le maréchal de Castries l’aile gauche, M. de Bouillé au centre. Mais alors il ne faut pas tarder à s’allier avec tout le parti constitutionnel en France, envoyer un agent à La Fayette et à Luckner, pour les remercier de leur fidélité et leur demander un plan. » — « Que pense Cazalès de tout cela ? interrompit Mallet Du Pan, qui assistait à cette conversation.

— Je l’ai peu vu, dit Montlosier, pendant tout mon séjour à Coblentz. C’était en quelque sorte convenu entre nous. Il avait bien assez de défaveur ; je n’avais que faire de la renforcer de la mienne. Je n’aurais pas été chez lui deux fois de suite que cela aurait été un événement. Mais je savais par des intermédiaires qu’il pensait comme moi. Il allait même plus loin. Il disait qu’il fallait trois cent mille hommes. Mais moi, quelque mauvaise humeur que je pusse apercevoir dans mes interlocuteurs, j’étais poli ; je faisais même des révérences ; Cazalès, point. Il les bourrait de la bonne manière. À la fin, on n’osait pas l’approcher. »

Cependant la mission que Mallet Du Pan avait acceptée sur les instances de Bertrand de Molleville n’aboutissait pas. Elle contrariait beaucoup les dispositions des princes. Ce n’était pas assez de ces obstacles. Quand il fallut s’approcher des ministres d’Autriche et de Prusse, ceux-ci, accoutumés à voir se produire de tous côtés des agens de toute espèce, n’écoutèrent et ne reçurent Mallet qu’avec les égards dus à son mérite personnel.

Ce fut à ce point qu’il dut écrire pour que Bertrand de Molleville lui envoyât un billet de la main du roi. Ce billet lui fut transmis courrier par courrier, dans le talon d’une paire de bottes. Il était ainsi conçu : La personne qui présentera cet écrit connaît mes intentions. On peut prendre confiance dans ce qu’elle dira. C’est avec cette courte lettre de créance certifiée par le maréchal de Castries que Mallet se présenta aux trois ministres de Prusse et d’Autriche, le comte de Cobentzl, M. Heyman et le comte Haugwitz ; les conférences s’ouvrirent. Le mémoire qu’il lut n’était que la reproduction des idées du parti constitutionnel. Le roi y exhortait les princes et les émigrés à ne pas faire prendre à la guerre, par un concours hostile et offensif de leur part, le caractère de guerre étrangère faite de puissance à puissance. L’arbitrage devait être réservé au roi, lorsque la liberté lui serait rendue. Les émigrés ne devaient jamais être employés en première ligne, mais seulement à la suite des armées et à garder les places dont on s’emparerait. Enfin un congrès serait assemblé dans lequel les divers intérêts seraient discutés sur des bases à arrêter.

Les ministres étrangers n’étaient pas loin de donner leur adhésion à ces propositions ; mais, avant de les adopter, il fallait en rendre compte aux deux souverains, parties principales dans l’affaire. Or François II, élu nouvellement à Francfort, s’était empressé d’aller se faire couronner à Mayence, et le roi de Prusse avait quitté Coblentz. Mallet Du Pan fut obligé de s’en tenir à des promesses qui devinrent bientôt évasives.

Dans ces conférences, le comte de Cobentzl jugea à propos de se plaindre de l’ancienne politique du cabinet de Versailles, de ses astuces, de ses perfidies. Il accusait principalement le baron de Breteuil ; mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est que les ministres étrangers suspectaient hautement les princes émigrés non-seulement de contrarier les volontés de Louis XVI, mais encore de vouloir créer une régence.

Mallet chercha autant qu’il put à adoucir ces plaintes, et il soumit aux négociateurs un projet de manifeste. Ils demandèrent à le communiquer aux souverains. Le projet demeura enfermé dans un portefeuille, et Mallet, découragé, résolut de partir le 25 de Francfort. Le 26, paraissait le célèbre manifeste du duc de Brunswick.

Les folies l’avaient emporté. La petite cour da Coblentz, servie par le ministre de Russie, M. de Romanzof, avait pris les devans. M. le marquis de Limon s’était offert, sous le patronage de Calonne, pour être le rédacteur du document qui déclara une guerre implacable à la révolution française. Montlosier connaissait ce personnage ; attaché anciennement au duc d’Orléans, puis renvoyé, il était arrivé sans ressources à Coblentz. On l’avait vu pérorant, gesticulant dans les groupes. L’atmosphère du lieu l’avait absolument enivré. Les princes le présentèrent au roi de Prusse et au duc de Brunswick comme un héros d’éloquence. Montlosier et ses amis ne doutèrent pas que la proclamation qu’il écrivait ne fût une sottise. Le manifeste parut et dépassa tous les pronostics.

Mallet Du Pan n’en revenait pas. Il partit furieux contre ces calculateurs superficiels, comme il les appelle, qui se félicitaient de l’accroissement des désordres et plaçaient leur espoir dans les attentats les plus odieux. À ses yeux, la révolution devait aux sophismes de l’esprit de parti l’attitude qu’elle prenait de plus en plus.

Montlosier, resté seul à Francfort, ne tarda pas à recevoir une lettre très vive de deux de ses camarades qui lui apprenaient les mouvemens de l’armée prussienne et le déplacement des compagnies d’Auvergne. Il s’achemina le plus diligemment possible sur Trêves.


II.

L’état intérieur de la France n’était apprécié par les émigrés ni avec justesse ni avec sang-froid. On connaît les désillusions qui suivirent la première campagne. Le 30 juillet 1792, l’armée prussienne s’était mise en marche. Quelques jours après, le 10 août emportait le trône constitutionnel de Louis XVI.

« Pas un homme dans les provinces envahies ne prit les armes pour les royalistes ; on avait compté sur des intelligences avec les régimens, avec les places fortes, rien ne bougeait. Les émigrés étaient généralement étonnés de ne pas voir Monsieur déclaré régent du royaume. »

« Notre situation est pire, écrivait à Mallet Du Pan le maréchal de Castries, la campagne a été sans succès et elle devait être telle. J’avais prévu une partie de ce qui est arrivé. Les deux puissances confédérées ont méprisé mes avis et ceux des émigrés les plus capables d’en donner de bons ; elles n’ont paru agir que pour elles-mêmes. »

Montlosier raconte assez gaîment ses débuts de volontaire. Comme on comptait peu sur la participation des émigrés, on n’avait pris aucune précaution pour leur fournir non-seulement une paie (quelques-uns en avaient grand besoin), mais une tente et des vivres.

On s’étudiait du reste à aggraver et à multiplier partout les absurdités. « Lorsque les puissances de l’Europe, écrit-il, faisaient d’aussi belles choses et que les princes frères du roi les approuvaient, les compagnies d’Auvergne ne voulaient pas rester en arrière. Un matin, dans un cimetière, que je vois d’ici, on les fait assembler à mon insu et l’on y prend la délibération suivante, au moment d’entrer en France. Il est arrêté que la liste des nobles appartenant à la coalition d’Auvergne est close et, que dorénavant aucun gentilhomme ne pourra y être admis. On avait pris la précaution de ne pas m’avertir. Aussitôt que je fus informé, j’arrivai. C’était trop tard ; la délibération était prise. »

D’autre part, la préoccupation de voir l’armée du prince de Condé se grossir de constitutionnels était étrange. On venait d’apprendre que La Fayette avait quitté l’armée pour éviter son arrestation. Les princes pensèrent dès lors qu’il était probable qu’aussitôt que les troupes françaises apercevraient les rangs émigrés, elles s’y précipiteraient pour s’y réunir. L’ordre fut donné sur toute la ligne de repousser les déserteurs qui se présenteraient. Montlosier reçut cette consigne un jour qu’il était placé en vedette.

La retraite arriva. Les paysans embusqués poursuivaient les traînards à coups de fusil. Partout, et surtout la nuit, on était obligé de prendre contre les habitans de grandes précautions. C’est ainsi qu’on gagna péniblement la frontière.

Montlosier retourna à Trêves. En route, s’étant arrêté pour coucher, on lui annonça la visite de plusieurs anciens gardes du corps. Ils entrèrent au nombre de cinq ou six. L’un d’eux, prenant la parole, lui demanda ce qu’il pensait de cette retraite. Comme Montlosier ne leur donnait pas de prochaines espérances : « F… monarchien, murmurèrent-ils en s’en allant, ce sont les deux chambres qui nous ont perdus ! » Tel était l’état des esprits jusqu’au dernier étage de l’émigration.

Dans un autre milieu social au contraire, la propagande démocratique faisait des pas de géant. Montlosier avait résolu de se rendre dans le landgraviat de Hesse ; poursuivi par les hussards de Custine, il demanda l’hospitalité aux abords de la ville de Kœnigstein. Les hôtes du logis étaient d’origine française, l’un musicien, l’autre peintre, le troisième fabricant d’instrumens de mathématiques. Ils s’étaient réunis pour régler ensemble quelques intérêts communs. Celui-ci, qui se rendait à Saint-Pétersbourg, aborda Montlosier et lui dit : « Vous êtes probablement quelque seigneur français. Je conçois que la révolution n’ait pas été de votre goût. Il faut prendre votre parti là-dessus. On l’appelle la révolution française, il vaudrait mieux l’appeler la révolution du monde. »

Les plus aveugles auraient pu être éclairés. Mais il eût été plus facile, pour emprunter le langage de Montlosier, de faire comprendre le français à un Chinois nouvellement arrivé à Paris que de faire entendre raison, sur les affaires du temps, à une multitude de gens d’esprit.

On connaît la seconde campagne des alliés et le plan de Dumouriez. Après la bataille de Nerwinde, toute la Belgique avait été évacuée, Bruxelles se trouvait libre. Les émigrés y arrivaient par milliers, ils étaient triomphans. « Encore quelques jours, disaient-ils, et nous sommes à Paris. »

Un jour, dans le salon de Mme de Monregard, l’un des moins déraisonnables se met à expliquer qu’il était partisan de l’ancien régime, moins les abus. « Les abus, reprit Mme de Monregard, mais c’est ce qu’il y avait de mieux. » Le mot était charmant, spirituel, très français, mais il disait tout. Veut-on voir un autre côté de cette société ? Montlosier nous apprend qu’il était arrivé à Bruxelles un certain abbé dont on ne savait pas le véritable nom, mais qu’on appelait l’abbé Boulé parce qu’il avait fait serment de garder ses cheveux roulés jusqu’à la contre-révolution. Il allait partout, même chez Rivarol. L’abbé avait pour principe que, dans un état, les arts et les sciences n’étaient d’aucune utilité, et il soutenait ce paradoxe avec chaleur. Rivarol vint à blâmer une certaine mesure : « Si l’on avait eu un peu d’esprit, ajoutait-il, on aurait évité cette faute. — De l’esprit, de l’esprit, interrompit l’abbé en se levant, c’est l’esprit qui nous a perdus ! — Monsieur, repartit Rivarol, pourquoi ne nous avez-vous pas alors sauvés ? » — L’abbé ne reparut plus.

Montlosier avait vu de près Rivarol. M. de Tressan lui avait fait faire sa connaissance à Bruxelles, où sa maison était le rendez-vous des émigrés les plus connus. Il faisait le fond de toutes les conversations. On connaît sa méthode : le matin ou dans le cours de la journée, quand il jaillissait dans son imagination des traits qui lui convenaient, il les écrivait sur des petits morceaux de papier qu’il fixait sur la glace au devant de la cheminée. Ces mots, il les reprenait dans la conversation du soir et il les ajustait avec une grande habileté. Malgré ses méprises et bien qu’il connût mieux les historiens que l’histoire, il avait laissé à Montlosier le souvenir ineffaçable du plus merveilleux causeur. Il n’y a que Mme de Staël, disait-il plus tard, qui m’ait paru approcher de lui. Montlosier, de son côté, l’avait étonné par ses connaissances variées, quoiqu’un peu confuses, qui lui avaient mérité le surnom de bénédictin.

Cette réputation de connaître l’ancien droit public était parvenue aux oreilles du baron de Breteuil. Ils eurent plusieurs conférences sur la possibilité d’une régence. Montlosier lui adressa même un mémoire ; mais, pendant ces débats, Marie-Antoinette montait sur l’échafaud. L’accueil que le baron de Breteuil avait semblé donner dans son esprit aux idées constitutionnelles fit place à un retour décidé au régime absolu. Il ne fit un jour aucune difficulté d’avouer la nécessité du rappel des parlemens. — « Comment, demanda Montlosier, et les lettres de cachet aussi ! — Sans aucun doute, répondit son interlocuteur, en France on ne peut gouverner sans cela ! »

Les cabinets étrangers commençaient à être moins rassurés sur le succès de cette politique à outrance. Le comte de Mercy-Argenteau s’en était ouvert à Montlosier. Il lui avait envoyé un homme de beaucoup d’esprit, Pellenc, le conseil de Mirabeau dans ses procès au parlement d’Aix, qui l’avait suivi à Paris durant la constituante et qui avait composé quelques-uns de ses discours, notamment celui sur le droit de paix et de guerre. De nombreuses conversations eurent lieu entre Pellenc, le comte de Mercy et Montlosier sur le caractère de la révolution française, sur ses forces, sur les moyens de la dominer. Ces conversations n’aboutirent pas et ne pouvaient aboutir.

« J’ai une idée, écrivait Montlosier, à laquelle tout paraît devoir se subordonner, c’est que les jacobins ont parfaitement constitué la nation. Ils y ont mis un art merveilleux, sur lequel l’histoire aura à reposer son attention. Il faudra organiser l’ordre de la même manière qu’ils ont organisé l’anarchie. » Ce fut Bonaparte qui s’inspira plus tard de cet avis.

Mallet Du Pan, à qui Montlosier écrivait ainsi, venait de sortir encore de sa retraite. Dès les premiers jours de février 1793, le maréchal de Castries avait de nouveau fait appel à ses lumières. Mallet nous apprend qu’il consulta alors Mounier qui vivait à Morat, dans la retraite, oublié et méconnu. Mounier lui conseilla de se rendre à cet appel. Il était d’ailleurs attiré par le désir de retrouver Montlosier, toujours généreux, toujours dévoué, qui lui avait offert son argent et son aide.

« J’ai à peu près cinq cents louis dont je pourrai disposer sous peu de temps, lui disait-il en mars 93, je vous les offre de bon cœur. Si nous voulions nous en donner la peine et nous asseoir à notre aise sur un territoire un peu libre, je crois que nous commanderions facilement à l’opinion publique et que nous aurions une grande influence même sur la direction des cabinets. Il faudrait d’avance nous dresser de bonnes et sûres correspondances afin d’avoir à la fois le mérite de la vigueur pour persuader, et celui de la nouveauté pour les faits. » Ce projet, Montlosier essaya de le réaliser en Angleterre, quand il y fonda le Courrier de Londres.

Mallet ne put rejoindre le maréchal de Castries ; il se rendit à Bruxelles, où il fit paraître le plus connu de ses ouvrages : Considérations sur la nature de la révolution, ouvrage qui souleva parmi les émigrés une véritable tempête.

Montlosier s’était arrangé pour que son ami eût auprès de lui tous les agrémens possibles. Il l’avait mis en rapport avec l’abbé de Pradt, avec Rivarol, avec le chevalier de Panat et le comte François de Sainte-Aldegonde. Mais les écervelés les plus inconsciens ne parlèrent rien moins que de le pendre après la contre-révolution. Montlosier fut averti d’éviter la promenade du parc où se trouvaient habituellement ces étourdis.

Mallet était curieux comme un enfant de toutes les figures des émigrés ; il demanda précisément d’aller se promener au parc. Ne voulant pas laisser outrager un de ses amis, Montlosier s’achemina avec lui, décidé à repousser la violence par la violence. Ils entrèrent ainsi dans la promenade, Montlosier lui donnant le bras et enfonçant de temps en temps son chapeau pour bien faire comprendre qu’il était décidé à relever toute insulte. Il y eut quelques rires, quelques chuchotemens, mais rien de plus.

Malouet arrive de son côté. Lui aussi manifeste aussitôt le désir de se rencontrer à la promenade avec ces fous d’émigrés, comme il les appelait. Montlosier prit les mêmes précautions ; mais tandis que Mallet avait un extérieur rude, Malouet avait tant de grâce dans les manières, quelque chose de si bienveillant et de si indulgent pour tout le monde, que tout le monde le fut pour lui.

L’aversion des émigrés pour toute espèce de système constitutionnel n’était pas seulement affaire de coterie ; l’impulsion venait de plus haut. Les brochures qui fondirent sur Mallet étaient communiquées à M. le comte d’Artois. Une lettre du chevalier de Guer, une autre de l’abbé Talbert, en réponse à l’auteur des Considérations, mirent Montlosier dans une vive colère. Mallet était représenté, avec Necker, comme un des meilleurs amis des jacobins. « Laissez-les dire ! avait déjà répondu Mallet, faisant allusion à sa courageuse rédaction du Mercure, alors qu’il habitait Paris, — quoique étranger et républicain, j’ai acquis au prix de quatre ans écoulés, sans que je fusse assuré en me couchant de me réveiller libre ou vivant le lendemain, au prix de trois décrets de prise de corps, de cent quinze dénonciations, de deux scellés, de quatre assauts civiques dans ma maison, de la confiscation de toutes mes propriétés en France, j’ai acquis les droits d’un royaliste ; comme, à ce titre, il ne me reste plus à gagner que la guillotine, je pense que personne ne sera tenté de me la disputer. »

Les haines du parti de l’émigration venant se joindre aux événemens amenés par l’issue de la campagne de 93 avaient jeté Mallet dans l’abattement. Quant à Montlosier, il ne parlait rien moins que d’aller créer une colonie agricole en Crimée et d’y conduire son ami comme associé. Son imagination se rejetait bientôt dans un autre domaine. Mallet, plus usé qu’aigri par les attaques injurieuses des amis des princes, se contentait de répondre avec hauteur : « Il est tout simple que l’adversité dérange des esprits qui n’y ont pas été élevés. Il est tout simple qu’elle ne leur ait donné ni une leçon, ni une idée, ni une notion de rien. »

La noblesse de ce temps-là aimait mieux en effet tout risquer que d’accepter sincèrement le gouvernement représentatif. Elle se félicitait de l’accroissement du désordre et plaçait tout espoir dans les odieux attentats qui accompagnaient la révolution. Elle commettait cette grande erreur politique de n’attribuer à ses adversaires que des vices et des bassesses. Tandis qu’elle exécrait non moins violemment les constitutionnels, ceux-ci étaient persécutés en outre par les jacobins, qui leur croyaient sur l’esprit de la nation une influence que les faits ont démentie. Destinée bien digne de respect ! Les constitutionnels proscrits par la France, mal vus par les gouvernemens étrangers, conspués par les émigrés, se trouvèrent pendant plusieurs années sans pain et sans asile. Mme de Staël en recueillit quelques-uns dans le pays de Vaud ; mais il fallut leur donner des noms suédois. N’était-ce pas pour éviter leur contagion libérale que des princes allemands avaient osé faire planter à l’entrée de leur état ces poteaux dont parlent les mémoires de M. de Tilly et sur lesquels on lisait : Il est défendu aux émigrés et aux vagabonds de passer outre.

Montlosier avait donc senti déjà toutes les amertumes lorsqu’il résolut d’aller rejoindre Malouet en Angleterre. Il y débarqua vers la fin de septembre 1794 ; il devait y séjourner sept ans.


III.

L’Angleterre telle que l’avaient faite la révolution de 1683 et les luttes parlementaires était à son apogée. Son aristocratie, placée à la tête des affaires depuis cent quarante ans, avait montré au monde, suivant un mot célèbre, une des plus belles et des plus grandes sociétés qui aient fait honneur à l’espèce humaine depuis le patriciat romain. Au moment où éclata la révolution française, le gouvernement britannique semblait se recueillir pour des réformes intérieures. Le dénoûment de la guerre de l’Amérique l’avait découragé de toute ambition. Le roi George venait d’avoir ses premiers momens de folie. Le premier effet des événemens survenus en France fut de changer toutes les idées politiques. Non pas que notre esprit révolutionnaire ait jamais pu pénétrer la société anglaise, mais nos premières victoires, nos ardeurs de conquêtes, bien plus que nos doctrines, firent une vive impression sur M. Pitt. L’œuvre principale de notre révolution, l’égalité des droits, la liberté du travail, la sécularisation de l’esprit touchaient moins le fils de lord Chatam que l’annexion de la Belgique. Il sentait que le Français aime en général l’autorité, parce qu’il espère l’exercer un jour ou l’autre et que la liberté le met en défiance. Néanmoins la masse de la nation anglaise avait vu d’un œil favorable nos premiers efforts pour anéantir l’arbitraire et pour nous donner une constitution libérale. Les amis des réformes civiles et religieuses s’étaient réunis et avaient formé dans les grandes villes des associations patriotiques qui s’étaient mises en relations avec les sociétés populaires de France.

Malheureusement les violences et les excès avaient bientôt amené un déchirement entre les nobles esprits qui se partageaient l’honneur de gouverner en Angleterre. On gardait le souvenir de cette mémorable séance du 6 mai 1791 où se consomma la rupture de Burke et de Fox. Qu’on juge de l’émotion qu’excita dans la société anglaise l’arrivée des premiers émigrés ! On vient tout récemment encore de raconter avec beaucoup de verve l’étonnement, la stupéfaction de ce beau monde qui, accourant en grande toilette au-devant de nos gentilshommes, les vit jouer à saute-mouton, en manches de chemise, sur le rivage, attendant qu’un rayon de soleil vînt sécher leurs habits mouillés.

Le flot de la révolution apporta successivement diverses couches de proscrits de toute espèce et de toute origine. Des pages immortelles ont retracé leur vie émouvante, triste comme l’exil et comme la pauvreté. On connaît ce Pelletier, ancien rédacteur des Actes des apôtres, à la fois serviteur de la légitimité et ambassadeur du roi nègre Christophe, buvant en vin de Champagne les appointemens qu’on lui payait en sucre. On connaît ces conseillers au parlement de Bretagne qui avaient déserté avec le bonnet carré et la robe rouge et qui couchaient sous la pourpre dans un taudis irlandais. Le plus ou moins de richesse ou d’indigence aurait semé des divisions dans ce milieu, si les opinions n’y avaient déjà établi des classes. L’émigration pauvre s’était fixée dans les quartiers de l’est de Londres ; tandis que vers l’ouest s’étaient installés les familles de cour, les évêques et les planteurs. Suivant le flux et le reflux de la fortune, on s’éloignait ou l’on se rapprochait des quartiers aristocratiques. Toute cette société brillante et légère vivait encore de chimères ou de haines.

C’était le clergé catholique qui surtout avait grossi les rangs de l’émigration française en Angleterre. Plus de quatre mille ecclésiastiques y avaient cherché asile. Les mémoires de l’abbé Grégoire nous apprennent qu’environ moitié de ces prêtres vivait à Londres, dans les quartiers de Summers-Town et Saint-George-Field, s’occupant de l’enseignement ou de travaux manuels, fabriquant des cartons, des chapeaux de paille, des fleurs artificielles ; d’autres étaient disséminés dans divers villages jusque dans le pays de Galles. Le clergé anglican les avait accueillis avec humanité. L’université d’Oxford avait fait imprimer, à l’usage des prêtres français, quatre mille exemplaires du Nouveau Testament conforme à l’édition de Barbou. Comment passer sous silence les traits de bienfaisance de la classe ouvrière de Londres qui nous sont révélés dans une lettre écrite en 1793 par l’évêque de Léon ?

Deux ecclésiastiques s’adressaient pour leurs provisions à une pauvre marchande de légumes ; plusieurs fois elle leur donna ce qu’ils voulaient acheter. La voyant obstinée à refuser le prix de sa marchandise et craignant d’abuser d’une pareille libéralité, ils voulurent un jour faire leurs provisions ailleurs ; la bonne femme se désola, vint se plaindre de ne plus les revoir, et jamais ne consentit à recevoir leur argent. D’autres marchandaient un jour du poisson et se retiraient parce qu’ils le trouvaient trop cher ; la marchande toute déguenillée courut après eux, et les força d’accepter gratuitement ce qu’ils avaient voulu payer.

Quelques prêtres, demandant leur chemin dans les rues de Londres, se voient entourés par les femmes du peuple. Ce rassemblement leur inspire quelques inquiétudes, elles s’en aperçoivent, s’empressent de les rassurer et leur offrent à l’envi des pièces de monnaie.

L’évêque de Léon passait dans la rue avec son grand vicaire ; tout à coup celui-ci sent quelqu’un qui le presse : il se retourne ; c’était un porteur de lait qui lui avait mis un penny dans la main et continuait son chemin sans vouloir être reconnu.

Il n’y a que Mme de Montagut qui à Bruxelles, en août 1793, ait donné de pareils exemples de charité.

La confiance dans l’avenir était sans bornes. Si par hasard l’on doutait d’une restauration immédiate, on était déclaré jacobin. C’était toujours l’histoire de ces deux vieux évêques qui se promenaient au printemps dans le parc Saint-James : « Monseigneur, disait l’un, croyez-vous que nous soyons en France au mois de juin ? — Mais, monseigneur, répondait l’autre après avoir mûrement réfléchi, je n’y vois pas d’inconvénient. »

Les événemens, avec leur allure précipitée, modifièrent rapidement l’opinion anglaise. L’appui que prêtait aux principes de la révolution l’éloquence de Fox ne suffisait plus. La joie qu’il avait témoignée à lord Holland au lendemain des échecs de l’armée prussienne, en septembre 1792, joie supérieure à celle que lui avaient apportée Saratoga et York-Town, n’avait plus autant d’échos. La perte de la bataille de Jemmapes, la reddition de Mayence, l’invasion de la Belgique, avaient alarmé au plus haut point les intérêts commerciaux. Le 1er décembre 1792, une proclamation de George III annonçait le danger que courait la constitution, et, malgré les observations de Fox, le parlement s’identifiait au discours de la couronne. Le défi que, le 21 janvier, la convention jeta à l’Europe fut l’occasion décisive de la rupture. Chauvelin, envoyé en ambassade par de Lessart, recevait l’ordre de quitter Londres dans les vingt-quatre heures. Huit jours après, sur le rapport de Brissot, la déclaration de guerre au roi George et au stathouder de Hollande était adoptée à l’unanimité ; dès ce moment, la guerre prenait en Angleterre un caractère national, et le cabinet de Saint-James marchait résolument à son but, la prépondérance maritime.

C’est dans ces circonstances que Montlosier arriva à Londres.

Sa première visite fut pour Burke. L’ancien ami de Fox était devenu l’idole des émigrés. Malheureusement le parti violent l’avait accaparé. Son fils Richard avait été envoyé en mission à Coblentz, auprès de Monsieur et du comte d’Artois. Ses instructions avaient été inspirées par des intrigans, qui firent commettre au ministère anglais les plus graves erreurs dans le jugement des affaires de France. Ainsi le jeune négociateur avait conseillé de ne rien céder, de ne pas même négocier ; surtout pas de rapprochement avec La Fayette : tel était le dernier mot. Son père cependant avait jeté un regard perspicace sur l’avenir, bien avant la guerre.

On lit dans les Réminiscences de Charles Butler qu’un jour, avant cette mission, Burke s’exprimant en présence de quelques émigrés sur les effets de la révolution, un d’eux lui dit : « Mais enfin, monsieur, quand retournerons-nous en France ? — Jamais, répondit-il, messieurs ; de fausses espérances ne sont pas une monnaie que j’aie dans mon tiroir. — Mais, dit Charles Butler, qui était présent, le duc de Brunswick arrangera tout cela. — Le duc de Brunswick ! le duc de Brunswick ! pour soumettre la France ! »

Burke avait annoncé sa retraite prochaine de la chambre des communes et allait s’appeler lord Beaconsfield. La mort prématurée de Richard son fils unique, qu’il adorait, vint l’abattre jusqu’à terre. Ce n’était plus le même homme lorsque Montlosier le vit. Il n’était pas du reste pour lui un inconnu. Quand il lui avait adressé un exemplaire de son Essai sur l’art de constituer les peuples, Burke lui avait écrit une lettre de félicitations. Leur conversation eut lieu en français. Burke se plaignit de ne pas trouver dans l’émigration un homme de gouvernement à la hauteur des circonstances. Il distinguait entre la révolution et la France, et ne voulait qu’une guerre de partis.

Quant à Pitt, que Montlosier désirait entretenir au nom de Mallet Du Pan, il était plus difficile à aborder ; il le vit enfin et le trouva très en garde, vivant en dehors des émigrés et subissant plus qu’il ne le croyait leur influence. Pitt lui laissa comprendre qu’il se sentait engagé à mort dans la lutte du continent européen. C’était bien du reste le personnage qu’a dépeint Chateaubriand : grand, maigre, avec un air triste et moqueur, la face pâle, laissant tomber un regard dédaigneux sur quelques émigrés désœuvrés qu’il rencontrait en allant à pied, chapeau sous le bras, à travers le parc de Saint-James.


IV.

Montlosier avait épuisé toutes ses ressources lorsqu’il arriva à Londres. Il fallait trouver de quoi vivre. L’Angleterre venait de s’emparer de Saint-Domingue ; les négocians de la Cité se pressaient autour des créoles français afin d’obtenir d’eux la vente de leurs produits. Un des mieux liés, M. de Chaumilly, imagina de donner une fête au duc de Bourbon. Tous les Français un peu considérables y furent invités ; un M. Texier, attaché à la margrave d’Anspach, joua un proverbe intitulé : Il n’y a pas de douleurs éternelles. Malheureusement c’était le 21 janvier que cette fête avait lieu ; personne n’y avait fait attention. Montlosier, à qui nous devons cette anecdote, assure que le duc de Bourbon en fit tout à coup la remarque. Le choix du proverbe, celui du jour, la présence d’un prince du sang, tout n’était-il pas extraordinaire ? Heureusement les papiers anglais ne mentionnèrent pas cet événement.

Montlosier avait espéré que ses liaisons avec notre ancienne colonie pourraient lui assurer une position. Ses espérances furent déçues. Il avait retrouvé son ami Malouet, qui était depuis longtemps en Angleterre avec Lally-Tollendal et Cazalès. Malouet reçut Montlosier avec joie et le mit en relation avec M. de Lentre, qui se proposait d’établir à Londres une maison d’agence. Cette entreprise avait paru à Malouet devoir être une fortune ; il devait s’y associer et essayait d’entraîner Mallet Du Pan, dégoûté de son séjour en Suisse.

Montlosier devint le premier commis de M. de Lentre. Pendant un an, il fut un véritable agent d’affaires, dressant des contrats, des testamens ; il rédigea même le contrat de mariage du duc de Duras et de Mlle de Kersaint. Quand les affaires n’allaient pas, il s’occupait à écrire un livre bizarre qu’il devait publier plus tard sous le titre de Mystères de la vie humaine. Les litiges d’émigrés pauvres contre des émigrés qui n’étaient pas riches ne pouvaient guère alimenter une agence. On se sépara sans avoir fait fortune.

Montlosier ne fut pas du reste le plus malheureux. Il n’eut pas faim, comme tant d’autres. Le XVIIIe siècle avait laissé dans toutes ces âmes je ne sais quelle gaîté et quelle insouciance qui tenait lieu de force. La plupart de ces grands seigneurs, comme dit Chateaubriand, étaient des artistes en misère. Le soir, on allait danser chez les parentes et les cousines, après les modes enrubannées et les chapeaux faits.

Que de traits à ajouter à ceux que nous lisons dans les Mémoires du marquis de Tilly !

Montlosier n’avait plus qu’un mois de ressources, lorsque deux amies qu’il avait connues en Allemagne, Mme de Montregard et Mme de Médovi, arrivèrent de Hollande. Elles avaient avec elles leurs deux petites filles, trois domestiques, plus l’abbé qui les avait suivies en exil. Après avoir payé leurs frais de route, il ne leur restait plus un shilling. Elles n’en louèrent pas moins un hôtel dans Green-street. Jamais on ne nargua si prestement l’infortune. Le lendemain, déjeuners et dîners excellens. On avait trouvé à emprunter dix-huit louis. L’abbé faisait des épigrammes ; les petites filles jouaient au volant ; chacun se démenait de son mieux. Tous avaient un air de prospérité. « Que faites-vous si loin de nous ? dit Mme de Montregard à Montlosier ; venez ici, nous avons un appartement à vous donner. — Mais je n’ai pas de quoi le payer, répondit-il. — Bah ! ni nous non plus ; venez toujours. »

Le secours voté par le parlement pour les émigrés n’était que d’un shilling par jour et par tête ; dès le soir même de leur arrivée à Londres, Mmes de Montregard et de Médavi s’étaient enquises, comme à Paris, des spectacles, des modes, des beaux magasins. Heureusement plusieurs grandes familles anglaises qu’elles avaient connues à la cour leur vinrent en aide.

Comment aurait-on pu parler raison à cette société ! Le cabinet de Londres, bien que plus éclairé que les autres, en subissait de plus en plus les préventions. Montlosier, Malouet, le chevalier de Panat, Lally et quelques autres se réunissaient, mais ils ne jouissaient d’aucun crédit. Les censures, les déclamations, les malveillances du parti royaliste ne leur en imposaient pas. Ils ne voyaient pas de fin possible à la révolution par la guerre extérieure, ils pensaient que les anciennes idées constitutionnelles n’avaient d’avenir que dans le mauvais gouvernement de la convention. Ils s’efforçaient dès lors dans les conversations qu’ils pouvaient avoir avec les amis des princes de leur persuader qu’il fallait bien se garder de laisser apercevoir ou craindre une autre tyrannie après un changement de gouvernement.

« Toutes les prétentions de l’ancienne aristocratie, écrivait Malouet, toutes les menaces, tous les projets de vengeance et les goûts passionnés pour l’ancien régime, étaient autant d’absurdités qui nous étaient tout espoir de retour. Nous étions trop pénétrés, mes amis et moi, de toutes ces inconséquences, pour ne pas les combattre hautement. »

Que de persistance dans les haines contre ces honnêtes et libéraux esprits ! Lally-Tollendal fut une des victimes les plus éprouvées par les humiliations.

Il avait un des premiers émigré en Angleterre. Dès 1792, Burke l’avait personnellement attaqué. Ce fut comme un signal. Après les revers de la coalition en Champagne, l’abbé d’Andrefel, vicaire général de l’archevêque de Bordeaux, fit, pour employer les expressions de Montlosier, le vœu, comme Jephté, d’immoler le premier monarchien dont le nom se présenterait à sa vue. Ce fut le nom de Lally. Aussitôt, dans le pamphlet le plus violent, il est accusé de tous les malheurs de la France et, comme tel, voué à l’opprobre public.

Après l’abbé d’Andrefel, ce fut le tour de M. Ferrand ; après M. Ferrand, l’abbé Talbert ; après l’abbé Talbert, le chevalier de Guer ; enfin Pelletier. Lally se défendait de toutes ses forces. C’était surtout du côté de Burke qu’il cherchait à repousser les traits. « Telle est ma destinée, lui disait-il, que plus je sais vous respecter, plus je dois vous combattre, et qu’il me faut voir un adversaire dans un homme que ses principes et ses vertus m’eussent fait regarder comme mon défenseur naturel, si un autre que lui m’eût attaqué. »

Burke avait vanté, comme le seul mérite de Lally, le mérite du repentir. — « Je n’en ai aucun, répondit-il, car je ne me repens pas du tout. » — Il ajoutait : « Vous avez été, monsieur, trompé cruellement. Vous vous êtes trouvé placé entre deux partis extrêmes, non-seulement se détestant l’un l’autre, mais encore détestant tout ce qui n’est pas eux. »

Quoique cette réponse fût écrite d’un style un peu larmoyant et déclamatoire, elle n’en eut pas moins du retentissement. Pendant longtemps Lally avait été réputé neveu, par sa femme, de lord Lougborough, le grand chancelier ; ils étaient unis, et, au début de l’émigration, se voyaient fréquemment. Au moment où Montlosier débarqua, Lally n’était plus qu’un parent éloigné. Au bout de quelque temps encore ils ne se virent plus. Lally apprit même un jour que dans un salon, un soir qu’on prononçait son nom, on avait dit la lie du peuple. Il en eut presque des convulsions. « Je n’ai jamais pu comprendre l’acharnement dont il était l’objet, » écrit Montlosier. — L’explication était tout entière dans la conduite loyale de Lally en 1789. Il faisait partie de la minorité libérale de la noblesse et il avait passé avec elle à la chambre du tiers.

On en voulait aussi à Malouet. Très bien accueilli d’abord en Angleterre, il avait, de 1792 à 1794, reçu les hommages dus à son caractère et à sa haute intelligence. Il y avait encore peu d’émigrés à Londres. À la fin de 1794, après les revers des Autrichiens, une véritable invasion des gentilshommes de l’armée de Condé eut lieu. Alors l’attaque générale contre les constitutionnels n’épargna même plus Malouet.

À cette époque, les distributeurs des fonds de secours accordés par le gouvernement anglais étaient l’évêque de Saint-Pol-de-Léon et le baron de Nanthia ; M. du Theil était le receveur. Ces trois personnages avaient ainsi un accès personnel auprès des ministres. Dieu sait l’usage qu’ils en faisaient ! Le baron de Nanthia, plus indiscret que les deux autres, disait confidentiellement : « Malouet cherche à s’accrocher, mais je viens de lui donner un coup d’épaule en dehors. D’après les opinions et la conduite de Malouet, les royalistes ne pourront jamais avoir confiance en lui. Les ministres m’ont demandé ce que je pensais des constitutionnels ; j’ai répondu : Ce sont des hommes parjures envers leurs commettans et filous envers le roi. Hier, heureusement, Rivière a reçu l’ordre de partir d’Angleterre ; je crois pouvoir assurer que Bertrand de Molleville va le suivre ; bientôt après lui Malouet s’en ira ; voilà donc le parti constitutionnel mis à bas. Il m’a fallu beaucoup d’adresse. »

Par sa haute situation, par ses services rendus, Malouet résistait aux attaques. De plus, grand propriétaire à Saint-Domingue, personne n’était plus à même que lui de donner, sur la valeur de cette nouvelle colonie anglaise, des renseignemens utiles.

Quoi qu’on pût faire, Bertrand de Molleville et Malouet furent épargnés. Quelques autres émigrés de marque, connus par leurs tendances libérales, tels que le prince de Poix, le marquis de Montciel, le comte de Croix et un petit nombre d’autres, furent aussi ménagés. Quant à Lameth, à M. de Lusignan, dès qu’ils parurent à Londres, ils furent obligés de déguerpir.

Ce fut bientôt le tour de Montlosier. Nous avons parlé des tracasseries qu’il avait dû subir à Bruxelles et à Coblentz. La continuité de ses relations affectueuses avec Lally, avec son amie la princesse d’Hénin, avec Malouet et tout le parti constitutionnel, appela sur lui l’attention. Il fut menacé de proscription. Ces tentatives devinrent si positives qu’il crut devoir s’en plaindre soit au comte de Provence, soit au comte d’Artois.

Après avoir consulté l’évêque d’Arras, qui avait sa confiance, le comte d’Artois fit à Montlosier cette réponse :


« Edimbourg, 15 septembre 1796.

« J’ai reçu, monsieur, la lettre que vous m’avez écrite le 31 août, et j’ai examiné les réflexions que vous a suggérées le bruit que vous m’apprenez qu’on a fait circuler à Londres et auquel vous paraissez attacher un grand intérêt. Je n’entrerai ici dans aucun détail à cet égard ; M. le duc d’Harcourt, qui vous remettra cette lettre, est chargé de vous faire connaître mon opinion sur cet incident. Soyez persuadé, monsieur, de mes sentimens pour vous.

« Signé : CHARLES-PHILIPPE. »


Montlosier recevait en même temps du duc d’Harcourt cette autre lettre intéressante :

« J’ai l’honneur de vous envoyer la réponse de Monsieur à la lettre que vous avez désiré que je lui fasse parvenir. Son altesse royale me l’a adressée à cachet volant dans l’intention que j’en prenne lecture. Monsieur ajoute dans la lettre dont il m’a honoré qu’il désire que tous les Français fidèles vivent plus que jamais dans la paix et dans l’union et réunissent tous leurs efforts pour le rétablissement de la monarchie, que tout ce qui tendrait à altérer cet esprit de concorde ne peut que lui être infiniment désagréable ; qu’il n’a jamais eu d’occasion de suspecter vos opinions ; mais que vous devez sentir qu’il ne peut intervenir dans des discussions aigries par des tiers et qu’il souhaite de voir ensevelies promptement dans le plus parfait oubli ; qu’au reste, il ne doit s’en rapporter sur cette affaire qu’à la réponse du roi à la lettre que vous avez écrite à sa majesté. »

La réponse du comte de Provence ne se fit pas attendre. Le ton en était pressenti par Montlosier. Du moment qu’elle était signée par d’Entraigues, elle devait être dure. Elle le fut. Nous en donnons quelques extraits :

« Conformément à vos intentions, monsieur le comte, j’ai remis au roi les lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser et que j’ai reçues depuis peu de jours seulement. Elles renferment des plaintes vagues et sont de nature à rester sans réponse. Telle a été celle que le roi m’a faite et que la confiance que vous me témoignez me fait un devoir de vous transmettre. Permettez-moi, monsieur le comte, d’y ajouter quelques réflexions. Envers tous ses sujets, quels qu’aient été leurs opinions, leur conduite, leurs écrits, soit dans le commencement de nos malheurs, soit durant le cours de leur trop longue durée, sa majesté ne croit pas qu’aucun émigré se montrant zélé pour ses intérêts, inséparables de ceux de la France, ou simplement menant une vie retirée, ait eu à se plaindre de lui. Peut-être auront-ils partagé avec le public le droit de porter un jugement sur les productions dont les principes leur paraissaient erronés ; mais ils savent que le roi ne souffrirait pas qu’ils fissent contre leurs auteurs mêmes aucune démarche contraire aux sentimens de clémence que sa majesté professe. »

Cette lettre mécontenta vivement Montlosier. À travers les formules de politesse, il fut clairement que ses opinions, soit sur la régence, soit sur les deux chambres, étaient blâmées, et quant aux sentimens de clémence envers lui, ils froissèrent à jamais sa nature violente, rude, mais loyale.

Une telle lettre ne pouvait rester ignorée des agens dont la réponse du roi justifiait la conduite. Elle devint le signal d’un nouveau déchaînement contre Malouet, Lally et Montlosier : déchaînement d’autant plus opportun, qu’on annonçait Mallet Du Pan. Il vivait auprès de Mounier à Berne. Une lettre du chevalier de Panat, janvier 1796, l’avait un instant détourné de la pensée de quitter la Suisse. « La folie est générale et incurable, lui écrivait-il ; combien vous vous trompez en croyant qu’il y a un peu de raison dans la cour du frère ! On ne peut former aucune espérance. Je vois souvent Montlosier, Malouet et Lally ; nous pleurons tant de fautes commises ; tant de malheurs en ont été la suite ! Nous cherchons un remède sans le découvrir ; combien vous nous manquez ! »

Le chevalier de Panat terminait par un mot célèbre, prononcé alors pour la première fois : « Personne n’est corrigé ; personne n’a su rien oublier, ni rien apprendre. » Mallet Du Pan hésitait donc ; les événemens allaient faire cesser ses hésitations. Nous avons dit que M. de Nanthia, l’évêque de Saint-Pol et M. du Theil avaient la distribution des fonds votés par le parlement en faveur des émigrés. Il était facile d’en détourner quelque chose au profit des bonnes doctrines. Ces messieurs jetèrent les yeux sur Pelletier.

Ce personnage avait jugé à propos de faire dresser par un ébéniste de Londres une petite guillotine en bois d’acajou. Il l’avait exposée moyennant un shilling pour les dernières places et une couronne pour les premières et avait inscrit en gros caractères à la porte de la baraque : Aujourd’hui on guillotine une oie, demain un canard. Ce Pelletier avait été présenté pendant la constituante à Montlosier par M. Régnier, conseiller à la cour des aides, comme un royaliste ardent, auteur du Domine salvum fac regem. On avait fait de temps en temps pour lui des collectes dans le côté droit. Il fut choisi par le comité de Londres pour être le héros de la guerre qu’on se proposait de livrer au parti constitutionnel. « Allons donc, Pelletier, lui avait dit M. du Theil, est-ce qu’un homme de votre mérite est fait pour se prostituer dans des exhibitions de guillotine ? C’est à vous qu’il convient de défendre les vrais principes de la monarchie. » Pelletier se trouva tout à coup converti et attendri, on lui envoya un saint prêtre, l’abbé Caron, qui le confessa, puis l’abbé Barruel qui le maria. Des fonds considérables furent faits pour sa femme, pour lui, pour ses futurs ouvrages. Il débuta par une proclamation où il se repentait d’avoir été entraîné trop longtemps par les mauvais systèmes des Lally, des Bergasse et des monarchiens. Désormais il abjurait ses anciennes et pernicieuses doctrines. Cette abjuration le fit fort applaudir des fanatiques. Le marquis de Sérent, avec qui Montlosier avait contracté une tendre liaison à la constituante, se trouva aussi entraîné dans cette latte. Un jour, en 89, dans la salle même de l’assemblée, il était allé trouver Montlosier à son banc et lui avait demandé ce qu’il voulait et où il allait. « Je veux l’honneur du roi et la liberté du pays, avait-il répondu. — Touchez là, Montlosier, dit le marquis de Sérent, je suis à vous et avec vous. »

À Londres, ils s’étaient rencontrés plusieurs fois, mais sans avoir pu causer. Rendez-vous fut pris pour déjeuner ensemble et s’entretenir des choses du temps. La nouvelle circula dans les salons. On chercha aussitôt à entraver leur conversation. Il y avait à peine une heure qu’ils étaient réunis qu’un premier messager survient et les interrompt. Aussitôt après en arrive un second, puis un troisième. Enfin le marquis de Sérent dut se rendre sur-le-champ pour affaire urgente chez l’évêque de Saint-Pol. Montlosier apprit bientôt qu’il était parti avec son frère pour la Vendée, où ils se firent tuer.

Une plus grande émotion vint encore agiter les petites cervelles de l’émigration. Mallet Du Pan allait enfin se fixer à Londres. Le gouvernement anglais, qui l’honorait, en avait prévenu les princes et leurs agens. Montlosier songea alors à saisir l’opinion publique. Sous le titre des Effets de la violence et de la modération dans les affaires de France, il publia trois lettres adressées à Malouet (août 1787). « J’ai beau être démocrate à Londres, écrivait-il, ce qui me donne peu de faveur, je n’en suis pas moins aristocrate à Paris, ce qui prouve que j’ai de la fortune. Vous, monsieur, que les difficultés ne rebutent pas, ne pourriez-vous pas trouver moyen de changer le chef-lieu de chacune de mes réputations, et au lieu d’être aristocrate à Paris et démocrate à Londres, que je fusse réputé aristocrate à Londres et démocrate à Paris… Au commencement de la révolution, on avait tort d’être modéré, et cependant nous étions forts. Aujourd’hui on n’a pas un homme, et on ne veut composer avec qui que ce soit. Ah ! que n’étiez-vous violens alors, ou que n’êtes-vous modérés aujourd’hui !.. Dans les premiers temps de la révolution, tous les honnêtes gens du royaume se fussent réunis à des mesures vigoureuses, si, dirigées seulement vers la conservation et vers la liberté, on ne leur avait pas laissé soupçonner d’autres intentions. J’admire l’obstination de ceux qu’on dit ne vouloir de la monarchie française que si elle leur restitue les mêmes places, les mêmes jouissances, les mêmes faveurs… » Tel était le ton de ces lettres ; bien loin de calmer les fureurs, elles les portèrent à l’extrême. Cazalès, qui ne désapprouvait pas au fond l’auteur, s’écria dans le salon de Burke : Je ne sais pas pourquoi Montlosier s’est mis à écrire sur la modération. C’est l’homme le plus violent que je connaisse. — Et Rivarol écrivit à l’un de ses amis, furieux contre cette publication : « Vous ne connaissez pas Montlosier ; il aime la sagesse avec folie et la modération avec transport. »


V.

Les esprits modérés et bien équilibrés n’auront jamais derrière eux une armée. Sauf quelques momens heureux, ils sont en politique condamnés à l’isolement. On parlait beaucoup dans le camp ennemi du comité constitutionnel de Berne et du comité constitutionnel de Londres. Le comité de Berne, c’était Mallet Du Pan ; le comité de Londres, c’était Malouet. Dans une lettre adressée à Mallet (8 mai 1796), Malouet appréciait le jour même de sa publication la brochure de Montlosier. « Nous sommes ici bien dispersés, nous sommes bien dépourvus de crédit, de moyens. Quelques conversations oiseuses qui n’aboutissent à rien, voilà tous mes travaux. Montlosier a voulu à toute force jeter une bombe ! Il vient de publier des lettres qu’il m’a adressées sur la modération dans les affaires de France. Il y a beaucoup d’esprit, de vues justes, de réflexions fines et quelques maladresses. D’Entraigues et Ferrand y sont fort mal traités. J’aurais voulu que ce qui les regarde fût moins amer sans être moins fort. »

À la suite de cette critique, Malouet, faisant allusion à une publication que préparait Mallet Du Pan, jetait en passant cette observation profonde : « On ne sait pas assez combien l’Angleterre, dans toutes ses entreprises contre la France, a été trompée par les Français. Ne croyez pas que ce soit le ministère qui ait projeté, combiné aucune de ces funestes opérations de l’intérieur ; toujours il a été provoqué, tourmenté, harcelé par vos faiseurs, et j’ai lieu de croire que le cabinet a cédé à regret en plus d’une occasion. »

On peut donc porter en toute sûreté de conscience un jugement sévère sur les menées de l’émigration. Mais les sottises n’eurent pas de fin.

Mallet Du Pan, qu’on redoutait de voir à Londres, n’y vint pas encore. Il envoya son fils dans les premiers mois de 1797, comptant sur ses amis pour lui procurer quelque emploi. Ce jeune homme eut à essuyer quelques bourrasques dans le salon de la princesse d’Hénin. Son père venait de publier la Lettre à un homme d’état. Tandis que les émigrés voyaient de plus en plus dans la marche des affaires en France la perspective de leur prochain retour, Mallet, mieux renseigné, parlait de l’avenir en esprit éclairé. On ne le lui pardonnait pas. Il restait aux royalistes exaltés une dernière illusion à se faire : ils voulurent absolument que Bonaparte fût un général Monk, ne cherchant à garder le pouvoir que pour le restituer au roi légitime.

Mallet Du Pan devait leur enlever encore cette espérance dans ses derniers écrits. Il quitta définitivement la Suisse avant qu’elle eût été envahie par les armées de la république. Il fut obligé de s’installer à Londres chez M. Reeves, qui venait de publier, sous le titre de Pensées sur le gouvernement, un pamphlet contre les institutions de son pays. Ce pamphlet avait été dénoncé au parlement, et l’auteur avait été poursuivi et condamné. Mallet demeura plus d’un mois dans sa maison. À coup sûr, de pareilles précautions ne pouvaient pas modifier les vues politiques d’un homme aussi arrêté et aussi sagace que Mallet Du Pan, mais elles indiquaient bien le degré d’aveuglement et de passion de tout un parti. On avait donc songé à lui préparer malgré lui un logement. Au bout d’un mois, Mallet Du Pan, averti, put abandonner M. Reeves.

Nous avons, dans cette étude toute politique, donné peu de place à la vie privée de Montlosier. Pour abattre cette nature vaillante et pleine de verve, il fallait des douleurs exceptionnelles. Elles ne lui manquèrent pas. Dans l’expédition de Saint-Domingue, il perdit à la fois son frère et son neveu, pour lesquels il avait obtenu un grade. Sa meilleure amie vint en même temps à disparaître. « Je ne m’aimais plus dès lors assez, écrit-il, pour faire attention à moi. » Une crise survint, elle fut terrible. Sa vigoureuse constitution d’Auvergnat triompha de tout, même du spleen. Plusieurs de ses amis, le chevalier de Panat, l’archevêque de Tours, M. de Bonnal, n’y avaient pas échappé. Malouet n’avait pu s’en guérir que par un voyage sur le continent. L’argent à un jour donné allait manquer complètement à Montlosier. Il songea à créer un journal. La princesse d’Hénin lui envoya 30 guinées. C’était peu de chose pour commencer la publication d’une feuille périodique. Il l’entreprit néanmoins sous le titre de Journal de France et d’Angleterre. Malgré les efforts de Malouet, de Lally et de quelques amis, on ne fit pas les frais.

Montlosier avisa alors le Courrier de Londres pour en faire l’organe du parti royaliste libéral. Un moment rédigée par Brissot, cette feuille avait eu un grand succès sous le nom de Courrier de l’Europe. Continuée depuis sous le titre de Courrier de Londres, elle était dans les mains de l’abbé de Calonne et menaçait de tomber tout à fait.

C’était un singulier homme que cet abbé. Le récit qu’a laissé Montlosier de leurs rapports est des plus piquans. L’abbé arrive un matin chez lui : « Vous pouvez bien avoir des préventions contre moi, lui dit-il, je conviens qu’à Coblentz, si j’avais été le maître, je vous aurais fait jeter dans le Rhin. J’avais alors contre vous et contre vos deux chambres une irritation que je ne puis pas encore me définir ; je suis bien revenu aujourd’hui de ces préventions, et puisqu’on m’a dit que vous aviez quelque envie de travailler au Courrier de Londres, je viens vous témoigner le désir que j’ai de vous avoir pour collaborateur. Mon frère vous fait les mêmes propositions que moi. » Après cette ouverture, Montlosier alla de son côté rendre visite à l’abbé. Il le trouva à genoux devant un reliquaire éclairé par des cierges. « Hélas ! lui dit-il, je suis un pauvre misérable qui me suis assez mal conduit toute ma vie, et qui actuellement dois faire pénitence. » Il lui nomma les saints dont il avait les reliques.

Malgré ces pratiques, il n’en continuait pas moins à Londres les habitudes d’un abbé du XVIIIe siècle. Au bout de peu de jours, il jugea à propos de se retirer au Canada. Le Courrier de Londres resta alors à Montlosier avec le tiers de la propriété et des frais de rédaction qui s’élevaient à 200 louis. Le baron de Montalembert vint un matin lui en avancer la moitié. Soutenu ainsi par l’amitié, Montlosier se créa des relations et des correspondances dans toute l’Europe. Il put en nouer même à Paris. Le Courrier de Londres acquit une importance considérable.


VI.

Depuis la déclaration de guerre par la convention, le cabinet anglais s’était efforcé de renouer les nœuds de la coalition entre la Prusse et l’Autriche. Un traité d’alliance avait été conclu avec l’impératrice de Russie, des subsides accordés au roi de Sardaigne. L’héroïsme des armées françaises grandissait à mesure que la lutte sanglante et ruineuse se prolongeait. Le cabinet de Saint-James avait une autre tâche non moins difficile à remplir, celle de justifier la guerre devant l’opposition des deux chambres. Les ministres triomphaient dans le parlement. Cependant les difficultés suscitées entre les trois cours intéressées par le partage de la Pologne avaient déterminé le roi de Prusse à conclure la paix avec la France. Le traité de Bâle avait été signé. La cour de Vienne devenait dès lors le centre des opérations diplomatiques de Pitt.

Après l’insuccès de Quiberon, les cabinets étrangers étaient convaincus que les royalistes en France et hors de France ne pouvaient plus leur apporter que des ressources précaires et inefficaces. La paix avec l’Espagne vint consommer, pour ainsi dire, la ruine de la cause royale. La Russie, l’Angleterre et l’Autriche restaient encore debout. Les trois puissances venaient de signer, le 28 octobre 1795, le traité de la triple alliance, lorsque George III ouvrit en personne le parlement. Il fut assailli par des émeutiers aux cris : « Du pain ! du pain ! » Pour la première fois, l’opinion publique manifestait une lassitude. La république française venait de se reconstituer sous une nouvelle forme. Le gouvernement du directoire était de ceux avec lesquels on pouvait négocier. Si la paix ne se fit pas dès 1796, les Mémoires de Malmesbury témoignent du moins de la sincérité des dispositions pacifiques de Pitt.

C’est à ce moment que Montlosier prit définitivement seul la rédaction du Courrier de Londres. Il n’entra jamais, suivant la remarque d’un des hommes qui l’ont le mieux connu, en communication sympathique et directe avec le caractère anglais. Si l’indépendance de son jugement, la rudesse de sa verve, l’isolèrent, cette originalité donna de l’éclat à sa polémique. À chaque numéro du Courrier qui déplaisait, les rancunes se ravivaient. On lui fit d’abord des menaces ; elles eurent peu de succès. Enfin on imagina de répandre le bruit que l’ordre de son renvoi d’Angleterre avait été arrêté en conseil des ministres.

Il écrivit aussitôt à M. Wickam, chargé particulièrement de tout ce qui concernait l’exécution de l’Alien-Bill. Il le vit le lendemain, et reçut de sa bouche l’assurance que ces bruits n’avaient aucun fondement. M. Wickam se montra attristé de l’esprit de tracasserie qui se montrait parmi les émigrés. C’était le baron de Roll, un des amis du comte d’Artois, qui avait répandu ces fausses nouvelles. Montlosier le sut et provoqua immédiatement l’auteur ; l’affaire s’arrangea, grâce à l’entremise du comte de Béhague et du comte Étienne de Durfort.

L’un des esprits les plus élevés du cabinet britannique, M. Wyndham, qui lisait régulièrement le Courrier de Londres, manifesta alors le désir de causer avec Montlosier sur les affaires de France. Ce fut dans le salon de lady Creeve que l’entrevue eut lieu ; la conversation prit un ton cassant et brusque : « Monsieur de Montlosier, demanda lady Creeve, vous êtes bien pressé, j’en suis sûr, de voir vos princes en France. — Oui, madame, mais avec une représentation nationale. — Vous pensez bien que la monarchie est le seul gouvernement qui convienne à la France ? — Oui, madame, mais avec les libertés publiques. »

Cette conversation frappa vivement l’attention de M. Wyndham. Elle fit grand tapage. Malouet, étant venu sur ces entrefaites rendre visite à Montlosier, commença par rire de sa franchise ; mais au fond il restait inquiet.

Tout entier à la direction de son journal, Montlosier suivait avec assiduité les séances du parlement. Sans être lié avec les chefs de l’opposition, il les connut ; Fox surtout. Il ne pouvait, du reste, y avoir de vive sympathie entre ces deux caractères ; Fox était réduit par les événemens à une tâche très délicate. Si Montlosier avait fortement blâmé comme lui la proclamation de Brunswick rédigée par M. de Limon, il ne pardonnait pas à la grande âme libérale de Fox de continuer de défendre la révolution. Depuis la guerre, Fox voyait fuir toutes ses anciennes amitiés et sa popularité ; il le sentait et il souffrait. Néanmoins sa politique pacifique venait d’obtenir un succès inattendu. Le discours du parlement (1798) annonçait que des négociations venaient d’être renouées avec le directoire. La stupeur des émigrés dépassa les bornes. Montlosier étant devenu une puissance avec son journal, l’évêque d’Arras le fit prier de passer chez lui. Il lui montra son effroi de ces apparences de paix, la république consolidée, les espérances de l’émigration anéanties. Montlosier, en homme avisé, ne croyait pas au succès des démarches de Malmesbury, mais par d’autres raisons que celles données par les émigrés. Avec la politique du directoire, la paix lui paraissait aussi ruineuse que la guerre pour les finances anglaises. La propagande des idées étant une des conditions de stabilité pour les résultats sociaux de la révolution, l’Angleterre ne pouvait désarmer, et son commerce, dans l’état où se trouvait le continent, ne pouvait compter sur une extension.

— « À merveille, dit l’évêque d’Arras ; j’ai rencontré l’autre jour Cazalès. Au lieu de me donner des raisons, il m’a lancé des injures. — Cazalès était un homme de premier ordre. Ni l’émigration, ni les conseillers des princes n’avaient su ni l’apprécier ni l’employer. — Laissons là Cazalès, reprit l’évêque d’Arras ; faites-moi le plaisir de mettre par écrit ce que vous venez de me dire, afin que je le présente à M. le comte d’Artois. Je pense aussi que vous voudrez bien en insérer quelque chose dans le Courtier de Londres. »

Le lendemain Montlosier envoya la note qui lui était demandée et inséra dans son journal un article qui la reproduisait en partie. Nous savons que les propositions de paix n’aboutirent pas. La perspicacité dont le Courrier de Londres avait fait preuve avait valu pour quelques jours à Montlosier des faveurs. À la suite d’une opération douloureuse, ses amis avaient été inquiets de sa santé. Le comte d’Artois envoya savoir de ses nouvelles. Après sa convalescence, Montlosier fit demander la permission d’aller lui porter ses remercîmens. Admis à une audience, avec beaucoup d’autres Français, il reçut du comte d’Artois cette apostrophe : « Eh bien ! monsieur de Montlosier, votre journal ? il y a quelquefois bien des sottises. » Montlosier n’était jamais à court de riposte : « Monseigneur, j’en entends si souvent qu’il est bien possible qu’il m’en échappe aussi quelqu’une. » Ils ne se revirent plus. Du reste le Courrier de Londres, à propos d’une motion du général Fitz-Patrick au parlement, s’étant montré favorable à la mise en liberté de La Fayette, il n’en avait pas fallu davantage pour réveiller toutes les vieilles rancunes du monde qui entourait les princes.

Résolu de plus en plus à vivre loin des coteries, Montlosier donnait au travail toute sa journée. Quand le Courrier de Londres ne suffisait pas, il écrivait son livre des Mystères de la vie humaine. Imagination étrange et mêlée d’élémens disparates, ayant immensément lu sans avoir mis de méthode dans ses lectures, Montlosier étudiait avec passion le magnétisme animal. Il se hasardait de causer du mesmerisme avec ses amis ; mais il n’y avait guère que Malouet qui eût la bonté de l’écouter sérieusement. Son originalité le faisait fort rechercher. La majeure partie de ses soirées se passait chez la princesse d’Hénin avec Lally, mais il s’était créé des amitiés nouvelles et en première ligne avec Chateaubriand. Lorsqu’il publia son Essai sur les révolutions, Montlosier s’empressa d’en rendre compte. Il le fit avec bienveillance et justice. Une visite de remercîment les lia, et ils se retrouvèrent chez Mme Lindsay.

Ce n’était déjà plus le Chateaubriand des premiers jours de l’émigration, celui qui avait aimé Charlotte Yves, celui qui s’enfermait la nuit dans l’abbaye de Westminster pour mieux rêver aux illustres morts. Il séduisit Montlosier. Ils dînaient ensemble tous les mercredis ; le chevalier de Panat et Christian de Lamoignon étaient des convives. En été, on allait dans quelque taverne solitaire, à Chelsea, sur la Tamise ; on parlait de Milton et de Shakspeare. « Nous rentrions de nuit à Londres aux rayons défaillais des étoiles, submergées l’une après l’autre dans les brouillards de la ville. » — Dans la mauvaise saison, c’était Montlosier qui offrait l’hospitalité ; sa maison était tenue par deux sœurs, dont l’une, la plus jeune, était petite et bossue, l’aînée était hideuse, ce qui faisait dire au chevalier de Panat : « Il faut que Montlosier soit un prince enchanté, car il est gardé par deux monstres. » Le samedi, on allait en affluence chez Chateaubriand, qui offrait du punch. Il donna un soir lecture d’Atala.

Avec son âme remplie encore des souvenirs des solitudes américaines, avec son imagination plus grandiose qu’aimable, il sortait à première vue du ton et du cadre français. Les femmes, dans l’auditoire, portèrent un jugement plus rigoureux que les hommes. Malgré toutes les critiques, on fut enlevé, entraîné malgré soi, par je ne sais quel charme ascendant et troublant. On sentait, pour parler avec le poète, que la flamme divine avait passé par les lèvres de Chactas et l’on emportait avec soi la flèche empoisonnée.

Parmi les auditeurs du samedi, quel ne fut pas l’étonnement de Montlosier de rencontrer l’abbé Delille ? Il l’avait beaucoup vu, beaucoup connu, il savait son origine. Tous les deux étaient de la même province. Delille, nous apprennent les papiers de Montlosier, était né non à Chanonat, mais dans une maison de campagne près de Pontgibaud. Sa famille maternelle avait gardé sur son origine le plus profond silence. Montlosier avait à peine dix-huit ans, qu’invité à une petite fête dans la vallée de Royat, il s’y trouva avec une demoiselle de cinquante ans et fort aimable. Un beau jour, elle disparaît, et l’on apprend qu’elle est à Paris et qu’elle s’y présente sous le nom de Mme Delille, mère de l’abbé Delille.

« Pendant quelque temps, raconte Montlosier, tout fut extrêmement tendre entre la mère et le fils. Bientôt ils se brouillèrent et se séparèrent. Quand je vis quelque temps après l’abbé Delille à Clermont, il se plaignait beaucoup de sa mère, qui à son tour se plaignait beaucoup de lui. Il m’aimait assez alors, parce que je savais par cœur toutes ses Géorgiques. À un autre voyage, il m’aima davantage parce que je savais son poème des Jardins.

« Il avait fait connaissance avec le comte de Choiseul-Gouffier et s’était lié avec lui ; comme il montrait un grand désir de voir la Grèce, M. de Choiseul-Gouffier le mena à Constantinople, où il venait d’être nommé ambassadeur.

« Au bout de quelque temps ils se séparèrent ; au retour, l’abbé Delille, traversant Stuttgart, se lia avec une demoiselle qui se trouvait avoir la plus belle voix du monde. Il l’amena avec lui à Paris et en fit sa nièce. Nous vîmes ensuite cette nièce en Auvergne, tout étonnés de cette parenté nouvelle sur la nature de laquelle personne de nous ne pouvait se méprendre. Les états-généraux ayant été convoqués et les événemens de juillet étant survenus, on pouvait facilement être effrayé ; l’abbé Delille le fut par-dessus tout. Je le rencontrai un jour aux Tuileries ; il n’osait ni proférer un mot, ni lever les yeux sur moi. Il regardait de tous côtés pour voir si on l’observait et si on l’apercevait. Au 18 fructidor, les forces lui revinrent. Il eut le courage de fuir. Il se rendit en Suisse ; de là, il écrivit à M. le comte d’Artois, qui l’avait toujours protégé. Les agens des princes virent dans la célébrité de l’abbé Delille une espérance d’appui pour le système absolu et pour leur haine contre le parti monarchien. Il écrivit contre nous, qu’on regardait comme les coryphées du parti, des lettres désobligeantes. Il avait rencontré Rivarol à Hambourg ; depuis longtemps Delille et lui étaient brouillés, ils se raccommodèrent. Dans cette entrevue, l’abbé ; Delille, qui s’était mis à lui dire des choses aimables, finit par ce vers connu :

Je t’aime, je l’avoue, et je ne te crains pas.


Un homme d’esprit qui était présent fit cette variante :

« Je te crains, je l’avoue, et je ne t’aime pas. »


Voilà donc l’abbé Delille en Angleterre. Il rendit d’abord visite à Malouet, qui le reçut fort bien, puis à Montlosier, qui lui fit des reproches. Les lettres désobligeantes dont nous avons parlé lui avaient été envoyées de Londres. Delille du moins s’excusait ainsi. Il parla de Rivarol. « Il a plus d’esprit que moi, dit-il, mais je rime mieux l’alexandrin. » C’était sa consolation pour les blessures de son amour-propre.

On se rencontrait souvent soit chez Malouet, soit dans la chambre de Chateaubriand le jour des lectures. Ici se place une aventure connue, mais que nous trouvons avec des détails amusans dans les papiers de Montlosier.

La lecture de Chateaubriand avait commencé ; ce jour-là elle devait être plus importante. On s’aperçut que l’abbé Delille manquait. Après l’avoir attendu quelque temps, on pria Malouet d’aller chez lui. Il demeurait dans le voisinage. Lally se joignit à Malouet. Ils trouvèrent l’abbé Delille au lit. — « Au lit, mon ami ! vous êtes donc malade ? — Non pas, » répondit-il. En même temps il jetait sur Mlle Vaudechamp, la personne qu’il avait amenée de Stuttgart, des regards significatifs.

Pour comprendre cette scène, dont Malouet raconta ensuite à Montlosier les détails, il faut savoir quelle était la situation de l’abbé.

MM. Giguet et Michaud, libraires à Paris, avaient chargé Montlosier de traiter en leur nom avec l’abbé Delille pour tous ses ouvrages. La position de Montlosier n’était pas commode pour un négociateur. Il n’avait et ne voulait avoir avec Delille aucune intimité. Il voulait encore moins en avoir avec Mlle Vaudechamp, dont l’abbé venait de faire sa femme. Nièce ou femme, elle était mal élevée[2]. Michaud, comprenant la difficulté que rencontrerait Montlosier, trouva un autre intermédiaire. L’affaire fut conclue au prix de 6 francs par vers et 30 sous pour Mlle Vaudechamp. L’abbé, qui était un véritable enfant, en avait quelquefois l’activité et quelquefois la paresse. Tant que sa femme avait été sa nièce, elle le ménageait un peu ; quand ils furent mariés, elle le mena durement. On sait qu’un jour, lui ayant jeté à la tête un gros volume in-4o, Delille le ramassa et lui dit : « Madame, ne pourriez-vous pas vous contenter d’un in-8o ? » Elle avait fini par lui imposer une tâche. L’abbé, qui travaillait tous les matins dans son lit, devait avant de se lever avoir fait trente vers, et pour s’en assurer Mlle Vaudechamp prenait la précaution suivante : il y a un certain habillement que les Français ont appelé grossièrement culotte, mais que les dames anglaises appellent le petit vêtement, small cloth. Quand l’abbé avait fait ponctuellement sa tâche du matin, on lui apportait son petit vêtement et il pouvait se lever ; sinon, non.

Ce matin-là précisément l’abbé n’avait pas travaillé ; de plus il avait eu de l’humeur toute la journée ; partant, plus de petit vêtement : il était enfermé dans une armoire. Malouet arriva vers huit heures du soir et demanda grâce. On donna la culotte, et Delille put se lever et rejoindre ses amis[3].


VII.

Un changement venait encore de s’opérer en France. Bonaparte était devenu premier consul. La guerre à outrance amenait le despotisme militaire et la défiance de la liberté. Encore une fois le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire allaient être absorbés par l’exécutif. Pitt était à bout de forces ; son pays, après avoir traversé la crise monétaire et les révoltes de la flotte à Portsmouth et à Sheerness, finissait par rester seul dans la lutte. La victoire de Marengo et le traité de Lunéville laissaient en effet l’Angleterre sans un allié de quelque importance sur le continent européen. Après dix-sept ans de ministère, Pitt songeait à se retirer. La haute émigration, de son côté, voyant le despotisme s’établir en France, était désireuse de rentrer et de revendiquer ses biens confisqués.

Déjà, pendant le directoire, lorsqu’on avait cru apercevoir quelque adoucissement dans les mesures de rigueur contre les émigrés, plusieurs d’entre eux avaient cherché à négocier leur rapatriement. Malouet avait engagé ceux auxquels il s’intéressait et qui pouvaient compter sur des protections à faire des démarches. C’était difficile des deux côtés. À Londres, on cherchait à rendre suspects au gouvernement les émigrés qui demandaient des passeports ; la secrétairerie d’état n’en accordait que sur la demande de l’évêque d’Arras, accrédité comme ministre des princes. Malouet raconte que MM. de La Tour du Pin et Gilbert des Voisins, ayant demandé leurs passeports au ministère anglais, furent renvoyés à l’évêque d’Arras. Comme ils ne le connaissaient pas, ils s’adressèrent à Malouet. Il alla avec eux trouver l’évêque, et lui dit que ces messieurs, qui voulaient quitter Londres, avaient été étonnés d’apprendre que son consentement était nécessaire. L’évêque, sentant bien que ces prétentions ne pouvaient se soutenir, déclama contre le découragement des émigrés qui n’avaient pas la patience d’attendre la contre-révolution. « Quelle différence de rentrer dans votre pays en proscrits ou d’y rentrer triomphans ! Vous, monsieur de Gilbert, vous renoncez donc à occuper au parlement la charge de monsieur votre père ? car ce n’est pas d’un émigré apostat qu’on fera jamais un président à moutier. »

Qu’on lise dans les Mémoires de Malouet cette conversation, et l’on verra quels étaient, même en 1800, les projets, les combinaisons de ceux qui attaquaient avec acharnement les constitutionnels.

Mallet Du Pan vivait en Angleterre depuis 1799, il avait fondé le Mercure britannique ; il comprit que ses amis eux-mêmes étaient las de l’exil. Si longtemps d’accord avec eux sur l’appréciation de la révolution et sur les moyens à lui opposer, il les voyait, découragés par la calomnie, réduire insensiblement leur espoir à une organisation nouvelle de la France qui leur offrît une ombre de repos et quelques débris de leurs propriétés. Les constitutionnels se rapprochaient chaque jour des whigs et voulaient comme eux la paix.

En même temps que Mallet Du Pan s’isolait ainsi de ceux qui jusqu’à cette heure avaient reçu ses conseils, il nous apprend que depuis le 18 brumaire les royalistes exaltés et le comte de Provence lui-même ne voulaient absolument voir dans le vainqueur du directoire que le mandataire du roi légitime lui préparant sa rentrée à Paris. Voilà ce qui se répétait dans les allées des parcs et dans les salons du quartier de l’Ouest. Était-ce illusion sincère ? N’était-ce pas plutôt chez quelques émigrés une sorte de justification de leur future conduite ? Le plus excédé de l’Angleterre, parmi eux, était Cazalès. Il laissa jusqu’au dernier jour aux hommes distingués qui l’approchèrent une impression ineffaçable.

Les papiers de Montlosier le font bien connaître. « J’avais une telle idée de Cazalès et de tout ce qu’il y avait en lui de trésors à son insu même, que, s’il m’avait dit : Montlosier, veux-tu venir avec moi en Vendée ? je serai le premier, tu seras le second, — je l’aurais accepté à l’instant même. Je lui aurais peut-être demandé à connaître ses pleins pouvoirs ; s’il m’avait répondu : Je n’en ai pas, je les prendrai, — je l’aurais suivi tout de même, tant j’avais de confiance en ce qu’il y avait en lui de fécondité, d’habileté et d’énergie. »

Jamais Cazalès n’avait voulu entrer dans aucun détail sur les folies des royalistes. Il se contentait de hausser les épaules. Quoiqu’il n’appartint pas aux idées de la monarchie constitutionnelle, il traitait fort bien Malouet et Montlosier. Il détestait Lally, mais sa bête noire c’était Rivarol. Malouet avait été le témoin d’une scène vraiment étrange dont nous avons le récit.

Le lord-maire, à son dîner d’installation, avait invité les hauts personnages étrangers. Malouet se trouvait placé à table entre Cazalès et Rivarol et faisait la conversation tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre. Quand il parlait à Rivarol, Cazalès, à qui cela déplaisait, retournait Malouet de son côté : « Comment, vous parlez à ce drôle-là ! il est bien étonnant que le lord-maire ait admis un tel homme ici ! » Rivarol, s’apercevant que Malouet parlait à Cazalès, le retournait à son tour de son côté : « Comment, vous parlez à Cazalès ? Cet homme a quelques fumées dans le ventre, mais pas une idée dans la tête. » — Malouet faisait tout ce qu’il pouvait pour les apaiser successivement : « Monsieur de Rivarol, vous ne rendez pas justice à Cazalès, c’est un homme plein de talent et d’énergie. — Allons donc, lui répondait Rivarol, un vase à digestion, voilà tout. » — Se retournant ensuite vers Cazalès, Malouet lui disait : « Vous n’appréciez pas convenablement Rivarol, il a quelquefois des traits de génie. Vous ne contesterez pas au moins qu’il a de l’esprit. — Oui, reprenait Cazalès, comme un garçon perruquier. » Tout le dîner se passa ainsi.

Montlosier faillit perdre cependant l’amitié précieuse de Cazalès. Mme de Bonneuil était venue, à travers beaucoup de dangers, le rejoindre à Londres. Elle appartenait à la famille d’Espréménil et était connue intimement de Montlosier. La familiarité établie entre eux porta ombrage à Cazalès ; il le fit sentir à son ami, qui cessa aussitôt de voir Mme de Bonneuil, préférant sauvegarder son amitié. Cazalès, comme nous l’avons dit, avait résolu de rentrer en France. Il écrivit à Fouché, qu’il connaissait. Dès qu’il eut reçu une réponse favorable, il alla en prévenir lord Liverpool, qui l’entretint de son entrée prochaine au ministère. Montlosier, quand il apprit ces détails, témoigna sa surprise à Cazalès de ses relations avec Fouché : « Bah ! lui répondit-il, voilà comme vous êtes, vous autres ! Fouché est aujourd’hui le seul homme en France. On ne peut plus rien faire qu’avec lui et par lui. » Cazalès était décidément bien dégrisé. Mallet Du Pan, qui se défiait plus que jamais de Bonaparte, mourait au contraire de consomption et de travail à Richmond, dans les bras de Lally.

Chateaubriand, voyant sa petite société se dissoudre, obtenait un passeport du ministre de Prusse, sous le nom de Lassagne, habitant de Neufchâtel, et accompagnait Mme d’Aguesseau. Il avait voulu, avant de quitter l’Angleterre, voir George III et avait obtenu, pour quelques shillings, du concierge de Windsor qu’il le cachât quand le roi passerait. « Le monarque en cheveux blancs et aveugle parut, errant comme le roi Lear dans ses palais et tâtonnant avec ses mains les murs des salles. Il s’assit devant un piano dont il connaissait la place et joua quelques morceaux d’une sonate de Haendel. »

Les évêques émigrés étaient divisés sur la soumission au gouvernement consulaire. On n’a qu’à consulter les Mémoires de l’abbé Grégoire. Lally adressa au Courrier de Londres sur cette question quatre lettres dans lesquelles on rencontre des indications utiles à recueillir.

Montlosier, qui avait vu de près tout le haut clergé, ne gardait pas une opinion favorable de l’évêque de Saint-Pol-de-Léon, qui, au milieu de ses dépêches aux chouans, s’interrompait pour lire son bréviaire ; ni de l’archevêque de Narbonne, qui avait une telle antipathie contre Necker qu’un jour, un prêtre ayant parlé de Dunkerque, il s’enfuit à toutes jambes croyant qu’on avait prononcé le nom du ministre ; ni de l’archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé, qui, dans ses projets de restauration, pensait qu’on devait commencer par la restitution des biens ecclésiastiques. Son collègue, l’archevêque d’Aix, Boisgelin, d’une âme plus douce, ne pouvait cependant ni le voir ni même se trouver à côté de lui. Un jour, à une cérémonie funèbre, s’apercevant que Mgr de Bordeaux était présent, il s’était levé précipitamment au milieu de l’église pour le laisser seul.

Pendant la durée des négociations du concordat, l’hésitation continua. On peut consulter utilement, sur ce point de l’histoire ecclésiastique, le Mémoire des évêques résidant à Londres, qui parut en 1802. Nous revenons à Montlosier. Il accepta une mission dont l’objet était de proposer à Bonaparte une souveraineté en Italie, s’il voulait favoriser le rétablissement des Bourbons. Ce n’était sans doute qu’un prétexte pour approcher le premier consul.

Arrêté à Calais, conduit à Paris, enfermé au Temple, d’où Fouché le fit sortir au bout de trente-six heures, il reçut l’ordre de retourner sous dix jours en Angleterre et de ne plus s’occuper de sa négociation. Pendant ce court séjour à Paris, Talleyrand, devenu ministre des affaires étrangères, le reçut plusieurs fois, lui exposa la politique du premier consul, ses intentions de rendre aux émigrés leurs biens non vendus et de rétablir l’église catholique.

Montlosier était de plus en plus exaspéré des injustices et des fautes de l’émigration. Il avait revu la patrie et ne voulait plus désormais vivre loin d’elle. Il revint donc en Angleterre avec le ferme désir de ne plus y résider que quelques semaines. L’esprit et le ton du Courrier de Londres se modifièrent. Quel ne fut pas l’étonnement des royalistes lorsque dans le numéro du 6 juillet on lut la phrase suivante : « Toute la France civile et politique est aujourd’hui dans un seul homme. Quelles que soient nos prétentions publiques ou nos vœux secrets, c’est d’un homme qu’il faut tout attendre ; c’est à un homme qu’il faut tout demander. »

La situation de Montlosier devenait intolérable. Il contrariait à la fois la politique du gouvernement anglais et rompait violemment avec l’émigration. Il obtint sa radiation de la liste des émigrés et vint en 1801 établir son journal à Paris. Une transformation rapide et absolue des mœurs, des conditions, des usages s’était opérée. Une société entièrement nouvelle grandissait ; en quelques années,. le vieux monde avait disparu.


A. BARDOUX.

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1874.
  2. C’était d’elle que Rivarol, mécontent de ses manières, avait dit : « L’abbé, puisque vous avez le droit de vous choisir une nièce, vous auriez dû la choisir plus polie. »
  3. Delille partit bientôt après pour Paris, fatigué qu’il était du séjour de Londres. Le libraire Bossange, qui vint vers ce temps-là passer quelques jours en Angleterre, le ramena en France.