Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 54

Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 455-457).


XXII.

JALOUSIE.


Lionel trouva en rentrant au logis ce que M. Dulac lui avait préparé, c’est-à-dire une très-jolie petite scène de jalousie. Madame de Marny était tout en larmes ; elle éclata en reproches. Son mari lui dit qu’elle était folle… Enfin tout se passa dans l’ordre. Mais je n’entretiendrai pas le lecteur de ce qu’il a déjà subi par lui-même certainement plus d’une fois. Il n’est point de femme si belle qui n’ait été jalouse ; point d’homme si laid qui n’ait mérité un reproche. Or, comme rien n’est plus facile à se figurer, à se rappeler qu’une scène de jalousie, je m’épargnerai le récit de celle qui accueillit Lionel à son retour.

N’ayant point de bonnes raisons à donner à sa femme, dont le désespoir l’inquiétait, Lionel eut recours à une ruse pour détourner les idées de Clémentine en les fixant sur un autre objet.

— Vous êtes bien naïve, ma chère, de ne pas deviner la perfidie de Dulac. Ne voyez-vous pas que depuis trois mois il feint d’être occupé de vous, et maintenant il m’accuse de vous tromper ? Afin d’être mieux accueilli, il vous arrange des chagrins de ménage pour se préparer à vous consoler. Je ne comprends pas qu’avec votre esprit, vous puissiez être dupe de ce manège et le servir.

Lionel s’éloigna en disant ces mots, et laissa Clémentine méditer sur cette nouvelle idée.

Elle en fut d’abord étourdie, et puis se calma ; mais ce repos fut factice : d’ailleurs, madame d’Auray ne tarda pas à venir confirmer les rapports de M. Dulac.

— Je ne vous demande pas des nouvelles de votre mari, dit-elle, je sais qu’il se porte à merveille, je l’ai rencontré hier chez madame de Pontanges.

Et la pauvre Clémentine retombait dans ses angoisses, et Lionel, la retrouvant toujours en larmes, se fâchait.

C’était cruel d’essuyer des querelles de jalousie pour une femme qui ne vous aimait pas, de voir son bonheur domestique troublé et de n’être pas heureux ailleurs.

Tout allait bien ; M. Dulac travaillait de son côté.

— Je vous admire, dit-il un soir à madame de Pontanges, vous êtes de première force ! C’est une belle vengeance. Elle en mourra, la pauvre femme, et lui en deviendra fou.

— Que voulez-vous dire ?

— Que Marny vous aime plus que jamais et que sa femme est horriblement jalouse ; que tout cela vous amuse et que vous avez raison de vous venger ainsi.

— Quelle horreur ! je n’y ai jamais songé. Moi, troubler le repos d’une pauvre jeune femme qui ne m’a jamais fait de mal ! lui enlever son mari ! Oh ! ce serait infâme… Vous ne me connaissez pas.

— Vous n’aimez donc plus Lionel ? Je croyais que vous l’aimiez encore, vous êtes si triste depuis quelques jours…

— Moi ! je ne veux plus l’aimer.

— Pourquoi ?

— Je vous le dis, parce que je ne pourrais encourager son amour sans commettre une méchante action.

— Alors on n’aimerait jamais personne, en vérité. Vous l’avez renvoyé il y a deux ans parce que vous étiez mariée, et maintenant vous le renvoyez parce qu’il est marié ; je vois que vous êtes toujours la même : vous êtes d’une bonté incorrigible. N’est-ce pas aussi la crainte de faire pleurer lady Suzanne qui vous fait refuser votre cousin ?

— Vous riez toujours… je ne plaisante plus. Dites-moi, comment puis-je rassurer madame de Marny ? Vous la connaissez, dites-lui…

— Vous avez un moyen de vous tirer d’embarras, si réellement vous êtes de bonne foi dans la résolution de renoncer à Lionel.

— Lequel ?

— Vous rapprocher de sa femme.

— J’y ai déjà pensé. Je voulais la prier au bal chez moi samedi.

— Quoi ! cette idée vous est venue aussi ?

— Oui, mais c’est contre moi que je l’avais trouvée. Il me semble qu’en les voyant ensemble, je me désenchanterai plus vite ; je le découragerai, lui ; et moi, je m’engagerai, car du jour où j’aurai serré la main de sa femme, je ne pourrai plus…

— Ne craignez-vous pas que Lionel ne s’y trompe, qu’il ne voie au contraire dans cette liaison qu’un moyen de le rencontrer plus souvent, de mieux cacher une intrigue ?

— Ah ! Lionel sait bien que je suis incapable d’une telle bassesse !

— Cela se voit tous les jours cependant.

— Oui, mais je n’ai pas peur qu’il me soupçonne d’avoir eu cette idée. Rassurez sa femme, je vous prie, et chargez-vous de lui faire accepter cette invitation.