Monrose ou le Libertin par fatalité/IV/11

Lécrivain et Briard (p. 58-62).
Quatrième partie, chapitre XI


CHAPITRE XI

OÙ L’ON VOIT UN PEU PLUS CLAIR. MONROSE
CONTINUE


« — Eh bien ! petit homme ! me dit alors mistress Brumoore, suis-je aussi diable qu’on le dirait ? — Excellente Sara ! vous avez juré de ne parler de rien ? — Je ferai mieux, si l’on veut être sage ; car miss, après tout, ne vaut encore rien pour ça… — Eh bien ! eh bien ! ma bonne ? — Ma bonne ! voyez donc, comme si j’avais cent ans ! — Oh ! non, non, vous êtes bien jeune, bien aimable ! — Vous disiez que je prendrais volontiers désormais vos amours enfantins sous ma protection. — Grand merci, chère mistress… — C’est l’affaire de huit jours pour vous lasser tous deux d’une polissonnerie d’enfant que vous savez bien n’être pas praticable… Et puis une morveuse n’est pas faite pour fixer un aimable enfant tel que vous… Oh ! c’est une autre affaire ! (Je m’en allais.) Un moment, monsieur : comme il est pressé ! Croiriez-vous, s’il vous plaît, m’avoir assez lié la langue ?… (J’allais…) Non, non… ce n’est pas cela que je veux dire ; mais… cette nuit… Voici une clef de l’antichambre… À onze heures et demie… non, à minuit… Il faut laisser à tout le monde le temps de s’endormir. — Fort bien. — Un peu après minuit vous viendrez… Gardez-vous de faire le moindre bruit !… — Laissez-moi faire… Ah ! madame Brumoore, que vous êtes bonne ! » « Il est insoutenable, interrompis-je ; le voilà qui a pris goût à cette… — Félicia, se hâta de couper milady, faites-lui grâce ; mistress n’était point mal… Son âme seule était à faire horreur. — Et puis, ajouta Monrose, d’honneur, je ne pensais, en la louant, qu’au secret et à la protection qu’elle m’avait promis. » « Maintenant, me dit-elle, rentrons, et consolons un peu la pauvre miss. »

« Les larmes de la petite n’avaient point cessé de ruisseler. « Là, là, mademoiselle, dit alors avec bénignité la duègne déjà renveloppée de toute sa dignité magistrale ; M. Monrose vient de me toucher pour vous. Il est si contrit, il m’a si bien assurée que ci-devant il ne s’était rien passé de trop grave, et qu’à l’avenir il n’y retournerait plus, que j’ai promis de ne rien révéler à monsieur votre oncle. — Ah ! ma bonne ! — N’est-ce pas que vous ne savez point encore au juste ce dont il retournait pour vous ?… — Assurément, me hâtai-je de répondre pour Charlotte, qui hésitait — Sachez, mademoiselle, que ces vilaines choses-là ne se font jamais avant le mariage… Et puis vous auriez été bien attrapée… Un mal affreux !… Vous en seriez peut-être morte ! Allons, allons, essuyez vos larmes, et venez m’embrasser. — Ah ! ma chère bonne ! » La désolée miss n’avait pas d’autre refrain ; son cœur gonflé de la joie du pardon ne demeurait pas moins oppressé… Ce ne fut qu’au bout d’un quart d’heure que l’aimable Charlotte put quitter le fatal cabinet… « Quant à vous, me dit à l’oreille mistress Brumoore en nous séparant, songez que ce que vous savez n’est qu’un à-compte du prix du secret, et qu’à minuit… j’attends mon reste. — Rien de plus juste. — En entrant, vous laisserez la clef dans la serrure : c’est autant de bruit d’épargné. » Je promis…

« Mais d’avance un grand projet me roulait dans la tête. Vous vous souvenez, maman, de ce joli garçon qui coiffait si bien, et qu’à cause de cela j’avais ramassé sur le pavé de Londres pour me l’attacher en manière de valet de chambre ? »

Déjà ma sœur, dont les conjectures anticipaient sur ce que son fils avait à dire, perd contenance : elle pâlit et rougit tour à tour. « Eh bien ! mon neveu ? — Comme la possession de mistress Brumoore n’excitait plus même ma curiosité, j’avais conçu le hardi projet de me faire suppléer près d’elle par Julien. Son libertinage naturel et deux guinées lui firent soudain avouer que mistress avait mille charmes, et qu’il serait infiniment heureux en m’acquittant dans ses bras. Ce qu’il y avait surtout de piquant pour moi dans cette romanesque pasquinade, c’était une occasion bien naturelle de me glisser dans l’appartement en même temps que Julien, à la faveur des ténèbres qui ne pouvaient manquer d’envelopper l’escapade de la grave Sara. Rien n’empêchait alors qu’à quatre pattes je traversasse la chambre à coucher, et vinsse au fortuné cabinet. J’y retrouvais mon bouton de rose… Nous recommencions notre délicieuse partie pour le faire épanouir. Le propre intérêt de mistress déroutait entièrement son équivoque vigilance. Charlotte, mise au fait sur le soir en peu de mots, était enchantée ; j’allais être enfin complétement heureux… À notre âge, quelle riche moisson de plaisir, et pour l’amour, et pour l’espièglerie !

« Cependant, ma chère maman, vous me contrariâtes beaucoup sans vous en douter. Ce même soir, vous vîntes vous établir avec Kinston chez l’amoureuse gouvernante, et vous y tîntes pendant deux heures je ne sais quel comité secret contre lequel vous me pardonnerez bien d’avoir pesté de tout mon cœur. Mais, embusqué au fond d’un corridor, je vois enfin, vers onze heures et demie, Sara mettre très-décemment dehors l’épais Kinston. Je suppose que de l’antichambre, qui est commune, vous aurez en même temps passé dans votre chambre : je commence à voir clair dans l’intérêt de mon rendez-vous. L’heure frappe… Julien, équipé fort à la légère, ainsi que moi, m’a rejoint : deux rats feraient plus de bruit. La serrure, les gonds, bien graissés, semblent être du secret. Julien s’empare bravement de son poste ; je rampe avec plein succès jusqu’au mien. »