Monrose ou le Libertin par fatalité/I/35

Lécrivain et Briard (p. 176-180).
Première partie, chapitre XXXV.


CHAPITRE XXXV

QUI N’A PAS BESOIN D’ARGUMENT


« Écoutez, mon cher d’Aspergue, lui dit madame de Floricourt ; pour mon compte, et je pense que Belmont pensera comme moi, je veux bien ne plus vous jeter le chat aux jambes à propos de tout ce micmac d’hier, mais voyez à votre tour si vous êtes homme à remplir les conditions auxquelles nous pourrons vous absoudre. — D’avance, je souscris à tout. — Eh bien ! vous trouverez bon de ne nous voir, jusqu’à nouvel ordre, qu’à nos loges, dont vous savez les jours, et vous aurez grand soin de ne nous proposer jamais de recevoir qui que ce soit qui n’aurait que vous pour nous en répondre. » La pilule, était amère sans doute pour un homme infiniment jaloux de s’entremettre, et qui se fait peut-être on ne sait quelle ressource d’impatroniser les étrangers. Il n’osa pourtant murmurer contre un arrêt qui du moins lui laissait pour lui-même une pierre d’attente. « C’est encore vous, continua madame de Floricourt, qui nous avez malheureusement embâtées de cette Flakbach. — Ah ! madame ! se hâta d’interrompre le rassuré d’Aspergue, vous n’avez du moins aucune plainte à porter contre celle-ci, de laquelle, au contraire, vous m’avez fait quelquefois l’éloge. » Floricourt, déjà rouge de colère, allait s’emporter et peut-être en dire trop ; l’adroite Belmont lui fit à propos un signe, et prenant la parole avec dignité, mais sans aigreur :

« Eh bien ! monsieur, dit-elle, maintenant des raisons, dont il ne nous plaira de rendre compte à personne, nous font un devoir de ne nous rencontrer jamais avec cette femme, et nous aviserons aux moyens de le lui faire savoir. »

« Le rôle du maladroit d’Aspergue n’était plus soutenable. « Mesdames, dit-il en se levant, quand je vois chasser impitoyablement de chez vous cinq ou six personnes que j’y avais introduites, je dois être assez délicat pour me punir de vous les avoir présentées, et je me résigne à toute la rigueur de ma disgrâce, pour jusqu’au terme qu’il vous plaira de fixer à sa durée. » À ces mots il sortit aussi visiblement piqué que le peu de caractère de cette physionomie pouvait permettre qu’on le remarquât. Je fus, pour mon compte, enchanté de voir ainsi finir des discussions dans lesquelles je mourais de peur de me voir peut-être enfin indiscrètement mêlé.

« Tout ceci, dit fort sensément la douce Belmont, doit nous engager à tamiser notre société. Quant à moi, je boude l’univers, et si tu veux, Floricourt, nous serons inaccessibles pendant un siècle. Pour lors, toutes deux uniquement occupées de notre charmant prisonnier et nous suffisant à nous-mêmes, nous laisserons expirer, faute d’aliment, une multitude de petites liaisons dont l’expérience nous apprend que, la plupart inutiles, elles peuvent aussi devenir dangereuses. » Floricourt n’opposa rien à ce projet prudent et louable.

« On vint les avertir que la voiture était prête. Elles donnèrent les ordres nécessaires pour mon petit emménagement. Lebrun, que j’avais fait venir, tomba des nues quand il sut qu’il s’agissait pour lui de venir s’établir avec moi secrètement à la barrière Blanche. Sa raison humoriste eut bien des objections à faire contre ce changement de séjour, mais je le mis au pied du mur, en l’assurant que c’était à cause de vous, ma chère comtesse… — À cause de moi ! — Oui, sans doute, ne pouvant me résoudre à faire, dans votre hôtel, des remèdes qui, tôt ou tard, trahiraient une position dont j’assurais que pour tout l’or du monde je ne voudrais pas que vous pussiez être instruite. Bref, ce fut pour déguiser mon déplacement que je prétextai ce prompt voyage en Bretagne, pour lequel, ne devant être absent que quinze jours, je le fus néanmoins pendant près de six semaines, stratagème dont votre confiante amitié fut complétement la dupe…

« — Ainsi donc, monsieur, lui dis-je, un nouvel engagement obtenait de votre part la préférence sur l’attachement le plus éprouvé ! Des étrangères, des folles, vous arrachaient de chez votre meilleure amie ! Voyez à quelle distance des vrais devoirs peut être jeté le plus galant homme par les cahots d’un tourbillon désordonné ! Je me flatte au surplus que la suite de votre histoire ne ressemble point à ce que vous m’en avez appris : je n’aurais pas, je vous l’avoue, le courage de l’entendre. — Le plus bourbeux est écouté. — Nous ne dirons donc rien de ces dames qui vous parlèrent à la sortie de l’Opéra ? — Une seule a rendu nécessaire que je vous entretienne d’elle. Tout le reste ne signifie rien et peut être omis. En somme, attendez-vous à me voir, sinon plus sage, du moins d’un peu meilleure compagnie. — À la bonne heure ! À cette seule condition, je veux bien promettre de vous donner, demain, pour la suite de votre roman, une nouvelle audience. »