Monrose ou le Libertin par fatalité/I/14

Lécrivain et Briard (p. 61-66).
Première partie, chapitre XIV.


CHAPITRE XIV

IL AVAIT LE DIABLE AU CORPS


« Huit heures sonnaient, dit-il, et nous étions encore sur le lit, quand madame de Folaise, soit excès de catinisme, d’amour-propre ou d’amitié, fit prier mademoiselle Adélaïde de descendre auprès de nous. Pendant qu’on faisait ce message, Sylvina, qui m’en voyait fort étonné, trouva bon de m’expliquer ainsi son idée : « Ne m’en veux pas, mon cher Monrose, d’un acte de vanité que semble me reprocher ta surprise. Elle cessera quand je t’aurai dit qu’Adélaïde, dont tu ne peux présumer le prodigieux mérite, est une autre moi-même. C’est un homme essentiel sous l’apparence d’une femme pourvue de mille agréments. Nous nous aimons à la folie : j’ai le bonheur de lui être fort utile par les avantages que la fortune me donne sur elle, très-injustement accablée de ses coups ; mais elle m’est plus utile mille fois, par ses soins sans prix, par son attachement à toute épreuve et par la désirable perfection de sa beauté… »

« Sa beauté ! je n’avais vu que des traits d’un agrément ordinaire. La taille était à la vérité distinguée, mais la peau me semblait un peu plus brune que de raison… Pendant que je me retraçais ces détails, mademoiselle Adélaïde se montre à peine vêtue, jambes nues et, pour ainsi dire, prête à tout événement. Croyez-vous qu’elle va paraître interdite de voir un homme aux côtés de son amie ? qu’elle va rougir de l’idée dont un tête-à-tête aussi défini ne peut manquer d’effaroucher la pudeur d’une demoiselle ? Point du tout : d’un pas délibéré, ce féminin esprit-fort s’avance vers le lit : « Viens, viens, mon incomparable ! dit en lui tendant amoureusement les bras madame de Folaise, qui semble retrouver dans le charme de cette visite tous les feux que je croyais avoir amortis ; viens admirer le trésor que possède ton amie, et prendre quelque idée de la perfection possible d’un mortel ! »

« Cette belle tirade n’était point encore achevée, que déjà toute ma personne était à découvert. Heureusement certain objet, variable de sa nature, se trouvait encore dans un état qui ne prêtait nullement à l’épigramme. C’est le premier sur lequel l’imperturbable Adélaïde jette un regard connaisseur et fixe. De là, ses yeux se promènent partout avec curiosité. Madame de Folaise vante la douceur de ma peau ; l’amie touche tout ce qu’on lui désigne, et d’elle-même, pour le coup, elle a l’effronté courage de saisir… ce dont, pour approcher, une femme ordinaire attend du moins qu’on l’en ait un peu pressée… Je rougirai toute ma vie de ce que je vais vous dire, ma chère comtesse, mais l’excessive dévergonderie d’Adélaïde, au lieu de me glacer pour cette impudente créature, m’enflamme au contraire et me livre soudain à la plus capricieuse tentation. « Parbleu ! mademoiselle, lui dis-je avec une galante affectation d’humeur, il y aurait, ce me semble, un moyen plus flatteur pour moi d’interroger ce dont vous me faites la faveur de vous occuper. — Ah ! que c’est bien dit ! s’écrie aussitôt Sylvina, se hâtant de faire une grande place. Il faut, chevalier, qu’elle y passe, pour lui apprendre à ne pas douter une autre fois du simple témoignage de la vue. Happe-moi-la ! Bien : point de grâce ! — On le veut donc tout de bon ! repart l’aguerrie libertine ; eh bien ! me voici. » En même temps tombe à ses pieds le peu de bazin et de toile qui la couvrait ; elle s’élance dans l’arène, et se mettant savamment en garde, l’intrépide championne me fait voir à qui parler.

« Madame de Folaise n’avait pas tout à fait tort. Le corps d’Adélaïde était un vrai chef-d’œuvre. Ce brun embonpoint, par son élastique fermeté, me prouvait pour le coup qu’il manquait du moins cette perfection à la blanche mais demi-flasque baronne. Mon destin, dans cette aventure, était de marcher de surprise en sur prise. J’eus celle de trouver, sous une épaisse décoration qui n’était pas nouvelle à mes yeux, vu la culbute de la veille, un si charmant et si rare obstacle à la fougue de mes désirs, que je commençai tout de bon à me sentir très-reconnaissant envers Sylvina pour le cadeau qu’elle me faisait, et dont, en effet, j’avais été bien loin de deviner tout le prix. Quelle sublime jouteuse que cette Adélaïde ! quelle vivacité ! quelle chaleur ! quel rage de plaisir !… — Et madame de Folaise, interrompis-je, comment prenait-elle la chose ? car, entre nous, la chère dame est connue pour être un peu jalouse. Je gage que, malgré son invitation, elle eût trouvé très-bon que vous n’eussiez point eu la trop obéissante Adélaïde ! — Vous êtes dans l’erreur, ma chère comtesse : Sylvina, ou corrigée avec le temps, ou peut-être moins délicate qu’autrefois, loin de montrer de la jalousie, semblait au contraire jouir de notre bonheur ; elle donnait son attention aux moindres détails, nous caressait des mots les plus charmants, avait l’œil et la main partout, s’occupait en même temps un peu d’elle-même, et paraissait heureuse autant que nous.

Monrose, 1871, Figure Tome 1 page 65
Monrose, 1871, Figure Tome 1 page 65

« Comme en dépit d’une nuit assez laborieuse, mon début avec la savoureuse Adélaïde avait été bref à proportion de sa vivacité, je crus devoir donner à cette connaisseuse une meilleure opinion de mes moyens : Sylvina me paraissait femme à tout pardonner. Après quelques minutes de repos (qui ne l’avait été que pour moi, car ces dames s’étaient amusées à me donner une scène de tendresse mutuelle, d’un genre dont je n’avais aucune idée alors), je risquai de reprendre mademoiselle Adélaïde, et lui prouvai, plus agréablement encore pour elle-même, que faire vite, en pareil cas, ne signifie pas toujours, comme certaines gens le supposent, le défaut de moyens de faire autrement.

« Un déjeuner canonial, dont j’avais grand besoin, suivit ces ébats ; après quoi, l’on me laissa libre. Ces dames avaient exigé de moi deux choses : l’une, que je serais discret, surtout à cause d’Adélaïde, que la baronne était en train de marier avec l’aimable président dont j’ai parlé ; l’autre, que je viendrais bientôt recommencer, si le cœur m’en disait, nos lascives extravagances. À l’égard de la discrétion, la parole que je donnai fut sincère ; quant au prompt retour, je mis, je vous l’avoue, plus de civilité que de franchise à les en assurer.

« Rentré chez moi, je délibérais si je me mettrais au lit pour quelques heures, ou si je resterais debout ; mais on m’annonça la visite de l’abbé. Pour lors, le besoin de dormir fit place à celui d’étudier cet agréable original, et de m’instruire, par lui, de ce qui pouvait me faire mieux connaître madame de Folaise, Adélaïde et leur semi-bourgeoise société. »