P. Brunet (p. 250-252).

XXVII


René à Mélite
Paris.

Hélas ! ma sœur, le Parisien a eu raison. Tout a tourné contre moi dans cette affaire où je n’ai apporté qu’une trop grande délicatesse, qu’une reconnaissance trop excessive. J’ai attendu huit jours, j’ai écrit à Charles, il n’y avait plus à attendre, j’ai parlé. M. Brastard m’a lancé pour toute réponse un merci sec accompagné d’un étrange regard et est entré dans son cabinet particulier.

Deux heures plus tard, je recevais un congé en bonne forme. Dans un billet laconique, M. Brastard me remercie ironiquement de l’intérêt que je porte au bonheur de sa fille et m’expulse de ses bureaux. Ce n’est pas à la légère, me dit-il, qu’il s’est choisi un gendre, et Charles Després pouvait se passer de cette trahison d’ami et de compatriote. Un billet foudroyant enfin. J’ai couru chez lui. Il venait de partir pour sa villa de Versailles avec Charles et ses filles. J’ai écrit, je n’ai reçu qu’une invitation à ne plus reparaître chez lui. Et je ne le reverrai probablement plus, car le mariage se fera à Versailles très-probablement. N’est-ce pas écrasant, ma chère Mélite ? Me voilà calomnié, conspué, et si Charles est assez adroit et assez heureux pour rétablir ses affaires, à tout jamais perdu dans l’estime de cet homme qui m’a fait tant de bien. Religion, philosophie, j’appelle tout à mon secours et je souffre néanmoins cruellement. Me voici de nouveau sur le pavé de Paris ayant perdu mon seul protecteur et plus découragé que jamais. J’ai voulu t’apprendre l’issue fatale de cette affaire, mais ne m’en demande pas davantage aujourd’hui, je suis brisé. Je n’ai plus même la ressource de reprendre ma place de clerc chez M. Després dans l’esprit duquel Charles ne manquera pas de me perdre. Par quel maléfice a-t-il aveuglé ainsi un homme comme M. Brastard ? Par quel ensorcellement peut-il lui dissimuler un fait clair comme le jour ? C’est à n’y rien comprendre. Et moi qui commençais à tracer si courageusement mon sillon.

Adieu, adieu, je suis désolé, furieux, je me demande avec angoisse comment cette affaire finira. Je n’ai jamais aussi cruellement souffert.

Ton frère affectionné mais bien malheureux.

René.