P. Brunet (p. 184-186).

XIII.


Mélite à René.


Damper.

Non, ce n’est pas dans tes mains qu’il faut poser ta tête souffrante, mon cher René, c’est sur la faible épaule de ta sœur que l’impérieuse nécessité peut seule retenir à Damper depuis qu’elle sait que tu souffres à Paris. Que dirai-je pour relever ce fier courage abattu ? Quel baume poserai-je sur cette blessure saignante ? Je n’en ai qu’un, toujours le même, mais qui ne saurait perdre de sitôt sa force : mon affection dévouée. Il faut sortir de cet affaissement, mon cher René, et si l’énergie s’éteint à Paris, il faut revenir tout de suite à Damper. Un peu d’air natal te rafraîchira le front, un peu de tendresse te relèvera le cœur. Vite donc, un petit conseil avec toi-même, une consultation de forces et une décision prise sur-le-champ. Ce petit voyage imprévu ne nous ruinera pas et voilà justement que ce matin on m’a fait proposer un prix superbe de ma chèvre. L’enfant du marquis de Rossuc l’avait aperçue folâtrant dans notre préau et il rêvait de ses belles cornes noires et de sa physionomie indépendante. Or, il est malade et on ne sait rien lui refuser. La marquise est venue elle-même toute tremblante me parler du désir de son fils. J’aime beaucoup la chère bête, mais elle allait devenir embarrassante, il allait falloir relever sa petite étable : une dépense, et si elle nous donne trois chevreaux comme l’année dernière, où les logerons-nous ? J’ai donc saisi l’occasion de m’en débarrasser avantageusement. Je l’ai vendue et quittée les yeux bien secs et voici que grâce à cette vente je puis t’envoyer un mandat sur la poste de cent vingt francs, de quoi revenir et, si le cœur t’en dit encore, de quoi retourner dans ta grande ville.

Donc, mon frère, une lettre ou toi et au plus vite, n’est-ce pas. Je n’ai rien dit à tante Marie que la vente de Djali a bien un peu surprise mais qui s’est rendue à mes raisons. Cher frère, bon courage et au revoir. Est-ce que j’aurais vraiment le bonheur de te revoir ainsi à l’improviste. Oh ! alors je m’écrierais dans ma joie : À quelque chose malheur est bon.

Ton impatiente petite sœur
Mélite.