Mon berceau/Questions économiques

Bellier (p. 340-344).

QUESTIONS ÉCONOMIQUES


LES BILLETS DE LA BANQUE DE FRANCE — LE RENOUVELLEMENT DE SON MONOPOLE — LA BOURSE — AGENTS DE CHANGE ET COULISSIERS — LA PROTECTIONS — MESURES RÉACTIONNAIRES.

C’est triste à dire, mais un vent de réaction économique souffle sur la Chambre et du train dont elle va, elle aura encore le temps de ruiner la France, avant de se séparer définitivement.

Comme, en somme, ces questions intéressant au premier chef notre arrondissement qui est actif, industrieux et commerçant entre tous, et qui a l’honneur de posséder la Banque de France, j’ai pensé qu’il était bon d’en dire deux mots ici.

Tout le monde sait que la Chambre actuelle aurait pu s’occuper avec fruit de la questions des octrois et de celle des impôts de consommation qui pèsent si lourdement sur les travailleurs, elle aurait pu du moins résoudre les problèmes urgents, touchant le crédit agricole et les boissons, elle aurait dû enfin discuter, et voter le renouvellement du privilège de la Banque de France.

C’est là une question capitale pour la prospérité commerciale, pour le maintien du crédit de notre pays ; il est évident que sans son encaisse métallique formidable, nous n’aurions pas échappé depuis deux ans à la crise monétaire qui s’est abattue sur la plupart des états européens et de l’Amérique du Sud.

Mais tout cela est de peu d’importance pour nos députés et ils pensent qu’ils ont toujours bien le temps de s’en occuper. Certains d’entre eux qui ne connaissent pas le premier mot des questions économiques, n’ont pas craint de repousser avec énergie la demande de porter de trois milliards cinq cents millions à quatre milliards la circulation de ses billets, alors qu’ils savent positivement que son encaisse et son portefeuille représentent cette somme totale.

Mais voilà, ces messieurs considèrent ou font semblant de considérer la Banque de France comme une ennemie, parce que ça fait bien aux yeux des électeurs.

Cependant, ceux qui ont eu leur journal entretenu avec l’argent prussien, par l’entremise de l’espion Cornélius Herz, pourraient peut-être se montrer un peu plus modestes.

Quant au renouvellement du privilège, il n’en est pas question, bien entendu.

Mais ce n’est pas tout ; après avoir voté le Méline tarif qui va nous ruiner, après avoir repoussé le traite franco-suisse, sans même vouloir le discuter — sanglante injure à l’égard d’une république amie — les députés ont voulu trouver encore quelque chose de plus fort et ont inventé l’impôt sur les opérations à terme.

Cette loi, si elle était votée, serait purement et simplement la mort de la coulisse, ce serait notre marché passant à Berlin et à Londres, et l’on se demande en vertu de quelle aberration il peut bien se trouver des représentants français, capables de vouloir ainsi consolider le monopole des agents de change, au risque de ruiner le crédit national.

Ce qu’il faut lire et méditer, ce sont les motifs, les considérants de la loi ; en vérité, l’on croit rêver. Il paraît qu’il importe de porter la lumière dans un monde spécial, etc., etc.

Il n’est pas possible de dire plus clairement que les coulissiers sont tous des voleurs, des brigands et des scélérats.

En vertu de quel droit, messieurs les députés, parlez-vous ainsi et venez-vous ainsi insulter toute une classe d’honnêtes citoyens ? Vous n’oseriez pas parler en pareils termes des bureaux de placement, des agences matrimoniales ou des somnambules, qui exercent des métiers plus ou moins louches.

Demandez donc tout de suite le bûcher pour les coulissiers, puisque la liberté vous fait peur et qu’avant tout vous voulez fortifier les monopoles, même les plus désastreux pour la fortune publique, comme celui des agents de change.

Déjà, avec nos lois absurdes sur les faillites — à peine adoucies — et qui déclarent à priori que tout commerçant doit être un voleur, puisqu’il est déshonoré le jour où il est ruiné, même honnêtement, et privé de ses droits civils, nous continuons à naviguer en plein Moyen-Âge.

Il paraît que ce n’est pas assez et qu’il faut encore supprimer jusqu’à l’ombre de la liberté, à la Bourse ; c’est triste.

Et si l’on me permettait de dire toute ma pensée, je ne craindrais pas d’affirmer que tous les scandales douloureux auxquels nous assistons aujourd’hui, députés achetés ou compromis, journalistes vivant aux crocs de l’étranger, trafic honteux de la Légion d’honneur, etc., proviennent précisément de ces préjugés absurdes contre le commerce, contre les affaires. Il est de mise parmi les fonctionnaires, les juges, les politiciens, de considérer avec mépris, ou tout au moins avec compassion, les commerçants, les industriels, les gens d’affaires qui, en définitive, représentent la force vive et productive de la nation.

Aussi, qu’arrive-t-il ? On ne fait pas de son fils un mercanti, un pistachier, un homme de bourse, un boutiquier, fi donc, ce sont des métiers de peu ; on en fait un avocat ou un politicien et à la première occasion, s’il n’est pas bien trempé, ledit fils étudie l’art de manier les chèques et les pots de vin.

De grâce, MM. les députés, un peu moins de pruderie, soyez moins pharisiens, regardez-vous dans une glace — beaucoup, sinon tous — et souvenez-vous que le meilleur moyen de faire oublier les chèques de Panama ou l’or des espions étrangers qui alimentait la caisse de votre journal — crime horrible — est encore de se mettre résolument à l’étude des questions ééonomiques qui attendent une solution.

Votez un traité commercial avec la Suisse, abandonnez le fanatique Méline, votez le renouvellement du privilège de la Banque de France, discutez sérieusement le régime des boissons, les lois sur le crédit agricole et l’abolition des octrois, c’est le seul moyen de faire oublier le néant et souvent les suites néfastes de vos discussions.

— C’est impossible.

— C’est impossible, dites-vous ? Eh bien, allez-vous-en alors, le peuple saura bien trouver des représentants un peu plus socialistes et un peu plus républicains pour vous remplacer.