Mon berceau/La Bourse de l’Exportation

Bellier (p. 303-326).

LA BOURSE DE L’EXPORTATION


UNE OBJECTION — RIPOSTE UN PEU VIVE — MOYENS DE RÉALISATION IMMÉDIATE DANS LE PREMIER ARRONDISSEMENT.

I

Comme je m’y attendais, mon dernier article, où je demandais la création d’une Bourse de l’Exportation dans la Bourse de Commerce actuelle, touchant aux intérêts les plus vivaces du commerce parisien, m’a valu un certain nombre de lettres.

Parmi celles-ci, je demande la permission de citer les principaux passages de la suivante, d’abord parce qu’elle expose la question sous un jour nouveau et appelle la réfutation, ensuite parce qu’elle émane d’un des membres les plus compétents et les plus distingués de la chambre syndicale des représentants de fabriques et de commerce.

Je citerai son nom, par la suite, si j’y suis autorisé par l’auteur de ladite lettre.

Après les compliments d’usage, que je passerai sous silence, mon honorable correspondant poursuit en ces termes :

« Une Bourse de l’Exportation ne peut avoir sa raison d’être qu’à la condition qu’elle soit fréquentée par les exportateurs et par suite par tous ceux qui se trouvent en relation avec les exportateurs. La question primordiale est donc d’entraîner les premiers intéressés, en les convainquant que leurs intérêts sont liés à cette création, que l’extension constante du commerce d’exportation, en raison du nombre sans cesse grandissant des acheteurs et des vendeurs, exige d’autres moyens plus pratiques pour le traitement des affaires que ceux employés jusqu’à ce jour, c’est-à-dire les visites du vendeur chez l’acheteur. Faire antichambre n’est pas faire affaire, et que de temps ainsi perdu inutilement au détriment du négoce ! La Bourse d’Exportation doit donc être pour tous, acheteurs et vendeurs, un immense bureau d’affaires où dans le plus court espace de temps tous les renseignements concernant les acheteurs, soit sur les cours des marchandises, les fluctuations du change, les prix du fret, etc., etc., leur pourront être donnés, et pour les vendeurs un moyen de confirmer des affaires en cours, recevoir des propositions ou prendre des rendez-vous pour de nouvelles affaires. Tous ceux s’occupant d’exportation et sachant combien de temps il se perd inutilement, verront immédiatement l’énorme avantage qu’une pareille création leur accorderait.

« Seulement, et c’est là où je vais me trouver en contradiction avec vous, la Bourse de Commerce actuelle ne peut et ne pourra jamais devenir une Bourse de Commerce de l’Exportation. En effet, quel serait le but de cette innovation ? éviter les pertes de temps ; il faut donc installer cette Bourse au centre du commerce de l’exportation, de notre commerce extérieur, et la Bourse de Commerce actuelle se trouve plutôt à proximité des Halles Centrales, en plein centre de notre commerce intérieur, plutôt même local.

« Les négociants exportateurs se trouvent, pour les 9/10, dans l’îlot formé par le boulevard Poissonnière, le faubourg Montmartre, la rue Lafayette et le faubourg Saint-Denis, et vis-à-vis de cet îlot se trouvent tous ceux qui ont le plus de relations avec eux, c’est-à-dire tout le commerce du Sentier et tout le Marais.

« Pour que la Bourse du Commerce de l’Exportation ait chance de réussir et puisse atteindre le but de sa création, il faut donc qu’elle soit établie au centre des affaires qui peuvent la concerner, c’est-à-dire à proximité de la masse des acheteurs ou vendeurs ; son but étant d’éviter les pertes de temps, il ne faut pas que son éloignement fasse perdre les avantages qu’elle peut et doit fournir.

« Le jour où cette idée aura suffisamment d’adeptes, jour peut-être déjà assez proche, soyez assuré que bien que l’emplacement pour une telle création paraisse introuvable dans cet endroit, il ne manquera pas quand nous en aurons besoin, et si l’on pouvait ajouter foi aux pressentiments, tout a concouru jusqu’à ce jour pour que pareille surface soit conservée pour la création de notre Bourse du Commerce de l’Exportation.

« Vous voudrez bien excuser, cher Monsieur, l’étendue que j’ai donnée à mes explications, mais je le croyais utile dans l’intérêt de cette œuvre qui sera l’une des plus vives et des plus importantes du prochain siècle, je n’ose dire de ce siècle, et qui donnera le plus sérieux appoint à tous ceux qui rêvent Paris port de mer, c’est-à-dire le centre du Commerce Universel. »

Je répondrai en peu de mots à cette objection, qui est bien une objection de clocher, car ; 1o le Sentier et le Marais ne sont pas sensiblement plus loin de la Bourse de Commerce actuelle que de celle que l’on voudrait dans le deuxième arrondissement.

2o Mon correspondant reconnaît que l’on perd un temps énorme, des journées, en courses, attentes et visites, et en admettant que l’on soit obligé de faire cinq minutes de chemin de plus pour venir à la Bourse de Commerce, l’économie de temps serait encore considérable. Quant à Paris port de mer, vous savez que voilà vingt ans que je soutiens le projet partout, par ma plume et par mes conférences, aussi bien que le projet du Canal des deux mers ; si l’on m’avait écoulé, on eût évité la catastrophe lamentable du Panama.

La lettre ci-dessus parle d’un emplacement conservé, presque providentiel, j’avoue que je ne comprends pas les charades et que moi, vieux Parisien, je ne vois pas du tout cet emplacement.

Que mon aimable contradicteur me permette de lui faire remarquer que sa chambre syndicale des représentants de fabriques et de commerce, en l’espèce, joue un peu le rôle, peu enviable, de la Chambre de Commerce, qui a empêché notre ami Lockroy et votre serviteur ensuite, d’ouvrir à tous un grand musée commercial métropolitain, colonial et universel, sans rien demander à personne, sous prétexte qu’elle seule avait mission de le faire et qui… ne l’a jamais fait ; il est vrai qu’elle nous le promet toujours !

Je ne doute ni de votre bonne volonté, ni de votre désir : je ne connais pas votre projet ; mais avez-vous les millions nécessaires, en poche, pour le mettre debout ?

Pendant ce temps-là, je vois ici, dans le premier arrondissement, la Bourse de Commerce tout aménagée, toute prête ; les millions sont dépensés, ça ne coûterait rien ; on pourrait y ouvrir demain la Bourse de l’Exportation, d’un trait de plume, et j’avoue que je ne vois nulle part l’équivalent de pareils avantages.

En fait de millions pour bâtir un palais, je ne crois pas trop m’avancer en disant que ce n’est ni l’État, ni la Ville qui les donneront. Alors qui ? Serait-ce la corporation des intéressés ? J’en doute.

C’est donc toujours la même lamentable histoire :

— Pardon, c’est à nous à faire cela.

— Parfaitement, marchez.

Mais on ne fait rien.

Du reste, mon cher correspondant, votre rêve est de voir une Bourse d’Exportation le siècle prochain, dans le deuxième arrondissement, si j’ai bien compris voire pensée — c’est vous qui le dites — et mon rêve, à moi, c’est de voir ouvrir tout uniment dans la Bourse de Commerce, au milieu du premier arrondissement, la Bourse de l’Exportation, le plus tôt possible, demain si l’on veut.

Quant à la question de distance, de quelques centaines de mètres en plus ou en moins, c’est une mauvaise plaisanterie, à côté des immenses avantages que vous énumérez si bien vous-même.

Voyez-vous, il faut se contenter de ce que l’on a sous la main et ne pas toujours courir après la chimère ; au point de vue commercial, c’est dangereux.

J’espère que vous me pardonnerez la vivacité de la riposte et que, comme nous, la chambre syndicale des représentants de fabriques et de commerce, reconnaîtra la nécessité d’établir au plus vite la Bourse de l’Exportation, dans le palais de la Bourse du Commerce — en plein premier arrondissement — qui est bien un centre aussi, allez ; venez-y voir, vous en serez vite convaincu.


II
LA BOURSE DU COMMERCE POSSÈDE DÉJÀ UNE GRANDE PARTIE DES TRANSACTIONS INTERNATIONALES — CE QUI SE FAIT EN ANGLETERRE ET EN ALLEMAGNE — OBJECTIONS DE CLOCHER — ADHÉSION FORMELLE DE LA CHAMBRE SYNDICALE DES REPRÉSENTANTS DE FABRIQUES ET DE COMMERCE À L’INSTALLATION DE LA BOURSE DE L’EXPORTATION DANS LA BOURSE DE COMMERCE.

Voilà certes une question qui passionne tout le commerce parisien, les Chambres syndicales en général, et plus particulièrement celle des représentants de fabrique et de commerce, la Chambre des négociants exportateurs et enfin le syndicat des négociants commissionnaires.

Aussi les interrogations pleuvent-elles de tous côtés, les objections parfois et, ce que l’on demande surtout, c’est de bien préciser certains points qui sont restés plus ou moins dans l’ombre jusqu’à ce jour.

Si l’on veut bien s’en rapporter à la nomenclature des opérations du grand commerce international et colonial que j’ai donnée ici même et qui, d’ailleurs, se trouvait pleinement confirmée par mon honorable contradicteur du précédent chapitre, on verra tout de suite qu’il ne saurait être question que d’une bourse embrassant tout le commerce extérieur, dans la plus large acception du mot et, par conséquent, d’une Bourse d’Exportation et d’Importation, tout à la fois.

Je crois avoir démontré pourquoi cette bourse ne pouvait se trouver installée que dans la Bourse de Commerce même et je n’ai point à y revenir, mais je ferai remarquer une fois de plus, qu’à la bourse actuelle, on traite déjà les sucres, les suifs, les alcools, les grains, les farines, les métaux et les charbons.

Or, on reconnaîtra sans peine, qu’il y a bien peu de négociants ou de commissionnaires exportateurs qui n’aient souvent à s’occuper de ces matières, à les faire transiter à travers la France, à les tenir temporairement dans les entrepôts, en un mot, à les traiter comme de pures matières d’exportation.

On me dit encore : les commissionnaires ne viendront pas à la Bourse de l’Exportation, parce que chacun d’eux, dans ce coudoîment de tous les jours, aura peur de se laisser enlever ses clients. Que l’on me permette de n’attacher aucune importance à cette objection qui n’est pas sérieuse ; est-ce que les affaires n’attirent pas les affaires, est-ce que la foule n’attire pas la foule des acheteurs et des consommateurs, aussi bien que les badauds ? et d’ailleurs, la concurrence intérieure est toujours féconde et profitable à tout le monde ; seule, la concurrence étrangère est meurtrière, et c’est ce que devraient bien ne pas oublier les négociants commissionnaires qui se voient enlever chaque jour tant d’affaires par Londres, par Hambourg, par l’Allemagne tout entière.

Et puisque je parle de Londres, est-ce que là, dans la Cité, toutes les Bourses ne se trouvent pas réunies dans un espace très restreint, aussi bien qu’à Hambourg, d’ailleurs.

Est-ce que dans le Times, dans tous les journaux anglais et américains, les annonces ne sont pas groupées par catégories ? les lampes, les nouveautés, les voitures ensemble, etc., les commerçants eux-mêmes tiennent à être annoncés dans leurs catégories respectives, ce qui prouve que la concurrence ne leur fait pas de mal.

Ici même, est-ce que tous les marchands de vélocipèdes ne sont pas rue du Quatre-Septembre, les magasins de confections pour hommes, rue du Pont-Neuf, etc., etc. ? Loin de nuire au commerce, le groupement des mêmes intérêts et du même négoce sert grandement à sa prospérité.

On oublie trop qu’à notre Bourse de Commerce actuelle le Hall, l’accès de la bourse tout entière en un mot, sont publics et gratuits et que par conséquent, il suffirait d’y louer un local et d’avoir un personnel modeste, pour y installer du jour au lendemain, presque sans frais, la Bourse de l’Exportation et de l’Importation que je réclame.

Et puis, qu’est-ce qui empêcherait les trois chambres syndicales que je citais tout à l’heure, tous les intéressés en un mot, de faire comme on le fait si bien et si pratiquement à l’étranger, de s’entendre entre eux pour payer ces quelques frais, par une modeste cotisation annuelle, dans laquelle ils ne tarderaient pas à rentrer au centuple.

J’insiste de nouveau sur le double titre de Bourse de l’Exportation et de l’Importation ; aussi bien, du même coup, je réponds de nouveau, sous une autre forme, à l’objection de la concurrence possible entre commissionnaires ; mais il n’y aura pas dans une telle bourse que des affaires traitées par des commissionnaires en marchandises, non pas que je veuille les supprimer, — je les crois très utiles et souvent indispensables, quand ça ne serait que pour assurer la sécurité des transactions — mais parce que, je le répète, comme je le disais il y a huit jours, toutes les affaires de frêt, de cargaison, de chargement, d’assurances, de transit, d’entrepôts, de drawbacks, de warrants, de prêts sur marchandises, etc., viendront se négocier là, une fois que le grand commei’ce de l’exportation ou de l’importation — matières premières venant du dehors qu’il ne faut pas confondre avec le commerce intérieur — dans ses formes et ses manifestations si multiples et si variées, aura pris l’habitude de venir à cette Bourse de l’Exportation.

Et cette habitude, il l’acquerra bien vite, car il y trouvera son intérêt à tous les points de vue.

Puis je me heurte encore aux objections misérables :

— La Bourse de Commerce n’est pas dans un quartier central (au milieu du premier arrondissement !) elle est loin de la rue d’Hauteville, de la rue d’Enghien, du Marais, etc.

C’est à voir, et le percement de la rue Réaumur va, aussi bien que l’achèvement de la rue du Louvre jusqu’à la rue Montmartre, encore fournir un nouvel argument en faveur de la Bourse de Commerce.

— Oui, mais nous ne pouvons pas être réunis là à une heure de l’après-midi.

Eh bien, on déjeûne plus tôt ou l’on se réunit plus tard ; d’ailleurs, est-ce que vous, commissionnaires ou représentants, ne travaillez pas tous, tout à la fois ; pour le commerce d’exportation et pour le commerce intérieur ? Alors quoi, il faut bien que vous y veniez déjà à la Bourse de Commerce actuelle.

Et puis, qui vous empêche de vous grouper dans un espace assez restreint, entre la Bourse de Commerce et les maisons d’Exportation ; d’ailleurs, la Chambre syndicale de l’Exportation elle-même vous a déjà tenu ce raisonnement.

Enfin, en terminant, je suis heureux de pouvoir dire ici que l’opinion de mon honorable correspondant de la semaine dernière n’était qu’une opinion personnelle, quelque poids qu’elle puisse avoir, et non pas l’opinion officielle de la Chambre syndicale des représentants de fabrique et de commerce tout entière.

En effet, l’un de ses membres, M. Ch. Drevet, dans un remarquable rapport, lu en séance du 2 juillet 1889 à cette Chambre syndicale, concluait énergiquement à la nécessité impérieuse pour la dite Chambre syndicale des représentants de fabrique et de commerce, d’avoir son installation à la Bourse de Commerce ; il demandait « dès maintenant, les moyens de prendre possession de cette institution (la Bourse de Commerce) pour la part qui nous en revient.

« De ce qui précède, nous serons fatalement entraînés à y avoir notre installation, elle s’impose.

« Ces bureaux offrent des avantages évidents aux commerçants, je les ai déjà fait ressortir pour ce que nous regarde, etc., etc….. »

Et l’impression de ce rapport est votée à l’unanimité par les membres présents ! Or, on ne vote pas l’impression d’un rapport dont on n’approuverait pas entièrement les conclusions.

Il semble donc ressortir clairement de ce qui précède que la Chambre syndicale des représentants de fabrique et de commerce est favorable à la création d’une Bourse de l’Exportation dans la Bourse de Commerce.

Quant à l’interview fantaisiste de son honorable président, M. Joseph Gaud, parue dans le Siècle du 24 décembre 1890 sous la signature de Charles Legrand, on me permettra de croire, jusqu’à preuve du contraire, qu’elle a rendu fort imparfaitement la pensée de M. Gaud que j’ai l’honneur de connaître personnellement, et qui n’est pas homme à changer d’opinion ainsi du jour au lendemain.

Enfin, la discussion est ouverte, nous recherchons avant tout la vérité, ici, et je serai heureux d’accueillir les nouvelles observations ou les nouveaux arguments en faveur de la création immédiate de cette Bourse de l’Exportation dans la Bourse de Commerce actuelle ; projet qui, pour ma part, me tient fort au cœur, car j’y vois, à n’en pas douter, un nouveau et puissant instrument du développement commercial, non pas du premier arrondissement seulement, mais de Paris, de la France et de nos colonies.


III
SECONDE COMMUNICATION — NOUVELLE RIPOSTE — OÙ SONT LES 25 MILLIONS ?

Je reçois une seconde communication de mon aimable correspondant de la Chambre syndicale des Représentants de Fabriques et de Commerce, que je m’empresse de mettre sous les yeux de mes lecteurs :

« Ne croyez pas, cher Monsieur, que mon silence soit le résultat de votre réponse, si vive qu’elle ait pu être, et soyez persuadé que je n’abandonne pas ainsi une partie aussi intéressante que celle que je viens d’entamer avec vous, dès la première attaque. Mes occupations m’ont empêché de préparer une réponse immédiate, et de plus je tenais à consulter mes collègues de la Chambre syndicale et à connaître leurs opinions sur vos diverses observations. Tous sont d’avis qu’il est nécessaire de continuer la lutte, ce que je m’empresse d’exécuter.

« En peu de mots je ferai donc réponse à vos premières observations et vous ferai remarquer qu’en disant à la Chambre syndicale des représentants de marcher, c’est-à-dire de créer la Bourse d’exportation, en un mot, vous nous conseillez à tort, car nous seuls et par nos propres moyens, nous sommes sûrs d’avance d’un échec. Comme vous le reconnaissez fort bien, la Bourse du Commerce d’exportation doit être le centre de toutes les affaires de notre commerce extérieur, il est donc nécessaire que tous ceux qui prennent part à ces affaires soient eux-mêmes amenés à cette création. Il faut que tous les fabricants de tissus, de vêtements et toutes les industries représentant l’article de Paris, la bijouterie, etc., prennent rang avec nous et décident ainsi le succès de cette Bourse. Soyez assuré du concours de ces bonnes volontés, car toutes ces industries représentent ce que j’appellerai la classe des solliciteurs, qui sont habitués à tous les dérangements, et que la Bourse d’exportation soit située dans le premier arrondissement ou dans le quinzième, peu leur importe, ils accourront aussitôt, du moment que des moyens leur sont donnés pour leur faciliter les affaires. Et de cette catégorie font partie les représentants de fabriques et de commerce.

« Mais si vous n’attirez que cette catégorie, croyez-vous qu’ils fréquenteront longtemps la Bourse de commerce s’ils ne rencontrent pas la contre-partie : les sollicités, c’est-à-dire les négociants exportateurs et leur clientèle.

« Et c’est justement l’appui des sollicités qui nous manque, c’est leur concours que nous n’avons pu jusqu’à ce jour obtenir et la seule raison est qu’ils ne veulent pas sortir de leurs habitudes, qu’ils trouvent que tout est bien ainsi dans le meilleur des mondes, et qu’il est préférable pour eux d’adresser cent convocations différentes et de faire venir des centaines de représentants et placiers à leurs bureaux, où ils ont tout ce qu’il leur faut sous la main, que de les rencontrer en un lieu déterminé, à une heure fixe, ou en un très court espace de temps, ils auront obtenu tous les renseignements qu’ils désirent, traité ou ébauché toutes leurs affaires.

« Le jour où vous pourrez amener les sollicités à visiter ce rendez-vous des affaires, soyez assuré, alors, qu’aussitôt vous verrez affluer les solliciteurs et alors, véritablement, vous pourrez, d’un trait de plume, ouvrir la Bourse de l’exportation.

« La principale objection des négociants commissionnaires est qu’une Bourse d’exportation n’a pas sa raison d’être à Paris où les affaires se traitent d’une tout autre manière qu’à Londres ou à Hambourg, et le seul moyen de réagir contre cette conviction, c’est de leur créer, à leurs portes mêmes, ce qu’ils n’iront jamais chercher à la Bourse de commerce actuelle.

« Si des millions ont été dépensés pour la Bourse de commerce, ils ne l’ont pas été en pure perte, car les grains, les alcools, les charbons, etc., en profitent, et si cette Bourse a été créée sur l’emplacement actuel, c’est que là était le centre de ces différents commerces. Pourquoi donc la Bourse d’exportation ne pourrait-elle être créée au centre du commerce de l’exportation, alors ? Qu’auraient dit les négociants en grains, alcools, etc., si leur Bourse avait été construite au Père-Lachaise ou sur la Butte-Montmartre ?

« Croyez-vous qu’elle aurait eu beaucoup de succès et beaucoup d’adhérents ? Non, n’est-ce pas.

« Eh bien, je ne puis donc que réitérer que la Bourse du commerce de l’exportation n’aura jamais de succès que du jour où elle sera au centre du quartier de l’exportation, au milieu des solliciteurs et des sollicités.

« Pour en revenir à votre article sur le rapport fait par un de nos collègues, M. Ch. Drevet, sur la Bourse de commerce, rapport qu’effectivement notre Chambre a fait insérer au journal l’Union nationale, organe des chambres syndicales, j’ajouterai que nous aurions été effectivement heureux de prendre possession de cette institution, mais ce ne fut que plus tard que nous eûmes le regret de constater noire peu de succès auprès des négociants-commissionnaires qui ne voulaient pas plus que maintenant changer leurs habitudes.

» Je crois que ces quelques lignes, peut-être un peu longues à mon regret, vous démontreront pourquoi nous combattons l’installation de la Bourse du commerce de l’exportation à la Bourse de commerce, sauf à en devenir les plus fervents adeptes le jour où ceux que nous désirons y voir vous donneront gain de cause.

« Recevez, etc. »

L’importance de cette lettre n’échappera à personne, car, en somme, avec une loyauté parfaite, elle reconnaît que la Chambre des représentants de fabriques et de commerce n’a pas de parti-pris contré le projet de la Bourse de l’exportation à la Bourse de commerce actuelle : c’est le point capital.

Quant aux autres chambres syndicales, à celle des négociants exportateurs et commissionnaires, eh bien ! nous leur prouverons que leur intérêt est de venir joindre leurs efforts aux nôtres, d’autant plus que le premier arrondissement n’est pas si loin que le Père-Lachaise ou la Butte-Montmartre.

Entre la Bourse de commerce et la rue de la Lune, la différence n’est pas grande et tous les intéressés pourront parfaitement venir à la Bourse de Commerce quand leurs affaires les y appelleront.

Je n’ai qu’une réponse finale à faire à mon honorable correspondant :

— D’après votre aveu, il vous faut le concours de la ville et 25 millions pour faire votre Bourse de l’exportation, rue de la Lune ; eh bien, vous n’aurez ni ce concours ni ces millions et, en attendant, par patriotisme, et j’ajouterai par une bonne entente de vos intérêts, venez avec nous et aidez nous à créer la Bourse de l’exportation dans la Bourse de commerce actuelle.

Après, il vous sera toujours loisible de bâtir votre palais, suivant votre rêve grandiose… quand vous aurez vos 25 millions ! Mais, croyez-moi, ce n’est qu’un rêve et notre Bourse de commerce actuelle, en plein premier arrondissement, c’est la réalité.

Il ne tient qu’à tous qu’elle soit féconde et rémunératrice pour le commerce et l’industrie de la France.


IV
LA RÉPERCUSSION ÉCONOMIQUE — LES TENTATIONS FAMILIALES — LEÇONS DE CHOSES NÉCESSAIRES.

Dans les discussions amicales que j’entends ou auxquelles je prends part dans l’arrondissement, il me semble deviner que l’idée suivante se fait jour de plus en plus dans les esprits, à savoir qu’en dehors des grands services que rendra la Bourse de l’Exportation au commerce général de la France — ce que personne ne met en doute — elle ne profitera qu’aux alentours immédiats de la Bourse de Commerce, où nous voulons la voir installée.

Il y a là une idée des plus fausses et qui témoigne combien nous en sommes encore restés, en matière de négoce, aux préjugés et aux procédés surannés du moyen-âge.

Je me suis élevé avec beaucoup de vivacité contre la crainte de voir le voisin traiter plus d’affaires que vous, quand on se trouverait tous réunis dans le même local ou sous le même hall, parce que cette crainte est chimérique et la négation même de tout ce qui s’est accompli depuis 50 ans, dans la science des transports seulement, pour ne prendre qu’un exemple.

Eh bien, la contre-partie de cette idée, si l’on peut s’exprimer ainsi, consiste précisément à croire que la Bourse de Commerce seule, ou ses attenants directs, seront appelés à profiter de l’installation de la Bourse de l’Exportation.

Ceux qui, de très bonne foi, affirment cela, ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez, qu’on me pardonne cette tournure triviale qui rend bien ma pensée, n’oublient qu’une chose, les malheureux : la répercussion économique.

J’ai posé en principe que la concurrence intérieure est toujours féconde et que la concurrence extérieure seule est meurtrière. Eh bien, toujours dans le même ordre d’idées, on peut ajouter hardiment que la répercussion économique est à l’heure présente, grâce aux moyens de transports rapides, fréquents et de plus en plus faciles, l’un des phénomènes les plus féconds, l’un de ceux qui contribuent le plus efficacement au développement de la prospérité nationale, l’un de ceux, en un mot, qui sont le plus dignes de fixer et de retenir l’attention de l’économiste.

Et si je voulais prendre le commerce général de la France dans ses manifestations si variées, si multiples, presque infinies, et si je voulais, au milieu d’elles, suivre pas à pas les modifications profondes et bienfaisantes que la répercussion économique imprime à chaque industrie, à chaque commerce, il nie faudrait des volumes, et, lorsque j’aurais fini, si je n’avais pas été au-dessous de ma tâche, j’aurais tracé le tableau le plus éloquent de notre situation commerciale et industrielle. Comme un habile ouvrier qui vous explique tous les rouages compliqués d’un chronomètre, j’aurais mis à nu, devant vous, tous les mystères, tous les enchaînements, toutes les raisons d’être du monde commercial, qui vous échappent peut-être encore — du moins en partie. Cet ensemble de phénomènes si captivants et si utiles à connaître, c’est la répercussion commerciale, la répercussion économique.

Mais plus modeste est mon but aujourd’hui et je ne veux pas sortir du premier arrondissement.

Donc voilà, je suppose, la Bourse de l’Exportation installée, ouverte, fonctionnant dans la Bourse de Commerce, où elle attire des commissionnaires, des négociants, des exportateurs, des voyageurs, des étrangers de toutes les parties du monde, c’est entendu.

Mais ce n’est pas tout, ces intéressés directs amènent autour d’eux des amis, des parents, donnent des rendez-vous, déjeunent tout autour de la Bourse de Commerce, remplissent les cafés, les hôtels, prennent des voitures, etc., ceux qui viendront là de l’étranger pour passer quinze jours, trois semaines à Paris, y viendront souvent avec leur famille.

Le soir on dîne dans les restaurants du Palais-Royal, on va au théâtre, qui est là sous votre main, on flâne le long des boutiques, sous les galeries historiques qui sont encore si populaires en France et à l’étranger, quoi qu’en disent les Parisiens, toujours prêts à se dénigrer eux-mêmes et à ignorer leurs richesses et leurs merveilles.

La femme a envie de tel diamant, la fillette de tel bracelet, le fils d’un porte-cigares, et devant ces devantures provocatrices, comme on n’en rencontre qu’à Paris, la grand’ville, devant ces étalages spirituels, sous la lumière crue de l’électricité, on se laisse toucher par les supplications tentatrices des siens, et l’on entre, et l’on achète beaucoup, et c’est ainsi que l’étranger et la province sont heureux de venir égrener leur or le long de nos trottoirs.

La voilà, la répercussion économique, et vous voyez bien que je pourrais en citer des exemples à l’infini.

Faites que la foule commerçante et négociante du monde entier se donne rendez-vous à notre Bourse de l’Exportation, comme cela arrive à Londres et à Hambourg, et bientôt vous verrez dans quelles proportions énormes, les Halles, le Palais-Royal, tout le premier arrondissement en profiteront.

Est-ce que Paris attirerait le monde entier, s’il ne possédait pas mille attractions, mille merveilles ? donnez-lui la Bourse de l’Exportation, ce sera une attraction utile, nécessaire, indispensable de plus, et voilà pourquoi elle aura de suite, immédiatement, un immense succès.

Pour son grand bénéfice, le premier arrondissement pourra alors, profitant d’une leçon de choses, suivant l’expression à la mode, se rendre compte par lui-même, des bienfaits de la répercussion économique !