Mirages (Renée de Brimont)/Dialogue sur l’eau

MiragesEmile-Paul Frères (p. 13-14).

DIALOGUE SUR L’EAU

Cette sérénité mauve et calme du soir !
Et vois : de chimère en chimère,
sur ce fluide et merveilleux miroir,
de reflet en reflet nous glissons, éphémères…
nous glissons — et n’est-ce point assez ?
Nous glissons, et les hauts peupliers balancés,
balancés vainement par les brises moroses,
dans l’ensommeillement des choses,
dans la sérénité mauve et calme du soir,
au bord de ce fluide et merveilleux miroir
frissonnent ainsi que des femmes…

— Oui, j’entends la cadence des rames ;
j’entends, j’entends bruire en vain les peupliers
par les brises tièdes pliés ;
je vois, sur l’onde merveilleuse et sage
et dont s’éclairent un peu nos visages,
le visage fragile, inquiet et dansant,
le clair visage des étoiles
dans un filet ombreux de roseaux bruissants !

— Chère, je voudrais à travers brume et voiles
cueillir pour toi, sur l’eau, parmi ces mille étoiles,

celle de ton secret désir !
Au creux de ta main, blanche coupe molle,
elle serait l’ardente luciole
toute dansante de plaisir !
Mais vois : de chimère en chimère,
de reflet en reflet nous glissons, éphémères…
L’étoile se dissipe et leurre mon espoir,
et l’on dirait d’une chose irréelle,
et je ne sens que la fraîcheur mortelle
de ce fluide, et pur et merveilleux miroir,
dans la sérénité mauve et calme du soir.