Mirage (Mousseau)/Chapitre VI

C. A. Marchand (p. 51-64).

CHAPITRE VI



Juin arrivait, avec ses feuillages verts, son ciel aux ardeurs tempérées, son souffle de renouveau qui fait épanouir également la nature et les cœurs ; juin, le mois des poètes et le mois de la convalescence pour les malades que les rigueurs de l’hiver ont terrassés, le mois qui apporte dans l’existence un de ces changements factices dont le retour régulier et prévu n’en cause pas moins un plaisir sensible et donne l’impression du nouveau et de l’inattendu.

Ceux qui vivent sous les climâts où les quatre saisons sont aussi tranchées que dans notre pays ont peine à croire qu’il puisse exister des endroits où le ciel est « toujours bleu » et où le printemps règne éternellement ; ils accueillent avec un égal plaisir la venue de chaque saison, quoiqu’ils maugrèrent un peu contre l’automne, et saluent chacune comme une vieille connaissance dont l’arrivée met de la joie au cœur. La nature humaine est ainsi faite : nous aimons le changement mais nous aimons encore davantage la succession des événements auxquels nous sommes accoutumés.

Juin est aussi le mois des « vacances », le mois qui marque pour des milliers d’écoliers et d’étudiants la cessation des études et le commencement d’une période de repos dont ont besoin leurs jeunes intelligences, le mois qui permet le retour au foyer des élèves des internats et de ceux qui ont dû aller loin de leur famille travailler à se préparer une carrière.

C’est un mois aimé à juste titre de ceux qui prennent des vacances et de ceux qui n’en prennent pas, car il apporte à tous des joies et il donne à tous un peu de sa sève généreuse. Il fait couler plus vite dans les veines un sang plus généreux ; et les malheureux, qui peinent toute l’année, savent que juin les met pour tout un été à l’abri du froid et des privations, car il marque l’ouverture des grands travaux qui se font en notre pays jeune et qui donnent à chacun le moyen assuré de gagner sa subsistance et celle de sa famille.

À l’université comme dans les collèges, on compte les jours qui séparent encore de la sortie, quand arrive juin, et le grand nombre de ceux qui ont la perspective d’aller passer l’été à la campagne pensent fraîchement avec délice que juin fera reverdir les champs et formera les ombrages sous lesquels ils se reposeront. Ils songent aux champs couverts de sillons, où juin fera germer la moisson, ils voient en esprit les lacs et les rivières que le soleil irradie de ses rayons ; la nostalgie du grand air des champs, des bois et de la liberté s’empare d’eux ; le travail commence à leur peser et c’est avec difficulté qu’ils font le dernier effort qui doit couronner l’œuvre de toute l’année. Ces sentiments étaient ceux de Louis Duverger et d’Arthur Doré ; les textes de loi leur semblaient plus arides que d’habitudes, et les cours de droit romain, qui se donnaient l’après-midi, au moment où il faisait bon se promener et se perdre dans la foule joyeuse qui peuplait la rue Sainte-Catherine, leur paraissaient d’une longueur interminable. Louis résistait courageusement à l’impulsion qui l’attirait au dehors et il écoutait avec résignation le professeur qui parlait de « Primus », de « Secondus » et de « Tertius », comme s’ils eussent existé et qu’il les eût connus intimement. Mais Arthur n’avait pas toujours autant de patience : il se faufilait quelquefois dehors, après avoir répondu à l’appel de son nom, refermait la porte, par l’entrebâillement de laquelle une phrase latine citée par le professeur le poursuivait comme un remords, et sortait de l’université. D’autres fois il ne venait pas du tout au cours et il s’en allait déambuler rue Sainte-Catherine-Ouest avec quelque camarade comme lui en mal de promenade. Il perdait un temps précieux pour ses études, mais il n’en avait cure : on ne l’avait pas assez habitué à contrarier ses fantaisies pour qu’il eût lui-même la force de les réprimer.

C’était l’époque des examens annuels. L’an prochain ce serait la redoutable épreuve de la licence et des examens du Barreau, mais les deux étudiants avaient encore une année devant eux avant d’y arriver, — et quelque hâte qu’ils eussent d’être rendue au terme de leurs études, ils éprouvaient une certaine satisfaction à penser qu’ils n’affronteraient pas encore l’épreuve finale.

Louis subit ses examens de fin d’année avec succès, mais Arthur réussit moins bien. Le jeune Doré s’en consola en pensant qu’il avait encore le temps et qu’il pourrait passer l’année suivante ses examens arriérés. Arthur avait toujours « le temps » quand il s’agissait de travailler ; il ne semblait pas se douter que l’avenir ne peut ainsi s’escompter toujours et que les traites que l’on tire sur sa jeunesse ne sont pas renouvelables.

Il aurait aimé demeurer en ville quelques jours, après les examens pour s’amuser un peu ; mais Louis ne l’entendait pas de cette oreille et Arthur dût donc faire ses préparatifs de départ, car il eût craint que sa mère ne lui fît des reproches s’il fût arrivé à Saint-Augustin après Louis. Madame Doré ne lui faisait pas souvent de reproches, mais il n’aurait pas voulu s’en faire faire pour une telle raison, car il avait tout intérêt à simuler l’empressement de retourner au foyer. Il agissait en toute rencontre comme un parfait égoïste, mais il lui aurait déplu de laisser pénétrer ses véritables sentiments par sa mère : il aurait craint d’amoindrir la tendresse qu’elle lui témoignait et surtout de la porter à restreindre sa générosité à son égard.

Arthur ne voyait pas les Beaulieu. Il n’accompagna donc pas Louis dans la visite que celui-ci tint à leur faire avant son départ pour la ville. Il les avait connus à Saint-Augustin, mais il trouvait qu’ils demeuraient trop loin pour aller les voir et surtout il avait la faiblesse risible de se croire trop grand personnage pour cela.

La première personne que Louis aperçut, en arrivant chez Beaulieu, fut Joseph, qu’il n’avait pas vu depuis son entrée, comme commis, chez le voisin. En effet, le fils de l’épicier n’avait pas remis les pieds à la maison pendant plusieurs mois, ne sachant quelle figure faire devant son père, qui était fort irrité. Le père Beaulieu avait l’entêtement et la fierté des cultivateurs ; il n’aurait jamais fait les premières avances et n’aurait probablement pas revu son fils si Marie ne s’était interposée avant que la séparation n’eût creusé un vide trop grand et n’avait amené une réconciliation. Elle se mit à faire des allusions à l’absent, allusions auxquelles le père Beaulieu ne répondit pas d’abord, puis quand son père en fut venu à parler de Joseph et à en parler sans amertume, elle prévint celui-ci qu’il pouvait se risquer à venir. Joseph n’était guère plus sensible qu’une roche et le père Beaulieu était trop fier pour laisser voir aucun attendrissement. La première rencontre du père et du fils fut donc très froide et cette froideur même servit les fins de la réconciliation, car elle dispensa de toute explication et de toute allusion à ce que s’était passé.

Joseph revint ; il arrivait comme par hasard, l’après-midi, quand il n’était pas occupé, passait quelques minutes avec ses parents dans l’épicerie, puis repartait. On finit par l’inviter à prendre un repas de temps à autre, et il rentra complètement dans le cadre de la famille, quoique les relations avec lui fussent maintenant d’une nature toute nouvelle : on était un peu plus réservé à son égard, mais par contre on lui montrait plus de considération qu’autrefois, maintenant qu’il avait affirmé son indépendance, qu’il travaillait pour son compte et qu’il mettait de l’argent de côté. Son père lui demanda conseil, une ou deux fois, sur des questions de commerce qui l’embarrassaient. Joseph répondit avec une aisance parfaite et donna le renseignement qu’on lui demandait : son prestige s’en accrut de cent pour cent dans la famille. Il avait acheté, à bon compte, une maison qu’il achevait de payer, et il n’était pas peu orgueilleux de son titre de « propriétaire » : c’était la réalisation de ses rêves, de ses vœux les plus chers.

Il n’y avait pas d’acheteurs à l’épicerie où il était employé, pour le moment, pas plus du reste que chez le père Beaulieu, et il était venu faire un petit bout de causette avec son frère Henri et avec Marie. La mère Beaulieu était dans la maison et le père Beaulieu était à l’écurie.

Louis s’assit avec les trois jeunes gens et annonça son prochain départ pour Saint-Augustin. Ses paroles firent jaillir une lueur d’envie dans les yeux de Marie et d’Henri, qui dirent presque en même temps : « tu es bien chanceux ! » Ils rirent de l’ensemble qu’ils avaient mis dans leur réponse et Louis dit : « ça l’air comme si vous aimeriez cela revenir à Saint-Augustin… »

— Je ne sais pas, dit Henri. J’aimerais au moins à aller y faire un tour.

— Tu peux venir chez nous.

— Merci, mais c’est difficile de laisser l’épicerie.

— Ça pourrait bien marcher sans toi.

— Oui, mais papa se fatiguerait.

— Dans ce cas-là, Joseph pourrait venir faire un tour, lui :

— Je ne peux pas, murmura Joseph.

— Pourquoi ? Ton patron va sûrement te donner quelques jours de vacances.

— Je ne sais pas.

— Je le sais bien moi : les employés ont toujours quelques jours de repos.

— Je ne pourrais pas m’absenter de la ville : ça va être le bon temps pour « l’immeuble » pendant l’été.

— Tu n’es pas pour faire de l’immeuble tout l’été.

— On ne sait pas… il se présente des chances… je pourrais vendre ma maison ou emprunter dessus, donner une hypothèque et faire d’autres placements.

— Il me semble que tu as fait un assez beau placement.

— Oh… oui, seulement, si je trouvais l’occasion de vendre avec profit et de racheter une autre propriété, tu sais…

— C’est vrai. Alors quand viendras-tu chez nous ?

— C’est difficile à dire : à l’automne tu seras revenu en ville et tu ne seras plus chez toi.

— Je voudrais bien avoir la chance que tu as, dit Henri à son frère : j’irais à Saint-Augustin. Quand je pense que ça fait presque un an que je n’ai vu personne de chez nous, excepté Louis et son père.

— T’ennuies-tu de Saint-Augustin, lui demanda Louis ?

— Je ne m’ennuie pas, parce que papa et maman sont ici, mais j’aimais mieux être là-bas : on s’amusait bien plus.

Henri avait raison sous ce rapport, car il n’avait plus que ses dimanches soirs à lui, depuis son arrivée en ville, tandis qu’à la campagne on s’amuse pendant les longues soirées d’hiver où on a des loisirs. C’est le temps des danses et des « veillées », qui se prolongent depuis le jour de l’an jusqu’au carême. Et les jeunes gens de la campagne voient avec un véritable bonheur arriver ce temps des divertissements.

« Moi », dit Marie, « j’aimerais ça être encore à Saint-Augustin.

— J’aime bien ça moi aussi, dit Louis.

— Mais tu vas demeurer en ville toute ta vie, répondit la jeune fille, qu’une longue intimité autorisait à tutoyer Louis.

— Ça ne fait rien, répondit celui-ci, pourvu que je puisse aller à Saint-Augustin de temps à autre.

— Tu vas trouver ça drôle de vivre en ville tout le temps, quand tu seras reçu.

— Il le faut bien : je ne pourrais pas pratiquer le droit à Saint-Augustin.

— C’est vrai.

— Mais toi aussi, dit-il à la jeune fille, tu vas vivre en ville.

Marie hésita à répondre, car elle fut sur le point de dire qu’elle était heureuse que Louis dût demeurer en ville si elle devait y demeurer elle aussi, mais elle ne dit pas ce qu’elle pensait, songeant tout-à-coup que Louis se marierait et qu’alors elle ne le verrait plus, même en ville. C’est l’air un peu attristé qu’elle reprit : « En tout cas, j’aimerais bien à avoir des vacances comme toi. C’est une belle vie d’être étudiant ».

— Oui, répondit-il, pendant le temps des vacances, justement parce que je ne suis pas étudiant pendant ce temps-là.

Louis n’avait pas besoin de demander à Joseph quelles étaient ses préférences : il savait bien que le jeune commis se souciait peu de retourner à la campagne, pour y gagner peu d’argent en travaillant beaucoup, alors que son travail en ville lui rapportait plus qu’il n’aurait jamais osé l’espérer.

L’étudiant demanda à voir le père Beaulieu et la mère Beaulieu, auxquels il voulait faire ses adieux, puis il partit, laissant derrière lui des regrets, surtout dans le cœur de Marie dont ses visites étaient à peu près le seul plaisir et dans l’existence de laquelle il prenait en conséquence une place de plus en plus grande.

Elle aurait été encore bien plus chagrine si elle avait su ce que c’était que de passer un été en ville pour la première fois et de vivre sur l’asphalte par les chaleurs les plus torrides : ce n’était pas seulement la sympathie de Louis qui allait lui manquer, c’était la sympathie de toute la bonne nature des champs qui allait faire place aux ardeurs d’un soleil implacable contre lequel aucun ombrage vert ne protège et que ne tempère pas la rosée des champs et des grands bois. La fraîcheur est absente de l’été des villes, autant que l’est toute poésie et tout charme quelconque.

Mais la souffrance physique réelle qu’allait endurer Marie n’était rien, à côté de la souffrance morale : elle ne tarda pas à le constater, quand les jours des canicules furent arrivés et qu’elle se trouva seule dans l’épicerie par les brûlantes après-midi de juillet.

Elle revoyait alors les montagnes vertes de Saint-Augustin, la rivière qui coulait dans la prairie ; elle croyait sentir sur sa figure la bonne brise du nord, puis elle revenait subitement au sentiment de la réalité, brusquement rappelée à elle-même, par une bouffée d’air chaud et desséchant qui entrait à travers le moustiquaire de la porte.

Tout le quartier semblait accablé par une torpeur invincible : les volets étaient clos dans les murailles de brique surchauffées par le soleil, les rues étaient désertes et n’étaient animées que par les tourbillons d’une poussière impalpable. On se serait cru dans le désert et pourtant on était au cœur d’une grande ville.

Plus de ces prés où passent en chantant les laboureurs au pas allègre, plus de jeunes filles joyeuses et de jeunes gens aux élégants costumes blancs courant sur les routes en faisant retentir jusqu’à la ferme les éclats de leur rire insouciant : la solitude, l’anéantissement de l’être dans une atmosphère chaude et sans vie, où l’on ne perçoit même pas ce bruissement des insectes et des mille êtres invisibles qu’on entend par les après-midi d’été à la campagne.

Marie était absolument démoralisée.

Elle ne reprenait courage que vers le soir, alors que le quartier se réveillait tout à coup de son sommeil factice, de sa torpeur malsaine, et que les enfants se répandaient dans les rues, en criant et en se poursuivant.

Il y en avait des centaines et des centaines de petits, et on était tenté de se demander d’où ils sortaient tous. La majorité appartenaient à la forte race canadienne-française ; mais il y avait aussi un grand nombre de petits têtes blondes dont la nuance indiquait l’origine anglo-saxonne. C’est que nos compatriotes anglais ont peuplé une bonne partie du nord du quartier Saint-Denis, dont ils ont apprécié, en gens pratiques, les loyers modérés ainsi que la situation saine, loin du centre de la ville : cette partie du quartier n’est-elle pas en effet le « Westmount » des gens de ressources modiques ?

Ces enfants de deux races amies ne se mêlaient pas beaucoup malheureusement : ils fréquentaient des écoles différentes, où on ne leur enseignait peut-être pas assez la grande vertu de tolérance, qui n’est en définitive que la charité chrétienne alliée à la largeur d’esprit.

Ils organisaient des jeux auxquels ils se livraient avec ardeur, tellement que les parents avaient peine à les faire rentrer pour le souper. Ils se répandaient de nouveau dans la rue, après souper. Les promeneurs et les promeneuses peuplaient les trottoirs et sous la lumière des lampes à arc on voyait passer des ombres nombreuses. Des rires, des cris s’entendaient : le quartier avait recouvré la vie.

Les maîtresses de maisons, les ménagères de tous les braves travailleurs qui étaient rentrés dans leurs foyers venaient faire leurs emplettes. Elles poussaient la porte de l’épicerie et l’air frais du soir entrait avec elles, comme un ami.

Toutes les journées n’étaient pas aussi calmes que celle dont on vient de lire le récit. La vie de quartier est en effet plus intense pendant l’été que pendant toute autre saison. Tout le monde vit dehors, une fois que le soleil est un peu tombé sur l’horizon. On se visite davantage et il en résulte de nombreux ennuis et de nombreuses querelles.

Pourquoi faut-il qu’on s’occupe des affaires des voisins ? Pourquoi insulte-t-on ceux qu’on ne connait pas et qui ne tiennent pas à vous connaître ? C’est difficile à dire, mais cela arrive trop souvent, et on trouve nombre de gens qui s’imaginent de bonne foi qu’ils ne font rien de mal en s’occupant de ce qui ne les regarde pas et en insultant ceux dont la démarche ou l’apparence leur déplait. — Il semble y avoir une morale particulière à l’usage des insulteurs, dans certaines consciences.

Marie et ses parents voyaient donc avec étonnement les injures qu’on se prodiguait de part et d’autres, entre commères, pour des niaiseries, pour des riens.

La Leblanc surtout était redoutable pour la paix du quartier. Elle envoyait sournoisement ses enfants ennuyer les voisins, puis les rappelait ensuite, comme s’ils lui eussent désobéi, faisant d’eux des petits vauriens et des hypocrites accomplis. Marie ne l’encourageait pas assez, à son gré, dans ses commérages contre les voisins et l’écoutait d’une oreille trop distraite. Elle en voulait à la jeune fille, de sa retenue et de sa dignité ; elle en voulait aussi au père Beaulieu, parce qu’il lui marquait trop ouvertement le dégoût qu’elle lui inspirait.

Pour se venger de ces torts qu’elle se persuadait être très réels, elle envoyait ses enfants jouer devant l’épicerie, où ils barraient le chemin aux passants, dérangeaient les marchandises et soulevaient une poussière insupportable. Le père Beaulieu leur fit des observations, mais inutilement. Il fut obligé d’avoir recours à la police pour les chasser.

L’aventure fut connue dans les alentours et la Leblanc fut fort mortifiée de l’affront qu’elle s’était elle-même attirée. Elle tenta de se réhabiliter en parlant à tue-tête avec la Fournier des choses de la religion, disant très fort, quand les voisins étaient sur le pas de leur porte, le soir : « je suis allée à la messe de sept heures, ce matin, » afin que ceux qui l’entendaient crussent qu’elle était une forte bonne femme et que ses enfants avaient agi contre son gré. Ou bien, elle parlait avec ostentation de la communion de son petit garçon, qu’il se préparait à faire à l’automne.

Les Beaulieu se laissaient peu émouvoir par ces petits ennuis mais ils en étaient profondément étonnés. Ils marchaient de découverte en découverte, et constataient que la vie à la ville est plus compliquée et plus difficile qu’ils ne l’avaient cru.


Le père Beaulieu ne le disait pas, mais il était profondément découragé. Le changement de toutes ses habitudes, à un âge l’on n’en change guère, le départ de Joseph du foyer, les ennuis divers qu’il avait subis depuis son arrivée à la ville, les traces et le travail pénible du commerce d’épicerie, tout concourait à le harasser, à le surmener, à lui faire regretter les jours paisibles d’autrefois et les vieilles amitiés de Saint-Augustin.

Il ne se plaignait pas cependant. Il était stoïque comme un vrai fils du sol : on ne se plaint pas, à la campagne, quand on souffre ; on est trop accoutumé aux privations et on envisage la vie et la mort d’une manière trop calme. « On pâtit », — c’est le mot employé en pareille cas, — mais on ne se livre pas à des explosions bruyantes de douleur, à ces pleurs et à ces lamentations qui soulagent ceux qui souffrent. Non, les peines y sont patientes et résignées, et d’autant plus profondes qu’on s’épanche moins.

C’est de cette manière que le père Beaulieu « pâtissait ».

Sa pauvre tête n’en pouvait plus, le soir, quand il avait fini de servir les clients et que ses gros doigts malhabiles cessaient de manier le crayon avec lequel il faisait péniblement les additions. Son épicerie contenait une foule d’objets qu’il n’avait jamais vus et dont il n’avait même jamais entendu parler. Il les contemplait parfois d’un air étonné et semblait se demander comment il était arrivé à en être entouré, au lieu des objets familiers que contenait sa maison, à Saint-Augustin.

Ces pensées et ces regrets lui venaient par accès soudains, par bouffées, comme si la porte qui fermait sa vie passée se fut entr’ouverte et refermée juste le temps de lui laisser jeter un regard en arrière.

Il se demandait parfois s’il mènerait longtemps cette vie fiévreuse et affolante de la ville et l’épouvante le prenait. La tête lui tournait jusqu’à ce qu’il en eût le vertige. Il aspirait après la paix et le repos. S’il eût su ce à quoi il s’exposait, jamais il ne serait venu à la ville : il serait demeuré à Saint-Augustin, comme le père Duverger ; il aurait placé son argent et il aurait vécu heureux.

Il se demandait s’il ne pourrait pas encore se retirer des affaires et reprendre sa vie d’autrefois, si c’était possible et s’il en était encore temps.

Peu à peu, cette idée de retraite et de repos devint chez lui une idée fixe ; elle l’obsédait, le dominait, l’hypnotisait. Ne pourrait-il pas vendre son épicerie avec bénéfice ? Ne pourrait-il pas faire quelque transaction immobilière avantageuse qui le mettrait à même de réaliser son rêve ? Tout le monde s’enrichissait, dans les environs, à en croire ce qui se disait. Pourquoi pas lui ?

Ces propriétés achetées à un faible prix et qu’on vendait deux ou trois fois le prix d’achat, pourquoi n’en trouverait-il pas ?

Justement les journaux commençaient à publier les annonces des agents d’immeubles qui lançaient des propriétés sur le marché. Il y avait des pages et des pages de littérature alléchante, où on lisait que telle ou telle propriété constituait une chance unique de placement qu’un père de famille serait coupable de négliger. Toutes ces propriétés avaient des nom pompeux et contenaient des multitudes de « lots » qui étaient censés se vendre presque pour rien, mais dont le prix devait hausser énormément, à brève échéance. Le père Beaulieu lisait tout cela et son imagination simple en était vivement frappée.

Il tomba sur une annonce de Dulieu qui offrait en vente des « lots » à Saint-Augustin, au prix de trois cents dollars pour quatre mille pieds de superficie. Ce prix parut énorme au père Beaulieu. C’était sa « terre » qui se vendait ainsi et qui allait rapporter une fortune à Dulieu !

Il en fut tout saisi. Il montra la réclame à sa femme, à sa fille et à Henri, qui se récrièrent avec lui sur une chose aussi extraordinaire. On aurait parlé d’eux dans le journal qu’ils n’auraient pas été plus surpris, plus émerveillés ni plus flattés.

L’annonce disait positivement : « Chance exceptionnelle d’acquérir une propriété à bon marché à la campagne. Une terre, située le long de la rivière, à Saint-Augustin, dans les montagnes du nord de Montréal », ― C’était bien cela, c’était la terre du père Beaulieu.

Dans une autre page du journal, Dulieu offrait en vente une « subdivision » dans l’île de Montréal. Les « lots » n’y coûtaient que deux cents piastres, mais ils devaient être portés à deux cent cinquante piastres dans un mois. Pourquoi allaient-ils ainsi augmenter de valeur, d’une façon magique, l’annonce ne le disait pas : Dulieu seul connaissait le secret. Un plan montrait un superbe boulevard qui traversait la subdivision. Ce boulevard devait être tracé d’un côté à l’autre de l’île. L’annonce ne disait pas par qui il serait construit, pas plus qu’elle ne disait pourquoi les « lots » prendraient une valeur additionnelle déterminée de cinquante piastres chacun, dans le mois, mais il était indubitable que le boulevard figurait fort bien dans le plan.

Le père Beaulieu crut avoir trouvé l’occasion qu’il cherchait de faire fructifier rapidement son argent et il résolut d’aller voir Dulieu, qui avait cessé de venir à l’épicerie, depuis le commencement de l’été, car il villégiaturait à Saint-Augustin et ne passait en ville que le temps absolument nécessaire pour ses affaires.

Sa première visite ne fut pas heureuse : Dulieu était absent. Il dit au commis ce qui l’amenait et le commis lui assura que les prix ne monteraient pas avant quelques semaines et qu’il aurait le temps de conclure une transaction avec monsieur Dulieu pendant que les lots étaient bon marché.

Il ajouta qu’il préviendrait Dulieu de la visite du père Beaulieu et il se dit certain que l’agent d’immeubles réserverait quelques uns de ses meilleurs lots pour le visiteur.

L’épicier se fit nommer le jour auquel Dulieu serait à son bureau et il revint fidèlement, au jour dit.

Dulieu l’attendait, prévenu par son commis. Il avait fait déployer les plans des différents terrains qu’il offrait en vente, mettant bien en évidence celui où se trouvaient les « lots » convoités par le père Beaulieu. Il avait aussi préparé un boniment qui obtint sur l’acheteur en perspective tout l’effet désiré. Si le père Beaulieu était désireux de confier son argent à Dulieu, en entrant dans le bureau de l’agent d’immeubles, après avoir entendu celui-ci, il croyait fermement qu’il manquerait « la chance de sa vie » en n’achetant pas, et il aurait voulu signer le contrat immédiatement. Mais il se ravisa : il craignit que sa femme ne lui reprochât d’être allé trop vite en affaires. Dulieu lui avait parlé de visiter les lots ; il crut plus sage de faire cette visite.

L’agent d’immeubles s’empressa de se mettre à sa disposition pour le conduire à l’endroit où se trouvaient les terrains et dit au père Beaulieu qu’il ne laisserait ce soin à personne autre et qu’il irait le prendre, le lendemain après-midi, à son épicerie.

Le père Beaulieu, confus de ce qu’il croyait être un grand honneur, partit en remerciant Dulieu.

L’agent d’immeubles n’eut garde de manquer au rendez-vous. Il arriva en automobile, avec un chauffeur en livrée, et son apparition causa toute une sensation dans les environs de l’épicerie.

Le père Beaulieu n’était jamais allé en automobile. Il prit place sur les coussins moelleux de la voiture avec un soin et des précautions qui tenaient du respect. L’automobile fila rapidement et il eut la sensation qu’il roulait vers la fortune, à une allure vertigineuse. Il fit part de ses ennuis à Dulieu et lui dit qu’il ne croyait pas la vie de la ville faite pour lui et qu’il aimerait à retourner à Saint-Augustin. Une spéculation heureuse lui en fournirait les moyens et le mettrait à l’aise jusqu’à la fin de ses jours.

« J’ai votre affaire », lui dit l’agent d’immeubles. « J’ai justement ce qu’il vous faut. Vous ne pouvez manquer de vous enrichir en achetant mes terrains. Dans deux ou trois ans, ils auront doublé de valeur. L’expansion de la ville en fera promptement des propriétés extraordinairement productives. »

Le père Beaulieu avait dit à Dulieu qu’il avait trois mille piastres à placer. L’agent d’immeubles lui avait conseillé de ne pas acheter des lots pour ce montant seulement, mais d’en acheter pour six ou sept mille piastres et de payer la balance du prix par versements, ce qui lui permettrait de faire une transaction plus avantageuse, et, qui sait, de vendre peut-être ses lots avec profit avant d’avoir fini de les payer. L’épicier goûta le conseil, car, quand on parlait d’immeubles dans le quartier, il était toujours question de transactions semblables. Le père Beaulieu espérait avoir mené l’affaire à bien en une couple d’années. Il comptait retourner à Saint-Augustin une fois sa fortune faite.

L’automobile roulait maintenant en pleine campagne.

Ce n’était pas la campagne que connaissait le père Beaulieu, la belle campagne féconde aux riches moissons : c’étaient d’interminables champs stériles, brûlés par le soleil, où l’herbe roussie était toute poussiéreuse et sur lesquels une malédiction semblait s’être abattue. Le père Beaulieu n’avait jamais rien vu de pareil ; il en était scandalisé et presque épouvanté. Sa mentalité d’homme des champs se refusait à croire qu’on pût faire un tel gaspillage et laisser un aussi grand espace improductif ; pas un animal ne paissait l’herbe desséchée, on ne voyait aucun être humain, il n’y avait pas une seule habitation, rien qu’un petit pavillon en planche, à la porte duquel se tenait un groupe d hommes. Cette petite baraque était au milieu du champ, à plusieurs arpents de la route. L’automobile se dirigea de ce côté, après avoir passé par une brèche de la clôture ; le père Beaulieu put lire, sur les planches qui couronnaient la baraque : « Parc du Boulevard, bureau des ventes. »

C’était la propriété de Dulieu : on était arrivé.

Si l’herbe était desséchée, si les champs semblaient sous le coup d’une malédiction, c’était parce que le vent torride de la spéculation, avait soufflé dessus.

On était loin de la ville, le père Beaulieu s’en apercevait maintenant, quoique la course rapide de l’automobile et son peu de connaissance des lieux ne lui eussent pas permis de le constater auparavant.

Où donc étaient les rues dont avait parlé Dulieu ? où étaient les lots ? comment la ville se rendrait-elle jamais jusqu’à cet endroit perdu : on ne voyait aucun toit à l’horizon, seulement un nuage de fumée dans le ciel, au-dessus de la grande agglomération d’habitations et d’humanité que cachait la distance.

« C’est bien désert », ne put s’empêcher de dire le père Beaulieu.

Dulieu prévoyait cette exclamation. Il eut un bon rire : « vous ne vous attendriez pas à acheter des lots à aussi bas prix en pleine ville », dit-il. « Mais ça va vite changer d’aspect. Il y a des centaines de « lots » de vendus. On va commencer à construire des maisons et vous allez voir que ce ne sera pas longtemps désert. »

« Entrez », ajouta-t-il, « je vais vous montrer les plans. »

Le père Beaulieu avait déjà vu les plans, mais au bureau de l’agent d’immeubles ; les examiner, sur les lieux, c’était différent. Le commis et les autres personnes qui se trouvaient là — des curieux et des flâneurs qui étaient censés être des acheteurs — s’approchèrent.

Les plans étaient parsemés de petites croix rouges qui marquaient les « lots » supposés vendus. Le père Beaulieu fut émerveillé du nombre de ces croix : « l’endroit est donc bon », pensa-t-il, « puisque les acheteurs sont si empressés. »

Dulieu indiquait à l’épicier, par la porte toute grande ouverte, les lignes imaginaires que les rues du plan suivraient dans les champs. Les « lots » situés à la rencontre de ces rues étaient presque tous libres encore. C’était, expliqua Dulieu, parce qu’ils étaient un peu plus chers que les autres, à cause de leur situation avantageuse ; ils devaient servir à la construction des magasins et rapporteraient de gros bénéfices aux acheteurs, dans un avenir prochain. Dulieu avait réservé un vaste espace pour une église et une maison d’école, avec l’intention d’en faire un don gracieux aux autorités ecclésiastiques, quand l’endroit serait assez peuplé pour nécessiter la formation d’une paroisse. Inutile de dire qu’il n’avait pas consulté les autorités ecclésiastiques et qu’il les avait associés à leur insu, avec un impertinent sans-gêne, à sa spéculation. Cela faisait encore d’autres lots destinés à prendre une grande valeur.

Le père Beaulieu écoutait l’exposé de tous ces projets, il entendait les supposés acheteurs renchérir et il les voyait commencer à se disputer la possession de ces « lots » précieux. Il ne voulut pas être devancé et il s’empressa de faire son choix. Il prit dix « lots » situés à l’angle des rues transversales aboutissant au « Boulevard » et qui coûtaient cinq cents piastres chacun. Les lots situés en face de la future église valaient quatre cents piastres chacun ; il en prit cinq.

Le total de ses achats s’éleva donc à sept mille piastres. Dulieu fut généreux et offrit un autre lot pour rien, par dessus le marché, au père Beaulieu, qui l’en remercia avec effusion. La transaction fut alors déclarée close et on reprit le chemin du bureau de Dulieu, pour signer le contrat de vente, après que le père Beaulieu eût reçu les félicitations des autres acheteurs, qui se montraient quelque peu jaloux de sa bonne fortune et du choix qu’il avait fait. Il avait pris tout ce qui restait de « lots » en face de l’église et l’un des acheteurs lui dit en partant : « vous savez, quand vous voudrez vendre ces lots-là, je vous en donnerai cinq cents piastres chacun ». Il aurait donc pu réaliser immédiatement un profit de plusieurs centaines de dollars. Il partit enchanté, convaincu qu’il avait jeté les bases de sa fortune.

S’il avait été plus observateur, il aurait constaté, en quittant Dulieu, après lui avoir versé ses trois mille dollars en à-compte sur le prix de vente, que l’agent d’immeubles lui disait bonjour d’une façon un peu cavalière, avec la désinvolture et l’indépendance d’un homme qui n’avait plus rien à attendre de lui : le père Beaulieu n’avait plus un sou et ce n’est pas l’habitude, dans le monde de la finance, de se fatiguer à avoir des égards pour les pauvres gens, une fois qu’on leur a arraché toutes leurs épargnes.

L’épicier ne remarqua rien d’insolite et il retourna chez lui absolument satisfait.

Comme on peut le croire, Dulieu repartit pour Saint-Augustin très satisfait, lui aussi.

Il y a deux sortes de financiers : ceux qui ne vendent que des propriétés valant l’argent qu’on leur donne pour ces propriétés et ceux qui ne se font pas scrupules de vendre aux gens sans expérience des propriétés absolument sans valeur, à des prix exorbitants. Il y a aussi une troisième catégorie, moins nombreuse, et Dulieu en était, celle des habiles qui se font une clientèle double, composée en partie de gens sérieux et d’hommes d’affaires avec lesquels ils font des transactions de bonne foi, et pour l’autre partie de pauvres diables imprudents qui achètent sans discernement des propriétés destinés à prendre de la valeur dans un avenir fort éloigné ou à n’en prendre jamais.

Ceux qui appartiennent à cette troisième catégorie se font une réputation qu’on pourrait appeler en partie double et qui survit à toutes leurs vilenies, car il se trouve toujours un certain nombre d’hommes d’affaires avec lesquels ils ont traité honnêtement pour leur décerner des certificats de respectabilité à l’encontre de ceux qu’ils ont exploités et volés. L’habileté de ceux qui appartiennent à cette catégorie consiste à être hypocrites au plus haut point, ce qui est encore, il faut l’avouer, la meilleure manière de réussir dans ce bas-monde, quelque regret que doive occasionner cette constatation.

Adulé par les uns, respecté par les autres, généralement estimé, Dulieu n’était connu sous son vrai jour que par un petit nombre de malheureux dont aucun n’était capable de lui faire perdre la considération à laquelle il n’avait pas droit et dont il jouissait quand même.

Il passait la belle saison à Saint-Augustin et goûtait les beautés de la nature sans aucune arrière-pensée, avec autant de calme et de candeur qu’un enfant : les parfaites canailles éprouvent souvent une paix d’esprit et de conscience que bien des honnêtes gens scrupuleux pourraient leur envier.

Il avait réussi, au moyen d’une réclame savante et grâce à ses nombreuses relations, à mettre Saint-Augustin à la mode et à donner à cet endroit une vogue dont il retirait le bénéfice. Les « lots » formés avec la terre du père Beaulieu s’enlevaient rapidement et Dulieu songeait sérieusement à acheter la terre voisine, pour continuer une spéculation qui s’annonçait comme devant être très heureuse.

Cette candeur et ce calme de l’esprit et de la conscience avec lesquels Dulieu vivait en communion avec la nature et goûtait les charmes de l’été dans les montagnes boisées de pins, d’autres aussi en jouissaient, et avec plus de droit que lui, à Saint-Augustin. Louis Duverger et Ernestine Ducondu surtout trouvaient que leurs vacances étaient les plus charmantes qu’ils eussent encore passées.

Le jeune homme et la jeune fille devenaient de jour en jour meilleurs amis, grâce à cette cordialité particulière qui règne pendant les villégiatures, à cette simplicité plus grande dans les rapports mondains qui est due, semble-t-il, au rapprochement de la nature.

Fort mal reçu chez les Doré, où la mère et le fils tenaient à lui faire sentir qu’il n’était qu’un garçon de cultivateur, tandis qu’Arthur croyait appartenir à la société, Louis avait naturellement été porté à aller plus fréquemment chez le docteur Ducondu, où il était bien accueilli.

Il était plus désireux de distractions que d’habitude, car il voulait oublier complètement ses études, pendant quelques semaines, pour les reprendre avec plus d’ardeur à l’automne. C’était la raison pour laquelle il tenait à bien jouir de ses vacances, mais une autre raison aussi lui faisait rechercher la société d’Ernestine : deux êtres jeunes ne peuvent longtemps faire des promenades ensemble, contempler le ciel quand les nuages blancs des belles après-midi d’été s’y entassant à l’horizon ou quand les étoiles y tremblent dans l’azur au cours des soirées tièdes et parfumées, écouter les chants des cigales au cours des haltes sous les grands arbres, sans entendre quelquefois aussi le battement de leurs cœurs.

Ni Louis ni Ernestine ne savaient ce que c’était que l’amour et il avait déjà passé près du jeune homme sans que celui-ci s’en aperçût, aux dernières vacances de Noël, mais tous deux goûtaient dans la compagnie l’un de l’autre un plaisir sincère et grandissant contre lequel ils ne réagissaient pas. Louis n’éprouvait plus sa timidité habituelle avec la jeune fille et ils en étaient venus à se considérer comme des amis. L’amour commence souvent par cette amitié franche qui met en harmonie les esprits, avant que les cœurs ne battent à l’unisson.

Le docteur Ducondu et sa femme voyaient avec bienveillance l’intimité de Louis et d’Ernestine et ils la favorisaient discrètement, en bons parents qui ne veulent négliger aucune occasion d’assurer l’avenir de leur fille.