Mes prisons
Mes prisonsVanier (Messein)Œuvres complètes, tome IV (p. 441-446).
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XVII


En V***. — Ville gentille à l’extrême, presque vosgeoise où je fus interné sous l’inculpation de menaces sous condition contre ma mère, crime d’après le Code pénal, puni de mort, — poing coupé, nu-pieds… Maman !

Ô Maman, en effet ! Pardonne-moi ce seul mot :

— Si tu ne reviens pas chez nous, je me tue !

Des Belges affreux qui avaient accaparé ta confiance ne me dénoncèrent-ils pas, après plainte mienne, au parquet de V***, — G*** procureur — à propos d’un viol de domicile par les Belges ci-dessus, domiciliés, après plusieurs incendies en divers lieux, à C…, par A…, département des Ardennes.

Si bien qu’un jour je reçus une assignation et, huit jours après, comparus devant le tribunal de première instance du ressort !

Le chemin, — dirai-je le Calvaire ? non ! — fut charmant. Une femme mariée et son mari et moi, plus un chien qui aboyait après des corbeaux perchés sur la plus haute branche, étions cahotés dans ce qu’on appelle vulgairement un tape-cul et ce que l’usage

Au boulevard de Gand,


intitule buggy.

Le Lion d’Or, — Le Lyon d’Or de la région nous accueillit, cheval et tout. Puis nous fûmes au Tribunal, ce mari et sa dame m’étant des témoins à décharge.

La plus jolie trinité de juges que j’aie jamais vue dans ma délictueuse et criminelle sorte de vie.

Le président s’appelait Adam. Son assesseur de droite s’appelait Marie. J’oublie, — et je lui en demande excuse, le nom de l’autre assesseur qui, par une dérogation rogatoire, m’avait servi de juge d’instruction. Mais je me souviens, ô qu’oui ! du nom du procureur de la République :

« G*** . »

J’ai d’ailleurs fait sur lui des vers pour un volume, qualifié d’Invectives, pour paraître chez mon ennemi naturel, Léon Vanier, 19, quai Saint-Michel.

Mais entrons au palais de justice de cette minuscule sous-préfecture, et admirons-en la superbe nullité architecturale, rara avis en ce temps de prétentions de tout ordre.

Admirons aussi non la moindre nullité de ce monsieur G***, procureur de la République, radical, zélé, bien, m’a-t-on dit, que clérical, catholique bien paraît-il, que libre-penseur, et en quelque sorte, ma muse… d’acajou.

Jugez-en.

L’archi-connu mobilier de n’importe quel tribunal : du chêne, du papier à tenture sombre, des rideaux de même nuance et trois messieurs en robe noire et rabats blancs. À gauche une table avec le procureur derrière, même costume que ci-dessus plus une toque à galons d’or généralement sur la tête, en arrière, crânesquement.

L’audience commença par des broutilles, vagabonds, braconniers, petits voleurs, etc. Quand vint mon affaire, une espèce de silence se fît dans l’auditoire assez nombreux ce jour-là. J’étais un espèce de monsieur dans la région, en outre d’une réputation assez détestable que j’y avais : un de Rais mâtiné de plusieurs Edgard Poe qui auraient compliqué leur rhum et leur cas d’absinthe et de Picon : tel moi dans l’imagination de passablement de mes voisins de campagne accourus à la ville pour voir juger « le Parisien ».

L’interrogatoire fut ce que sont toutes ces formalités. Mais le réquisitoire manqua de ce qu’on appelle modération. J’eusse été un Hérode fondu avec un Héliogabale que les épithètes énormes n’auraient point volé plus dru sur les lèvres de ce G*** avec qui les abeilles de l’Hymette n’ont jamais, je le crains, eu affaire : « le plus infâme des hommes, le fléau du pays, venu pour déshonorer nos campagnes. » (Ça se passait dans les Ardennes et ce G*** est Auvergnat.) « Je ne sais comment qualifier cet individu et je renonce à trouver une expression qui dit toute mon horreur ; je la rattraperai d’ailleurs plus tard que dans cette affaire relativement peu importante. » (Venez-y donc, chéri !) Telles furent quelques-unes des fleurs de son bouquet… De vérité, de bon sens point question. Et il concluait au maximum qui est — lisez le code ! — la mort. Le tribunal m’appliqua le minimum.

Je ne puis ici ni ne pourrais nulle part jamais remercier ces messieurs de quoi que ce soit, non plus peut-être que de les blâmer puisque j’étais un innocent entortillé, il est vrai, des plus plausibles faux témoignages. Du moins dois-je reconnaître qu’ils y ont, comme on dit, mis du leur en ce cas. D’ailleurs, leur bonne volonté — et leurs Considérants — « Vu l’excellente attitude de l’accusé à l’audience », enfin le bénéfice des circonstances atténuantes accordé, tout cela m’amoindrit l’idée de la prison à refaire et je leur en garde une reconnaissance dont quittance.

La prison de V*** est toute petite : les barreaux sont de bois peint en noir On jouait au bouchon avec le gardien-chef. On y reste peu, un mois juste avec un jour de plus, je crois, quand la peine doit se prolonger ailleurs. Il y avait de mon temps un corbeau familier, ennemi rauque des peu mélodieux chats de l’établissement, qui, par suite d’incongruités dans des baquets où coulaient des lessives, fut tué d’un coup de carabine par le « patron », et fit d’excellent bouillon. J’ai raconté le fait en détail dans mes « Mémoires d’un veuf ».

Dans cette prison si bonhomme j’étais chargé du ménage, épousseter, balayer. À ce propos le gardien-chef me dit un jour que j’avais mal « faite l’ouvrache » l’homme était du Nord, et il ajouta que j’étais plus fort sur l’écriture que sur la peinture.

(Il est bon de dire que j’avais dans le pays une réputation déjà d’« écrivain ».)

J’étais aussi prié tous les soirs de réciter au dortoir le Pater Noster et l’Ave Maria, — et il paraît que je m’en acquittais bien mieux que mon prédécesseur dans cet emploi. Parbleu ! Et sans trop de peine, vraiment.

Un aumônier venu de Falaise, un village voisin dont il est question dans la Débâcle d’Émile Zola, et qui avait été missionnaire en Chine, enterré vivant, nous disait la messe tous les dimanches. Son sermon hebdomadaire, plein d’anecdotes et très gentil, dans ce joli accent un peu anglais des Ardennes se concluait par une poignée de main à travers des barreaux, de bois comme les autres, aux quelques trois ou quatre prisonniers que nous étions. Cela dura donc un mois au bout duquel, mon amende (500 francs !) étant payée, je sortis en compagnie du gardien-chef avec qui je bus quelques bouteilles d’un certain petit vin de Voucq dont je ne vous dis que çà, dans un cabaret à côté qui s’appelait Au bon coin et méritait cette dénomination.