Mathématiques et mathématiciens/Chp 2 - Section : Enfants et ignorants

Librairie Nony & Cie (p. 211-224).


ENFANTS ET IGNORANTS



ENFANT TERRIBLE

Toto était interrogé avec bonhomie par son père sur la soustraction : « Si tu as huit pommes et que tu m’en donnes trois, combien t’en reste-t-il ? » — Le tout petit réplique aussitôt : « Si j’ai cinq-z-yeux et que tu m’en crèves six, combien qu’i’m’en reste ? »

TROP COURT

On dit à un enfant de faire une mesure avec le mètre, il essaye mais en vain : le mètre n’était pas assez long !

REP… D’MATH…

Loulou. — Répétiteur d’math…

Papa. — Hein ?

Loulou, condescendante. — … ématique… mathématiques… nous disons math… c’est plus court…

Papa. — En effet…

Loulou. — C’est du reste pour toi qu’j’avais dit répétiteur d’math… car on doit dire : « l’rep… d’math… » c’est le vrai genre…

Papa. — Ah !… c’est le genre !… et pourquoi as-tu un répétiteur de math… puisque math… il y a ?

Loulou, — Parc’que c’est ce qui me chante l’moins !… j’suis obligée d’les bûcher très dur, ces sales math !…

Gyp.
PAROLE D’HONNEUR

Lorsqu’au temps jadis, le duc d’Angoulême fut nommé grand-maître de la Marine, on s’aperçut avec stupeur qu’il savait à peine compter. Immédiatement le plus célèbre géomètre de France fut mandé pour l’instruire en la mathématique, comme on disait alors. Mais c’est en vain qu’il tenta d’en démontrer les principes les plus élémentaires à son auguste disciple. Celui-ci l’écoutait avec une exquise politesse, mais en hochant la tête avec un doux air d’incrédulité. — Un jour, à bout d’arguments, le pauvre maître s’écria : « Monseigneur, je vous en donne ma parole ! » « Que ne le disiez-vous plus tôt ! Monsieur, répondit le duc en s’inclinant : je ne me permettrai plus jamais d’en douter. »

FACÉTIES GÉOMÉTRIQUES

Deux paysans ont échangé leurs champs, l’un carré de 6m de côté, l’autre rectangulaire de 9m de long sur 3 de large, chacun des champs ayant ainsi 24m de tour. Le second paysan se prétend lésé.

Mon arrière-grand-père, ayant emprunté un sac de blé de 6 pieds de haut sur 4 pieds de large, en a ensuite rendu quatre de 6 pieds aussi de haut et d’un pied de large chacun. Le prêteur n’a pas accepté.

Un jardinier a droit à l’eau que lui apporte un conduit circulaire. Il paye pour avoir le double d’eau et il double à cet effet le diamètre du conduit. On lui fait un procès.

ENTÊTEMENT

Bernardin de Saint-Pierre ne comprenait pas la question du rayon de courbure de l’ellipsoïde terrestre et il fatiguait l’Institut de ses notes. « Apprenez le calcul différentiel, lui dit un jour Napoléon, et vous lèverez vous-même vos ridicules objections. »

Voir la préface de La chaumière indienne où l’on trouve l’explication des marées par la fonte des neiges polaires.

PEU INTELLIGENT

Arago, qui fut un admirable vulgarisateur dans ses cours de l’Observatoire, regardait toujours celui de ses auditeurs qui lui paraissait être le moins intelligent, et lorsque cet auditeur lui semblait avoir compris, il était assuré de la clarté de sa démonstration.

Or, un jour, dans un salon où il venait de raconter ce fait, un jeune homme entra, qu’il ne connaissait pas et dont il eut à subir les saluts les plus empressés.

— À qui ai-je l’honneur de parler ? lui demanda-t-il.

— Oh ! monsieur Arago, vous devez bien me connaître, car j’assiste assidûment à vos leçons, et vous ne cessez de me regarder pendant tout le temps.

CHEZ LES TURCS

On rapporte qu’un ambassadeur, visitant une école supérieure de Constantinople, proposa de démontrer que la somme des angles d’un triangle est égale à deux angles droits. Après mûres réflexions, le collège des Muhendis ou des géomètres conclut à l’exactitude de la proposition pour le triangle équilatéral.

Olry Terquem, auquel nous empruntons l’anecdote, s’est trompé. Le baron de Tott dit, dans ses mémoires, qu’il lui fut répondu : « C’est selon le triangle. »

POLICE VOLÉE

D’après un journal de la Triplice (ne pas confondre avec la triple x), la police russe a fait emprisonner un voyageur porteur d’une Table de logarithmes qu’elle considère comme une longue correspondance chiffrée des plus compromettantes.

Nous faisions à l’École, un usage plus gai de nos tables de logarithmes : nous les chantions… d’après la méthode Chevé.

DÉCIMÈTRE CARRÉ

Sous le gouvernement de Juillet, il a été promulgué une loi sur le Timbre et l’Enregistrement dans le texte de laquelle le décimètre carré était confondu avec le dixième du mètre carré. Les instituteurs ont bien ri.

Plus récemment, la Chambre a imposé les verres à vitre dont la surface est supérieure à 50 centimètres de côté.

JEUNE ANGLAIS

Dickens raconte qu’un étudiant, ayant négligé l’arithmétique, procédait toujours par addition. Il entra un jour dans une boutique d’épicerie et l’utilité de la multiplication lui fut enfin révélée.

COMPLAISANCES ASTRONOMIQUES

Un monsieur porteur d’une carte d’entrée à l’Observatoire pour observer une éclipse arriva trop tard : « Je connais particulièrement Arago, affirma-t-il, il aura la bonté de recommencer pour moi. »

Des signaux de triangulation ayant été établis près du château de M. X…, député, on s’exclamait sur sa grande influence qui lui avait permis de faire passer le méridien dans son domaine.

Un orateur de club, voulant échapper au bon plaisir des administrateurs municipaux d’Auxerre, demandait que les noms des quartiers du Nord, de l’Est, du Sud et de l’Ouest fussent tirés au sort.

COMÈTES

Un jour viendra où le cours des comètes sera connu et assujetti à des règles comme celui des planètes.

Sénèque.

Je viens vous annoncer une grande nouvelle :
Nous l’avons, en dormant, Madame, échappé belle.
Un monde près de nous a passé tout du long,
Est chu tout au travers de notre tourbillon ;
Et s’il eût en chemin rencontré notre terre,
Elle eût été brisée en morceaux comme verre.

Molière.

Nous avons ici une comète qui est bien étendue, c’est la plus belle queue qu’il soit possible de voir. Tous les plus grands personnages sont alarmés et croient que le ciel, bien occupé de leur perte, en donne des avertissements par cette comète. On dit que le cardinal Mazarin, étant désespéré des médecins, les courtisans crurent qu’il fallait honorer son agonie d’un prodige, et lui dirent qu’il paraissait une grande comète qui leur faisait peur. Il eut la force de se moquer d’eux, et leur dit plaisamment que cette comète lui faisait trop d’honneur. En vérité on devrait en dire autant que lui, et l’orgueil humain se fait aussi trop d’honneur de croire qu’il y ait de grandes affaires dans les astres quand on doit mourir.

Mme de Sévigné.

Comètes que l’on craint à l’égal du tonnerre,
Cessez d’épouvanter les peuples de la Terre :
Dans une ellipse immense achevez votre cours ;
Remontez, descendez près de l’astre du jour ;
Lancez vos feux, volez et revenant sans cesse,
Des mondes épuisés ranimez la vieillesse.

Voltaire.

D’avance, à l’avenir, nous écrivons leur route :
Nous disons à celui qui n’est pas encor né,
Quel jour, au point du ciel, tel astre ramené
Viendra de sa lueur éclairer l’étendue,
Et rendre au firmament son étoile perdue.

Lamartine.
OPINIONS AMÈRES

L’enseignement mathématique fait l’homme machine et dégrade la pensée. L’âme d’un peuple n’est pas ce chiffre muet et mort à l’aide duquel il compte des quantités et mesure des étendues : la toise et le compas en font autant.

Lamartine.

Défiez-vous des ensorcellements et des attraits diaboliques de la géométrie.

Fénelon.

Un mathématicien de plus, un homme de moins.

Dupanloup.

Le naturaliste Owen demandait en souriant une sous-classe, celle de l’homo mathematicus.

ASTROLOGIE

L’astrologie est la fille de l’astronomie, mais c’est la fille très folle d’une mère très sage.

Voltaire.

De quoi vous plaignez-vous, philosophes délicats, si une fille que vous estimez folle soutient et nourrit sa mère qui est sage mais pauvre ? Les hommes ne sont-ils pas encore plus fous de ne pouvoir supporter la mère qu’à cause des folies de sa fille ? Pensez-vous qu’ils eussent jamais étudié la science pour elle-même, s’ils n’eussent espéré d’arriver ainsi à lire l’avenir dans le ciel ? Si vous prétendez que la science vous mène à la philosophie, vous attendrez longtemps.

Kepler.

Le grand Kepler, pour se procurer quelque argent et continuer ses travaux, dut se résigner à publier des almanachs avec des prophéties.

ARCHITECTE MAL PAYÉ

Le premier des czars, Ivan IV, demanda à un géomètre combien il faudrait de briques pour construire un bâtimemt régulier dont il lui indiqua les dimensions. La réponse fut rapide et l’expérience la justifia, aussi Ivan, dit le terrible, fit-il brûler le calculateur… comme sorcier.

ÉGAL À ZÉRO

Un gentilhomme, membre amateur de l’Ancienne Académie des Sciences, ayant entendu disserter sur les équations, n’abordait plus ses confrères de mathématiques qu’en leur demandant : « Est-ce que c’est toujours égal à zéro ? »

ÉCLIPSE DU COLONEL

On annonçait une éclipse de soleil. La veille au soir, le colonel d’un régiment fait venir tous les sergents et leur dit : « Une éclipse de soleil aura lieu demain matin. Le régiment se réunira sur la place d’armes en petite tenue. Je viendrai moi-même expliquer l’éclipse avant l’exercice. Si le temps est couvert, on se réunira au manège comme d’habitude. »

Aussitôt les sergents de rédiger leur ordre du jour :« Une éclipse de soleil aura lieu demain matin, par ordre du colonel. Le régiment se réunira sur la place d’armes, où le colonel viendra diriger l’éclipse en personne. Si le temps est couvert, l’éclipse aura lieu dans le manège. »

À DIX MOIS

Bien avant de savoir compter, l’enfant se fait une certaine idée des nombres. M. Preyer parle d’un petit de dix mois auquel il était impossible d’emporter une de ses neuf quilles sans qu’il s’en aperçût. À dix-huit mois, cet enfant avait été habitué à apporter à sa mère deux mouchoirs qu’il remportait ensuite à leur place ; il ne lui en fut rendu un jour qu’un seul,  il vint chercher le second avec un regard et des intonations qui indiquaient son désir de l’obtenir.

Voir sur les idées enfantines de grandeur et de nombre les expériences de M. Binet, dans la Revue philosophique de juillet 1890.

VALEUR RELATIVE

Un marin, arrivant d’Australie, avec une caisse de coquillages précieux, en prend un et se rend chez un marchand de curiosités.

« — Voulez-vous m’acheter ce coquillage ?

— Certainement, c’est superbe, j’en donne vingt-cinq francs.

— Vingt-cinq francs, s’écrie le marin avec joie, mais me voilà riche, j’en ai apporté six mille.

— Doucement, dit le marchand, si vous en avez six mille… ça vaut deux sous pièce. »

CANCRE

Il passait pour tel, ce pauvre garçon, jusqu’à l’incident qu’il nous raconte ainsi :

« Mon attention était si tendue, que par moment je retenais mon haleine, comme un plongeur. Pas à pas, je suivis la démonstration, et je fus littéralement abasourdi, lorsque le professeur arriva à la conclusion, en m’apercevant que j’avais tout compris jusqu’au dernier mot.

Après la joie de découvrir la vérité par lui-même, la plus grande joie pour un homme, dans l’ordre des joies de l’esprit, est celle de concevoir la vérité démontrée. Il est probable que mon contentement se marqua sur ma figure car, lorsque le professeur se retourna de notre côté, il me sembla que c’était moi qu’il regardait plus particulièrement.

Quand il demanda, comme d’habitude : « Quelqu’un désire-t-il venir au tableau pour reprendre cette démonstration ? » quelques mains se levèrent, la mienne fut du nombre. Pourquoi ? Comment ? Je ne saurais vraiment le dire, car lorsque je m’en aperçus, il me sembla qu’elle s’était levée spontanément, de sa propre autorité, sans me demander mon assentiment. Ce fut moi que le professeur désigna d’un signe de tête plein de bienveillance. »

Jules Girardin.
FIN DU MONDE

Lalande avait préparé en 1773 pour l’Académie des sciences un mémoire qu’une circonstance quelconque l’empêcha de lire. Le bruit se répandit dans le public que l’astronome y prédisait à courte échéance la destruction de notre planète. L’émotion fut telle que le lieutenant de police demanda à lire le mémoire ; il n’y trouva rien d’alarmant et, pour calmer les esprits, il en ordonna la publication immédiate. Toutefois beaucoup de personnes restèrent persuadées qu’on avait supprimé le passage menaçant. On lit dans une chanson de l’époque :

Oui, de vous landerirette
Monsieur Lalande rira.

TREIZE À TABLE

Voyez-vous treize humains en troupe,
Attablés et mangeant la soupe,
Sachez que l’un d’iceux sera
Trépassé quand l’an finira.

Le Club des treize a été fondé à Londres pour combattre les superstitions : les tables comportent toujours treize couverts et le menu est toujours composé de treize plats.

LENTEMENT

L’enfant ne fait d’abord de distinction qu’entre l’objet simple et la pluralité. À l’âge de 18 mois seulement il distingue entre un, deux et plusieurs. En Europe, il faut arriver à l’âge de 10 ans pour apprécier l’idée de centaine. L’enfant peut sans doute répéter par cœur la série avant ce moment, mais sans déterminer intellectuellement le nombre dans son abstraction.

Houzeau.
LONGÉVITÉ

Nous lisons dans une pièce de vers à Louis XVIII :

Grand Dieu, c’est pour Louis que mon zèle t’implore
Prolonge ses jours précieux !
Laisse-nous en jouir quelques siècles encore !

VITE

C’est à deux lieues, mon petit ami. — Mais en marchant vite, bien vite ?

NAÏF

On a surpris un pauvre enfant s’acharnant à réduire une fraction, une seule fraction,.. au même dénominateur !

Le même, interrogé sur les triangles semblables, traça un seul triangle au tableau : soit le triangle semblable ABC…

CONSCIENCIEUSE

Madame***, qui a du temps à perdre, mesure chaque fois le diamètre et la circonférence. N’essayez pas de lui expliquer… Elle fait comme ses aïeules.

Une autre dame, moins consciencieuse, faisait ainsi le compte de son âge : « Je me suis mariée à 18 ans ; mon mari en avait trente et il en a maintenant le double… donc j’ai 36 ans. » Vous devez vous tromper, Madame, vous paraissez plus jeune que vous ne dites.