Madame de Staël et M. Necker d’après leur correspondance/02

Madame de Staël et M. Necker d’après leur correspondance
Revue des Deux Mondes6e période, tome 14 (p. 51-80).
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II
LEUR CORRESPONDANCE À LA VEILLE ET AU LENDEMAIN DU DIX-HUIT BRUMAIRE

Dans la notice, toute vibrante encore de sa douleur, que Mme de Staël consacrait à la mémoire de celui qui lui avait été si cher, elle écrivait ces lignes : « Je publierai un jour les lettres de mon père. C’est moi qui suis la plus riche entre ses amis, car il n’a pas laissé passer, quand nous étions séparés, un courrier, un seul courrier sans m’écrire[1]. » La publication intégrale des lettres de M. Necker ne présenterait pas autant d’intérêt que le croyait Mme de Staël. Parfois sarcastiques et spirituelles, parfois un peu incorrectes de forme, toujours mesurées et sagaces, elles sont malheureusement remplies de beaucoup de détails intimes et de petites nouvelles locales qui les alourdissent. Je me bornerai donc à tirer de ces lettres quelques extraits. Dans ces extraits on verra, on quelque sorte, se refléter Mme de Staël elle-même. À travers les marques de tendresse que son père lui prodigue, tendresse qui n’exclut cependant pas la clairvoyance, et les judicieux conseils qu’il lui donne, on devine en effet l’existence agitée qu’elle mène, ses perplexités, ses imprudences, ses impétuosités généreuses. On trouvera aussi l’écho des événemens contemporains dont M. Necker et sa fille s’entretiennent au jour le jour et un nom y apparaît, presque à chaque lettre, qui en relève l’intérêt, — et ceci aurait singulièrement étonné Mme de Staël, — celui de Bonaparte.


I

La correspondance s’ouvre en 1797. À cette époque, le nom de Bonaparte était sur toutes les lèvres, et lorsque M. Necker l’appellera « le héros, » il ne fera que répéter le surnom que lui avait donné la voix populaire. L’année précédente, la campagne d’Italie, Lodi, Castiglione, Arcole, l’entrée triomphale à Milan avait appris à la France ce nom que, la veille encore, elle ignorait presque, et, comme le dit M. Madelin dans le brillant résumé de la Révolution française que l’Académie française a couronné, « l’Europe stupéfaite voyait s’élever en quelques jours un astre qui allait changer la face du monde[2]. » L’année suivante, la face du monde, grâce au héros, allait changer encore une fois. À la France il avait apporté la gloire, au monde il apportait la paix. À Campo-Formio, il l’imposait à l’Autriche, et le Directoire jaloux, peu désireux peut-être de voir revenir à Paris le général qui était déjà l’idole de la nation, l’envoyait au congrès de Rastadt, non sans quelque espoir que le diplomate ne vaudrait pas le capitaine et qu’il se diminuerait aux petits jeux des chancelleries. Pour gagner, en arrivant de la Lombardie, le grand-duché de Bade, le chemin le plus court est par Genève. M. Necker va nous raconter, dans quelques-unes de ses lettres, l’émoi causé en Suisse par le passage du « héros. »

5 novembre 1797.

Si Buonaparte passait par Genève, et par Coppet ensuite, pour aller à Rastadt ou à Paris, je me tiendrais sur le grand chemin, comme un badaud, pour le voir passer. Personne jusques à présent n’a entendu dire qu’il doive traverser la Suisse. Natural[3] me disait bonnement l’autre jour : « Je voudrais bien que Mme la Baronne eût un jour du crédit auprès du grand général ; ce serait peut-être un bon moyen pour mon affaire. » Tu vois qu’au milieu des grands événemens chacun pense encore à toi. Je trouve aussi que cela vaudrait mieux qu’une lettre à un ministre ; mais, à sa place, je ne me presserais pas ; le moment ne vaut rien. Il y a des gens qui pensent que Buonaparte a trop d’affaires en Italie pour aller en France.


23 novembre 1797.

Je t’ai écrit avant-hier par l’ami[4], et j’ai laissé Buonaparte attendu à neuf ou dix heures du soir à Coppet. Je fus avec les envoyés de Berne et d’autres curieux chez M. Duchesy, mais, à minuit, le héros n’arrivant point, je quittai la campagne et fus me coucher. Il vint à deux heures une estafette avertir qu’un ressort de sa voiture ayant cassé, il ne passerait que le lendemain matin à neuf heures ; on l’attendit toute la matinée inutilement ; sa voiture n’avait pu être raccommodée ; enfin les équipages parurent à sept heures du soir ; les chandelles étaient sur les fenêtres ; une escorte de douze dragons était prête. M. de Wurstemberger[5] et M. le Baillif descendirent dans la rue à la porte de M. Duchesy. On cria : arrête à la voiture, mais les postillons n’en tinrent compte et ils traversèrent Coppet plus vite que le vent. Les glaces de la berline du général étaient fermées. Il ne les ouvrit point et personne n’a pu l’apercevoir. Le Baillif garda son compliment et chacun remonta dans l’appartement avec plus ou moins d’humeur et de chagrin.

Les dragons cependant suivirent le général et l’on parvint près de l’avenue de Bossey à se placer à côté des postiers. Alors il ouvrit sa glace et demanda s’il était sur le territoire suisse. M. de Wurstemberger l’atteignit à Nyon et lui parla. Je ne sais en ce moment quelle explication il y eut entre eux ; mais elle fut amicale. On croit généralement que la crainte des postillons genevois d’être forcés à Coppet de céder la place aux relais de Leurs Excellences les a engagés à traverser Coppet sans s’arrêter et sans obéir aux sommations de la garde, et Buonaparte a passé Coppet sans se souvenir qu’il y avait là un Baillif en attente. Toute cette conjecture est pourtant à revoir.

Un des dragons de Coppet avait été chargé par Mlle Agier de remettre une lettre à Buonaparte ; il a exécuté sa commission entre Coppet et Nyon, et le général, arrivé à Nyon, a demandé où demeurait Mlle Agier. On lui a répondu que c’était sur la route de la manufacture de faïence. Il s’est arrêté à sa porte, l’a embrassée, l’a appelée sa bonne maman et a passé cinq minutes dans sa chambre où elle n’avait pas eu le temps de faire allumer deux chandelles. Cette demoiselle Agier l’avait connu à Lyon dans son enfance, c’est la même qui a fait des vers pour toi et même pour moi. Ne crois-tu pas qu’elle sera invitée à une ou deux après-diners de plus dans la semaine ? On ne sait rien de plus de la route du général, si ce n’est qu’à Lausanne le peuple a mis les relais de Leurs Excellences à sa voiture et a fait ainsi une petite justice de l’insolence des postillons genevois. On prépare beaucoup de fêtes au général à Berne, mais il est trop pressé pour en profiter. Il y a eu à Nyon de la musique et beaucoup de vivats. Voilà ma partie finie ; je remets le héros à l’histoire.


27 novembre 1797.

Deux petits mots de Buonaparte qui m’ont paru de bon goût et toujours avec Mlle Agier[6]. Elle lui a parlé des lettres qu’elle lui avait écrites et il s’est excusé parce qu’il avait eu quelques affaires, et en s’en allant, voyant qu’elle avait gardé une ancienne servante dont il avait le souvenir, il lui a dit : « À présent, recommande à Jacqueline de ne plus m’appeler polisson… »


1er décembre.

M. de Wurstemberger a écrit au Baillif de Nyon que Buonaparte, en se fâchant beaucoup contre ses postillons, a montré beaucoup de regret de n’avoir pas connu le moment où il passait à Coppet, et, dans son regret, il a placé le désir qu’il aurait eu de faire connaissance avec moi. Le Baillif m’a fait dire qu’il m’apporterait la lettre de M. de Wurstemberger et comme il l’a montrée à plusieurs personnes, il m’en revient de l’honneur dans ce pays.

Dans ses lettres à sa fille, M. Necker n’appelle pas seulement Bonaparte « le héros. » Souvent il dit aussi : « ton héros, » et on va voir que ce n’était pas sans raison. Les archives de Coppet contiennent une preuve assez curieuse de la fascination que, dès cette année 1797, Bonaparte exerçait sur l’imagination de Mme de Staël et en même temps des craintes que, déjà, il lui inspirait. J’ai dit qu’elle avait une passion malheureuse, celle de composer des tragédies. En 1787, elle avait écrit Jane Grey, qui courut longtemps en manuscrit et ne fut imprimée qu’en 1790 à un assez petit nombre d’exemplaires. À la veille de l’ouverture des États généraux, elle avait composé une tragédie qui se passait en Perse. Un souverain éclairé, conseillé par un sage ministre, voulait doter ses sujets des bienfaits de la liberté et réunissait leurs délégués en une assemblée délibérante. Inutile de dire à qui elle pensait quand elle mettait en scène le sage ministre. Pendant le Directoire et la Révolution, et alors qu’elle se dévorait à Coppet dans l’inaction, elle avait écrit Montmorency, dont elle parlait à son mari dans ses lettres. En 1797, elle écrivit : Jean de Witt, tragédie en cinq actes et en vers. C’est la mention que porte un manuscrit tout entier de sa main. Le papier en est rude et épais, comme celui de presque tous les manuscrits de Mme de Staël. Le texte est fréquemment raturé, ce qui le rend par endroits difficile à déchiffrer. Le sujet du drame est le différend tragique de Jean de Witt avec Guillaume de Nassau. C’est naturellement Jean de Witt qui en est le héros, et, naturellement aussi, c’est en Hollande que se passe la scène, mais il est bien difficile de croire que ce ne soit pas la France dont Mme de Staël a voulu décrire l’état, lorsque, dès la première scène entre Jean de Witt et son confident Bergen, — car, suivant le procédé classique, Jean de Witt a un confident, — le confident s’exprime en ces termes :

Toi qui défends encore la liberté Batave,
Toi le seul citoyen de ce pays esclave,
Jean de Witt, c’est assez ; les talens, les vertus
S’épuisent maintenant en efforts superflus.
On peut sauver l’État et non la République.
................
La liberté n’est plus qu’une arme dangereuse
Qui sert à soulever la foule factieuse
Et les amis adroits de l’absolu pouvoir,
De l’ordre et de la paix vous présentant l’espoir,
Attachent les esprits au sceptre militaire
Dont on veut que Nassau soit le dépositaire.
................
Faut-il dans un seul chef trouver notre défense ?
Faut-il du peuple entier soulever la puissance ?
Pour nos antiques lois son respect est détruit.
Par un espoir nouveau toujours on le séduit.
Un prince, un nom fameux ranimerait son zèle.
Indigne d’être libre, il peut être fidèle
Et c’est une vertu pour ce peuple aujourd’hui
Que d’adorer un maître et de mourir pour lui.

Il est bien difficile également de ne pas croire qu’elle a traduit ses propres sentimens et les appréhensions des rares fidèles de la liberté en face de l’attitude énigmatique du « héros, » lorsqu’elle met dans la bouche de Jean de Witt les vers suivans :

Bergen, un seul devoir à ce pays me lie.
S’il cesse d’être libre, il n’est plus ma patrie.

Que Guillaume ou Louis le soumette à ses lois,
Entre ces deux tyrans irai-je faire un choix ?
................
C’est ainsi que Nassau marche à l’autorité.
Quel augure, grand Dieu, pour notre liberté !
Je crains son caractère et jusqu’à sa sagesse.
Ce calme inaltérable, au sein de la jeunesse,
Loin de me rassurer me remplit de terreur.
Son intérêt déjà seul commande à son cœur :
On ne voit rien en lui qui soit involontaire.
Chaque pas a son but, chaque mot son mystère ;
Ses traits qu’à peine encore vingt ans ont embellis
Par de longs souvenirs semblent déjà flétris.
La vieillesse s’y place à côté de l’enfance.
Depuis ses premiers ans, avide de puissance,
L’art s’empara d’abord de cet esprit naissant,
Et prévint la nature à son premier accent.

Ces vers, qui ne font pas beaucoup d’honneur au talent poétique de Mme de Staël, en font davantage à sa sagacité. Le portrait de Bonaparte à vingt-huit ans ne laisse pas que d’être, par certains côtés, ressemblant, et lorsqu’elle dit du peuple de Hollande :


Indigne d’être libre, il peut être fidèle.


n’entrevoit-elle pas, d’un coup d’œil prophétique, ce que va être, pendant quinze ans, le peuple de France ?


Il

Mme de Staël passa les premiers mois de l’année 1798 à Coppet avec son père. Elle le quitta au commencement d’avril. Ce n’était jamais sans inquiétude que M. Necker la savait dans ce milieu de Paris encore si troublé. « J’ai toujours peur, ma chère Minette, lui écrivait-il, l’année précédente, que tu ne parles et que tu ne remues, et qu’un ennemi ne saute sur toi. » Il semble que cette année il l’ait vue partir avec une émotion particulière. Le lendemain même du jour où elle avait quitté Coppet, il lui adressait cette lettre touchante :

20 avril.

Chère Minette, je t’ai quittée avec bien de la peine et tu n’a pas jeté les yeux vers les trois fenêtres où j’ai été consécutivement pour voir encore

ton aimable mine. Je te suis dans la route avec la plus tendre affection et tu m’as dit tant de choses douces et sensibles le jour et la veille de ton départ que je vis avec elles.

Mme de Staël s’était installée à Saint-Ouen, l’ancienne terre de son père où s’était écoulée sa brillante jeunesse et qui était encore sous séquestre. Mais elle avait obtenu la permission d’y résider. Les lettres de M. Necker portent la singulière suscription suivante qui rappelle encore les temps révolutionnaires : « À la citoyenne Staël, Saint-Ouen, » par Franciade. » Franciade, c’est Saint-Denis. Les lettres elles-mêmes, en cette année 1798, présentent peu d’intérêt. Elles ne contiennent presque aucune allusion aux affaires de France. Le « héros » est en Egypte et il n’arrive que de rares nouvelles de lui. Cependant, lorsque M. Necker est informé par les papiers publics du désastre d’Aboukir, il écrit à sa fille :

Je te vois douloureusement affligée du malheur arrivé à la flotte française et je partage ta peine. Réfléchis, pour ta consolation, que c’est un seul échec à la suite et au milieu de tant de succès…

Les autres lettres sont presque toutes des lettres d’affaires. M. Necker se trouvait alors aux prises avec d’assez sérieuses difficultés dans la gestion de sa fortune. « Mon père avait perdu par la révolution de Suisse et par le séquestre de son dépôt en France les trois quarts de sa fortune, » dit Mme de Staël dans la notice dont j’ai parlé. Peut-être exagère-t-elle un peu ; mais il est certain que, d’une part, la mise sous séquestre de ses biens en France et en particulier de deux millions qu’il avait laissés en dépôt au Trésor au moment de son départ, d’autre part, la suppression des droits féodaux, conséquence de la proclamation de la République en Suisse et de l’incorporation de Genève à la France avaient fait une brèche sensible à ses revenus. Mme de Staël prévoyait depuis longtemps cette suppression. Rendant compte à son mari, quelques années auparavant, des progrès de l’esprit révolutionnaire dans son pays d’origine, elle ajoutait : « Tout ce qui leur plaira, excepté la suppression des droits féodaux. » Les droits féodaux avaient été abolis cependant, et les revenus du baron de Coppet, — c’était le titre auquel avait droit M. Necker, — avaient été singulièrement diminués par cette suppression. Quant à son dépôt de deux millions, le remboursement lui en avait bien été offert, mais en biens du clergé. Il avait refusé, ce qui, de la part d’un protestant, était assurément preuve de délicatesse, et la correspondance de Mme de Staël avec son mari porte la trace de la répugnance constante opposée par M. Necker aux offres avantageuses que lui faisaient parvenir les acquéreurs de biens nationaux. Mais il ne s’en appliquait pas moins à réparer par d’heureux placemens en France où les immeubles étaient tous à vil prix, où l’argent était rare et cher, les atteintes portées à sa fortune, et, sur ces opérations, il consultait Mme de Staël qui, durant cette année 1798 en particulier, lui servait souvent d’intermédiaire avec des notaires ou des banquiers.

L’intermédiaire était bien choisi. Mme de Staël paraît avoir eu une très bonne tête d’affaires. En tout cas, elle avait beaucoup d’ordre et elle apportait beaucoup de soin à la gestion de sa fortune qu’elle considérait, avec raison, comme la sauvegarde de son indépendance. Il y a dans les archives de Coppet plusieurs liasses de lettres de ses divers banquiers, auxquelles elle répondait très exactement. Ce goût de l’ordre ne l’empêchait pas d’être très généreuse et très dévouée, pécuniairement parlant, à ses amis. Non seulement, pendant la Terreur, elle en fit évader à prix d’argent un grand nombre, mais toute sa vie elle obligea volontiers par des avances les personnes de son entourage qui s’adressaient à elle. Je possède la liste des prêts qu’elle consentit, et on serait peut-être étonné d’y voir inscrits certains grands noms. Mais, à l’époque dont je parle, elle n’était pas en possession de sa fortune. Elle avait vécu jusque-là des revenus de sa dot que lui servait son père et du traitement d’ambassadeur de M. de Staël, traitement de tout temps très irrégulièrement payé, sans que M. de Staël, qui n’était pas seulement généreux, mais plutôt prodigue, eût jamais accepté de restreindre ses dépenses. Aussi était-il tombé dans de graves embarras qui devaient amener M. Necker à exiger une séparation de biens. Ces questions d’intérêt remplissent presque exclusivement les lettres de M. Necker durant l’année 1798, et le détail en serait fastidieux.


III

L’année 1799 allait apporter dans l’état de la France de singuliers changemens dont le contre-coup se fait sentir dans la correspondance de M. Necker, quelle que soit la réserve prudente dont il enveloppe habituellement sa pensée[7].

Au cours de l’année précédente avait paru la seconde édition de l’ouvrage de Mme de Staël intitulé : De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations. Elle apprenait que Bonaparte s’était fait envoyer cet ouvrage en Égypte. Elle le mandait à son père qui lui répondait :

4 mai.

Ainsi donc te voilà en gloire aux bords du Nil. Alexandre le Macédonien faisait venir de tous les coins du monde des Philosophes et des Sophistes pour les faire parler. L’Alexandre corse, pour épargner du tems, n’entre en communication qu’avec l’esprit de Mme de Staël. Il entend les affaires.

Mais si Mme de Staël était justement flattée d’attirer ainsi l’attention du « héros, » elle n’en demeurait pas moins fidèle à cet idéal, qui a séduit tant de nobles esprits, d’une République modérée, tolérante, « conservatrice et libérale, » deux mots qui sont moins nouveaux qu’on ne pourrait le croire, et dont Bonaparte allait lui-même bientôt se servir. C’est durant les premiers mois de cette année 1799 ou les derniers de l’année précédente, — l’époque est assez difficile à fixer, — qu’elle a écrit ce curieux ouvrage qui n’avait jamais été publié et qui a été découvert il y a treize ans dans les cartons de la Bibliothèque Nationale[8]. Elle demandait à cette République de réparer les erreurs, les injustices, les cruautés du passé. De Coppet, où elle passait l’été, elle adressait à Garat cette belle lettre dont Vandal a publié une partie, mais que je ne puis me défendre de reproduire ici tout entière, tant elle lui fait honneur :

Coppet, ce 23 thermidor. Canton Léman.

Avez-vous lu le récit de Ramel sur son séjour à Cayenne[9] mon cher Garat. Je l’ai trouvé ici et, cherchant à qui ma profonde émotion pouvait s’adresser en France, j’ai pensé que votre imagination sensible aurait reçu la même impression que moi. L’irréparable passé ne peut obtenir que des regrets, mais est-il possible de supporter l’idée qu’il reste à la Guyane deux malheureux, Lafond-Ladébat et Barbé-Marbois, qui continuent à souffrir ce que vous raconte cet affreux récit. Ainsi l’on punit l’obéissance ! Ceux qui se sont soumis à la déportation sont sur les plages brûlantes et ceux qui se sont dérobés à la loi du 19 fructidor en sont récompensés par Oléron[10]. Pourquoi cette inégalité ? Pourquoi traiter plus mal Marbois et Ladébat que Camille Jordan et Siméon ? Aucun d’eux, certainement, aucun homme ne mérite l’incroyable supplice d’un séjour inhabitable. Mais Marbois et Ladébat sont encore plus dignes d’intérêt, puisqu’ils se sont résignés avec une rare modération à la peine qui leur était imposée. Quel motif pour une telle injustice, pour une si grande inhumanité ? Faut-il ajouter à la férocité des mesures révolutionnaires le caprice des rois et. parmi tant d’hommes, frappés si cruellement, laisser encore le hasard accabler deux victimes qui mériteraient au contraire un intérêt particulier par leur constance et leur soumission ? Il dépend des Directeurs de permettre à Marbois et à Ladébat de revenir à Oléron. Obtenez d’eux cette justice au milieu de cette chaleur brûlante. Ne pensez-vous pas avec amertume à ce que doivent souffrir ces malheureux avec des insectes de tout genre et sur la Ligne. Mériterions-nous jamais aucune pitié si cette image ne nous poursuivait ? À la fin de votre bel ouvrage[11] vous demandiez qu’on vous transportât sous un beau ciel où vous puissiez penser et sentir. Donnez donc à ces malheureux un air qu’ils puissent respirer, un air qui ne porte pas la mort avec lui. On s’inquiète de Billaud de Varennes (sic). On veut le rappeler parmi nous, et ces deux hommes à qui on ne peut reprocher que les opinions politiques qu’on leur suppose, ces hommes ne trouvent point de défenseurs. Quel effet voulez-vous que produise notre République au dehors quand on lit cet ouvrage de Ramel où les faits racontés ont un si grand caractère d’évidence. Il faut être Français, il faut ne pas pouvoir rejeter sa part d’alliance avec son pays pour chercher des excuses et des explications au silence que les Conseils gardent sur de telles atrocités. Je vous en prie, mon cher Garat, donnez-vous cette bonne action. Faites revenir ces deux infortunés. Dans le cours de votre vie, ce souvenir vous tiendra fidèle et douce compagnie. J’ai vu dans les papiers votre excellent discours sur Billaud de Varennes. Il vous donne une nouvelle force pour l’acte d’humanité que je vous demande. Chaque preuve de courage d’un homme de bien lui rend l’effort suivant plus facile en augmentant son pouvoir. Dans le commencement de la Révolution, les événemens révolutionnaires étaient plus forts que les hommes ; mais, aujourd’hui, s’ils le veulent, les hommes sont plus forts que les événemens…

Mme de Staël continue en entrant dans quelques détails sur la situation politique en Suisse dont toute la partie française est parfaitement tranquille, « soit, dit-elle, que la langue soit le premier des biens, soit surtout parce qu’un homme d’une rare vertu est à la tête de ce canton et qu’il y ait fait aimer même la révolution suisse, » et elle ajoute :

Combien, en France, cela serait plus facile ; mais il semble que les Jacobins se chargent d’être l’épouvantail de tous les principes de liberté pour empêcher que la victoire ne s’y rallie… Je vous reproche un peu trop d’indulgence pour un parti qui fera toujours le mal pendant que vous lui prêcherez le bien.

La lettre se termine par des assurances affectueuses à « tous les Garat, » — Garat avait un frère et un cousin, le fameux chanteur, — et par un compliment à la belle Sophie, c’est-à-dire à Mme de Krüdener, dont Garat le chanteur était alors fort épris.

Garat, qui avait été ministre de l’Intérieur sous la Convention, n’était plus alors que membre du Conseil des Anciens. Pour faire parvenir au Directoire des conseils de modération, Mme de Staël crut devoir s’adresser plus haut. Elle était toujours demeurée en relation avec Barras. Ce plus que médiocre personnage, qui nous apparaît aujourd’hui comme un des plus corrompus de cette triste époque, avait conservé, aux yeux de Mme de Staël, le prestige d’un homme de l’ancienne société, prestige auquel elle fut toujours sensible, car démocrate d’opinions, elle était aristocrate de goût et d’instinct. Dans le brouillon de cette lettre inachevée, que j’ai retrouvé également dans les archives de Coppet, on verra tout à la fois quelle était l’ardeur de son patriotisme français et quelles illusions elle nourrissait sur l’homme dans lequel elle n’était pas éloignée de voir un sauveur.

Genève, ce 29 fructidor, Coppet.

Je suis restée plus longtemps que je ne comptais loin de vous, mon cher Barras. Votre brave Masséna ayant bien défendu la Suisse jusqu’à présent[12], j’ai pu demeurer auprès de mon père. Le mauvais temps va me ramener. Je souffre extrêmement d’être loin de Paris au milieu de mauvaises nouvelles dont on se plaît à nous abreuver. Vous me trouverez singulièrement vive en patriotisme depuis nos malheurs et peut-être est-il vrai que les caractères modérés dans la victoire sont ceux que les revers exaltent. Ma confiance en vous me soutient. Je vous crois éminemment les qualités nécessaires dans le danger, et l’on ne vous donne que trop d’occasion de les développer. La Suisse française n’a pas un mauvais esprit ; on trouve dans les villes assez de partisans des Français ; il paraît qu’il n’en est pas de même de la Suisse allemande ; elle a trop souffert pour nous aimer. J’ai vu Haller à Lausanne et nous avons parlé une heure de vous avec une amitié sincère ; j’aurais souhaité qu’une fée vous amenât là pour quelques instans. Vous nous auriez mieux écoutés qu’au Luxembourg où trop de passions vous parlent pour qu’une affection désintéressée puisse se faire entendre. Enfin, c’est le moment de l’action, et non celui du raisonnement. Mais profitez donc du premier triomphe pour être modéré ; la fierté défend de céder quand on est vaincu, mais c’est aussi la fierté qui commande d’être généreux quand on est vainqueur. Quoi qu’il arrive, mon cher Barras…

Le brouillon est inachevé. Je ne saurais dire si la lettre a été envoyée.


IV

La saison s’avançait cependant et, comme le dit Mme de Staël dans sa lettre à Barras, le mauvais temps allait la ramener à Paris, le passage des montagnes en hiver étant toujours assez difficile. M. Necker la vit partir avec encore plus de regrets et d’émotion qu’à l’ordinaire. Bien qu’il s’en défende dans la lettre qu’on va lire, on dirait qu’il avait le pressentiment des épreuves au-devant desquelles sa fille courait. Le jour même où elle quittait Coppet, il traçait ces quelques lignes :

Je t’ai suivi longtems des yeux quand tu as quitté Coppet et mon cœur était déchiré ; mais aucun pressentiment inquiet ne se joignait à ma peine Mes vœux t’accompagnent et t’environneront sans cesse. Sois sage, sois prudente et pense quelquefois à ma tendre amitié pour toi. Je t’embrasse de tout mon pouvoir.

Adieu, chère et très chère Minette.

Le lendemain il lui écrivait encore :

Ce 18 novembre.

Je t’ai vue partir hier, ma chère Minette, avec une vive et profonde émotion et je suis au même degré de sentiment. M. (nom illisible), dont j’attends le retour ce soir, est, dans ce moment, l’homme intéressant pour moi. Je te vois au delà des grandes montagnes et commençant demain à rouler dans la plaine ; c’est une autre perspective et toujours toi. Ta cousine et Pictet passèrent la soirée avec moi ; mais, à part ce moment, j’ai bien vu que là où tu n’es pas, la vie manque. Ils ont absolument voulu faire un piquet avec moi qu’ils ne savent ni l’un ni l’autre, et j’y ai consenti par complaisance, mais cette table longue où je t’ai vue si souvent devant moi me serrait le cœur ; et je te grondais de ce que tu les avais peut-être engagés à rester. Tu as été beaucoup mieux remplacée aujourd’hui par mes pensées et ma mélancolie. Avec quelle impatience j’attends de savoir ton arrivée ! Un voyage de Suisse à Paris, qui paraît une chose simple en idée générale, est un événement de roman quand il touche à un objet chéri, si chéri.

Mme de Staël roulait lentement dans les plaines de France. Ce fut précisément le soir même du 18 brumaire qu’elle entra dans Paris. Changeant de chevaux à Charenton, la dernière poste, elle apprit que ce même Barras, dans lequel elle mettait si peu de jours auparavant sa confiance, venait, quelques heures auparavant, d’être conduit par une escorte de dragons, jusqu’à sa terre toute voisine de Grosbois, où, moitié dupe, moitié complice, il allait se terrer quelques mois. C’est une perte irréparable que celle des lettres qu’elle dut écrire à son père durant les premiers temps qui suivirent le 18 brumaire. Mais du moins, dans les lettres de M. Necker, nous allons trouver l’écho de ses sentimens. La première de ces lettres est en date du 23 brumaire, c’est-à-dire cinq jours après l’événement. M. Necker n’a encore que des nouvelles confuses.

23 brumaire.

Les papiers reçus hier sont des 17 et 18, mais ils ne disent rien de la grande nouvelle. Nous avons tout su dès hier par une grande pancarte affichée à Genève, un courrier extraordinaire ayant été expédié partout. La résolution des Anciens dont nous ne connaissons pas bien le motif me semble, en effet, conforme à la constitution. Je ne me souviens pas qu’il (le Conseil des Anciens) eût le droit de nommer un commandant et je ne le pense pas[13]. Le style de Buonaparte annonce qu’il se sent plus haut que la place dont il s’est chargé. Ces deux Conseils qui vont faire quelque séjour en campagne dans la même maison ne dîneront pas ensemble de bon cœur. Enfin tout cet événement est un sujet d’attente et de réflexion. Il n’est encore venu aucune lettre particulière que je sache.

M. Necker ne s’avançait guère, comme on voit ; cependant la courte phrase qu’il glisse sur Bonaparte et son style dénote chez lui une vue de l’avenir plus clairvoyante que chez Mme de Staël, à en juger du moins par cette seconde lettre.

25 brumaire.

J’ai reçu, ma chère Minette, ta lettre bien attendue du 20. Tu me peins avec des couleurs animées la joie de Paris et la part que tu prends à la gloire et au pouvoir de ton héros. Je souhaite et j’espère que votre contentement à tous se soutiendra, et je crois comme toi que Sieyès, n’ayant plus son génie contrarié, donnera une constitution sans défaut et peut-être parfaite, ainsi que tu dis à l’avance. Ensuite, j’espère, ma chère Minette, que tu n’auras plus d’inquiétude au milieu de Paris, et cette idée me fait grand bien.

M. Necker donne ensuite à sa fille quelques instructions pour son notaire et lui demande si le moment ne serait pas propice ; pour vendre « les inscriptions de tiers consolidé qui sont beaucoup montées, » et la lettre se termine ainsi :

Mais laissons là ces intérêts de finance personnelle pour être en entier à la chose publique et pour en jouir. Ma chère Minette, je ne te voudrais que des plaisirs. Je t’aime de ce degré de plus qu’on aime quand on traverse un bout de mer sur un esquif. Adieu, adieu.

Les nouvelles arrivaient peu à peu cependant. Le projet de constitution qu’avait élaboré Sieyès commençait à être connu, et ce projet inspirait à M. Necker les judicieuses observations suivantes :

28 brumaire.

J’ai reçu ton billet du 22 et ta relation des premières journées. Voilà donc un changement de scène absolu. Il y aura un simulacre de République, et l’autorité sera toute dans la main du général. Ses acolytes ne pourront lutter contre lui, quoique le moment d’une usurpation complète est peut-être perdu, car, dans peu, l’on oubliera la délivrance des inquiétudes qui fait la joie actuelle et comme toutes les lois demandées auront passé sous l’autorité mixte actuelle, il n’y aurait plus d’assistance suffisante pour prendre tout à soi. On aura toutefois beaucoup d’égards pour un consul qui soutiendra seul par sa puissance militaire la constitution annoncée, car je ne crois pas encore à la sécurité qui sera donnée par cette constitution seule, et ce, nonobstant le jury constitutionnaire[14].

Cependant si Buonaparte venait à manquer au milieu du nouveau gouvernement, ce serait peut-être l’époque d’un bouleversement, et il serait terrible, en supposant que les Jacobins y jouassent le principal rôle. On donnera sans doute beaucoup aux propriétaires en droits et en force armée, mais le besoin de conscrits rendra tout cela difficile. Et puis l’œuvre sera compliquée, ou je me trompe fort. Enfin je raisonne sur tout cela comme un aveugle des couleurs et prêt à changer d’opinion sur de nouveaux aperçus.

P.-S. — Dans ce pays on est content et surtout de la hausse du tiers consolidé.

Quelquefois les lettres de M. Necker ne sont pas datées ; la suivante se rapporte manifestement au moment où l’on ne connaissait que par bribes les dispositions principales du projet de Sieyès, et où la discussion soulevée par les articles de ce projet donnaient lieu à de vifs débats entre lui et Bonaparte.

Ce qui nous revient du projet de constitution me paraît plein d’erreurs : un chef de cette espèce ne peut être seulement proposé. Un Président à la Washington rééligible vaut mieux, mais c’est la personne de Buonaparte qui fait choisir cette forme, car, en voyant comme il serait difficile de le remplacer, et comment sa mort remettrait tout en trouble, on devrait préférer trois Consuls dont deux ne pourraient jamais faire arrêter ou mettre en interdit le troisième sans l’autorisation du Corps législatif, et dont l’un des trois ou un subdélégué des trois présiderait un Sénat auquel se rapporterait la paix, la guerre comme en Amérique, et l’initiative des finances, et puis laisser là le jury constitutionnaire.

Au reste, si la constitution repose toute sur un seul homme, tous les genres de risque peuvent recommencer par sa mort. Brûle ma lettre et prends garde à tes papiers plus que jamais, même à tes paroles, avec le nouvel hôte[15] que tu as sur ta tête.

Si M. Necker était quelque peu incrédule aux bienfaits de la Constitution, et s’il discernait du premier coup d’œil combien elle était fragile, en revanche, il applaudissait sans réserve aux actes des Consuls provisoires qui, le 22 brumaire, faisaient abolir, par les deux Commissions émanées des Anciens et des Cinq-Cents, l’odieuse loi des otages, et, le 28, faisaient prononcer par ces mêmes Commissions l’abolition de l’impôt progressif. Aussi écrivait-il à sa fille le 8 frimaire :

J’ai reçu ta lettre du 24, où je vois avec plaisir la continuation de l’enthousiasme public, et le tien propre. Effectivement, tout ce qui a été fait jusques à présent, et pour les otages, et pour les finances, doit plaire à toutes les classes de la société.

Cependant tous ces événemens avaient jeté Mme de Staël dans un état d’agitation qui inquiétait M. Necker non seulement parce qu’il craignait pour elle « une maladie bilieuse ou un dérangement dans les nerfs du cerveau, » mais parce qu’il commençait à redouter de sa part quelque imprudence. Aussi la suppliait-il d’aller passer quelques jours à la campagne, non point à Saint-Ouen, mais chez Mme de Castellane ou chez quelque autre[16]. « Comment ! ajoutait-il, des insomnies continuelles, des réveils en sueur, ou des heures de méditations sur les tisons, et le tout pour des regrets que je tiens pour chimériques, mais qui, fussent-ils fondés, se bornent à quelques mots imprudens ! Et qu’est-ce donc qu’une telle faute et qui peut en être à l’abri, avec beaucoup de vivacité d’esprit et de caractère. » Il apprenait cependant d’elle-même avec plaisir, par une lettre du 10 frimaire, que ses nerfs s’agitaient moins, et le 19 il lui répondait :

Je désire ton succès dans l’objet présent de tes vœux pour M. Constant, mais, s’il y avait contrariété, il y aurait plus d’un motif pour en prendre son parti. Est-ce qu’une place de délégué ou avocat général pour défendre les lois ne donnerait pas autant d’exercice à ses talens ? Mais s’il fallait tout défendre, et publiquement, ce ne serait guère une place digne d’envie, et celle au Tribunat vaudrait mieux[17]. Mais je parle de tout cela comme un aveugle des couleurs et sur des aperçus de gazette. Je vois avec plaisir qu’on a de l’empressement à s’enrôler dans la nouvelle milice. À chacun son goût.

Je commençais cette lettre lorsque j’ai reçu celle que tu m’as écrite le 14 frimaire. Cette finale ne me surprend pas. Je crois qu’un homme seul tel que Buonaparte, comptable à l’opinion par cette unité, et à l’opinion dont il se souciera, vaudra plus de bonheur aux individus, plus de prospérité à la France que ces corps abstraits où chacun exerce ses passions et son ineptie en sûreté. Tout repose malheureusement sur une vie, mais il est jeune et sa fortune nous le conservera. Les généraux vont remplacer les fonctions des anciens grands. L’inconvénient, c’est qu’il leur faudra de la guerre pour entretenir leur considération. Je suis impatient de voir la totalité du plan. Il serait désirable pour la liberté que tous les opprimés inconstitutionnellement pussent porter leur réclamation au jury constitutionnel.

M. Constant ne pourrait-il pas être des trente conseillers d’État si l’on ne veut point d’externe pour le Tribunal ? On ne rendra point responsable le chef. Je n’y trouve rien à redire, mais quelle arrière-pensée vient serrer le cœur[18] !

Encore un mot sur les affaires publiques ; il se peut que la conduite de Sieyès soit estimée de près, mais de loin, elle paraîtra pitoyable s’il n’est de rien, et il ne verrait pas un mouchoir tiré pour pleurer la perte de son grand électeur et pour ce partage des nominations d’un côté et du gouvernement de l’autre. Il fallait, pour le consoler dans sa retraite, qu’il fût sorti de lui une constitution bien faite et il est sûrement cause que Buonaparte a acquis une autorité au delà de ce qu’on présumait.

Si M. Necker approuvait la Constitution en ce qu’elle donnait la supériorité à Bonaparte « sur ces corps abstraits où chacun exerce ses passions, son ineptie en sûreté, » cependant il n’était pas dupe de ces formules qui ne répondaient à aucune réalité, et, le 27 frimaire, le texte de la Constitution définitive étant enfin publié, il écrivait :

Voilà bien du bric-broc, et tout est dédié, dans un ouvrage des siècles, à une seule personne que ses hauts talens n’empêchent pas d’être mortelle. Et vous êtes tous dans l’enchantement ! Je vous félicite non pas de tant d’esprit, mais de tant de bonheur. Je désire en même temps qu’aucun événement ne vienne troubler ce bonheur et je vois bien des chances, qu’on n’aperçoit pas au milieu de l’ivresse générale, où vous êtes. C’est un grand vent que cette ivresse, tant elle fait virer promptement. Vive la République ! Est-ce toujours ainsi que l’on dit ?

J’entends mieux ton enthousiasme pour Buonaparte, et je te félicite d’être heureuse de sa gloire puisqu’elle durera longtemps… Tâche donc de ne pas vivre en entier dans un moment, pas même pour le bonheur, car il passe aussi.

On aura remarqué le ton un peu sarcastique de ces dernières lettres de M. Necker. C’est que, tout en continuant à professer pour Bonaparte une admiration dont on trouvera encore la preuve dans ses lettres de l’année suivante, il voyait plus loin que sa fille, et que, derrière le Consul, il apercevait déjà le dictateur militaire, s’appuyant de plus en plus sur l’armée. C’est ainsi que, à peu près à la même date, il écrivait au fils d’une amie de Mme Necker qui demeurait à Lyon, à propos d’une fête donnée en l’honneur de Bonaparte :

On dit que son escorte de gardes est nombreuse et magnifique, et qu’ils font ranger les voitures à coups de sabre, quand ce soldat heureux traverse les rues de Paris. Il pourrait bien se signaler encore à la guerre, car on dit qu’il est disposé à commander l’armée, s’il y a une bataille sur le Rhin. Tous ses goûts sont héroïques.

Et dans une lettre un peu postérieure, adressée au même correspondant :

Nous n’avons rien de nouveau à Paris. Sieyès est fort occupé de sa terre de Crosne, et Buonaparte de son autorité où il n’y a, jusqu’à présent, rien à redire[19].

M. Necker n’avait pas tort de craindre, et les événemens allaient bientôt lui donner raison, que le bonheur et l’enthousiasme de sa fille ne fussent pas de très longue durée. Les détracteurs de Mme de Staël se sont complu à rapprocher son exaltation d’alors du ton dénigrant avec lequel elle parle du Premier Consul dans les Considérations sur la Révolution française et dans les Dix années d’exil. Le contraste ne laisse pas en effet d’être assez piquant. Mais les sentimens qui l’animaient alors et les illusions qu’elle entretenait, étaient, — Vandal l’a très bien établi, — partagés par tous ceux qui avaient souffert de la Révolution, à quelque parti qu’ils appartinssent, que ce fussent des émigrés de la première heure, d’anciens constitutionnels, ou des déportés de Fructidor. La nouvelle du 18 brumaire avait valu, à Mme de Staël, de ses amis, dispersés un peu dans toute l’Europe, des lettres de félicitations. L’un d’eux, qui ne signait pas, lui écrivait d’Eisenach le 19 novembre :

Combien vous avez dû être heureuse d’arriver pour le triomphe de vos deux héros, Bonaparte et Sieyès, et la vérité est qu’ils pourront devenir les bienfaiteurs du monde s’ils parviennent à donner la paix au dedans et au dehors. Je ne crois pas qu’il y ait un seul Allemand qui ne fasse pas des vœux pour leur double succès, et personne, je vous assure, n’est plus Allemand que moi. Je n’ai pas à me reprocher d’avoir jamais eu un autre sentiment et un autre désir, et j’ai presque autant que vous le droit de parler de mes pressentimens.

Alexandre de Lameth, le plus jeune des trois frères qui avaient joué tous trois un rôle considérable durant les premières années de la Révolution, et qui avaient dû s’expatrier les uns après les autres, lui écrivait également de Hambourg, le 4 novembre, une longue lettre dont Vandal a cité quelques lignes, mais que je crois intéressant de rétablir presque en son entier, car elle est un témoignage curieux de l’état d’esprit de ces constitutionnels qui s’étaient vus forcés d’émigrer à leur tour, pour échapper aux Jacobins, et des sentimens que continuaient de leur porter ceux qui avaient quitté la France avant eux :

J’ai reçu votre aimable lettre qui m’a fait un vrai plaisir. Vous n’oubliez pas vos amis et joignez cela d’extraordinaire à tous les avantages de ce genre que vous réunissez. J’attendais pour vous répondre de vous savoir à Paris, mais les papiers publics nous annoncent que vous y êtes arrivée le jour du triomphe de Buonaparte que nous croyons être aussi celui de la liberté. Si le rétablissement d’un gouvernement légal est son ouvrage, il aura mérité, plus encore que Fabius, qu’on mette au bas de sa statue : Tu Maximus, ille es qui nobis… restituis rem. Je devrais, vis-à-vis de toute autre femme, demander grâce pour cette citation latine malgré l’à-propos, mais vous qui savez presque toutes les langues et qui voulez encore apprendre l’allemand, vous me la pardonnerez sûrement.

Vous ne pouvez vous faire une idée de la situation où se sont trouvés ici les amis de la liberté. La mienne particulièrement, pour avoir été du petit nombre de ceux qui ont conservé les couleurs nationales, n’a pas été sans danger et une défaite de plus aurait probablement fait faire à mes amis, je crois, un voyage en Sibérie[20] dont messieurs les émigrés se réjouissaient déjà. Nous sommes ici dans l’attente des grands changemens qui vont avoir lieu en France, et ne doutant pas qu’on ne ramène la République à des principes de modération et de justice, nous concevons l’espoir de voir bientôt se réaliser votre souhait pour le partage des bons et des mauvais. Buonaparte est trop grand pour vouloir et pouvoir se soutenir sur un autre terrain que celui de la justice, et il n’aura pas dit en vain que le temps était venu où les premiers amis de la liberté ne devaient plus être confondus avec ses ennemis. Puisse luire enfin cet heureux jour que mon cœur se flatte que vous trouverez tel et que vous avancerez, s’il est en votre pouvoir ! Huit ans de captivité ou d’exil sont une terrible lacune dans la vie ou plutôt un supplice bien prolongé. Mais si nous pouvons revoir notre patrie, nos amis, notre famille, la trace du malheur sera bien vite effacée.

S’il fallait encore une preuve de l’enthousiasme un peu naïf avec lequel le 18 brumaire fut salué par les victimes de la Révolution, on le trouverait dans cette lettre adressée à l’ancien conseiller genevois Galippe par un émigré qui croyait lui devoir sa radiation :

Le règne des Jacobins est passé. Bonaparte, après avoir combattu comme César, veut gouverner comme Auguste. Il brise les tables de proscription. Il rouvre la porte de l’empire aux exilés ; il est aussi clément que César. Mais il met plus d’esprit dans sa clémence… Il veut gouverner par les honnêtes gens contre les Jacobins. Aujourd’hui l’opinion publique est tout à fait changée. Il n’y a plus rien de révolutionnaire ni dans les mœurs, ni dans les usages, ni dans les propos. Toutes les figures ont repris leur sérénité et les individus leur douceur. Il serait bien difficile d’obtenir aujourd’hui du peuple de Paris un mouvement violent. Les mots avec lesquels on l’a gouverné si longtemps sont des énigmes pour lui. Il ne sent plus que le besoin du repos. Paris n’éprouve plus qu’un vaste repentir. Il reconnaît ses fautes et ses crimes et cherche à les expier[21].

IV

Les premiers mois de l’année 1800 devaient voir la fin des illusions de Mme de Staël et de ces « vrais amis de la liberté, » qui s’attendaient à voir rétablir par Bonaparte le gouvernement constitutionnel de leurs rêves. Le 1er janvier, M. Necker écrivait encore à Mme de Staël pour lui faire son compliment et pour la charger d’adresser ses félicitations à Benjamin Constant à l’occasion de la nomination de ce dernier au Tribunal. Mais prévoyant les difficultés de l’avenir, il ajoutait avec sagacité :

Cette promotion dans la carrière politique aura des jouissances, mais il ne faut pas s’en faire une trop haute idée, afin de n’être pas trompé. Mais ce n’est pas à toi qu’il faut adresser cette morale, à toi qui malheureusement ne trouves une valeur sans prix qu’aux choses qui te manquent ou qui t’échappent.

Et il terminait ainsi sa lettre :

Ceci n’est qu’une lettre de félicitations, sur un événement souhaité. Adieu, ma chère Minette. Je suis au jour de l’an de notre vieux calendrier[22] Dieu te bénisse, et veille sur ton bonheur.

Cependant, soit qu’elle sentît gronder l’orage, soit qu’elle s’abandonnât à cette tristesse qui, chez les natures ardentes, succède à l’excitation, Mme de Staël traversait une période d’abattement. Elle ne s’en cachait pas dans une de ses lettres à son père, qui lui répondait[23] :

Chère et tendre amie, c’est la mélancolie qui règne dans ta lettre du 12 nivôse, que je reçois en ce moment, qui m’engage à t’écrire encore aujourd’hui. Je ne ressens jamais avec une peine si profonde la bizarrerie de notre situation que lorsque ton langage exprime avec tant de douceur tes chagrins. Chère Minette, je voudrais de tout mon sang te rendre heureuse. Je crois voir ce qui se passe dans ton âme et je regrette bien plus de n’en être pas confident que de perdre les beaux momens de ton imagination et de ton esprit. fatalité ! fatalité ! Ce sera encore là un grand sujet de conversation. Puisse quelque événement d’un genre supportable venir à notre aide et, en attendant, ne repousse par aucun motif les tendres expressions d’un cœur qui t’aime si sensiblement.

Mais l’admiration que les actes de Bonaparte inspiraient à M. Necker, et même à Mme de Staël, n’avait encore éprouvé aucune atteinte, car la lettre se termine ainsi :

Le général Consul fait des merveilles et tu l’as bien prophétisé. C’est pour le voir, encore plus que pour admirer les portraits et les statues d’Italie, qu’on viendra en foule à Paris à la paix.

L’orage qui grondait cependant éclata au lendemain du fameux discours que Benjamin Constant prononça le 15 nivôse au Tribunat et qui marqua le premier réveil d’une opposition dont le « restaurateur de la liberté » n’était pas d’humeur à s’accommoder. D’une lettre de M. Necker, postérieure de quelques mois, il apparaît que le discours n’avait pas été approuvé par lui.

J’aurais voulu la première fois[24], écrivait-il, quelque chose de plus modéré, de plus imposant, et peu de chose aurait fait cela. Il s’est trop fié aussi à son admiration pour Buonaparte et il n’a pas assez surveillé les mots ou les tournures que des malveillans pourraient interpréter dans un sens opposé au sien.

Et il terminait sa lettre par cette observation judicieuse :

En conduite, ne perds jamais de vue que par tes goûts pour Paris, si naturels à ton âge et à ton esprit, tu es en dépendance, et c’est autour de cette vérité que tes autres calculs doivent se placer.

Le calcul entrait peu dans les habitudes de Mme de Staël. Ce ne fut pas seulement, on le sait, contre Benjamin Constant, ce fut aussi contre celle qu’on soupçonnait d’avoir inspiré le fameux discours un véritable déchaînement dans la presse officieuse. Le Journal des hommes libres, organe jacobin qui recevait directement les inspirations de Fouché, alors ministre de la Police, publia contre Mme de Staël un article aussi grossier que menaçant. En même temps, elle faisait une première expérience, cruelle à son cœur sensible, celle de l’abandon des amis. Dans les Dix années d’exil, elle n’a pas essayé de déguiser d’abord l’étonnement, puis le trouble dont elle fut saisie lorsque, attendant à dîner un assez grand nombre de personnes, elle reçut d’abord un, puis deux, puis trois, puis jusqu’à dix billets d’excuse d’invités qui avaient accepté quelques jours auparavant. Elle était informée d’autre part par Joseph Bonaparte, dont la fidélité devait plus tard faire contraste avec l’abandon de Talleyrand, que le maître se déchaînait contre elle en conversation. Fouché la faisait venir et lui donnait à entendre qu’il serait prudent de sa part d’aller passer quelque temps à Saint-Ouen. Elle suivait le conseil, qui ressemblait fort aux lettres de cachet de l’ancien régime, et c’est à Saint-Ouen qu’elle recevait cette lettre de son père :

28 nivôse.

Te voilà donc à Saint-Ouen, ma chère Minette. L’acte de disgrâce (car le mot de punition ne peut sortir de ma bouche), l’acte de disgrâce est doux ; mais qui m’eût dit que tu eusses pu en éprouver aucun de la part du grand Consul lorsque toutes tes lettres n’ont été remplies que d’enthousiasme pour lui et lorsque je me rappelle l’ivresse avec laquelle tu écoutais les récits que faisait Haller des actions et des paroles remarquables de cet homme si singulier ? Tout tient de la fatalité dans ces temps-ci, même les plus petites choses. Au reste, je dois te dire que j’ai compris parfaitement tes mots ambigus et que tu n’as pas voulu rendre plus clairs par ménagement pour moi. On t’a rapporté, ou plutôt on a voulu te faire entendre que le Consul avait songé à te donner l’ordre de sortir de France. Je n’en crois rien, ou du moins le projet n’a pu être réel. Comment aurait-il eu une foi légère à une absurde calomnie ? Comment aurait-il, nonobstant sa puissance et son rang, si peu d’égards pour Mme de Staël, je n’ose dire pour ma fille, ne sachant ce que je suis auprès de ce monde nouveau ? Mais pourquoi, sans nécessité, sans justice, voudrait-il offenser des gens qui en valent bien d’autres ?

Quant à ta conduite, j’approuve très fort ta résolution de vivre dans la retraite, ou à la campagne, ou à Paris. Laisse là absolument toute espèce de conversation sur les affaires publiques. Je te l’ai dit cent fois : tu as de l’esprit assez pour être recherchée pour tes agrémens personnels, et quand tu le dirigerais sur les sujets les plus ingrats, tu serais encore incomparable. Je ne crois pas que tu doives accélérer ton retour ici, les chemins sont affreux, et l’époque du printemps que tu avais choisie, que tu avais annoncée, n’est pas éloignée. Je ne penserais pas ainsi si j’avais la moindre incertitude sur le maintien de l’autorité actuelle, car Buonaparte de moins au milieu de vous, tout serait en combustion, mais son habileté et le vœu public me garantissent qu’aucune cabale, même la plus diabolique, ne peut l’atteindre.

Et la lettre se terminait ainsi :

Si la musique que tu as demandée est copiée, on te l’enverra. Je voudrais bien que tu prisses goût à ce délassement. Adieu, ma chère Minette ; si la mélancolie te prend tout à fait, viens, je te prie, chercher au milieu des caresses de ton fils, de ta fille et de ton père le calme dont tu as besoin. Je crains véritablement que tu ne tombes malade, chère Minette.

M. Necker connaissait assurément trop bien sa fille pour se figurer que le délassement de la musique réussirait à la distraire de ses préoccupations et à lui rendre le calme. Quelques extraits de ses lettres, par ordre de date, montreront à quelles agitations Mme de Staël continuait à être en proie. On y verra, en même temps, de quelle sagesse étaient empreints les conseils qu’il lui donnait et l’admiration que, malgré leurs griefs, Mme de Staël et lui-même continuaient de professer pour Bonaparte.

28 janvier.

Je vois avec une peine infinie la continuation de ta tristesse, mais puisque tu n’as aucun tort réel à te reprocher, tu devrais bien t’efforcer de supporter des contrariétés qui ont toujours une fin beaucoup plus prochaine que l’imagination ne se le représente ; et lors même que tu aurais été forcée à revenir, je n’aurais pu croire à la durée d’une telle proscription, et en attendant, chacun t’aurait considérée comme une victime d’une décision arbitraire et non méritée. Je t’assure pourtant que mon langage philosophique ne tient pas, en moi, à l’impassibilité, car je me sens choqué. Mme Biderman avait écrit à son mari que Rœderer venait de lui dire que l’ordre pour te faire quitter la France était expédié et, le courrier suivant, elle écrit que le même donneur d’avis l’avait informée que cet ordre avait été révoqué…


(Sans date.)

De Buonaparte, nous en disons tous des merveilles et il y a de quoi. Il s’entoure bien[25]. De plus, en finance, Dufresne lui sera fort utile pour former des tableaux et tenir les caisses en règle…

Je reviens à te dire que j’aime mieux ne savoir aucune nouvelle que te voir exposée à une imprudence. C’en était une que les trois lignes au haut de la lettre du 5 et écrites après coup. Comment de tout ton or ne peux-tu pas faire un peu de plomb ? Essaye de cette alchimie…

Je saisis toutes les contrariétés de ta situation et je n’emploie pas de temps à t’exprimer en détail combien j’y suis sensible. Lebrun, à qui l’idée t’est venue que j’écrivisse, est un homme tremblant qui se tairait au premier mot et qui conserverait pour lui ton billet et ma lettre, avant de répondre, et, pour avoir voulu passer par le guichet, je perdrais le moyen de te servir. Ce moyen, c’est qu’à ton retour à Paris, j’écrivisse moi-même au général. Et d’ici là, ton ouvrage, qui te place hors des affaires, aura paru et combien d’autres événemens peuvent arriver qui éclairciront notre horizon[26]. Je ne te conseillerai même pas en ce moment de chercher à voir le général, car il faut se remettre un peu en dignité pour faire effet. Et que promettrais-tu ? Voudrais-tu promettre le silence ou la complaisance de M. Constant ? Consentirait-il à ce marché ? J’ai blâmé, à part moi, plus que je ne l’ai dit, le défaut de convenance de son spirituel discours ; mais, s’il était appelé à en faire un plus fort, mais plus conforme aux circonstances, je ne croirais pas qu’il dût le retenir, si un noble sentiment et non une rancune l’y portait. Que pourrais-tu donc dire ? Que pourrais-tu donc faire ? Prends le bénéfice du temps. Ton voyage ici, annoncé à l’avance, est une ressource politique pour toi. Tu as besoin de te rassurer et de juger de loin du cours des choses.

10 février.

Tu me répètes que tu as beau chercher une issue à ta situation, tu ne la trouves point. C’est, je te le redis, que tu comptes pour rien le secours du temps, et ne sais-tu pas aussi combien ton imagination t’a trompée jusqu’à présent, en bien et en mai ?


15 février.

Je ne suis pas surpris que l’éclat de l’administration de Buonaparte te fasse regretter sa faveur. Tout lui réussit et il sait battre et faire marcher l’opinion au point même de pouvoir se passer des onze substantifs avec lesquels Rœderer a cherché à faire valoir le nouvel ordre administratif, ordre qui est un retour aux anciens intendans sous d’autres noms[27]. Comment Buonaparte, membre de l’Institut, a-t-il oublié dans son Panthéon Newton et Descartes ; Aristide aussi, mais selon les goûts, aurait été bien là, mais avec les seuls héros qu’on a choisis l’antichambre sera belle.


30 pluviôse.

Je vois avec plaisir que tu as toujours beaucoup de goût à louer Buonaparte, et il y a de quoi jouir en ce genre, tant il montre de talent et de savoir faire. Je doute qu’il voulût faire une banqueroute partielle aux inscriptions[28] qui sont déjà si mal traitées. Serait-il sûr même, que les Conseils y concourussent, et pourrait-il se passer de leur adhésion ? Haller applaudit beaucoup, m’a-t-on dit, à tout ce que fait Buonaparte…

Tu m’appelles cruel, et moi je te dirais bien quelque petite injure, si je t’aimais moins, et pourtant elle serait bien douce. Adieu, chère Minette.

Ce Haller dont le nom revient pour la seconde fois était un des fils du célèbre philosophe et naturaliste qu’on appelle communément le grand Haller, sans qu’il soit possible de dire avec certitude si c’est à cause de sa taille exceptionnellement élevée, ou à cause de son très réel mérite. Emmanuel Haller avait mené une vie fort différente de celle de son père. Il s’était lancé, au moment de la Révolution, dans les affaires de banque, de commerce et en particulier de fournitures aux armées. En 1796, il avait exercé les fonctions d’administrateur et de trésorier général de l’armée d’Italie que commandait Bonaparte. Sa réputation était douteuse et il avait été plusieurs fois l’objet d’accusations qui ne paraissent pas avoir été sans fondemens. Au lendemain du 18 brumaire, et alors que le gouvernement consulaire, aux prises avec des difficultés d’argent, était obligé d’accepter le concours de financiers un peu suspects, Haller chercha à se rapprocher de Bonaparte. La lettre suivante, que j’extrais d’un assez volumineux dossier[29] montrera tout à la fois la méfiance assez justifiée que lui témoignait Bonaparte et l’admiration que Haller, malgré l’irritation qu’il concevait de cette méfiance, ne pouvait s’empêcher de concevoir pour son ancien chef.

1er nivôse.

Véritablement, je suis forcé d’avoir une affaire d’honneur avec Bonaparte. Ses éternelles questions sur mon compte commencent à m’ennuyer furieusement. Affecter sans cesse de me connaître à peine, après deux ans d’intimité, est une chose très révoltante. Comme je suis bien loin de lui demander de l’emploi, cette espèce d’enquête est fort malhonnête. Qu’a-t-il à faire de l’opinion publique à mon sujet, lorsque je ne veux pas de sa faveur ? Ce sont des manières de prince qui me déplaisent fort, et je suis au moment de lui écrire pour le prier instamment de vouloir bien ne pas s’occuper de moi…

N’allez pas croire, d’après tout ce que vous venez de lire que j’aie changé d’opinion sur Bonaparte. C’est toujours à mes yeux la tête la plus forte en Europe. Son cœur est toujours excellent ; lui seul peut rendre le calme et le bonheur à la France ; sa pensée est toujours grande ; l’élévation caractérise son esprit, et je l’admire avec le même plaisir que lorsque je le voyais effacer chaque victoire par une plus grande victoire. Les demoiselles de Lausanne s’en trouvent bien. Je lésai fait danser pour son retour. Je vais les faire danser encore en l’honneur du Premier Consul. Je jouis de lui payer ainsi mon tribut d’admiration et sans qu’il s’en doute. Si je l’aimais comme je l’admire, j’en deviendrais fou,

Mme de Staël continuait cependant de préparer la publication de cet ouvrage sur lequel M. Necker comptait pour la « remettre en dignité » auprès du Premier Consul. Elle y travaillait à Saint-Ouen où elle croyait prudent de demeurer encore, mais d’où elle trouvait moyen de mander à son père des nouvelles intéressantes. « Je ne comprends pas, lui écrivait-il le 27 février, comment tu sais encore tant de détails dans ta retraite. Ils te tombent des toits, et quelque bonne fée, l’apercevant à ta petite lucarne, vient te parler à l’oreille. » M. Necker s’intéressait beaucoup aux progrès de l’ouvrage. Il demandait à sa fille de lui faire connaître les impressions de ceux de ses amis auxquels elle en avait lu quelques fragmens, et il ajoutait : « J’attends beaucoup pour tout de cette manifestation du haut toi. »

L’attente de M. Necker, qui du reste ne connaissait pas l’ouvrage, devait pour le coup être trompée. Loin de la mettre en situation meilleure, cet ouvrage, qui parut en avril 1800, ne fit qu’irriter davantage Bonaparte. Il faut reconnaître que, sous une forme théorique et doctrinale, c’était en réalité un acte d’opposition, non seulement parce que le nom de Bonaparte n’y était même pas prononcé, ce qui faisait un singulier contraste avec les adulations dont « le héros » était alors l’objet, mais parce que Mme de Staël y reprenait et y développait le vieux thème, cher à Condorcet et à toute l’école philosophique, de la perfectibilité de l’esprit humain[30]. À chaque page, elle parlait de la liberté ; dans l’avant-dernier chapitre, elle prenait la défense de l’éloquence et elle entreprenait de réfuter cette erreur, « que le talent oratoire est nuisible au repos et à la liberté même d’un pays. » Or Bonaparte faisait peu de cas de l’espèce humaine et il faut reconnaître que, durant la période révolutionnaire, la perfectibilité de l’espèce avait au moins subi un temps d’arrêt. Il entretenait le mépris qu’on sait pour les idéologues, et ce qu’il y avait d’un peu utopique et chimérique dans les conceptions politiques de Mme de Staël n’était pas pour le réconcilier avec l’idéologie. De même, il faisait peu de cas de l’éloquence, et il faut reconnaître également que, dans les assemblées révolutionnaires, l’éloquence avait fait plus de mal que de bien. Ce qu’il voulait, c’était le silence. Avant peu il devait en donner la preuve, d’abord en épurant, puis en supprimant le Tribunat. Faire l’éloge de la philosophie, de la liberté et de l’éloquence, c’était donc aller contre ses secrets desseins. Ceux qui voulaient lui plaire ne s’y trompèrent pas. L’ouvrage de Mme de Staël fut attaqué assez perfidement par Fontanes dans le Mercure, et Chateaubriand vint même à la rescousse. Au contraire, le livre eut beaucoup de succès dans le camp des philosophes, et si Mme de Staël eût été plus clairvoyante, elle n’eût pas lu sans inquiétude la lettre suivante dont le signataire inconnu n’avait évidemment pas partagé les premières illusions de l’auteur ou en était revenu.

27 floréal.

Permettez que je vous remercie de tous les plaisirs que j’ai éprouvés en lisant votre dernier ouvrage. Quel courage il a fallu pour défendre les principes dans un moment où la liberté est perdue ! Tous les républicains ont trouvé dans votre livre un asile contre le despotisme ; vous leur avez donné la certitude que la vérité triomphe tôt ou tard. Aussi regardent-ils tous votre ouvrage comme le premier qui a paru depuis la Révolution. La page 150 a produit le plus grand effet[31]. Le portrait est d’une ressemblance admirable. Vous avez tué le charlatan de vices. J’étais hier chez un libraire au Palais-Royal. On parlait beaucoup de votre ouvrage et je vous assure, madame, que tout le monde partageait l’enthousiasme qu’il a produit chez moi.

Mme de Staël avait cru cependant pouvoir revenir à Paris ; mais elle n’y retrouvait pas le calme. Quelques nouveaux extraits des lettres de M. Necker vont nous montrer à quelles agitations elle continuait d’être en proie, en même temps que la persistante admiration que Bonaparte continuait d’inspirer non seulement au père, mais à la fille.

14 ventôse.

Je l’ai reçue cette lettre qui m’a si fort bouleversé et pourquoi la peine que tu fais éprouver n’est-elle pas en diminution de la tienne ? Ah ! que j’ai regret de ne t’avoir pas pressée de venir ici. Que tu sois affligée et blessée des procédés qu’on a pour toi, je le trouve naturel, mais que tu en reçoives une impression telle que tu me dépeins, mon jugement s’y perd. J’ai quelquefois éprouvé l’injustice et l’ingratitude, mais il y avait un moment de plaisir à se relever dans sa propre pensée. Je sais que la réponse de T.[32], si elle est sue, te vaudra de l’intérêt, car des paroles indiscrètes d’une femme blessée peuvent-elles effacer à tel point des services réels et une amitié si longtemps suivie ? Il a voulu plaire à Buonaparte, et le grand homme qu’il est, par un sentiment de générosité, désapprouvera peut-être qu’on veuille ainsi charger son léger mécontentement. Mais quoi qu’il en soit, est-ce à de tels intérêts qu’il faut sacrifier, même un instant et seulement en pensée, les grands intérêts auxquels tu te dois ? puissance des choses factices sur une imagination inflammable ! Ah viens ! viens ! et quand tu m’auras vu, m’auras entendu, m’auras mis en commerce avec ta raison, tu feras de moi ce que tu voudras.

25 ventôse.

J’entends ta situation comme toi-même, et ce que j’entends mieux que toi, c’est combien ta personne, si distinguée, est au-dessus des atteintes durables. Ils ne seront rien, les autres, avec un vent contraire, et tu seras la personne durable, la personne recherchée et sentie de l’Europe. Prends donc un peu de patience et viens trouver ici le secours de l’intimité et de l’expérience. Sois sûre qu’ici on ne verra que Mme de Staël et que tu seras meilleure à présenter que jamais.


21 mars.

J’ai reçu ta lettre du 22. Toute cette poursuite de détail contre toi est d’un genre détestable, et l’on se trompe sûrement si l’on croit plaire ainsi à un grand homme et qui doit savoir par mille traits combien tu as été et combien tu es encore enthousiaste de lui…

Je vois avec peine aussi ce que t’a dit l’ordonnateur[33]. Mon affaire cependant ne peut être réglée par une loi générale, laquelle de plus, autant que j’ai été instruit par les papiers, ne porte que sur les créances postérieures à 1800. Il m’est visible qu’ailleurs il n’y a pas faveur pour nous, mais puisque tu es contente de l’esprit de justice de Buonaparte et que j’y ai pour ma part une grande confiance, il faut espérer qu’on ne nous opprimera pas.


27 germinal.

Je présume que tu feras hommage de ton livre au grand homme, et il verra qu’à côté de tant d’esprit et d’instruction tu ne peux pas ressembler au portrait que malignement on lui a fait de toi. Sois sûre que ton esprit se calmera, que ton imagination revivra quand tu seras éloignée de ce théâtre où trop de contrariétés t’ont donné du tourment. Que je serai heureux si je puis contribuera te donner du calme ! Je l’espère…

Ce que tu dis de l’excellente représentation du Consul à la séance de l’Institut est très intéressant[34]. L’homme d’esprit, comme tu le dis, se marque en tout.

Se rendant aux appels réitérés de son père, Mme e de Staël, à la fin de mai, et quelques jours avant la bataille de Marengo, se décidait enfin à partir pour Coppet. Sans doute elle avait eu quelque sujet de satisfaction, peut-être le succès de son ouvrage dans ce milieu philosophique et libéral qui était celui à l’approbation duquel elle tenait le plus, car M. Necker lui adressait cette dernière lettre :

(Sans date.)

Comme le bonheur te sied bien ! Je dis cela de nouveau, comparant ta lettre du 18 à celle du 16. Je m’en tiens aujourd’hui à te dire que je vois approcher ton départ avec beaucoup d’approbation et infiniment de plaisir. Viens donc, ma chère Minette, et je désire comme toi que nous ayons à parler du héros pacificateur, après avoir tant parlé du héros victorieux. Tu trouveras son buste dans le salon à la même place où tu l’as mis.

Ainsi Mme de Staël avait, de ses propres mains, installé un buste de Bonaparte dans le salon de Coppet. Qu’est devenu ce buste ? Je l’ignore. La seule chose que je puisse dire, c’est que je n’ai trouvé aucun buste du Premier Consul, à Coppet, ni au salon, ni dans le grenier.

  1. Œuvres complètes de Mme la baronne de Staël, t. XVIII, p. 97. Cette édition que le fils de Mme de Staël fit paraître en 1820 est la plus complète. Les éditions subséquentes n’ont fait que la reproduire.
  2. La Révolution, par Louis Madelin, p. 455.
  3. Petit banquier du pays de Vaud.
  4. Cette lettre a dû être perdue.
  5. M. de Wurstemberger était un membre du gouvernement de Berne sous la domination duquel était alors le pays de Vaud. M. Duchesy était un des notables de Coppet.
  6. Cette demoiselle Agier ne fut pas oubliée par Bonaparte. J’ai signalé ce trait à mon confrère, M. Frédéric Maison, en faisant appel à son obligeante érudition qu’on ne trouve jamais en défaut. J’ai appris de lui qu’elle était inscrite sur la liste des pensionnaires de l’Empire pour une somme de 6 000 francs.
  7. Lorsque mon regretté confrère et ami Vandal préparait son bel ouvrage sur l’Avènement de Bonaparte, je l’avais invité à venir à Coppet prendre connaissance de cette correspondance. Il en avait apprécié l’intérêt et Il avait pris, sur les lettres de M. Necker et sur d’autres encore, de nombreuses notes dont il s’est servi avec beaucoup d’art, de tact et de mesure dans le premier et le second volume de sa remarquable histoire. Avec mon autorisation, il a communiqué ces notes à M. Paul Gautier qui s’en est servi également dans son ouvrage intitulé : Napoléon et Mme de Staël. On ne s’étonnera donc pas de trouver dans cet article quelques passages des lettres de M. Necker déjà citées par Vandal ou par M. Gautier.
  8. Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République en France. Cet ouvrage, qui a été édité avec beaucoup de soin et précédé d’une très substantielle et équitable étude sur Mme de Staël par M. John Vienot, renferme beaucoup d’erreurs et d’illusions, mais aussi beaucoup d’idées généreuses et de vues profondes, ce qui est le propre de l’esprit et des ouvrages de Mme de Staël.
  9. Ramel, qui était commandant de la garde des deux Conseils de la République Française au moment du 18 fructidor, s’était échappe de la Guyane où il avait été déporté. Il avait publié à Hambourg un Journal de son séjour à Cayenne qui avait fait grand bruit.
  10. Un certain nombre des déportés de Fructidor étaient encore à cette date cantonnés dans l’île d’Oléron.
  11. Garat a publié un assez grand nombre d’ouvrages. Le dernier en date avant cette lettre a pour titre : Mémoires sur la Révolution.
  12. Masséna livrait à ce moment autour de Zurich d’héroïques combats contre l’armée de Souvaroff.
  13. Le décret des Anciens, en ordonnant la translation des deux Conseils à Saint-Cloud, avait nommé Bonaparte « commandant des forces réunies dans Paris et dans le rayon constitutionnel. »
  14. Dans le projet de constitution rédigée par Sieyès, le nom de Jury constitutionnaire avait été donné à l’Assemblée qui devait finir par s’appeler le Sénat conservateur. Sieyès avait doté ce jury de pouvoirs considérables qui ne furent point attribués au Sénat dans la constitution définitive.
  15. Par cet hôte dont il se méfiait, M. Necker entendait sans doute désigner Bonaparte lui-même. Mme de Staël demeurait alors 103, rue de Grenelle. Quelques-unes des lettres que lui adressait son père portent cette suscription : « Au citoyen Euginet, » qui était l’intendant de Mme de Staël.
  16. Mme de Castellane, la mère du futur maréchal, possédait à Acosta, aux environs de Paris, une habitation où nous retrouverons prochainement Mme de Staël.
  17. La Constitution de l’an VIII fut votée le 22 et promulguée le 27 frimaire. Mais on savait déjà qu’elle instituait à la place du Jury constitutionnaire et du Grand Électeur proposé par Sieyès un Sénat, un Tribunat et un Corps législatif. C’est là ce que M. Necker, dans la suite de la lettre, appelle la « nouvelle milice. » Quant à Sieyès, qui, à ce moment, affectait de vouloir ne rien être, on sait qu’il finit par accepter la présidence du Sénat.
  18. M. Necker pensait évidemment en écrivant ces lignes au malheureux Louis XVI dont le sort tragique l’avait vivement affecté. Dans ses papiers on trouva tracées de sa main, probablement au lendemain du 21 janvier, ces quelques lignes que Mme de Staël a insérées dans les Manuscrits de M. Necker, publiés par elle en 1804 : « O Louis, excellent prince et le meilleur des hommes ! Qu’il n’y ait jamais un écrit de moi où je n’atteste vos vertus comme un témoin digne de foi ; aucun où je n’appelle à votre défense le seul jugement durable, le jugement de la postérité. Innocente victime, s’il en fut jamais I Quel sacrifice impie ! »
  19. Bibliothèque de Genève. Lettres de M. Necker à Salomon Reverdil. Ce Salomon Reverdil, dont les papiers sont à la Bibliothèque de Genève, était l’ancien précepteur du roi Christian VII, le mari de l’infortunée Caroline-Mathilde.
  20. Hambourg était alors au pouvoir des Russes.
  21. Galippe, D’un siècle à l’autre, t. Il, p. 65.
  22. Les lettres de M. Necker sont en effet datées tantôt suivant l’ancien, tantôt suivant le nouveau calendrier.
  23. La lettre est sans date.
  24. M. Necker écrivait cette lettre le 16 mars à propos d’un second discours de Benjamin Constant.
  25. Cette lettre, sans date, est évidemment de l’époque où, pour remettre de l’ordre dans les finances, Bonaparte s’entourait d’hommes particulièrement compétens (Cf. Vandal, t. II, 216). Dufresne de Saint-Léon était l’ancien commis principal de M. Necker quand celui-ci était au contrôle général.
  26. Cet ouvrage dont Mme de Staël préparait la publication est celui intitulé : De la littérature considérée dans ses rapports avec les Institutions sociales. Il en sera de nouveau question dans des lettres de l’année suivante.
  27. M. Necker fait ici allusion à la loi du 28 pluviôse qui créait les préfets et dont Rœderer avait fait l’étoffe dans un article.
  28. Les Inscriptions de rente sur l’État. M. Necker en possédait un assez grand nombre.
  29. Les Haller étaient une famille bernoise, en relation depuis longtemps avec M. Necker. Emmanuel Haller avait connu Mme de Staël dans son enfance. Ainsi s’explique la fréquence et le ton affectueux de ses lettres.
  30. Voir, dans l’ouvrage de Vandal, t. II, p. 314, l’appréciation très fine, judicieuse et équitable qu’il porte sur ce livre « brave et généreux, tour à tour optimiste et mélancolique. »
  31. La première édition étant devenue introuvable, je ne puis dire ce que contenait cette page 150.
  32. Évidemment Talleyrand.
  33. Il s’agit toujours des deux millions dont Mme de Staël poursuivait, au nom de son père, le remboursement.
  34. Bonaparte avait été nommé président de l’Institut. Le 15 germinal, il avait voulu présider l’assemblée générale, et il avait eu le bon goût d’affecter une grande simplicité d’altitude.