Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 079

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 281-282).


LXXIX

Moyen terme


Je n’en finirais pas si je voulais conter tout au long ce que je souffris pendant les premières heures. J’oscillais entre des impulsions diverses. La pitié me poussait à aller trouver Virgilia, et un autre sentiment, l’égoïsme, peut-être, m’ordonnait de rester. Ces deux forces avaient, je crois, la même intensité : elles m’investissaient en même temps et se faisaient équilibre, avec une égale ardeur, et aucune ne cédait définitivement. Parfois, je sentais une pointe de remords. Il me semblait que j’abusais de la faiblesse d’une femme aimante et coupable, sans rien risquer de moi-même. Mais quand je me sentais prêt à capituler, l’amour revenait avec ses conseils égoïstes, et je demeurais irrésolu et inquiet, désireux de la voir, et craignant que sa vue ne me poussât à partager avec elle la responsabilité de la solution.

Je trouvai enfin un moyen terme entre l’égoïsme et la pitié. J’irais la voir chez elle, rien que chez elle, sans qu’il me soit possible de lui parler, et dans l’attente de l’effet de mon intimation. De la sorte, je jugeais pouvoir concilier les deux forces. Mais en écrivant ces lignes, je vois bien que cette compromission était une farce, que la pitié était encore une forme de l’égoïsme, et que ma résolution d’aller consoler Virgilia n’était, au fond, qu’une suggestion de ma propre souffrance.