Mémoires de la société géologique de France/1re série/Tome I/2


SUR LES ENVIRONS DE LA SPEZIA,


PAR H. T. DE LA BÊCHE.


Ayant vu qu’on avait fixé l’attention de la Société sur le mélange des Orthocères, avec des Ammonites des terrains secondaires, et en particulier avec l’Ammonites Turneri et Conybeari, dans le calcaire salifère du Salzbourg, je crois utile d’envoyer la notice suivante sur une association semblable d’orthocères et de bélemnites, dans un calcaire de la Spezia. Plus des faits de ce genre se multiplieront, mieux l’on pourra évaluer l’importance attribuée maintenant à la présence ou à l’absence de certains genres de fossiles dans certains dépôts.

Dans nos efforts pour classer les formations au moyen des restes organiques, nous devrions faire plus d’attention aux conditions variées sous lesquelles les dépôts ont pu se former. La surface du sol découvert, et celle du fond de l’Océan, ont présenté dans tous les temps des inégalités qui, considérées sur une grande échelle, ont dû fortement influencer la distribution des êtres marins sur un espace considérable, et pendant la même période. En cherchant des analogies dans ce qui existe, nous ne devrions pas nous attendre, à priori, à trouver les restes des mêmes animaux marins ensevelis dans toutes les parties d’un dépôt contemporain, parce que la profondeur des eaux, et, par conséquent, la différente pression, et la plus ou moins grande quantité de lumière, ainsi que les variations de température, auront dû toujours produire, à cet égard, comme à présent, des différences notables. Outre ces circonstances, et la chaleur plus ou moins considérable, la distribution de la vie animale marine est encore soumise à l’influence de la plus ou moins grande vélocité des marées et des courans, et à celle de la nature du fond, quelques animaux préférant un genre d’habitation, tandis que d’autres en recherchent un autre. Ainsi, nous devons trouver dans chaque dépôt contemporain, non seulement des variations relativement aux caractères minéralogiques, mais encore relativement à la nature des fossiles. La partie du dépôt qui aura été formée sous une eau peu profonde offrira certaines pétrifications, tandis qu’une autre portion en renfermera d’autres très différentes sous ce rapport.

Après ces considérations générales, j’aborde la description des environs de la Spezia, car quoique beaucoup des détails suivans n’aient pas un rapport direct avec la question que je viens d’agiter, néanmoins souvent des faits isolés jettent moins de lumières sur un point douteux qu’une description générale.

On connaît les beautés du golfe si célèbre de la Spezia ; la carte ci-jointe (pl. III) peut servir à donner une idée de sa configuration et de ses environs ; et pour ceux qui désireront plus de détails, ils consulteront avec avantage le mémoire de M. Guidoni, inséré dans le Giornale ligustico, pour 1828, et intitulé : Observations géognostiques et minéralogiques sur les montagnes entourant le golfe de la Spezia. Je ferai seulement observer que les montagnes de Massa Carrara, à l’est de ce golfe, et nommées les Alpes Apuennes, ne sont pas une branche de la chaîne principale des Apennins, comme on pourrait le croire d’après les cartes, mais qu’elles forment un groupe séparé par ses rapports physiques et géologiques. Les plaines de la Magra séparent ces hauteurs des montagnes du golfe de la Spezia[1].

Dans la description suivante, les dépôts stratifiés sont décrits dans leur ordre de superposition, en commençant par les plus récens et en terminant par les roches non stratifiées.


§ I. Blocs et graviers.

Près de Massa, les galets abondent et forment la partie supérieure de la plaine descendant vers la mer. Il y en a de bonnes coupes près du pont de marbre blanc sur le Frigido, et en remontant cette rivière, qui se fraie un passage à travers ce dépôt qu’il ronge, en laissant le long de son cours des berges perpendiculaires et élevées près de la ville de Massa. Il ne faut pas confondre ce gravier avec les autres agglomérats, peut-être tertiaires, qui sont dans ces environs en couches régulières ou même redressées, et qui sont de plus recouvertes par ce même gravier. À Carrare, le gravier entoure la ville en reposant sur le grès : il y renferme, dit-on, des ossemens. Ce dépôt s’élève fort au-dessus du niveau de la Méditerranée, qui sans cesse augmente les alluvions de la côte de tout ce que la Magra lui apporte ; mais ces dernières masses se trouvent à un niveau bien inférieur à celui des alluvions de Massa ou de Carrare.

Le gravier n’est pas fréquent dans le voisinage immédiat du golfe de la Spezia ; mais en traversant le col appelé le Foce, sur la route de la Spezia à Borglietto, les galets deviennent plus abondans La gorge où passe la route et le torrent, près de Ponzo, est remarquable en ce que ce dernier paraît s’être frayé un chemin à travers une montagne composée de graviers et de blocs dans lesquels ceux-ci ont quelquefois la pesanteur d’une tonne ou plus, et sont formés par un macigno grossier et siliceux. Un espace considérable est couvert de ces blocs, parmi lesquels il n’y a pas d’euphotide ou de serpentine, quoique des blocs de ce genre couvrent les environs. La cohésion de cette masse arénacée est si faible, qu’une partie de la route est continuellement couverte de ses débris.

En descendant la vallée qui s’ouvre sur le Vara, on quitte bientôt le district des blocs ; le torrent ne les charie qu’à une petite distance de la place où ils se trouvent, et où ils n’ont été déposés par aucune des rivières actuelles du pays. Lorsqu’il est gonflé, ce torrent est considérable, de manière que le transport de ces blocs mérite de fixer l’attention. À la jonction de cette vallée et de celle du Vara, et dans celle-ci, il y a des graviers d’une grosseur ordinaire formés et déposés apparemment par les rivières, et plus tard coupés par ces dernières.


§ II. Lignite, argile, grès et agglomérat de Caniparola.

Caniparola est située un peu à l’est de Sarzana. On y reconnaît les couches suivantes dans des masses presque verticales, et se dirigeant à peu près du N. au S. La coupe commence à l’E.

1o Calcaire gris argileux ; 2o marne schisteuse grise ; 3o calcaire marneux gris ; 4o schiste marneux gris à Fucoïdes intricatus (Ad. Bgt.) ; 5o grès micacé verdâtre ; 6o schiste marneux gris ; 7o grès micacé verdâtre ; 8o schiste marneux gris ; 9o grès argileux gris ; 10o grès clair ; 11o argile grise ; 12o calcaire argileux gris ; 13o grès verdâtre ; 14o schiste marneux gris ; 15o schiste marneux gris à veinules ochreuses ; 16o argile grise ; 17o lignite ; 18o argile grise ; 19o lignite, séparé par deux strates d’argile ; 20o argile grise ; 21o lignite ; 22o argile grise ; 23o lits calcaires ; 24o marne grise ; 25o schiste marneux gris ; 26o argile grise ; 27o agglomérat composé de calcaire compacte gris, de macigno et de jaspe, avec un ciment d’argile grise ; 28o grès friable verdâtre ; 29o agglomérat comme le no 27 ; 30o grès verdâtre.

Cette suite de couches se voit sur le bord d’un petit ruisseau près duquel sont les mines de lignite. Ce combustible présente souvent la texture fibreuse du bois, et ses lits ont de deux à trois pieds d’épaisseur. Les cailloux des agglomérats, no 27 et no 29, montrent que ce dépôt est plus récent que celui du macigno et du calcaire compacte de cette partie de l’Italie. Je le regarde comme tertiaire, quoique les caractères zoologiques manquent, et que les végétaux n’aient pas été bien examinés. Les couches précédentes ont été probablement redressées par la même force qui a soulevé les Alpes Apuennes.


§ III. Brèche à ciment de calcaire poreux.

La couleur de cette roche est généralement grise ; elle est composée de fragmens de calcaire compacte gris, de schiste et de grès, roches des environs. Dans quelques endroits, il est difficile de remonter à l’origine de ce dépôt, dont le ciment existe çà et là, seul, sous la forme de couches particulières. Je n’ai pu voir ses rapports avec le dépôt de lignite de Caniparola, et je soupçonne que ce dernier est plus récent.

Cette brèche constitue des caps dans le golfe de la Spezia, à la batterie de Saint-Bartholomée et à celle de Sainte-Thérèse. A San-Terenzio elle forme la cime des falaises et le bas pays. Elle se trouve probablement sur les falaises entre le Cap Corvo et Lerici, car des blocs de cette roche tombent de ces hauteurs dans la mer. Cette roche semble liée à la suivante.


§ IV. Grès siliceux.

Ce grès est généralement compacte, en couches compactes ou schisteuses, jaune brun ou blanchâtre, et inférieurement rougeâtre ou verdâtre, et sans fossiles. Il repose en stratification discordante sur le macigno, ou plutôt sur la surface corrodée de cette roche entre la Spezia et Sarzane, comme on le voit sur la grande route.

Quelques unes de ses couches supérieures deviennent marneuses et rouges. Ce grès a été fort tourmenté, à juger d’après ses différentes inclinaisons ; néanmoins il offre une inclinaison générale partant du macigno sur lequel il repose. Près de Musano il plonge au nord sous 40°, à la pointe de Ciapa ; près de San-Terenzio les couches sont contournées. La partie supérieure de la roche, couronnée par le fortin de San-Terenzio, est composée de la brèche précédemment décrite, tandis que sa portion inférieure est formée de ce grès offrant quelquefois les caractères de la brèche, les couches étant contournées.


§ V. Macigno.

Ce nom est donné à deux espèces de grès assez semblables par leurs caractères minéralogiques, mais différens par leur gisement. Je restreins cette dénomination au grès supérieur et dominant. On le trouve en abondance en Toscane, dans le pays de Lucques, de Massa et de Carrare, et près de la Spezia[2] Le macigno est un grès siliceux et calcaire, souvent à taches noires provenant en apparence de petits morceaux de schiste ; il est généralement micacé et mêlé quelquefois d’argile schisteuse et de schiste. Ses couches sont compactes, schisteuses ou friables, et offrent les caractères propres aux variétés intermédiaires entre ces trois espèces. Les couleurs grises et brunes dominent.

Près de Massa et de Carrare, le macigno non couvert d’autres roches repose sur du calcaire compacte gris. Au sommet de la route du col, entre ces deux villes, la route permet de voir le point de contact de ces deux roches (voy. pl. IV, fig. 5) dans l’ordre ascendant suivant : 1" du calcaire gris imparfaitement stratifié ; 2° des lits de jaspe et de marne schisteuse ; 3° des schistes argileux et du grès micacé brun (n° 2 et 3, en lits presque verticaux) ; 4" du grès micacé brun en couches d’abord perpendiculaires, puis inclinant à l’O.-S.-O., sous 45°. Une série de couches de jaspe et de schiste argileux rougeâtre et gris verdâtre se voit près de Carrare.

Un petit monticule composé de macigno s’élève au S. de Massa ; c’est un prolongement du grès formant les montagnes au N.-O. La jonction est cachée par les graviers à travers lesquels le Frigido a creusé son lit assez profondément pour laisser voir le macigno.

Cette roche abonde au N. de la Spezia, s’étendant des bords du Vara vers Borghetto, et en-deçà de cette ville, ainsi que par Vezzano et le bord droit de la Magra, vers le passage à Sarzane. Ce district contient toutes les variétés ordinaires de ce dépôt.


§ VI. Calcaire compacte gris, ou marbre de Porto-Venere.

Cette roche se trouve près de la Spezia, et peut être divisée en six parties.

1° Les couches supérieures compactes grises ou de diverses teintes, avec un nombre plus ou moins grand de petits filons de spath calcaire, ça et là alternant avec des lits schisteux et du schiste argileux, généralement épaisses. Le marbre noir et jaune de Porto-Venere fait partie de cette assise ;

2° Une dolomie plus ou moins pure, blanche quand elle est pure, et indistinctement stratifiée ;

3o Un calcaire compacte gris foncé en lits minces ;

4" Le même calcaire alternant avec du schiste brun clair avec Orthocères, Bélemnites, Ammonites, et beaucoup de pyrites,

5o Du schiste brun clair alternant avec du calcaire compacte de teintes claires et en lits minces, semblable à certaines variétés du calcaire jurassique ;

6" Le même schiste alternant avec des lits minces de calcaire gris foncé.

Telle est la coupe des calcaires et des dolomies qui, en commençant aux îles de Tino et de Palmaria, s’élèvent dans les hauteurs de la Castellana, et s’étendent de là à Pignone en formant les montagnes de Corégna, de Santa-Croce, de Parodi, de Bergamo, etc. (Voyez pl. III et pl. IV, fig. 2 et 2). Il faut remarquer que la dolomie forme la partie centrale de la chaîne en constituant les points les plus élevés des montagnes calcaires, et qu’elle peut être considérée aussi bien comme un grand filon redressant les couches, que comme une grande couche ou un assemblage de couches renfermé au milieu d’autres masses.

À la demande de M. Cordier, M. Laugier a analysé la dolomie cristalline de la Castellana, et y a trouvé :

Carbonate de chaux 55,36
————— de magnésie 41,30
Peroxide de fer et alumine 2,00
Silex 0,50
Perte 0,84[3]

Les fossiles abondent à la cime de Corégna, où ils furent découverts par M. Guidoni. Les couches étant presque verticales, le schiste coquillier se décompose à l’air, et permet l’extraction des pétrifications. D’après M. Sowerby, sur quinze espèces d’Ammonites, une paraît être l’Ammonites erugatus (Phillips), du lias de l’Yorkshire, tandis que deux d’entre elles ressemblent à l’A. Listerï et à l’A. biformis, fossiles des houillères de l’Angleterre septentrionale. À une exception près, les autres Ammonites lui semblent de nouvelles espèces, et je les ai décrites et figurées dans mon Manuel, sous l’article du groupe Oolithique. Ces fossiles

En 1825 M. Laugier a publié deux analyses semblables. (Bullet. de la Soc. philom.) reçurent les noms d’A. Guidoni, cylindricus, Stella, Phillipsii, Coregnensis, articulatus, discretus, ventricosus, comptus, catenatus et trapezoidalis.

Une de ces Ammonites complétant les quinze espèces, paraît être un jeune individu de l’A. Bucklandi.

Les restes de Bélemnites consistent seulement en alvéoles, et sont communs ; les Orthocères ressemblent à l’O. Steinhauri des houillères de l’Angleterre septentrionale ; mais elles ressemblent aussi à des pétrifications du lias du Dorsetshire ayant reçu le nom d’O. elongatus. (Géol. trans., 2e sér., vol. I.)

En outre, M. Guidoni a encore trouvé des milliers d’échantillons de mollusques et même des restes d’animaux vertébrés. Il énumère parmi les Ammonites les A. discus, planicosta, Bucklandi, splendens, dentatus, concavus, Greenoghii, Walcotii, plicatilis, stellaris, communis, Brookii et Nutfieldensis. Il faudrait savoir si toutes ces déterminations sont exactes ; si elles le sont, ces roches offriraient des fossiles autres que ceux du lias en France, en Angleterre et en Allemagne ; car l’A. splendens est un fossile de la craie ou du Gault de Sussex, quoique M. Conybeare l’ait aussi découvert dans le Coralrag ; et l’A. Nutfieldiensis a été trouvé dans la craie par M. Lonsdale, quoique M. Conybeare l’ait vu aussi dans la roche de Portland. M. Guidoni dit aussi avoir observé la Gryphée arquée dans le marbre de Porto-Venere[4].

Toutes les vallées transversales de cette chaîne, comme la côte, et surtout la vallée du Biassa, offrent de bonnes coupes. Les masses y sont toutes considérablement tourmentées, les couches supérieures étant généralement le plus contournées (voy. pl. IV, fig. 2 et 4), et les inférieures, quoique ondulées en petit, étant perpendiculaires, vues en grand.

Les calcaires, sur la côte orientale du golfe, ont la même structure minéralogique que ceux indiqués précédemment, et en paraissent être la continuation, leur jonction étant cachée par les eaux du golfe. On voit des coupes de la dolomie sur la route de Lerici et de Sarzane, près de Barcola, et non loin d’Ameglia, où elle contient de la matière siliceuse. Ce calcaire offre de nombreux lits de jaspe vert et rouge, comme on l’observe dans les falaises pittoresques de la côte au S.-E. de Lerici, où des marnes rouges et des schistes s’associent avec cette roche. C’est comme ce que j’ai indiqué dans la coupe près de Lucques.

Dans un pays où le caractère minéralogique du calcaire est de si peu de valeur, il est dangereux de déduire de cette circonstance seule, sans les fossiles, si cette roche est l’équivalent de tel ou tel calcaire d’une apparence minéralogique semblable. Je ne puis donc pas dire que mes observations prouvent que la zone de calcaire gris, qui passe par Massa et Carrare, et entoure depuis là les montagnes vers le S.-E., soit de la même époque que le calcaire de la Spezia.


§ VII. Schistes bruns et couches bigarrées.

Ces roches forment une portion considérable de la chaîne s’étendant de Porto-Venere vers Pignone, et peuvent bien être étudiées dans plusieurs vallées transversales et sur la côte. (Voy. pl. IV, fig. 2.) Elles sont placées entre les grès bruns dont je vais parler, et les calcaires mentionnés ci-dessus. Les couches sont perpendiculaires sur une grande échelle, et ondulées en petit. Les couches bigarrées sont un assemblage de matière calcaire, siliceuse et argileuse. Les couleurs sont le bleuâtre, le verdâtre et le rouge ; le schiste brun ne fait pas effervescence avec les acides.


§ VIII. Grès brun et schistes gris.

Le grès brun, qui a quelquefois été appelé macigno, est surtout siliceux, quoique çà et là à parties calcaires. Il est quelquefois micacé, et forme des couches compactes ou feuilletées.

Cette roche constitue la haute chaîne qui s’étend des environs de la Castellana jusqu’au-delà de Vernazza.

Au Cap-Mesco il couvre un schiste gris et plonge vers la mer. Des failles traversent les deux roches. (Voy. pl. IV, fig. 9.)

Le schiste gris est un mélange de matière argileuse, siliceuse et calcaire, dans lequel prédomine quelquefois l’une ou l’autre de ces parties. Il est plus ou moins micacé, traversé communément de veinules de spath calcaire, ou rarement de quarz. Çà et là la matière calcaire domine tellement, qu’il se produit des couches calcaires. De grands fucoïdes existent dans cette roche.

Le schiste forme la côte depuis les environs de Riomaggiore jusqu’au Monte-Rosso. Les couches sont ou fortement inclinées, ou contournées. Au Monte-Rosso, elles ont été percées par l’euphotide et la serpentine.


§ IX. Calcaire grenu, etc., de Cap-Corvo.

Plusieurs roches sont découvertes par la coupe naturelle du Cap-Corvo, et je ne connais pas de mode plus bref pour détailler leurs rapports, que d’énumérer leur ordre de succession dans ce point. (Voy. pl. IV, fig. 3.)

Le calcaire compacte gris forme la côte de Lerici au Cap-Corvo, où l’on voit les roches suivantes de haut en bas, et inclinant plus ou moins à l’O. :

1° Du calcaire compacte gris, mêlé de schiste traversé de petits filons de spath calcaire ; 2° du calcaire gris feuilleté alternant avec du schiste ; 3° du calcaire compacte gris feuilleté ; 4° des couches feuilletées, micacées, et de teintes diverses ; 5° de l’agglomérat dur en couches épaisses, composé surtout de morceaux de quarz variant de la grosseur d’un pois à celle d’une noix, et même plus, avec un ciment quarzeux et un ou deux lits subordonnés de grès grossier ; 6° le même schiste mêlé de chlorite, souvent dans le même lit des veinules de fer micacé dans les lits quarzeux ; 7° des couches feuilletées, micacées et brunes, contenant très peu de calcaire ; 8° un mélange de calcaire grenu brun et blanc ; 9" du calcaire grenu blanc rendu feuilleté par le mica ; 10° une couche épaisse de roche compacte chlorotique ; 11° du calcaire grenu blanc ; 12° des couches micacées brunes ; 13° du calcaire grenu blanc rendu feuilleté par le mica ; 14° du calcaire demi cristallin brun mêlé de schiste ; 15° du schiste micacé tournant vers l’E.

Cette coupe peut faire supposer que quelques unes de ces roches sont des altérations d’autres roches. Elles ne correspondent pas minéralogiquement avec celles de la côte entre Porto-Venere et Monte-Rosso. Les calcaires n" 1, 2, 3 et 4 paraissent les équivalens du calcaire de la Spezia. Les conglomérats n° 5 et 6 peuvent représenter le grès brun ; mais ils ressemblent tellement par leurs caractère et leur gisement, à ceux qui existent entre les Alpes calcaires et la chaîne alpine centrale, que je ne puis omettre cette analogie.

L’état couvert du pays, derrière l’embouchure de la Magra, empêche un examen suffisant d’une roche ressemblant beaucoup au poudingue de Valorsine, et formant de basses falaises ; c’est peut-être le prolongement des roches n" 5 et 6 de la coupe du Cap-Corvo. Il est composé de morceaux de roches chloriteuses, de talc-schiste et de beaucoup de quarz cimenté par du talc ou du mica. Il est en couches épaisses, et incliné au N.-E. Depuis le débouché de la Magra jusqu’à Ameglia, j’ai trouvé la succession suivante de couches : 1° du schiste micacé ; 2° des couches épaisses d’agglomérat ressemblant à celui de Valorsine ; 3" une grande épaisseur de schiste talqueux et micacé ; 4° du schiste chlorotique ; 5" l’agglomérat quarzeux à grains fins ressemblant à certaines variétés du n° 5 de la coupe du Cap Corvo ; 6° la même roche, à grains plus fins, feuilletée et micacée ; 7° du schiste argileux micacé, inclinant au N.-E. sous 35° ; 8° une roche composée de feldspath, de quarz et de mica ; 9° la même roche feuilletée, avec le quarz en grains séparés, comme dans la vallée du Frigido, près de Massa, le quarz étant coloré en rose ; 10° du schiste argileux micacé ; 11° la même roche plus compacte, à lits et à grains de quarz isolés ; les dernières couches sont couvertes par le calcaire compacte près d’Ameglia.


§ X. Marbre de Carrare.

Cette roche, trop bien connue pour avoir besoin d’être décrite, est distinctement stratifiée, et incline dans les carrières principales au S.-O., sous divers angles. Son âge exact n’a pas encore été déterminé. Le calcaire compacte gris, près de Carrare, paraît reposer sur les masses grenues, de la même manière que la première roche sur le schiste micacé près de Massa, et le marbre semblerait faire partie du même système que le gneis et les schistes micacés des Alpes Apuennes.

Il est remarquable que les couches de marbre n’existent pas dans la partie inférieure de la vallée du Frigido, quoique, d’après leur direction, elles devraient s’y prolonger. En supposant que ce marbre est primaire, ce fait perd de sa singularité, puisque ce genre de dépôt existe en grands amas au milieu d’autres roches. Sa nature grenue n’est d’aucune valeur pour indiquer l’âge de cette roche, puisqu’il y en a de semblables dans toutes les formations[5].


§ XI. Schiste micacé de la vallée du Frigido.

On peut bien l’observer en montant la vallée depuis Massa : d’abord le schiste micacé et argileux, et surtout ce dernier, domine, et incline à l’O.-S.-O. En remontant plus haut la vallée, le schiste micacé abonde, ses couches deviennent verticales, et elles courent du N.-O.-N., au S.-E.-S. La roche y contient beaucoup de quarz, souvent en grains isolés, formant un composé qui ressemble à quelques couches entre le Capo-Corvo et Ameglia. L’autre aspect de la roche représente encore plus celui des roches dont elle est probablement le prolongement. Elle devient une espèce de gneis ressemblant à celui qui abonde dans la gorge de Roffla dans les Grisons, et au Splugen. Son caractère principal est de contenir des grains isolés de quarz, et de former des couches fort épaisses.


§ XII. Euphotide et serpentine.

Quoiqu’on ait prétendu qu’en Ligurie ces roches sont quelquefois stratifiées, celles que j’ai examinées, soit dans ce pays, soit en Toscane, ne m’ont pas paru offrir ce caractère. Leur nature minéralogique est bien connue ; M. Brongniart a décrit leur position sur le Macigno, et a montré qu’elles ne sont pas toujours associées avec des roches primaires ou intermédiaires.

La vallée de Cravignola, entre Borghetto et Rochetta, offre une excellente coupe du gisement de ces roches. (Voy. pl. IV. fig. 6.)

La vallée coupe les couches presque sous un angle droit de leur direction. À son entrée, il y a des couches de grès brun micacé fort inclinées, et courant du N.-N.-O. au S.-S.-E. À ces roches succèdent d’autres roches semblables, alternant avec des schistes argileux ; ces dernières passent à une roche plus schisteuse à bancs calcaires d’une teinte foncée, et inclinant sous un angle de 40"

Au-dessous de ce schiste ressort la serpentine, qui, continuant pendant quelque temps, est ensuite interrompue par des couches contournées de calcaire compacte gris et de schiste. Plus loin vient de l’euphotide, qui passe à la serpentine, et cette dernière roche passe de nouveau à la première roche qui repose sur le jaspe. Des nids de manganèse sont exploités dans la partie inférieure du jaspe. Cette coupe se voit le mieux sur le bord droit de la rivière ; car la partie contournée de calcaire et de schiste est fort peu étendue sur la rive opposée.

La fig. 7 de la pl. IV présente une coupe de la partie décrite par M. Brongniart, et le jaspe y recouvre du calcaire et du schiste contourné.

L’euphotide et la serpentine paraissent passer l’une à l’autre, et la première roche n’est qu’accidentellement dans la partie inférieure de cette masse. Quant au jaspe, se trouvant au milieu de roches sans serpentine, je ne le regarde pas comme un produit altéré par le contact des schistes et de l’euphotide, quoique ailleurs de pareilles causes aient pu produire de semblables effets.

Les premières euphotides et serpentines visibles sur la côte vers la Spezia se trouvent au Monte Rosso. (Voy. pl. IV, fig. 9.)

Ce mont, près de la ville, est composé de schiste calcaréo-argileux et micacé gris, à petits filons spathiques, et renfermant du calcaire. Les couches sont verticales et contournées ; le tout offrant des apparences de dérangement, comme on en voit sur la côte, de ce point à Vernazza.

En traversant le torrent, dans la vallée voisine, nous trouvons d’abord l’euphotide, puis la serpentine, et plus loin les deux roches passent l’une à l’autre dans toutes les directions, en ne semblant que des modifications de la même matière.

La masse de ces roches est couverte, dans la direction du Cap Mesco, de grès et de schiste contourné, puis de couches épaisses de grès à ciment calcaire, incliné au S.-O. sous 45°. Deux ou trois failles traversent le grès et le schiste.

La serpentine se prolonge vers le N.-N.-O. dans l’intérieur du pays, et paraît liée avec celle qui abonde à Levano, où elle est couverte par le prolongement des roches du Cap Mesco. A Levano l’euphotide et la serpentine passent l’une à l’autre et sont très variées.

Les serpentines dont nous venons de parler sont contemporaines de celles de la Ligurie. Elles traversent les calcaires, les grès et les schistes dans toutes les directions, comme on peut le voir sur la grande route entre Borghetto et Chiavari. L’euphotide occupe plus de place que la serpentine.

Dans la gorge près de Ponzo, coupée au milieu des graviers, on observe sur la côte de Pignone une butte dans le vallon qui conduit à ce dernier lieu ; elle est composée de serpentine diallagique à petits filons de stéatite, et fait évidemment partie d’une grande masse de serpentine cachée par les alluvions. La roche s’étend de là à l’Ouest, sous la forme d’un filon d’un demi-mille de largeur ; elle est mêlée de beaucoup d’euphotide. Entre l’église de Covarra et Pignone, elle repose sur le grès et le schiste argileux. Ce filon se lie peut-être aux masses serpentineuses entre Bracco et Levano.

Je me permets d’ajouter quelques mots sur le Monte Ferrato en Toscane. Cette butte à trois sommets, et est composée de serpentine et d’euphotide ; sa cime la plus méridionale est à deux milles au nord de Prato. Sur son côté sud, vers la plaine, on trouve de la serpentine diallagique. En allant de là sur la pente occidentale de la montagne, on observe du jaspe rouge schisteux ou compacte ; il est placé entre la plaine et la serpentine. Les strates courent du S.-E.-E. au N -0.-0. en plongeant sous la montagne. La serpentine cache le jaspe sur une certaine étendue.

À une colline au N.-O. de la montagne (voy. pl. IV, fig. 8), le jaspe est placé entre la serpentine et le calcaire compacte gris ; on y observe aussi quelques marnes schisteuses, associées en apparence avec le jaspe. C’est là que M. Brongniart a pris sa section ; le calcaire et le jaspe sont coupés par une ramification de la masse principale de la serpentine et de l’euphotide, et cette branche est composée principalement d’euphotide. Ces apparences rappellent celles des trapps. Une coupe de cette montagne, à travers le sommet méridional du Monte Ferrato, aux carrières calcaires de Monticelli, montre que les roches stratifiées inclinent des deux côtés sous les masses non stratifiées, et je crois que ces dernières sont sorties d’une fente, et ont coulé autour de cette espèce d’orifice. Le jaspe peut être subordonné au calcaire ; le schiste brun et le jaspe de Paciana sont les mêmes que les roches semblables entre Lucques et les bains de ce nom. Le calcaire de Monticelli ressemble à celui de la montagne située au N.-O, et cette roche dans les deux endroits correspond à celles de la coupe de Lucques.

D’après ce que je viens de dire, on voit que l’âge relatif des calcaires de la Spezia ne peut pas encore être déterminé d’après ses fossiles. Il faut attendre des détails circonstanciés que M. Pareto et d’autres géologues nous promettent sur la Toscane, le Modénois, et les pays voisins.

Nous n’avons pas encore de preuves évidentes pour préciser l’époque du dépôt des graviers et des blocs, ni l’âge des lignites de Caniparola, quoique je sois disposé à les placer dans le sol tertiaire. Je n’ai découvert de pétrifications ni dans la brèche poreuse ni dans le grès siliceux. Quant aux deux grès entre lesquels sont situés les calcaires de la Spezia, on n’y a vu que des fucoïdes ; les deux grès les contiennent, car les masses supérieures du macigno en présentent en Toscane. On n’a pas encore établi les équivalons des schistes gris et du calcaire sur lesquels reposent le grès inférieur. L’observation du calcaire grenu, et des autres roches du Cap Corvo et des Alpes apuennes n’avancent pas non plus nos recherches, car toute roche plus récente peut reposer sur une plus ancienne, sans déterminer pour cela l’époque de son dépôt.

Il ne nous reste donc que les fossiles des calcaires de la Spezia. Admettant qu’ils ont été bien déterminés, nous avons là un mélange de restes organiques qui éloignent le dépôt aussi bien des groupes carbonifères, et de là grauwacke, que de l’époque oolithique, quoique la masse des preuves soit plutôt pour le placer dans cette dernière.

Nous sommes accoutumés à admettre en Angleterre et en France que les Bélemnites ne descendent pas au-dessous de la formation jurassique, et ne remontent pas au-dessus de la craie ; d’après cette idée préconçue, notre dépôt ne pourrait être que jurassique ou crétacé ; mais si nous considérons les Orthocères, nous serions disposés à placer le calcaire de la Spezia dans le groupe carbonifère ou la grauwacke. Les Ammonites ne nous apprennent rien de plus, car, d’après Sowerby, deux espèces se retrouvent dans les houillères de l’Angleterre et de l’Allemagne.

Ainsi, dans ce cas, vu nos connaissances limitées, les déterminations à l’aide des fossiles sont impossibles. Les idées d’après lesquelles on voudrait se diriger reposent uniquement sur l’examen d’une partie de l’Europe assez éloignée du pays décrit. Cette distance, et probablement les conditions différentes des dépôts, ont pu produire des anomalies. Admettant les roches de la Spezia comme équivalentes à toute la masse oolithique, ou à une partie de ce dépôt dans l’Europe occidentale, doit-on regarder comme probable que les mêmes circonstances physiques étaient communes à toute cette partie du globe, ou doit-on penser que ces circonstances étant différentes, des variations essentielles minéralogiques et géologiques en ont été le résultat ?

En terminant, je ne veux plus que fixer l’attention sur le mélange de fossiles particuliers dans trois points éloignés les uns des autres, savoir : les Alpes du Salzbourg, celles du Dauphiné et de la Savoie, et les environs de la Spezia. Dans le premier lieu, des Orthocères sont associées à des Ammonites et à des Goniatites ; dans le second, des Bélemnites sont avec des plantes des houillères, et dans le dernier, des orthocères sont réunies avec des Bélemnites et des Ammonites soit du lias, soit du terrain carbonifère.

Ces mélanges peuvent maintenant passer pour accidentels ; mais lorsque les fossiles des dépôts de l’Europe orientale seront mieux connus, il est probable que cette prétendue anomalie se trouvera en harmonie parfaite avec les lois générales de la nature sur la distribution des restes organiques.


  1. Les hauteurs des principaux points des Alpes Apuennes sont, d’après M. P. Inghirami, les suivantes :
    Pizanino 1051,4 toises. Monte Altissimo 815,2 toises
    Pizzo d’Uccello 966,19 Monte Forato 601,49
    La cime de Panza 954,69

    Les montagnes sur le côté oriental du golfe de la Spezia sont beaucoup plus basses que celles sur le côté opposé. Le mont Castellana s’élève à 261,5 toises sur la mer, d’après M. le baron de Zacli. Depuis cette montagne, la côte s’élève au N.-O. Sa hauteur est plus grande derrière Vernazza, mais elle s’abaisse au cap Mesco et au Monte Rosso.

  2. La coupe suivante entre Lucques et les bains de Lucques est intéressante pour la connaissance du macigno. Le pays autour des bains est montueux, et composé de grès brun et gris, désagrégé ou compacte, çà et là rougeâtre sur la surface, et en lits plus ou moins épais : les eaux thermales en sourdent. Ces roches inclinent au N., sous 25°, à Belvedere. Cette inclinaison est l’opposé de celle observée plus bas dans la vallée principale vers Lucques, où les grès inclinent au S. La direction générale de l’E. À l’O. est donc celle des macigno et des calcaires qui les supportent. En entrant dans la vallée principale depuis la côte de Lucques, l’on observe un grès calcaréo-siliceux, micacé, grossier, brun ou gris, çà et là à taches noires, et inclinant au sud. Cette roche continue pendant quelque temps, puis on la voit reposer sur du calcaire compacte gris, feuilleté et incliné au sud. Plus loin, paraît au-dessous du calcaire compacte de teinte claire ou verdâtre ; du calcaire gris avec beaucoup de matière siliceuse, des marnes de teintes claires, des lits de jaspe inclinant au sud, des calcaires gris contournés à veinules et noyaux siliceux ; enfin, viennent les grès des bains de Lucques, inclinant au nord, et reposant sur les calcaires.
  3. Dolomie d’Ollioules. Dolomie de Cette.
    Carbonate de chaux 51,55 57,44
    ———— de magnésie 41,31 39,24
    Silex, alumine et fer 2,50 3,00
    —— ——
    95,36 99,68

    D’après Klaproth, la dolomie de Saint-Gothard contient : Carbonate de chaux, 52 ; carbonate de magnésie, 46,5, et oxide de fer, 5.

  4. D’après un passage du Mémoire de M. Guidoni, dans le Journal de géologie, vol. II, p. 74, ce savant aurait l’air de croire que j’ai manqué de loyauté à son égard ; mais je lui laisse à juger si je pouvais faire plus que de citer son nom dans une très courte notice sur certains calcaires du golfe de la Spezia. M. Guidoni m’a accompagné dans plusieurs courses, et sa connaissance des localités m’a été très utile ; mais il aurait eu à se plaindre de moi si j’avais cité ses anciennes opinions rectifiées par un examen plus attentif. À ce propos, je me permettrai d’observer à M. Guidoni que sa coupe n’est qu’une vue de la côte, et que cette dernière étant à angle droit de la direction des couches, ne montre pas plus la position véritable des couches que si l’on voulait voir le Mont-Blanc reposant sur le Jura, parce qu’on verrait ce colosse en-deçà du Jura depuis Dole.
  5. Les géologues italiens devraient étudier les relations géologiques des Alpes Apuennes avec la chaîne principale des Apennins, et nous donner la coupe de cette dernière entre Massa et Modène.