Mémoires de la comtesse de Boigne (1921)/Tome III/Appendices/08

Émile-Paul Frères, Éditeurs (Tome iii
De 1820 à 1830.
p. 268-273).


viii
L’AMIRAL DE RIGNY
Paris, lundy [1832].

J’espère, Madame, que vous êtes plus au courant que moi d’une situation qui me paraît s’embrouiller de plus en plus ; vos amis vous instruisent, et, comme on me dit qu’ils se plaignent de moi, je n’ose, devant vous, être trop contradictoire.

Il est bon cependant, que vous sachiez, (bon, j’entends pour moi), du vrai, sans le vernis obligé.

M. de Broglie était un homme trop honorable pour que je fasse une objection personnelle et, malgré quelque précipitation désobligeante de la part du Roi envers mon oncle, accusé déjà, si je refusais, de faire manquer une combinaison si difficile à terminer, j’acceptais si le duc de Broglie se décidait.

Cela se passait le dimanche ; le mardi, M. de B. apporta ses conditions au Roi : il s’agissait de Guisot, Seb… et un autre qu’il fallait faire entrer sans portefeuille.

Ici, je fis objection, et contre le sistème des ministres sans portefeuille et un peu contre l’invasion trop complette de ce qu’on appelle les doctrinaires, et j’offris ma place ; Barthe en fit de même, et Thiers déclarat qu’il ne croyait pas cette combinaison possible avec la chambre.

C’était un sine qua non de la part du duc de B. ; force fut de retourner à Dupin ; à l’heure ou je vous écris, on attend sa réponse et son arrivée. Je n’y compte pas trop, car c’est un singulier personage qui n’acceptera pas la présidence du maréchal.

Je passe rapidement sur les épisodes et les intrigues ; toute la mienne est là sous vos yeux et, plus que jamais, je désire d’être hors d’un cercle vicieux où on ne peut dire la vérité sans choquer quelqu’un, ou blesser ses amis, où la prévoyance est taxée de dissolvance et les calculs raisonés de calculs égoïstes.

M. de Taleyrand part demain soir. Le dehors ne s’embellit pas ; Matuchewitz a fait manquer à Londres une Coërtion fiscale qu’aurait sans lui adoptée la conférence.

Pozzo crie sur les toits à Vienne que c’est une horreur de vouloir dépouiller encore le roi de Hollande ; la Prusse ne veut pas de nos rassemblements de troupes, pas de siège d’Anvers, et se borne à ne rien dire contre la coertion navale que chaque jour rend désormais illusoire ; chacun parle de sa dignité nationale, de son intérieur et prétend ne plus rien sacrifier au notre. Voilà comme nous allons aborder la session, et de plus les récriminations et le reste.

Je vous confie ces embarras, Madame, dont les doctrinaires ne nous sauveraient pas !

On peut voir maintenant si j’avais tant de tort, en priant de différer les épousailles, et de ne pas presser le départ, toujours à tems, des princes, de Gérard, et de tout ce ndemo belliqueux.

Quant à la composition ministérielle, j’ignore ce qui se fera. Le maréchal a été soufflé de mettre d’Argout aux aff. étr. il veut Bassano ou Rayneval et tous les deux ; moi, si j’ai voix et que je reste, je demanderai Thiers. On dit qu’Humann ne veut plus ; M. Louis en tous cas ne voudra plus rester, Montalivet dit qu’il se retirera, mais le Roi veut encore essayer de s’arranger avec Dupin.

Voilà des noms et des projets en l’air ; veuillez les prendre pour ce qu’ils valent et n’en pas nommer le narrateur, votre humble et dévoué, Madame.

H. de R.

Il est 9 heures du matin, et rien de fait ou du moins de connu pour moi.

Le Roi est réellement le plus embarassé, et s’est embarassé lui-même.

M. de Broglie a décidément refusé encore, hier soir, d’entrer sans le cortège qu’il demandait.

Reste toujours la question de savoir si on le prendra tel qu’il veut être accompagné ou si on essayera une combinaison entre lui et Dupin exclusivement, alors viennent les embarras des noms : Human ne veut entrer qu’avec M. de Broglie. Sans M. de Broglie, on ne trouvera pas de ministre des Aff. Étr.

Mais peut être, après tout, vois-je mal de mon coin ! le dehors n’est rien moins que complaisant et le deviendra d’autant moins encore.

Thiers est furieux contre les doctrinaires de ce qu’ils ne veulent céder sur rien ; on se brouille avec ses amis ; on s’envenime mutuellement et la partie va grand train.

Je crois cependant que ce soir on finira par un méli-mélo. Je m’arrache les cheveux d’être dans cette galère car la rame est inutile.

Adieu, Madame ; tout cela est bien triste, mais j’espère que cela l’est moins a Pontchartrain que dans la rue d’Anjou où je craindrais bien d’être mal famé en ce moment.

Mille hommages.

Mercredy matin.


jeudi, à 8 h du matin

Voilà, Madame, le plus pénible, le plus laborieux, et le plus forcé des accouchements ministériels.

Nous sommes restés enfermés aux thuileries de deux heures à minuit. On criera au ministère Polignac et c’est cette considération qui m’a décidé a ne pas me séparer de l’adon nouvelle.

je crois fermement à la majorité ! Alors ! Alors.

Pardon de ce décousu mais j’en suis encore ahuri.

Mons, 14 octobre [1835]

J’ai reçu ici un billet de vous qui n’était pas destiné à aller si loin ; je n’ai pu y répondre plutôt.

Après avoir balloté, cahoté un rhumatisme pendant deux mois par terre et par mer, le premier moment de repos a été une crise dont je ne prévois pas la fin. Le jour même de mon arrivée ici, j’ai eu une attaque sur la poitrine et les poumons, et, depuis 8 jours et huit nuits, j’étouffe dans des angoisses sans cesse renouvellées ; je suis couvert de sangsues, de cataplasmes et de vésicatoires, et je compte les heures, les minutes de chaque jour et de chaque nuit. En ce moment même, je vous écris sur mon séant ; j’ai peine à finir chaque mot. Ce voyage me coûtera cher peut être.

Jugez du spectacle que je donne à une femme grosse, nerveuse et malade. Je ne sais quand j’aurai du repis et si je pourrai reprendre la route de Paris. J’ai fait venir mon médecin qui était à la suite de Mde Thiers et qui va être obligé de s’en retourner.

Je pense aux plaques du maréchal qui seraient ici bien insuffisantes.

Adieu. Madame ; ayez quelque pitié d’un agonisant en lui donnant quelques lignes

mille hommages
H. de Rigny


Mons, 15.

Je vous remercie bien d’avoir pensé à moi. C’est une bien bonne distraction pour un malade qu’un souvenir d’amitié ; je suis dans un assez triste état ; je suffoque jour et nuit. Les douleurs aigües ont un peu cédé, mais il me reste un mal que je ne comprends pas et que je crois n’être pas plus compris des médecins ; le mien vient de repartir pour rejoindre la caravane avec laquelle voyage Thiers.

Vous me dites que j’ai eu tort de partir avant que rien ne fut décidé ; mais d’abord rien ne devait se faire qu’au retour de Thiers, et je ne prévoyais pas que je serais impotent. Ce qui se fera, je ne le sais ; j’ai eu une explication avec le Roi la veille de mon départ. Son embarras est grand, entre Gérard, auquel il a promis, et Sebastiany auquel il a promis encore.

Celui-ci veut s’en retourner à Londres maréchal ; l’autre veut la légion d’honneur ; il faut que ces prétentions là soient satisfaites avant les miennes. Cependant, aux tourments que j’endure et qui ne sont dus qu’à ce voyage de Naples, il me semble qu’on me devrait compter aussi.

J’aurai fait triste figure à votre dîner de Mde de Lieven, moi qui n’ai pas voulu aller à Petersbourg. Maison ne demanderait mieux que de donner sa place à Sebastiany.

Du reste, je ne sais rien de ce qui se passe, je désire beaucoup être en état de monter en voiture car je m’ennuie fort ici. Mais comment faire avec 3 vésicatoires, des cataplasmes et des synapismes sur tout le corps ; la patience commence à être à bout.

Quant à Mde de Rigny elle quitte décidément le pays, ce qui la force à rester jusqu’à la fin du mois pour ses arrangements de cloture.

Voulez vous faire mes compliments à Mr Pasquier.

J’aurais voulu lui dire mon entrevue avec le Roi qui m’a dit qu’il n’y avait plus que Duperré qui fit obstacle et qu’il était, lui, consentant à me nommer amiral.

Adieu, madame, que votre bonté ne s’épuise pas.

mille hommages
H. de R.

À moins d’empêchements absolus, je compte arriver à Paris lundi 26. Mde de Rigny vient avec moi, et le médecin qui m’a traité m’accompagne une partie de la route ; c’est une entreprise que je fais car je ne sais si je supporterai la voiture. J’ai beaucoup souffert ; depuis hier je suis plus calme et j’ai enfin pu dormir artificiellement deux ou trois heures. J’étais venu ici pour des affaires dont il m’a été impossible de m’occuper. Je les laisse en souffrance ; quant à celles de Paris, je m’en occuppe encore moins ; il parait qu’on trouve des difficultés à tout. Je ne sais pas ce qui fait dire que je demande qu’on renvoie Seb. de Londres pour m’y mettre ou qu’on renvoie Dup. de la marine pour m’y mettre encore. Je n’ai rien demandé de tout cela ; je ne desire la place de personne, j’ai le jour de mon depart, demandé au Roi quelles objections il avait à me nommer amiral, il a fini par me dire aucune !

Je demande un grade qui n’est et ne peut être l’ambition de personne, mais il faut que je trouve là Seb. à la traverse. Les arrangements ministériels devaient se faire au retour de Thiers ; la verité est que si on ne les brusque pas, il ne se fera rien.

Je serai vraisemblablement plusieurs jours à Paris sans pouvoir sortir. Si M. Pasquier pouvait disposer d’un ¼ d’heure pour moi, je lui en serai bien reconnaissant, le mardi ou le mercredi ; de cette manière, j’aurai de vos nouvelles.

J’ai besoin de vous dire combien j’ai été sensible à vos bonnes attentions, et de vous renouveler tous mes hommages.

H. de Rigny.
Mons, ce 22.