Mémoires de Madame d’Épinay, 1865/Vol 1/Chapitre III




CHAPITRE III

1747 — 1749

Madame d’Épinay, se sentant plus libre, use un peu de sa liberté. Imprudence au Palais-Royal, chez Francœur, de l’Opéra. — M. d’Épinay veut reprendre ses avantages. — Mademoiselle d’Ette. — Vie de divertissements. — Demande en mariage de mademoiselle de Bellegarde. — La famille d’Houdetot ; figures et caractères. — Mariage improvisé. — Interruption et reprise du Journal. — Naissance d’une fille. — Conversations délicates avec mademoiselle d’Ette. — Le chevalier de Valory. — On découvre que M. d’Épinay a rendu sa femme malade. — Douleur, regret et affranchissement. — M. de Gauffrecourt. — Progrès de M. Dupin de Francueil. — Madame d’Épinay se sent troublée. — Aveu à mademoiselle d’Ette. — Francueil et madame d’Épinay se mettent d’accord.

Le 26 février 1747[1].

Je viens de commettre une étourderie bien forte, oui, bien forte, puisqu’elle me donne les apparences les plus criminelles ; mais ces apparences sont trompeuses. Cela ne devroit-il pas suffire pour me tranquilliser ? Cependant, ma conscience n’est pas en repos. J’ai été obligée d’implorer l’indulgence de mon mari. L’indulgence ! dans la situation où je suis avec lui. Je tremble qu’on ne sache cette folle démarche. Oh Dieu ! non, je ne saurois la peindre avec des couleurs trop noires, afin qu’elle me cause tant d’effroi que je n’ose jamais rien faire de semblable. Hier, M. de Jully et moi allâmes passer l’après-dinée et souper chez madame Darty. Francœur y étoit attendu. Nous devions faire de la musique, et exécuter à nous quatre un intermède qu’il vient d’achever. Nous nous faisions une fête de cette partie. À huit heures, Francœur ne venant point, madame Darty envoya lui en demander la raison : il fit dire qu’il étoit fort enrhumé, et qu’il ne lui étoit pas possible de sortir. L’humeur nous prit à tous les trois : mon frère disoit que c’étoit une excuse, madame Darty étoit en colère, et juroit qu’il se repentiroit de lui avoir manqué de parole, et moi, je boudois sans rien dire, et je n’étois pas celle qui étoit la moins fâchée. Mon frère proposa d’aller chez Francœur voir s’il étoit réellement malade. Madame Darty dit tout d’un coup : « Non, mais allons-y tous trois souper. » Je fus d’abord choquée de cette proposition que je ne pris pourtant que comme une plaisanterie. Lorsque je vis qu’elle étoit sérieuse, je fis quelques représentations ; on me ferma la bouche en disant qu’avec mon beau-frère et une autre femme cette démarche étoit toute simple. Ensuite j’alléguai mon mari, mon beau-père et ma mère, s’ils venoient à savoir. « Bon ! dit madame Darty, mon mari, mon père, ma mère ! N’avez-vous pas peur aussi que votre grand-père ne revienne de l’autre monde pour vous sermonner ? Allons, allons, ne faites pas l’enfant. Si vos parents grognent, vous n’avez qu’à m’envoyer chercher, je les mettrai bien à la raison. Votre mari ! votre mari en fait bien d’autres ; et puis, n’avez-vous pas votre beau-frère qui prendra votre parti ? — Oui certainement, répondit Jully, venez seulement et laissez-nous faire. » Il fut décidé que le carrosse de mon beau-frère descendroit au jardin du Palais-Royal, où donne une petite porte qui mène chez Francœur, et que nous reviendrions en chaise chez madame Darty[2].

J’avois dit à mon cocher de venir me prendre à minuit ; et une fois décidée je tâchai d’étouffer mes scrupules, mais ils ne l’étoient pas tout à fait, et je riois les dents serrées. Nous arrivâmes au Palais-Royal ; on n’y voyoit ni ciel ni terre ; un falot nous éclairoit, je mourois de froid et de peur : chaque arbre me paroissoit un censeur. Madame Darty faisoit des éclats de rire à mourir, et avoit, ce me semble, trouvé le secret de me persuader que je ne m’étois jamais tant amusée. Nous arrivâmes chez Francœur, qui me parut aussi étonné de nous voir que je l’étois de me trouver chez lui. « Vous êtes de grandes folles, » nous dit-il. Madame Darty se mit à rire encore plus fort, et moi aussi, quoique d’abord ce propos m’eût choquée. Francœur, me regardant et apercevant mon embarras, car en effet je faisois assez gauchement mes efforts pour rire et pour paroitre à mon aise, me dit tout bas : « Je vois bien que ce n’est pas à vous que j’ai l’obligation de ma bonne fortune. » Ce propos m’éclaira sur ce qui se passoit en moi : car j’en fus plus libre, et m’aperçus alors que la crainte de perdre son estime n’étoit pas entrée pour peu de chose dans mon embarras. Madame Darty, pendant que je causois, visitoit avec mon beau-frère tous les papiers de musique et autres qu’elle trouvoit sous sa main[3]. Francœur prit avec nous un ton beaucoup plus respectueux qu’il ne l’avoit jamais eu, sans doute par pitié pour moi. Il me semble aujourd’hui que je ne le méritois guère. Hier je lui en savois gré. Savoir gré à Francœur de son respect et de sa pitié pour moi ! À présent que je suis de sang-froid, il me semble que toute la soirée se passa d’une façon assez insipide. Nous revînmes à minuit, comme nous l’avions projeté, chez madame Darty. Je pensai tomber à la renverse lorsque son laquais me dit que M. d’Épinay étoit venu me chercher, il y avoit plus d’une grande demi-heure, et qu’il avoit paru fort étonné de ne me pas trouver. Madame Darty demanda si on lui avoit appris où nous étions. On lui répondit que non, et qu’on avoit dit seulement que nous étions sortis tous trois à huit heures. Nous renvoyâmes le laquais, et nous tînmes conseil sur ce que je dirois. Mon beau-frère et moi nous fûmes d’avis de lui conter la chose comme elle s’étoit passée ; madame Darty soutint que cela avoit de grands inconvénients ; que mon mari se serviroit de ce prétexte pour me tyranniser ; que cette partie, toute simple qu’elle étoit, seroit mal interprétée par mes parents, et que, s’il n’en disoit mot, il y auroit mille occasions où il me feroit valoir de ne les en avoir pas instruits, et qu’il valoit mieux dire que nous avions été souper au Luxembourg[4], chez la tante de madame Darty. Je me rendis à ces raisons, plus par empressement de me retrouver chez moi, et de voir ce que me diroit mon mari, que par conviction. En chemin, j’étois fort en peine. Je représentai à mon beau-frère que, si mon mari étoit instruit, ma faute paroîtroit bien plus grande. Il me rassura et me dit que le dernier parti auquel nous nous étions arrêtés étoit le seul qu’il fallût prendre. Je le crus.

Tout en montant mon escalier, le cœur me battoit et ma langue s’embarrassoit. En traversant l’antichambre, je vis la porte de mon mari ouverte et point de lumière dans sa chambre ; je commençai à craindre qu’il ne fût rentré et qu’il ne m’eût suivie ; je n’osois faire de question. J’entre dans mon appartement ; il dormoit dans un fauteuil au coin de mon feu. Je voulus l’éveiller, mon frère s’y opposa ; enfin j’allai auprès de lui dans cette intention, mais il s’éveilla tout seul, et il parut fort étonné de nous voir tous les deux. Mon frère se mit à rire, et je fis ce que je pus pour en faire autant. « Où avez-vous donc soupé ? nous dit-il sans me regarder. — A… au… » lui dis-je. Mon frère acheva en bégayant : « Lu…xembourg. — Au Luxembourg ? — Oui, dis-je en me mouchant, au Luxembourg, chez madame de Ph***. — Vous vous trompez de jardin, me dit-il sèchement ; n’est-ce pas plutôt au Palais-Royal ? » Mon frère essaya une phrase qu’il ne put jamais dire, et moi j’en commençai deux ou trois que je n’eus pas le courage d’achever. Il me tardoit que Jully s’en allât pour m’expliquer et confesser la vérité à mon mari. Il se mit à rire du bégaiement de son frère, et lui dit : « As-tu oublié que lorsque tu soupois l’année dernière chez une certaine demoiselle, où mon père te défendoit d’aller, je le devinois toujours par la manière dont tu répondois à ses questions ? » Ensuite il le congédia en le remerciant, aussi ironiquement que sèchement, du soin qu’il avoit pris de moi, et me donna ordre de renvoyer ma femme de chambre, pour causer librement. Lorsque nous fûmes seuls : « Apprenez-moi, madame, me dit-il, quelle espèce de partie vous avez faite ce soir ? ne me cachez rien ; il n’y a que la vérité qui puisse vous sauver de mon ressentiment. — Hélas ! lui dis-je, vous n’avez pas besoin de menaces pour me faire parler ; je n’ai pas envie de vous rien déguiser, et si j’avois suivi mon sentiment… Cette partie est trop simple, — Trop simple ! reprit-il ; ah ! parbleu ! je ne vous croyois pas si aguerrie. Trop simple ! ajouta-t-il en colère. — Oui, fort simple, repris-je, si vous voulez m’écouter. — Vous ne me direz donc pas tout ? — Pardonnez-moi. — Voyons donc ; mais prenez garde à ce que vous direz ; je sais tout. — Eh ! mon Dieu, repris-je, ne suis-je pas assez à plaindre ? Ne me faites point de menaces ; vous me troublez ! écoutez-moi. »

Je lui dis dans la plus exacte vérité ce qui s’étoit passé ; je supprimai seulement la remarque de Francœur sur mon embarras et sa pitié. Pitié ! mon Dieu ! que je voudrois effacer ce mot, et l’impression qu’il me fait. « Madame, répétoit-il en se promenant d’un air furieux, madame, qui se met dans une colère horrible parce qu’on soupe en ville en meilleure compagnie qu’elle ; parce qu’on reçoit des lettres de son amie, qu’on ne veut pas lui montrer ; qui veut faire divorce parce qu’on ouvre imprudemment son rideau ; et qui va souper en partie fine chez un musicien, un homme qui n’est familier qu’avec des femmes perdues ! » J’étois muette pendant toute cette sortie, quoique je sentisse bien le ridicule de la comparaison ; mais j’avois tort et je ne sais pas avoir tort. À ces propos il ajouta cent questions, ne pouvant croire, disoit-il, que cette partie ne fût arrangée dès longtemps. Il vit cependant clairement que je n’étois pas aussi coupable qu’il le croyoit d’abord ; mais il me fit voir que cette démarche étoit seule capable de me perdre de réputation ; je le sentois bien et j’en convins de bonne foi. Il me dit qu’à sa place beaucoup d’autres ne m’en croiroient pas sur ma parole. Je fus piquée de ce propos ; mais je dévorai mon ressentiment dans l’espérance de mettre plus vite fin à mon humiliation. Il n’est pas vrai, comme le dit madame Darty, je m’en aperçois bien, que les démarches soient indifférentes quand on a le cœur pur. Elles ne le sont pas, puisqu’elles vous exposent à des soupçons injurieux qu’il n’est point dans notre pouvoir d’arrêter ni de détruire. Il faut être content de soi, pour se mettre au dessus des soupçons ; et peut-on l’être quand on a fait une démarche inconsidérée ; à plus forte raison, lorsqu’elle est indécente ? Mon mari m’a pardonné à condition… Me pardonner à condition ! en vérité cela est trop fort. Il m’a donc pardonné, à condition que je cesserois peu à peu de voir madame Darty et Francœur. Je me l’étois bien proposé avant qu’il l’eût exigé ; mais je n’ai seulement pas pris la peine de le lui dire. Je lui ai simplement, promis de faire tout ce qu’il me prescriroit. Comme une faute nous ôte le courage de montrer jusqu’à nos bons mouvements ! Que je suis petite à présent !

Dans quelle ivresse j’étois de madame Darty il y a peu de jours encore ! Je la croyois un oracle, sa tournure d’esprit m’enchantoit, ses plaisanteries me paroissoient naïves et avoient à mes yeux le caractère de la vraie gaîté, maintenant elles ne me paroissent que libres et indécentes. Je veux fuir cette femme, et je ne sais comment m’y prendre. Elle a tant d’amitié pour moi ! Si je lui donnois quelques avis sur son étourderie ? Elle se moquera de moi : elle m’auroit peut-être écoutée autrefois, mais à présent. Il m’en faut retirer peu à peu, et comme me l’a conseillé mon mari.

J’ai vu beaucoup de monde aujourd’hui, et j’ai dû paroître bien maussade. J’étois mal à mon aise, et il m’a semblé que tous les hommes avoient avec moi un ton plus libre qu’à l’ordinaire. Aurois-je laissé prendre ce ton insensiblement pendant mon ivresse et sans m’en apercevoir ? Si cela est, que de chemin j’ai à faire pour revenir d’où je suis partie ! J’en suis effrayée. Je ne m’étonne plus que le chevalier de Canaples ait osé venir à minuit dans ma chambre avec mon mari.

Cette après-dînée M. d’Epinay est entré chez moi, et m’a trouvée pleurant. Il a voulu savoir pourquoi. Je lui ai dit que le souvenir de la sottise que j’avois faite on étoit en partie cause ; mais je ne lui ai pas avoué que je me sentois blessée dans mon amour-propre, et que c’étoit aussi une des causes de mon chagrin. Il me marqua beaucoup d’affection, et m’assura que sa confiance me reviendroit tout entière, tant il étoit convaincu qu’il n’y avoit eu que de l’imprudence dans ma conduite. « Il faut vous dissiper, a-t-il ajouté ; voyez le monde, allez aux spectacles, entretenez des liaisons ; enfin, vivez comme toutes les femmes de votre âge : c’est le seul moyen de me plaire, ma bonne amie. D’ailleurs nos parents ne vivront pas toujours : et après eux je veux avoir une maison. Prenez bien garde surtout que madame Darty ne s’imagine que je suis jaloux ; que je vous tyrannise. Si elle avoit cette idée, il n’y auroit sorte de mauvais contes qu’elle ne fit. »


Le 2 mars.

M. d’Épinay m’a présentée aujourd’hui à mademoiselle d’Ette[5] qui vient s’établir à Paris. Il l’a connue dans sa dernière tournée : elle étoit chez un oncle à qui elle donnoit des soins. Elle demeure aux Filles-Saint-Thomas[6] ; sa figure m’a plu ; elle a même dû être très-jolie. Elle a trente-trois ans, elle est grande et très-bien faite ; elle paroît avoir de l’esprit et de la finesse. Son maintien est embarrassé ; je la crois timide. J’ai passé une heure chez elle : je me propose de cultiver cette connoissance ; elle me plaît tout à fait.


Le 8 mars 1748.

Je n’ai jamais été si dissipée que depuis un mois, et je ne m’en trouve pas plus heureuse ; au contraire, lorsque je suis seule, je m’ennuie et je pleure. Personne ne me vient voir, parce qu’on ne me trouve jamais chez moi. C’est par complaisance pour M. d’Épinay que je me suis jetée dans le monde ; aujourd’hui je m’y livre par nécessité. Je ne puis plus être avec moi, et je ne puis penser à mon mari, parce que sa conduite me déchire l’âme. J’ai ouï parler sourdement d’une mademoiselle Rose, danseuse de la Comédie, qu’il suit de près. Jusqu’ici je n’en ai rien voulu croire, tant j’ai de peine à le trouver coupable.

Mimi se marie[7] ; c’est une chose décidée : elle épouse M. le comte d’Houdetot, jeune homme de qualité, mais sans fortune ; âgé de vingt-deux ans, joueur de profession, laid comme le diable et peu avancé dans le service : en un mot ignoré, et, suivant toute apparence, fait pour l’être[8]. Mais les circonstances de cette affaire sont trop singulières, trop au-dessus de toute croyance pour ne pas tenir une place dans ce journal. Je ne pourrois m’empêcher d’en rire si je ne craignois que le résultat de cette ridicule histoire ne fût de rendre ma pauvre Mimi malheureuse. Son âme est si belle, si franche, si honnête, si sensible ! C’est aussi ce qui me rassure ; il faudroit être un monstre pour se résoudre à la tourmenter.

Hier matin, mercredi, ma mère m’appela dans son appartement, et me dit : « M. de Rinville[9] le père vient de proposer à M. de Bellegarde un mariage pour Mimi avec un de ses arrière-petits-cousins que l’on dit être un très-bon sujet. Mais votre père, ajouta-t-elle, veut avant tout que le jeune homme plaise à sa fille, et nous allons aujourd’hui dîner chez madame de Rinville, où M. d’Houdetot se trouvera, et où néanmoins il ne doit être question de rien. Il n’en vouloit même pas parler à sa fille, mais comme elle ne fait jamais attention à personne, à moins qu’elle n’y ait intérêt, elle pourroit bien ne pas regarder le comte d’Houdetot, si elle n’étoit pas prévenue. J’ai donc décidé M. de Bellegarde à lui en dire un mot. Il n’y a d’ailleurs aucun arrangement de pris encore ; mais il faut une plus ample information, quoiqu’on nous ait déjà dit quelque bien du comte : ensuite on s’expliquera sur la dot. »

Pour abréger cette incroyable histoire, je vous dirai que nous allâmes tous dîner chez madame de Rinville[10]. En entrant nous vîmes un cercle de toute la famille ; M. et madame d’Houdetot[11], leur fils et tous les Rinville possibles. La marquise d’Houdetot, à notre arrivée, se leva avec précipitation et vint, les bras ouverts, embrasser mon beau-père, ma mère, Mimi et moi, qu’elle n’avoit jamais vue. Après cette embrassade, le vieux Rinville prit mon beau-père par la main et le présenta en cérémonie à madame d’Houdetot, qui, à son tour, lui présenta son fils et son mari : et nous fûmes tous de nouveau présentés et embrassés. La marquise est une femme de taille moyenne ; elle paroît avoir au moins cinquante ans. Elle a encore la peau extrêmement belle, quoiqu’elle soit très-maigre et très-pâle. Ses yeux sont pleins d’esprit et de feu. Tous ses mouvements sont précipités et violents ; et, malgré sa vivacité, on voit clairement qu’elle ne fait rien sans projet et sans but. Ses gestes ont la plus grande part à sa conversation, et ses yeux se promènent autant par curiosité que par vanité. Son mari peut être de vingt ans plus âgé qu’elle. C’est un vieux militaire qui ne ressemble pas mal au roi de pique par sa taille et par son ajustement. Lorsqu’il est assis, il appuie volontiers ses mains et sa tête sur sa canne, ce qui lui donne un air de réflexion et de méditation qui lui fait honneur, sur ma parole. Il répète les derniers mots de ce que dit sa femme ; il ricane et montre des dents, que l’on aimeroit autant qu’il cachât.

Madame d’Houdetot prit ma sœur à côté d’elle, la questionna, l’interrompit, la complimenta, et en moins de deux minutes fut enchantée de ses grâces et de son esprit. On mit à table les jeunes gens l’un près de l’autre. M. de Rinville et madame la marquise d’Houdetot s’emparèrent de mon beau-père, et ma mère fut placée entre ma belle-sœur, dont elle n’avoit pas voulu s’éloigner, et le marquis d’Houdetot. Au dessert, on parloit déjà hautement de mariage, malgré le silence qu’on nous avoit imposé sur cet article. Lorsqu’on fut de retour dans le salon, le café pris, et les domestiques étant sortis, M. de Rinville dit tout à coup, en adressant la parole à mon beau-père : « Tenez, mon ami, nous sommes ici en famille ; entre amis francs comme nous, il ne faut pas tant de mystère ; traitons ceci hautement. Il ne s’agit que d’un oui ou d’un non. Mon fils vous convient-il ? oui ou non ; et à votre fille ? oui ou non de même ; voilà l'item. Je regarde vos enfants comme les miens, mes amis. Je dis donc : votre fille, mon cher confrère, plaît beaucoup à madame la marquise (en se retournant vers elle) ; je le vois. Notre jeune comte est déjà amoureux[12] ; votre fille n’a qu’à voir s’il ne lui déplaît pas ; qu’elle le dise ; prononcez, ma filleule. » Ma sœur rougit. On l’accabla d’éloges, on caressa son père ; on fit enfin tout ce qu’il falloit pour nous tourner la tête à tous et nous ôter le temps de la réflexion.

Ma mère, qui vit que la confiance aveugle de mon beau-père en M. de Rinville l’engageoit à souscrire à tout, interrompit la huée d’applaudissements, et dit à madame de Rinville, assez haut pour être entendue : « Il me paroît, madame, que M. de Rinville va un peu vite ; les choses ne sont pas assez avancées pour faire prononcer nos jeunes gens. Si, flattés de s’épouser, ils prenoient du goût l’un pour l’autre, et que l’affaire vînt à manquer. — Ah ! ah ! vous avez raison, s’écria M. de Rinville en levant les mains et les frappant l’une contre l’autre ; vivent les gens de bon conseil, continua-t-il, faisant semblant d’interpréter la réflexion de ma mère suivant son idée ; il vaut mieux traiter d’abord les articles, et les jeunes gens, pendant ce temps-là, causeront ensemble : c’est bien dit, c’est bien dit. » Puis, prenant tout de suite le vieux marquis et sa femme par la main, il les mena s’asseoir en cercle auprès de mon beau-père et de ma mère, et, tout en les conduisant, il nous cria en riant et s’efforçant de nous regarder, en rejetant sa tête derrière lui : « Mes enfants, amusez-vous, divertissez-vous ; nous allons vaquer aux moyens de vous rendre bientôt contents. »

Lorsqu’ils furent assis, M. de Rinville proclama que le marquis d’Houdetot donnoit en mariage au comte son fils dix-huit bonnes mille livres de rente en terre, en Normandie, et la compagnie de cavalerie qu’il lui avoit achetée l’année d’avant[13]. Le marquis, appuyé sur sa canne, comme je vous l’ai dépeint, opina du bonnet, et la marquise dévoroit des yeux mon beau-père et ma mère. « Pour moi, dit-elle, je n’entends rien aux affaires ; je donne tout ce que je peux donner, mes diamants surtout, monsieur, mes diamants ; ils sont beaux. Je ne sais au juste pour combien j’en ai, mais, tant qu’il en y aura, je les donne à ma belle-fille, point à mon fils, au moins. — Voilà, en vérité, mon cher confrère, un présent et un procédé bien généreux, » dit avec emphase M. de Rinville à M. de Bellegarde, à qui il demanda ensuite s’il étoit content de ces propositions. Mon beau-père dit qu’il étoit satisfait ; mais que son but étoit surtout que sa fille fût heureuse.

On l’interrompit pour faire l’éloge du jeune comte, et M. de Rinville répondit corps pour corps de sa filleule. Alors M. de Bellegarde dit qu’il traiteroit sa fille comme ses autres enfants, qu’il lui donneroit trois cent mille livres pour dot et sa part dans la succession. « Ah ! dit M. de Rinville en se levant, nous voilà tous d’accord ; je demande à présent que nous signions le contrat ce soir ; nous ferons publier les bans dimanche ; nous aurons dispense des autres, et nous ferons la noce lundi. »

Toute la famille des d’Houdetot et leurs agents furent de cet avis ; mais ma mère s’y opposa fortement, ainsi que M. de Bellegarde, qui n’avoit encore fait aucune ouverture à sa famille : il vouloit d’ailleurs qu’elle assistât à la signature du contrat. Ma mère ajoutoit à ces raisons celle de n’avoir aucun préparatif, et par cette précipitation de ne point laisser aux jeunes gens le temps de se reconnoître, ni de pouvoir juger s’ils se convenoient. M. de Rinville s’appliqua à combattre la première difficulté, et garda le silence sur l’autre, sentant bien qu’elle étoit sans réplique. « Vous allez, dit-il à M. de Bellegarde, être exposé à tous les propos du public, si vous traînez cette affaire en longueur ; elle ne peut être cachée. De plus, vous connoissez les indécisions de votre frère[14] ; il ne vous laissera pas un instant de repos. Tenez, nous avons encore le temps de passer chez le notaire, pour lui donner le projet du contrat. Tandis qu’il y travaillera, nous irons faire part du mariage à toute votre famille, et nous retomberons chez vous, où nous signerons. Quant aux apprêts de la noce, ajouta-t-il encore, il n’en faut point : nul bruit, nul éclat, c’est mieux ; et autant d’argent d’épargné. »

Vous connoissez assez M. de Bellegarde, mon cher tuteur, pour juger qu’il se rendit aisément à toutes ces mauvaises raisons ; elles flattoient trop son goût pour la tranquillité, pour n’en être pas séduit. Ma mère le tira cependant à part pour le conjurer de suspendre ; elle n’en put tirer d’autre réponse que : « Eh ! ma sœur, voilà comme vous êtes ; on diroit que vous croyez que M. de Rinville veut m’attraper. Non, non, je rougirois d’hésiter un instant à suivre son avis. » La joie étoit peinte dans les yeux de ce bon père ; il sortit, l’instant d’après, avec M. de Rinville, pour suivre l’arrangement projeté.

Je passe au moment où nous nous trouvâmes tous rassemblés pour la signature de ce contrat. Rien n’étoit plus plaisant que de voir l’air d’étonnement répandu sur tous les visages de ces deux familles presque inconnues l’une à l’autre. On avoit un ton de réserve, de méfiance et d’inquiétude qui donnoit à chacun l’air de la stupidité. Pendant la lecture, la marquise tira de sa poche deux écrins de diamants qu’elle remit à sa bru, en présent de noce. La valeur en est restée en blanc dans le contrat, faute d’avoir le temps d’en faire faire l’estimation. Tout le monde signa ; on se mit ensuite à table, et le jour de la noce fut fixé au lundi suivant.

Madame Darty est venue me voir ce matin ; elle m’a appris que la marquise d’Houdetot est une joueuse de profession, ainsi que le comte son fils ; que leur maison est une maison de bohème. Enfin, elle m’en a assez dit pour me faire craindre que ma pauvre Mimi ne soit malheureuse. J’ai eu le courage de le dire à mon beau-père, mais il a fallu citer mon auteur : « Commérage de femme ! » m’a-t-il répondu. Cette noce m’empêchera de voir mademoiselle d’Ette pendant quelque temps, aussi souvent que je le désirerois, mais je me propose de m’en dédommager ensuite : heureusement qu’elle plaît beaucoup à mes parents.


Le 7 mai 1748.

La voilà donc faite d’hier, cette noce[15] : j’ai été ce matin à la toilette de la mariée ; elle étoit fort triste et a beaucoup pleuré ; elle m’a priée en grâce de la venir voir tous les jours ; je n’y manquerai pas : je sens trop le besoin qu’elle doit avoir de ma présence, dans les premiers temps d’un mariage, et surtout d’un mariage tel que le sien.


Le 7 juin 1748.

Mon mari vient de partir pour sa tournée. Ce départ, loin de m’affliger comme autrefois, m’a causé, j’ose l’avouer, une sorte de plaisir. Je vais ce soir à Épinay : j’y serai seule au moins pendant quelques jours ; j’y jouirai paisiblement de la tranquillité que j’ai perdue presque depuis que je me connois. Je découvre en moi une sorte de honte de me trouver heureuse par l’absence de mon mari. Jusqu’à présent, lorsqu’il partoit, je cherchois mes amis ; je leur disois de me consoler. Aujourd’hui je les fuis, et je crains qu’ils ne voient que je n’ai pas besoin de leur secours. Personne ne tient sa place dans mon cœur, et personne, jamais, ne pourra l’occuper. En le voyant avec indifférence, je n’ai fait autre chose que ce qu’il a paru désirer lui-même, par la conduite qu’il a tenue avec moi. Je n’ai rien négligé pour le ramener ; il m’en a coûté bien des larmes avant d’en être arrivée au point où je suis. Irai-je donc, à force de réflexions, troubler encore le premier moment de tranquillité qui me luit ?

Mon fils est avec moi : je ne suis occupée du matin au soir que de cette petite créature. Il ressemble à son père, mon tuteur, et il ne lui ressemble pas. C’est sa figure, et il a de plus un sourire fin, touchant même, et une manie, oui, précisément, une manie de m’avoir toujours auprès de lui. Il pleure dès que je m’éloigne. Il me craint déjà, et je n’en suis pas fâchée, car je ne veux pas le gâter. Je pense quelquefois, lorsqu’il sourit en me regardant, et qu’il marque, en frappant ses petites mains, la joie qu’il a de me voir, qu’il n’y a point de satisfaction pareille à celle de rendre son semblable heureux.


Le 8 septembre 1748.

Voilà trois mois que mon journal est interrompu, plutôt par l’apathie et l’indifférence que j’ai pour moi-même que par la disette des faits[16]. Je veux à l’avenir m’assujettir à le tenir exactement.

Mademoiselle d’Ette est venue passer la journée avec moi. Après le dîner, je me suis mise sur ma chaise longue. Je me sentois de la pesanteur, de l’ennui ; je bâillois à tout instant, et, craignant qu’elle n’imaginât que sa présence me gênoit ou m’étoit désagréable, je feignis d’avoir envie de dormir, espérant à la fin faire passer cette disposition. Mais point ; elle ne fit qu’augmenter : la tristesse s’empara de moi, et je me sentois le besoin de dire que j’étois triste. Les larmes me venoient aux yeux : je ne pouvois plus y tenir.

« Je vous demande pardon, lui dis-je ; je crois que ce sont des vapeurs : je me sens bien mal à mon aise. — Ne vous gênez pas, me dit-elle. Vraiment oui, vous avez des vapeurs, et ce n’est pas d’aujourd’hui ; mais je n’ai eu garde de vous en rien dire, car j’aurois redoublé votre mal. » Après une petite dissertation sur les vapeurs et leur effet : « Venons, dit-elle, à la cause des vôtres. Tenez, soyez de bonne foi et ne me cachez rien ; c’est l’ennui ; ce n’est pas autre chose. — Je le croirois assez, lui dis-je, si je n’éprouvois cette disposition que depuis mes couches, ou depuis le moment que j’ai quitté la campagne pour les faire. La solitude dans laquelle je vis, tous mes amis étant absents, l’impossibilité de m’appliquer, pourroient bien en effet me donner de l’ennui et être la cause du découragement qui s’est emparé de moi ; mais il en étoit ainsi à Épinay, et dans le temps même que vous y avez passé avec moi. Les moments où je paroissois le plus jouir de votre conversation étoient quelquefois ceux… — Oui, interrompit-elle, où vous vous trouviez la plus malheureuse. Tout cela me confirme dans ce que je vous dis ; car c’est l’ennui du cœur que je soupçonne chez vous, et non celui de l’esprit. » Voyant que je ne répondois pas, elle ajouta : « Oui, votre cœur est isolé ; il ne tient plus à rien ; vous n’aimez plus votre mari, et vous ne sauriez l’aimer. » Je voulus faire un mouvement de désaveu ; mais elle continua d’un ton qui m’imposa. « Non, vous ne sauriez l’aimer, car vous ne l’estimez plus. » Je me sentis soulagée de ce qu’elle avoit dit le mot que je n’osois prononcer. Je fondis en larmes. « Pleurez en liberté, me dit-elle en me serrant entre ses bras ; dites-moi tout ce qui se passe dans cette jolie tête. Je suis votre amie, je le serai toute ma vie ; ne me cachez rien de ce que vous avez dans l’âme ; que je sois assez heureuse pour vous consoler. Mais, avant tout, que je sache ce que vous pensez, et quelles sont vos idées sur votre situation. — Hélas ! lui dis-je, j’ignore moi-même ce que je pense. Il y a longtemps que je croyois être détachée de M. d’Épinay ; sa conduite m’a permis de m’avouer que je ne l’aime plus. Je l’ai presque oublié, et cependant, lorsque j’y pense, c’est toujours en versant des larmes. Si vous savez un moyen de me tirer de cette situation, indiquez-le-moi ; je me livre à vous sans réserve. Mais une des plus surprenantes contrariétés qui se passent en moi, c’est que je redoute son retour, et que je me sens même quelquefois une si forte répugnance à le revoir, qu’il me semble que je ne pourrdis pas être autrement, si je le haïssois.

— Eh oui ! me répondit mademoiselle d’Ette en riant, on ne hait qu’autant qu’on aime. Votre haine n’est autre chose que l’amour humilié et révolté : vous ne guérirez de cette funeste maladie qu’en aimant quelque autre objet plus digne de vous. — Ah ! jamais ! jamais ! lui criai-je en me retirant d’entre ses bras, comme si je redoutois devoir vérifier son opinion ; je n’aimerai que M. d’Epinay. — Vous en aimerez d’autres, dit-elle en me retenant, et vous ferez bien : trouvez-en seulement d’assez aimables pour vous plaire. — Et premièrement, lui dis-je, voilà ce que je ne trouverai point. Je vous jure sincèrement que, depuis que je suis dans le monde, je n’ai pas vu un homme autre que mon mari qui me parût mériter d’être distingué. — Je le crois bien, reprit-elle, vous n’avez jamais connu que de vieux radoteurs ou des fats : il n’est pas bien étonnant qu’aucun n’ait pu vous plaire. Dans tout ce qui vient chez vous, je ne connois pas un être capable de faire le bonheur d’une femme sensée. C’est un homme de trente ans, raisonnable, que je voudrois ; un homme en état de vous conseiller, de vous conduire, et qui prît assez de tendresse pour vous pour n’être occupé qu’à vous rendre heureuse. — Oui, lui répondis-je, cela seroit charmant ; mais où trouve-t-on un homme d’esprit, aimable, enfin tel que vous venez de le dépeindre, qui se sacrifie pour vous, et se contente d’être votre ami, sans pousser ses prétentions jusqu’à vouloir être votre amant ? — Mais je ne dis pas cela non plus, reprit mademoiselle d’Ette ; je prétends bien pour lui qu’il sera votre amant. »

Mon premier mouvement fut d’être scandalisée ; le second fut d’être bien aise qu’une fille de bonne réputation, telle que mademoiselle d’Ette, pût supposer qu’on pouvoit avoir un amant sans crime, non que je me sentisse aucune disposition à suivre ses conseils, au contraire, mais je pouvois au moins ne plus paroître devant elle si affligée de l’indifférence de mon mari ; car je crains quelquefois qu’on ne me fasse un crime dans le monde de n’être pas assez malheureuse. Je suis sûre que ma mère le craint aussi, quoiqu’elle ne l’ait jamais dit clairement.

« Oh ! je n’aurai jamais d’amant, lui dis-je. — Et pourquoi cela, reprit-elle ? est-ce par dévotion ? — Non, lui répondis-je ; mais je ne crois pas que les torts d’un mari autorisent une femme à se mal conduire. — Qu’appelez-vous se mal conduire ? Je ne vous propose pas d’afficher un amant, ni de l’avoir toujours à votre suite ; il faut au contraire qu’il soit l’homme du monde qui paroisse le moins en public avec vous. Je ne veux point de rendez-vous, point de confidences, point de lettres, points de billets ; en un mot rien de toutes ces fadaises qui ne causent qu’une légère satisfaction, et qui exposent à mille chagrins. — Fort bien ! lui dis-je, vous voulez qu’on ait un amant, qu’on ne le voie point, qu’on n’en soit point occupée, — Ce n’est point cela, me dit-elle ; mais je veux qu’on ne le soit que d’une façon qui laisse le public indécis sur le jugement qu’il en doit porter. — Ah ! vous convenez donc, lui dis-je, que, malgré tant de précaution, on en parlera ; et me voilà perdue de réputation. — Mais où prenez-vous cela ? Premièrement quelle est la femme dont on ne parle point ? Y avez-vous beaucoup gagné jusqu’à présent à n’avoir point d’amant ? Le public vous en a-t-il moins donné le chevalier de Canaples ? — Quoi m’écriai-je, le chevalier de Canaples ! on pourroit croire ! — Pauvre enfant ! reprit-elle, tout vous étonne et vous effarouche. Mais dans ce monde on dit tout ce qu’on imagine, et on croit tout et rien de ce que l’on entend dire. Qui est-ce qui prend assez d’intérêt pour approfondir ce qui se débite ainsi à tort et à travers ? D’ailleurs ce n’est que l’inconstance d’une femme dans ses goûts, ou un mauvais choix, ou, comme je vous ai déjà dit, l’affiche qu’elle en fait qui peut flétrir sa réputation ; l’essentiel est dans le choix : on en parlera pendant huit jours, peut-être même n’en parlera-t-on point, et puis l’on ne pensera plus à vous, si ce n’est pour vous applaudir. — Je ne puis me faire à cette morale, lui dis-je. Il y a trois choses dans tout cela qui ne m’entrent point dans l’esprit. La première est qu’on puisse avoir un amant et le regarder sans rougir, car cette liaison entraîne un commerce perpétuel de faussetés ; la seconde est qu’on puisse avoir un amant sans qu’on le sache ; et la troisième qu’on puisse soutenir les regards de ceux qui en sont instruits, ou qui le soupçonnent. » Mademoiselle d’Ette rêva un moment. « Je connois, me dit-elle ensuite, votre franchise et votre discrétion : dites-moi naturellement quelle opinion on a de moi dans le monde. — La meilleure, lui dis-je, et telle que vous ne pourriez la conserver si vous pratiquiez la morale que vous venez de me prêcher. — Voilà où je vous attendois, me dit-elle. Depuis dix ans que j’ai perdu ma mère, je fus séduite par le chevalier de Valory[17] qui m’avoit vu, pour ainsi dire, élever ; mon extrême jeunesse et la confiance que j’avois en lui ne me permirent pas d’abord de me défier de ses vues. Je fus longtemps à m’en apercevoir, et lorsque je m’en aperçus, j’avois pris tant de goût pour lui que je n’eus pas la force de lui résister. Il me vint des scrupules ; il les leva, en me promettant de m’épouser. Il y travailla en effet ; mais voyant l’opposition que sa famille y apportoit, à cause de la disproportion d’âge et de mon peu de fortune ; et me trouvant, d’ailleurs, heureuse comme j’étois, je fus la première à étouffer mes scrupules, d’autant plus qu’il est assez pauvre. Il commençoit à faire des réflexions ; je lui proposai de continuer à vivre comme nous étions : il accepta. Je quittai ma province, et je le suivis à Paris. Vous voyez comme j’y vis. Quatre fois la semaine il passe sa journée chez moi ; le reste du temps nous nous contentons réciproquement d’apprendre de nos nouvelles, à moins que le hasard ne nous fasse rencontrer. Nous vivons heureux, contents : peut-être ne le serions-nous pas tant si nous étions mariés. — Je ne sais où j’en suis, interrompis-je ; tout ce que vous me dites me confond, et je sens qu’il me faudra du temps pour m’y accoutumer. — Pas tant que vous croyez, me dit-elle ; je vous promets qu’avant peu vous trouverez ma morale toute simple, et vous êtes faite pour la goûter. — Je ne suis pas dans le cas d’en faire usage, lui répliquai-je ; je n’aime point, heureusement, et quand j’aimerois, pourrois-je jamais me promettre un instant de bonheur en me rendant maîtresse de mes scrupules ? La gêne, la contrainte, la honte, tout doit empoisonner un sentiment qui n’est délicieux qu’autant qu’on s’y livre tout entier. » Après cette conversation, nous sommes sorties, mademoiselle d’Ette et moi, pour faire quelques emplettes. Nous avons rencontré M. de Francueil qui m’a dit qu’il étoit venu sept ou huit fois pour me voir sans avoir pu me trouver. Je veux, un de ces jours que je ne sortirai pas, le lui faire dire. Il a des talents, il sait la musique, sa société m’a plu beaucoup pendant mes couches ; elle pourra m’être encore de quelque ressource.


Le 5 janvier 1749.

Je suis triste et mal à mon aise, aujourd’hui. Je n’ai point vu mademoiselle d’Ette, je ne saurois me passer d’elle : j’attends la journée de demain avec impatience. dans l’espérance de la voir. Si ma santé continue à être aussi mauvaise qu’elle l’est depuis une huitaine de jours, je l’engagerai à venir passer quelque temps chez moi, puisque je ne saurois l’aller chercher. Mon cœur a besoin d’appui, je sens un vide, une langueur… Il faut que je l’aime bien plus que je ne crois ; car je ne puis penser qu’à elle.


le 12 janvier.

Depuis deux jours mademoiselle d’Ette est établie chez moi. Elle me fait oublier mes souffrances, qui sont cependant bien grandes. Le chevalier de Valory a passé hier son après-dînée entre nous deux. Leur union fait plaisir à voir. Elle est décente, elle intéresse même. Si je n’avois pas été instruite par mademoiselle d’Ette de l’attachement qu’ils ont l’un pour l’autre, jamais je n’aurois pu le deviner. La seule chose que je reprocherai à celle-ci, est de n’être pas tout à fait assez indulgente envers les gens qu’elle aime. Elle se laisse aller facilement à donner des ridicules. C’est un tort de son esprit, et on voit que son âme n’y a point de part ; elle les représente de façon que, quelque mordante que soit sa plaisanterie, on ne peut jamais la convaincre de méchanceté, et on voit qu’elle est toujours pressée de racommoder par un éloge le mal que la plaisanterie a pu faire.

Le chevalier est très-aimable ; il a une façon de dire et de voir qui est tout à fait fine et piquante. Il n’a pas d’humeur, mais il est impatient ; ce qui lui donne précisément le degré de vivacité nécessaire pour rendre sa société aussi amusante qu’agréable ; d’autant plus que cette impatience est tempérée par un fond de bonté inépuisable. Il est singe et contrefait plaisamment ; mais on s’aperçoit qu’il ne se livre à ce genre de plaisanterie que pour plaire à son amie. J’ai lieu de le croire ainsi, puisque je n’ai jamais ouï dire qu’il eût ce talent, et que je l’ignorois avant que je ne le connusse. Il est fort au fait de tout ce qui se passe dans Paris ; de toutes les intrigues et de toutes les cabales de société. Tous les matins il sort, à ce qu’il m’a dit, et va ramasser tous ces détails qu’il vient rendre le soir à mademoiselle d’Ette. Ils m’amusent, et j’en profite ; c’est sans doute parce que je suis désœuvrée, car, en général, j’aime peu à m’occuper des affaires des autres.


lettre de mademoiselle d’ette au chevalier de valory.

Je vous en demande pardon, mon cher chevalier ; mais je n’irai point encore rendre à votre belle-sœur la visite qu’elle m’a fait l’honneur de me faire : je ne quitterai point madame d’Épinay aujourd’hui ; je ne la quitterai pas même de quelques jours. Cette femme est en vérité trop malheureuse. Quelle âme ! Je ne connois rien de si généreux, de si intéressant qu’elle, ni rien de si indigne que son mari. Je crois qu’il a autant de vices que sa femme a de vertus. Mes soupçons n’étoient que trop fondés : j’ai voulu essayer de lui en faire naître, mais sa sécurité étoit si grande, qu’elle ne m’entendoit même pas.

« Vous êtes injuste, m’a-t-elle répondu. M. d’Épinay est ingrat, volage ; il a de faux airs, il a même de la dureté vis-à-vis de moi ; mais il est honnête homme. » Cependant l’évidence est devenue bientôt si forte, qu’il n’y a plus eu moyen de s’y refuser. Jugez du désespoir de cette pauvre femme. Malgré cela, elle a voulu que l’on annonçât à son mari son état avec toutes les précautions nécessaires pour ne point l’humilier. Elle est persuadée que ce malheur lui fera une si forte impression qu’il pourra influer sur sa conduite à l’avenir et le tirer de ses égarements. « Voilà, lui ai-je dit, qui est bien honnête, bien généreux, de votre part ; mais c’est peut-être la seule occasion que vous aurez de votre vie de vous rendre maîtresse de votre mari, et vous la laissez échapper ? — Non, assurément, ce n’est pas mon intention ; mais plus son tort est grand, irréparable, plus il va être confus, et plus je veux lui montrer de générosité. — Eh ! mais il ne faut rien faire de tout cela ; il faut le dire à ses parents, à toute la terre ; apprendre au public sa conduite, combien vous êtes à plaindre, et tirer au moins de ce malheur tout le parti possible pour acquérir une liberté que les femmes n’obtiennent presque jamais, et qui est pourtant le plus précieux de tous les avantages. Pensez-y ; vous la regretterez : il sera trop tard. On ne trouve point en sa vie deux occasions aussi favorables. — Mon amie, je n’en ferai rien. »

Tandis que je lui parlois, elle étoit comme immobile, les yeux fixés en terre, et absorbée par la douleur. « Que diroit monsieur de Lisieux ? s’il savoit cela, s’écria-t-elle. — S’il le savoit ! Mais, sans doute, il faut qu’il le sache, que vous le vouliez ou non. Je vais le lui apprendre, et je suis sûre qu’il dira comme moi. Je vous prédis plus, c’est que votre mari n’est pas de nature à être touché d’un procédé si noble, si grand : il faut mater cet homme pour en tirer parti. »

Je l’ai assurée qu’il falloil que M. de Lisieux ou M. de Bellegarde et madame d’Esclavelles en fussent instruits. « Je ne sais pas trop même si je ne les instruirai pas tous malgré vous, ai-je dit. — Gardez-vous-en bien, reprit-elle avec vivacité ; je vous désavoue, je me brouille avec vous, et ne vous pardonnerai ni à la vie ni à la mort. — Soyez tranquille, lui dis-je, je ne ferai rien que de votre aveu ; mais il est bien dur de vous voir agir avec tant de fermeté contre vos intérêts, tandis que vous pouvez peut-être vous assurer votre repos pour le reste de votre vie. »

M. d’Épinay a su que c’étoit moi qui avois éclairé sa femme sur son état ; je crois qu’il ne m’en aime pas davantage. Son premier mouvement fut de dire : « Ah ! pourquoi le lui a-t-elle dit ? » Jugez par là de la délicatesse et de l’honnêteté de l’homme. Il arriva chez elle avec l’air du plus faux repentir et de la douleur la moins sentie. Plus la contenance de madame d’Épinay m’arrachoit l’âme, plus celle de son mari me révoltoit.

Il ne répondit à ce qu’elle lui dit que par des cris et des larmes forcées. La petite femme en fut la dupe, ou elle feignit de l’être. Il se jeta à ses genoux, se reconnoissant un monstre, un misérable, et l’assurant qu’il étoit prêt de ne rien faire à l’avenir que ce qu’elle lui prescriroit sur tous les points ; « mais la seule grâce, ajouta-t-il, que vous demande un malheureux, qui n’est pas digne de vivre, c’est de ne rien dire à qui que ce soit de cette aventure. » Comment trouvez-vous ce terme ? « Surtout, dit-il, ni à nos parents ni à madame de Maupeou. — Soyez tranquille, lui dit-elle, je vous promets le plus profond secret ; mais je vous demande, pour tout dédommagement, de renoncer pour jamais a toute mauvaise compagnie en hommes, et particulièrement à celle du chevalier de Canaples, que vous aviez tant de raisons de ne jamais revoir, et surtout depuis que je lui ai fermé ma porte. » Il le jura, protesta et fît tous les serments qu’on voulut ; mais il revenoit sans cesse à la crainte que ses parents n’en sussent quelque chose.

J’ai fait consentir ma malade à écrire à M. de Lisieux : elle m’a dicté quatre mots avec bien de la peine. Mais je lui ai fait sentir qu’il falloit de toute nécessité avoir dans cette affaire un témoin de poids ; elle m’a chargée de lui détailler le repentir de son mari, et la promesse qu’elle lui a faite d’un secret inviolable ; elle a poussé la délicatesse jusqu’à dire à son mari que M. de Lisieux étoit le seul à qui elle n’eût rien caché. Il a voulu se fâcher, mais la crainte qu’elle ne parlât encore lui a fait promptement changer de ton ; il n’y a sorte de bassesses qu’il ne fasse pour l’engager à se taire. Ah ! le vilain homme ! Vous pouvez nous venir voir, mon chevalier, tout comme à l’ordinaire. Ayez seulement, en arrivant, l’air étonné de m’y trouver encore. Bonjour.


SUITE DU JOURNAL.

Le 24 février.

Quel chaos dans mon âme ! Quel bouleversement dans mes idées ! Quelle révolution s’est faite en moi ? J’étois, sans le savoir, la victime d’une maladie horrible. C’est à mademoiselle d’Ette que j’en dois la conviction, et le courage d’y avoir remédié. Le premier moment de cette certitude m’a causé un désespoir affreux : il m’a semblé que tout lien étoit à jamais rompu entre M. d’Épinay et moi. Quand le divorce auroit été prononcé sur nous, et m’eût laissée à la merci dune nouvelle passion, qui eût dû me rendre encore plus malheureuse, je n’aurois rien vu de plus sinistre dans l’avenir : tout m’alarmoit. Je redoutois pour mon mari le ressentiment de M. de Bellegarde et de ma mère, s’ils étoient venus à découvrir combien il étoit coupable envers moi. J’ai caché ses torts dans l’espérance de le ramener à force de générosité ; hélas ! je n’y ai rien gagné. Je ne dois avoir pour lui désormais d’autre sentiment que le mépris.


Le 28 février 1749.

Madame la comtesse d’Houdetot m’a présenté aujourd’hui M. Gauffecourt[18], que je connoissois de réputation et pour l’avoir vu dans mon enfance. C’est un homme de beaucoup d’esprit, très-aimable et très-gai, quoique déjà d’un certain âge. Je vois que dorénavant, en restant un peu chez moi, je pourrai me former une société assez agréable.

M. de Francueil a profité de l’invitation que je lui ai faite ; il est venu hier passer l’après-midi avec moi. Il me paroît aimable, et beaucoup plus que je ne le croyois d’abord. Comme il ne m’est venu personne, au bout d’une heure de conversation, et, ne sachant plus que lui dire, je lui ai proposé de faire de la musique ; nous en avons fait toute la soirée. J’ai voulu le retenir à souper, mais il étoit engagé.


Le 6 mars.

Je ne saurois me faire au vide de mon âme ; elle cherche en vain à s’appuyer ; ceux à qui mon cœur désireroit de s’attacher sont tout entiers sous des liens qui laissent peu de place à l’amitié, ou n’en savent pas goûter la douceur. Madame de Maupeou, lorsque je lui parle de mes sentiments pour elle, me répond, en riant, que je me perds dans mes désirs ; qu’elle n’est pas assez sotte pour me croire sur ma parole, parce qu’un beau matin elle se trouveroit n’être que l’ombre de ce que mon cœur cherche. Mademoiselle d’Ette ne me donne que les moments que sa passion lui laisse ; mes enfants ne sont encore qu’une occupation, un devoir pour moi, et ne remplissent point mon cœur. Je lis, je travaille, je rêve beaucoup, mais souvent je rêve en l’air ; aucune idée ne me fixe ; je parcours un grand nombre d’objets dont mon imagination se détourne aussi machinalement et aussi indifféremment qu’elle s’y est portée. Peut-être M. Gauffecourt, s’il continue à être tout ce qu’il annonce, me sera-t-il par la suite d’une grande ressource. Son âge et sa figure le mettent à l’abri de la censure ; mais il faut du temps pour savoir si un homme mérite autant d’amitié que d’estime. M. de Francueil est jusqu’à présent celui qui me distrait davantage ; il a des talents et beaucoup d’agrément dans l’esprit. Il m’a engagée à reprendre la musique que j’avois négligée depuis quelque temps ; il m’a même donné plusieurs leçons de composition[19].


Épinay, le 5 avril.

Nous sommes venus ici passer les fêtes de Pâques. M. d’Épinay a engagé M. de Francueil à y venir, et j’en ai été très-aise. Il a une politesse si aisée, de la grâce à tout ce qu’il fait, une complaisance, une douceur charmante ; sa figure prévient en sa faveur, et sa conversation a tant d’intérêt, qu’on ne peut se défendre d’en prendre beaucoup à lui. Il a fort réussi auprès de M. de Bellegarde. Auprès de qui ne réussiroit-il pas ! Il peint à merveille, il est grand compositeur en musique ; il a toutes sortes de connoissances, et une gaîté précieuse pour moi. J’avoue que depuis longtemps je n’avois passé des moments aussi agréables. M. d’Épinay repart demain pour une nouvelle tournée ; elle sera au moins de six mois[20].


Le 15 avril.

« Que ceux qui sont d’accord avec eux-mêmes sont heureux ! m’écriai-je ce matin en m’éveillant. Je suis malheureuse ; je connois le moyen d’adoucir mon sort, et je n’ai pas le courage de m’en servir. Venez donc, ma chère amie, mettre de l’ordre dans mes idées et dans mes volontés. Le ciel ne m’enverra-t-il pas mon amie ? » Et comme j’achevois cette phrase, mademoiselle d’Ette entra. « Arrivez donc, lui dis-je, car j’ai bien besoin de vous. » Elle s’assit sur mon lit. Je jetai mes bras autour de son cou, et je l’embrassai en fondant en larmes. « Qu’avez-vous, me dit-elle ; M. d’Épinay vous a-t-il donné quelque nouveau sujet de chagrin ? — Grâces à vos conseils, lui dis-je, mon mari n’a plus le droit de m’en donner. Mais je crains de les avoir trop bien suivis, ces conseils ; et peut-être déjà, ajoutai-je en me cachant dans son sein, me blâmez-vous d’avoir pris à la lettre des discours que vous ne me teniez peut-être que pour m’éprouver ? — Y pensez-vous, me dit-elle ? Songez-vous que vous désapprouvez ma conduite et que vous m’accusez de fausseté ? À moins que vous n’ayez fait un choix indigne de vous, ce dont vous n’êtes pas capable, je ne puis que vous approuver. — Ce n’est point un choix, lui répondis-je ; je me suis laissé prendre comme un enfant. Je ne sais pas encore moi-même si j’aime, et je sais encore moins si je suis aimée. Quelques petites préférences qui ne partent peut-être que d’un esprit habitué à la galanterie, quelques marques d’intérêt et de compassion qui n’ont vraisemblablement pour principe qu’un sentiment d’humanité, voilà ce qui m’a séduite, et je tremble de laisser faire des progrès à un penchant qui fera peut-être mon malheur, si je m’y livre. — Mais, me dit mademoiselle d’Ette, avant de vous répondre, entendons-nous. De qui me parlez-vous ? Si c’est de M. de Francueil, n’en doutez pas, il est amoureux de vous, et je vous dirai même qu’il y a longtemps que je m’en aperçois, et que cette remarque m’a fait d’autant plus de plaisir, qu’il paroît sensé et raisonnable ; il a une bonne réputation, de la fortune ; enfin, il est tel que je le désire pour vous. Or, si vous êtes de bonne foi, vous ne devez pas douter de son amour. À vous voir ensemble, j’ai cru qu’il vous en avoit parlé, et j’ai cru même que vous l’aviez écouté. — Non, en vérité, lui dis-je, il ne m’en a pas ouvert la bouche, et tout ce que vous avez pu remarquer n’a été de sa part que la démonstration de l’amitié ; et de la mienne que celle de la reconnoissance. — En ce cas, reprit-elle, cela pourroit devenir sérieux. Contez-moi en détail les progrès de cette connoissance, car, sans reproche, ma chère amie, vous vous êtes un peu cachée de moi depuis quelque temps, et c’est ce qui m’avoit fait croire vos affaires plus avancées. — Volontiers, lui dis-je : je ne vous cacherai rien ; mais laissez-moi me lever et faire ma toilette, car si une fois nous nous mettons à causer, je ne trouverai pas le moment de m’habiller. » Je l’établis à mon secrétaire, où elle écrivit des lettres ; je fis mes affaires, et nous passâmes ensuite dans mon arrière petit cabinet, où nous nous enfermâmes toutes deux, et nous commençâmes ainsi notre conversation :

« Voilà, dit-elle, que je plains ce pauvre homme, à présent. Il vous aimera comme un fou, car vous êtes une séduisante créature, quand vous vous y mettez ; et vous le rendrez malheureux. — Pourquoi donc, malheureux ? — Eh ! parce que vous êtes des têtes, vous autres, incapables d’un sentiment solide. Une mouche, une partie de bal vous distrait ; et vous ne savez pas vous-même ce que vous voulez. — Ce reproche me confond de votre part. Vous savez bien que cette dissipation où j’étois livrée n’étoit pas de mon goût, et que si… — Oui, oui, passons toujours, et dites-moi où vous en êtes avec ce pauvre diable. — Eh bien donc !… Mais nous reviendrons ensuite à ce que vous disiez ; car j’ai à cœur de vous dissuader. — Voyons toujours. — Vous savez qu’il y a environ trois mois que M. de Francueil, m’ayant fait plusieurs visites sans me trouver, je lui fis dire que je restois chez moi. Il y vint plusieurs fois. La musique et la peinture furent presque toujours les sujets de nos conversations. Nous fîmes un voyage à Épinay où nous l’invitâmes, Peu à peu le ton de cérémonie se perdit, et celui de la liberté, renfermée cependant dans les bornes dune politesse sévère, lui succéda. Vous dites que je suis dissipée ; il trouva que je ne l’étois pas assez. Comme il me voyoit souvent triste et rêveuse, il me conseilla, pour m’occuper, d’apprendre la composition. Je lui montrai d’abord que je le désirois fort ; puis, faisant réflexion qu’un maître me coûteroit de l’argent, et que je n’en avois point, je cherchai un prétexte honnête pour éluder cette proposition que j’avois d’abord acceptée si vivement. Je lui dis qu’avant de m’engager à prendre un maître, je voulois voir si je réussirois. Il m’offrit de m’en servir ; je l’acceptai, et deux jours après il me donna ma première leçon : je réussis fort bien. Il prétend que rien n’est égal à ma pénétration. Chaque jour il mit un nouveau zèle à ses leçons ; vous avez entendu la semaine dernière le morceau que j’ai composé : vous pouvez juger de mes dispositions.

« La veille du départ de mon mari, il vint passer l’après-dînée à la maison, comme à son ordinaire. Je lui dis, je ne sais à propos de quoi, que je n’aimois rien tant que d’entendre des cors de chasse le soir pendant le repas ; il ne releva point ce propos. Il sortit à huit heures, et en s’en allant, il rencontra M. d’Épinay, à qui il demanda à souper pour prendre, disoit-il, congé de lui. Comme il ne m’avoit pas paru désirer de rester, je trouvai cela singulier. Il revint, en effet, à neuf heures ; et comme nous étions à table dans l’appartement de M. de Bellegarde, nous entendîmes tout à coup dans la pièce voisine les cors de chasse qui nous donnèrent pendant tout le repas la musique du monde la plus délicieuse. Dès que je les entendis, je regardai M. de Francueil qui sourit en disant que c’étoit sans doute une fête que je donnois à M. d’Épinay pour son départ. J’assurai que je n’avois nulle part à cette galanterie ; mais je me tus sur le propos que j’avois tenu l’après-dînée, et je remarquai très-bien que M. de Francueil m’en sut gré. Après le souper, comme il faisoit le plus beau temps du monde, M. d’Épinay proposa de faire le tour de la place[21] ; nous l’acceptâmes. M. de Francueil nous donna le bras ; il me serra la main plusieurs fois ; mais toujours dans des occasions où je pouvois m’y méprendre, et comme pour me garantir d’un faux pas ou de quelque danger.

« De retour au logis, mon mari, qui étoit en belle humeur, et qui devoit partir à six heures du matin, proposa de faire de la musique jusqu’à ce moment. Le premier mouvement fut de l’accepter ; mais M. de Francueil fit remarquer que ma santé pourroit en être altérée. Il prit congé en me demandant permission de venir le lendemain s’informer de la manière dont je m’étois trouvée de cette soirée. Le lendemain, nous soupions ensemble chez madame Darty. Je m’y trouvai indisposée ; les soins et l’inquiétude qu’il me marqua sont au delà de toute expression. Je m’en allai de bonne heure ; je m’attendois qu’il m’offriroit de me donner la main ; il n’en fit rien, et je vous avoue que j’en fus piquée. Mais en arrivant chez moi, je ne fus pas peu étonnée de voir son carrosse qui suivoit le mien ; il descendit, me donna la main jusqu’à mon antichambre seulement. Il s’informa avec les marques du plus vif intérêt de l’état où je me trouvois, et se retira tout de suite, sans entrer dans mon appartement. Toutes ces marques d’égards ne furent point perdues pour lui, et je les sentis vivement.

« Hier il se hasarda à me dire qu’il me soupçonnoit d’avoir du chagrin. J’aurois cru lui manquer en dissimulant. Je vous avouerai même que, pour la première fois de ma vie, j’ai été un peu fausse, car je lui ai beaucoup exagéré la peine que je sentois de la conduite de mon mari, dans la crainte que j’avois qu’il ne me parlât d’amour, ce qui m’auroit obligée à le congédier. — Eh ! pourquoi donc le congédier ? Voilà une inconséquence bien singulière. — Cela est vrai ; car je ne me plais qu’avec lui et avec vous. — Oui, avec moi, surtout quand vous parlez de lui, n’est-ce pas ? — Mais je serai franche ; alors vous me plaisez davantage. — Je l’ai bien vu. Ensuite. — Eh bien ! ensuite ? Voilà tout. L’intérêt qu’il a marqué prendre à mes peines est tout aussi vif que je devois l’attendre de la conduite qu’il tient avec moi. Que pensez-vous de tout cela ? — Je pense qu’il est amoureux, et qu’il l’est bien fort, puisqu’il n’ose vous le dire. Je pense encore que vous l’aimez aussi ; et que vous ferez une sottise si vous ne l’écoutez pas. — S’il pouvoit ne m’en rien dire. Nous sommes si heureux à présent ! — Et pourquoi le seriez-vous moins en vous avouant que vous l’êtes ? — Oh ! c’est que je crois qu’il n’est pas possible d’être heureuse quand on a eu un amant. — Et pourquoi cela ? — Par mille raisons. Si j’avois un amant, je voudrois qu’il fût sans cesse avec moi. Si, par prudence ou autrement, il refusoit un seul jour de me voir, je serois dans la plus amère douleur. Si, au contraire, son empressement répondoit au mien, la crainte qu’on ne sût qu’il ne me quitte point, et que l’on en parlât, me causeroit de continuelles alarmes. D’ailleurs M. d’Épinay reviendra un jour. Si, à force de malheurs et de réflexions, il se reprenoit de goût pour moi, ou si, par fantaisie, peut-être… Mais, en bonne foi, pourrois-je refuser ? — Comment, un homme qui vous fait mourir à petit feu, qui a et qui aura toute sa vie, je vous en réponds, une conduite détestable, vous auriez le cœur… ? — C’est un homme qui a fait ma fortune, à qui je dois tout. — Oui, même… — Paix ! ma chère amie, laissons là le passé, et ne disputons point sur une chose qui n’arrivera peut-être jamais… — Eh bien, que feriez-vous ? — J’en serois désolée. Mais sans faire de suppositions : on peut très-bien prévoir que, si un jour j’avois un amant, mon mari viendroit à le savoir. Ou ses reproches m’accableroient, et je ne saurois les soutenir, ou il se croiroit peut-être en droit par là de continuer la vie qu’il mène. — Il n’y a guère de conseils à donner sur de telles inconséquences. Savez-vous ce que je vois de plus certain dans tout ceci, c’est que vous rendez Francueil très-malheureux ? Vous l’écouterez, parce que cette passion est bien plus établie dans votre cœur que vous ne le croyez. Mais comme ces mouvements sont trop forts pour pouvoir durer, je ne vous donne pas trois mois pour reprendre toutes vos incertitudes ; et au moment où il commencera à se livrer à vous de bonne foi, il vous prendra fantaisie d’écouter ce que vous appelez votre raison, et vous le laisserez là. — Non, non ; vous vous trompez, et vous ne me connoissez pas : si je fais tant que d’aimer Francueil et de me livrer à lui, ce sera pour la vie, à moins qu’il ne change. — Êtes-vous bien sûre de ce que vous me dites ? — Oui, j’en suis très-certaine. — En ce cas, voici le conseil que je vous donne. C’est de l’éprouver quelque temps, afin de juger si son goût pour vous est véritable. — Oh ! voilà ce que je ne ferai point ; car si je me détermine à l’écouter, ce sera certainement tout de suite ; et si je me décide, au contraire, à lui résister, je le congédierai promptement. — C’est précisément ce qu’il ne faut point faire. Quand même vous seriez déterminée à l’écouter, il faut bien se garder de le lui faire connoître. Il faut éprouver s’il est capable de constance ; car, quel est l’homme qui ne s’assujettira pas, pendant quinze jours, pour faire croire à une femme qu’il est amoureux d’elle ? Mais il faut qu’il le soit réellement pour persister, malgré des refus réitérés, pour céder à des caprices. Il faut donc commencer, s’il vous parle de son amour, par lui défendre de prononcer ce mot, l’assurer que vous l’aimez beaucoup comme ami, mais voilà tout, et lui dire que, s’il vous en parle encore, vous serez forcée de l’éloigner de vous, pendant quelque temps, et jusqu’à ce qu’il soit devenu raisonnable. — Mais s’il m’alloit prendre au mot, et qu’il ne revînt plus ? — Ce seroit une preuve qu’il ne tient pas beaucoup à vous ; et alors il n’y auroit pas grande perte. — Je ne trouverois pas du tout que cela fût une preuve, car, plus il seroit amoureux, et plus il auroit besoin de l’éloignement pour se guérir, s’il étoit bien convaincu que je ne voulusse pas l’écouter. — Justement ; c’est que les hommes ne sont jamais convaincus de cela. — Mais vous dites qu’il a une bonne réputation ; vous avez donc beaucoup ouï parler de lui dans le monde ; on en dit donc du bien ? — On n’en dit pas de mal, et lorsqu’on le nomme, on vante l’agrément de sa société, et cet éloge n’est jamais suivi du mais. D’ailleurs je ne sais aucun détail de son intérieur ; mais il est marié. — Cela est-il bien sûr ? — Je le crois ; il me semble qu’on me l’a dit. Il y a même quelque chose sur sa femme que je ne me rappelle pas. — Voilà ce qu’il faudroit pourtant approfondir, si vous pouviez[22]. — Laissez-moi faire ; mon chevalier me rendra ce service ; il a trois ou quatre chenapans[23] dans sa manche qui savent et qui connoissent tout ce qui existe et tout ce qui se dit dans Paris. — Oui, mais sous quel prétexte ? S’ils alloient savoir ou supposer ? — Comment donc, on ne pourra plus s’informer d’aucun homme dans Paris que ce ne soit pour en faire votre amant ! » Ici nous fûmes interrompues par un message de M. de Francueil qui me faisoit demander si je serois l’après-dînée chez moi : je lui ai fait dire que oui. Il m’est venu successivement des visites, et mademoiselle d’Ette s’est en allée, en me rassurant de nouveau sur mes inquiétudes.

J’ai dîné avec mes parents ; et immédiatement après le repas j’ai monté dans mon appartement, croyant n’y être jamais assez tôt pour recevoir Francueil : je me suis mise à écrire ceci en l’attendant. Il est cinq heures, il n’est point encore arrivé. Sûrement M. de Francueil n’a rien à me dire. S’il me parle cependant, quel parti prendrai-je ? Hélas ! celui que je pourrai, excepté de l’écouter comme amant. Il ignore peut-être combien est douce une union intime quand elle n’est point troublée par les remords. Ah ! j’entends !


Le soir, à onze heures. (Avril 1749.)

Oh ! quel triomphe ! Quelle satisfaction ! Que deviendrois-je à présent, si je n’étois livrée au trouble et à la pitié que Francueil a excités dans mon âme ? Je puis m’avouer que j’aime Francueil, que j’en suis aimée, que notre union est pure. Je puis jouir hautement de la douceur d’avoir un ami tendre et vertueux. Que cette soirée m’est précieuse ! je n’en veux perdre la mémoire. Chaque mot qu’il m’a dit est gravé dans mon cœur. Je puis en toute sûreté transcrire notre conversation. À qui ne pourrois-je pas la montrer ?

En entrant il m’a fait des excuses d’arriver si tard ; je trouvois qu’il avoit raison : mon cœur intérieurement lui en avoit déjà fait des reproches, mais en pensant cependant qu’il n’étoit que cinq heures, et que c’étoit de bonne heure pour tout autre que pour lui, je ne lui répondis point, et je me contentai de sourire à ses excuses, comme une imbécile. J’étois un peu troublée, le cœur me battoit ; pour lui, il étoit embarrassé, rêveur : la conversation tomboit à tout instant. Je lui a proposé une leçon de composition : elle avoit été négligée depuis quelque temps (nous aimions mieux causer). Je lui en fis des reproches. « En effet, me répondit-il, je me trouve ingrat envers la musique ; elle m’a procuré le plus grand avantage que je puisse jamais avoir : celui devons amuser, madame, et de vous voir tous les jours. Mais plus je vous vois, et plus je sens qu’il y a des choses bien plus intéressantes à vous dire. » Je me hâtai de l’interrompre, craignant une déclaration, comme ce propos sembloit l’annoncer ; et ne sachant comment la détourner, je lui dis assez sottement : « Ah ! monsieur, sans doute… c’est de l’état de M. de Bellegarde que vous voulez parler ? Il est sûr que sa santé s’altère tous les jours, j’en suis peinée. Je voudrois… — C’est moins de son état que je veux vous parler que de l’admiration qu’occasionnent votre tendresse et vos soins pour lui à tous ceux qui ont le bonheur de vous approcher de près. — Monsieur, cette admiration m’étonne ; je ne remplis que mon devoir. J’oserois dire que je serois portée à avoir une foible opinion de ceux qui m’en feroient un si grand mérite. — C’est précisément cette façon de penser qui n’est pas commune à votre âge. Se séquestrer volontairement ; tant de sensibilité, de reconnoissance jointe à tant d’agréments ! — Je vous assure, monsieur, que je mènerois par goût la vie que je mène par devoir. Les soins donnés par l’amitié et par le respect sont si doux ! ce vieillard est si bon ! je lui dois tant ! — J’en conviens, madame, mais les soins donnés à un vieillard, quel que soit le sentiment qui les dicte, ont toujours quelques retours pénibles ; au moins, faudroit-il un ami pour partager ces soins, et dédommager des alarmes ou des inconvénients qu’ils entraînent ; c’est alors qu’ils seroient vraiment délicieux. — Sans doute, lui dis-je ; mais quelle est la femme qui pourroit s’assujettir. — La femme, reprit-il ? impossible : elles sont trop dépendantes pour pouvoir se charger du bonheur de leurs semblables, c’est un ami et non une amie qu’il faut en pareil cas. — Ah ! un ami ! j’en ai plusieurs, repris-je. — Plusieurs, madame, gâtent tout. Il n’en faut qu’un. — Mais songez-vous, monsieur, à toutes les perfections qu’il faudroit qu’eût cet un-là pour donner ainsi l’exclusion aux autres ? »

Comme je vis qu’il étoit résolu à ramener toujours la conversation à son but, je pris le parti de badiner, et de lui faire le tableau le plus exagéré de mes prétentions, et en même temps le plus opposé aux avantages extérieurs que pouvoit offrir sa personne#1.

« On peut, à force de zèle, dit-il, espérer de trouver grâce pour les perfections qui pourroient… — Non, non, monsieur ; quant à moi, du moins, je ne voudrois passer à un homme la prétention d’être seul mon ami, que dans le cas où il seroit complètement doué de toutes les qualités[24] que je lui désirerois ; et je serois fort difficile. Indépendamment de ses qualités personnelles, vous voyez que j’exigerois qu’il eût encore celles de tous les amis auxquels il faudroit renoncer pour lui. La tâche est terrible ; je ne comprends pas qu’un homme ait assez bonne opinion de lui pour l’oser entreprendre. — Les femmes auxquelles on se dévoue ne sont pas non plus toujours justes dans leurs prétentions, ni même d’accord avec elles-mêmes. Je suis persuadé, madame, que vous n’exigeriez aucune perfection qu’il ne fût possible d’acquérir. Rien n’est impossible à l’amour, dit-on : ce proverbe, tout usé qu’il est, n’en est pas moins vrai ; mais pourrois-je vous demander les qualités que vous exigeriez. — Monsieur, il n’est pas question de moi. — Il ne peut être, au contraire, question que de vous, et d’aucune autre. — Eh bien donc ! monsieur, puisque vous voulez que je vous dise, en pareil cas, quelles seroient mes chimères, d’abord je ne voudrois pas que cet homme, qui seroit l’homme par excellence, fût fort grand ; je le voudrois même petit. — Et pourquoi donc cela, madame ? On veut pourtant que ce soit un avantage. — Sans doute, monsieur ; mais cette grande taille me rappelleroit sans cesse qu’il est là pour me protéger : cela humilie une petite femme ; convenez-en. » il se mit à rire, et moi aussi. « Ah ! me dit-il, d’un air si doux et si timide, en me prenant la main, vous n’avez pas parlé sérieusement. » Moi, sans lui répondre, je continuai, en retirant ma main. « L’avantage d’une belle figure me touche peu ; c’est un très-petit mérite auprès de moi, mais très-petit. — Je m’y étois bien attendu, me répondit M. de Francueil d’un air dont, en vérité, je fus touchée ; aussi il faudroit être bien vain, continua-t-il, bien dénué de tout autre mérite, et vous connoître bien peu, madame, pour prétendre vous plaire avec ce seul avantage, si c’en est un, ajouta-t-il modestement. — Quant au caractère, lui dis-je, je voudrois qu’il se refondit tellement sur le mien, que l’excellent homme et moi ne fussions qu’une même volonté. — Sans doute, reprit-il vivement, cela doit être et cela seroit. Je crois, dis-je encore, que je serois d’une jalousie insupportable ; tout me feroit ombrage. — Cela est bon, tant mieux, dit-il ; preuve d’une grande chaleur d’âme. Quel bonheur de pouvoir être l’excellent homme ! — Non-seulement j’aurois de la jalousie, mais je voudrois qu’il en eût : s’il n’étoit pas jaloux, j’en serois blessée. — Et lui en donneriez-vous sujet ? — Sujet ou non ; croiriez-vous que, au choix, j’aime mieux une querelle déplacée qu’une marque d’indifférence ? — D’indifférence, sans doute ! mais la sécurité prouve l’estime et non pas l’indifférence. — J’exigerois encore des sacrifices à tout moment ; et puis, je voudrois, par exemple, une grande égalité de fortune ; cela me paroît absolument nécessaire. — Je crois, madame, que vous avez raison. Que de délicatesse et de sentiment dans vos idées ! Ah ! »

Là il fit un profond soupir, mais n’osa pas ajouter un mot. « Enfin, lui dis-je, croyez-vous que je serois peut-être bizarre au point de ne vouloir pas qu’il eût plus de talents que moi ? — Mais cette condition dépend de vous, madame. Vous acquerrez tous ceux que vous voudrez ; vous n’avez qu’à vouloir. — Eh bien ! monsieur, je voudrois qu’il fût si uniquement occupé de moi, qu’il fût prêt à renoncer à toute espèce de sociétés et de liaisons. Voilà comme il faudroit que fût l’excellent homme. — Quoi ! madame, il n’y a rien dans tout cela ni du cœur, ni de l’esprit, ni de la valeur ? Mais, quant à ce dernier article, vous le priseriez peu, ne voulant pas être protégée. — Cela n’empêche pas. Je fais grand cas de la valeur ; et si je ne veux pas être protégée, je veux du moins être en sûreté. Au reste, je ne finirois pas, si j’entrois dans ce détail. Il vaut mieux laisser là ce chef-d’œuvre de la nature, d’autant plus que je conviens qu’il est introuvable. — Non pas ! s’il vous plaît, madame, achevons ; ces derniers articles valent bien la peine que vous vous expliquiez. — Mais je veux un cœur, un cœur comme on n’en trouve point ! qui soit tendre, délicat, constant, fidèle. — Mais cela va sans dire ; rien n’est si commun, ni si aisé à trouver. — Pas tant que vous le croyez ; il y a mille cas où je le trouverois peut-être fort loin de l’unisson que je désire. Quant à l’esprit, par exemple, vous croyez peut-être que j’en voudrois trouver beaucoup ? Non, ce n’est pas cela ; c’est une certaine tournure, une manière d’envisager les objets, d’entendre à demi-mot. — Madame, le cœur donne cet esprit-là. Enfin vous voulez qu’on modèle son caractère sur le vôtre. — Vous l’avez dit. — Mais pour y réussir, il faut qu’il soit permis de vous étudier, de vous suivre, de vous voir sans cesse. — Un moment : puisque vous l’avez voulu, il faut que j’achève. Si un homme tel que je le désire s’avisoit de m’aimer, ce qui ne peut pas être ; car il me trouveroit peut-être aussi bizarre que je l’exige aimable, je voudrois qu’il y regardât longtemps, mais très-longtemps avant de me le dire, car je ne serois peut-être d’humeur à l’écouter que lorsqu’il ne seroit pas auprès de moi. — Ah ! s’écria t-il avec transport, faites grâce à ma taille que je ne puis changer, et je fais vœu à vos genoux de remplir toutes les autres conditions avec une ardeur inaltérable. Je suis déjà l’homme qui vous adore uniquement et qui vous jure une soumission sans bornes. »

Il s’étoit jeté à genoux ; je le lis relever avec sévérité. J’étois effrayée de cette démarche et de sa vivacité : je me sentis cependant attendrie et fort émue : je pris le ton le plus assuré qu’il me fut possible. « Je vais vous parler naturellement, lui dis-je, monsieur. Si mon intention étoit de vous écouter, je ne vous ferois pas languir : je me sens pour vous, je vous l’ai déjà dit, je pense, un attachement fondé sur ce que vous valez et sur celui que vous me marquez. J’oserois même dire que cela va jusqu’à l’amitié la plus tendre ; mais n’attendez rien de plus. Il n’est pas dans mes principes de me croire autorisée, par la conduite de mon mari, à avoir un amant. De plus, je l’aime : et tous les moments de ma vie seront employés à tâcher de le ramener ; vous pouvez compter sur ce que je vous dis là, et vous pouvez compter de même sur la tendre amitié que je vous promets. — Plus ce que vous me dites me paroit vrai, me répondit M. de Francueil, plus j’admire votre franchise, la bonté de votre caractère, et plus je me trouve malheureux. J’achèterois de mon sang l’amitié que vous me promettez, ajouta-t-il en fondant en larmes ; mais je ne suis point en état d’en jouir à présent. Il faudra bien vous éviter la vue de mon désespoir, puisque vous rejetez mon amour : il ne me reste qu’à m’éloigner pour toujours. Dans peu de temps mon père part pour aller passer quelques mois dans sa terre[25]. Autant je redoutois de l’y accompagner, autant je dois désirer maintenant d’y rester avec lui pour toujours. » Cette résolution commença à m’alarmer ; je gardai le silence. Je sentis cependant qu’il falloit le rompre ; et ce fut pour lui dire foiblement : « Si vous croyez ce parti nécessaire, c’est à vous à savoir. La raison, quand on veut l’écouter, est souvent d’une grande consolation, » Et nous gardâmes encore une fois tous les deux le silence. À la fin il se leva et prit congé de moi.

Je pensai dans ce moment que je le voyois peut-être pour la dernière fois. Je ne pus soutenir cette idée : je l’arrêtai avec vivacité. « Demeurez, lui dis-je, monsieur ; quelle idée prétendez-vous par cette conduite me donner de vos sentiments ? Vous me montrez en effet de la passion, du délire, mais aucun attachement solide et véritable, ni qui ne puisse me flatter un moment. Est-ce mon déshonneur que vous exigez de moi, le sacrifice de mes devoirs les plus sacrés, l’oubli du serment que j’ai prononcé à l’autel de n’être jamais qu’à l’époux que j’ai choisi volontairement ? Si ce sont là vos prétentions, j’ose me promettre que je ne regretterois pas la perte d’un ami qui seroit aussi partial dans ses désirs, et qui me montreroit un oubli aussi total de tout principe, quelque forte que pût être mon inclination pour lui ; mais me serois-je trompée en accordant mon estime à M. de Francueil ? en seroit-il indigne ? Si je vous ai bien jugé, mon amitié, j’oserai même dire ma tendresse, doit alors vous suffire. Je ne ferai plus votre malheur ; je ferai votre consolation comme vous ferez la mienne ; nous passerons nos jours ensemble ; je vous regarderai comme un être protecteur placé près de moi par le ciel même, pour me dédommager des peines que ma destinée doit me faire éprouver dans ce monde, et je serai la compagne fidèle de votre sort ; nous jouirons sans remords et sans crainte tant que dureront d’aussi douces relations ; nous ne craindrons point les regards des censeurs, puisque nous ne craindrons point les nôtres ; et nous n’aurons point à redouter les retours funestes qui suivent toujours le sacrifice de la vertu. »

Il me parut touché ; mais il n’étoit pas encore converti ; il voulut combattre mes principes, et faire son apologie par l’étalage de la même morale que m’avoit prêchée mademoiselle d’Ette. Je redoutai son éloquence, et je l’interrompis : « Monsieur, lui dis-je, vous ne me persuaderez pas, et vous allez ulcérer mon cœur, en me donnant de vous une opinion que je serois fâchée d’avoir, mais qu’il faudra bien prendre cependant si vous m’y forcez. Je vous l’avoue, je n’ai jamais vu dans la qualification de préjugés qu’on donne aux principes les plus sacrés autre chose que les sophismes d’un séducteur. J’espère que les miens sont trop bien gravés dans mon cœur pour être jamais ébranlés. » Il m’assura enfin d’un air pénétré, d’un air divin, enchanteur, qu’il feroit son possible pour se soumettre à ce que j’exigeois de lui ; et nous avons passé l’après-dînée à nous confier réciproquement notre situation et nos peines.

J’étois fière de la victoire que j’avois remportée sur M. de Francueil. Il s’est tenu dans les bornes du respect le plus profond ; il m’a baisé plusieurs fois la main en soupirant, mais sans dire un mot qui pût m’alarmer. Nos conventions ne me laissent plus rien à redouter : j’ai cru pouvoir, sans me compromettre, prendre avec lui les moyens de nous voir tous les jours, et d’être instruits réciproquement de nos démarches. Je lui ai dit que je partois pour la campagne après-demain, et je l’ai instruit de la façon dont il doit s’y prendre auprès de mes parents pour s’y faire inviter : je ne sais pourquoi je lui ai conseillé de se conduire de manière à ne point laisser pénétrer ses sentiments par mademoiselle d’Ette ; il m’a demandé le motif de ce conseil. Je n’ai point fait de difficulté de lui dire que, jusqu’à ce que notre façon de vivre fût bien prouvée, il falloit éviter les faux jugements. « Vous voyez donc bien, m’a-t-il dit, que nous n’y gagnerons rien. — Et la conscience, ai-je repris, qui donne le courage de braver les faux jugements, n’est-elle pas le premier des biens ? »

Le temps qu’a duré cette conversation a passé comme un éclair. Je n’ai osé le retenir à souper ; je m’en suis su mauvais gré dès qu’il a été parti. Le reste de la soirée, il ne m’a pas été possible d’être un instant à la conversation ; j’ai été malgré moi rêveuse et distraite. Je repassois en moi-même tout ce qu’il m’avoit dit, ce que je lui avois répondu ; je désirois de le revoir ; j’ai, à ce qu’il me semble, bien mieux encore à lui dire ; enfin j’ai attendu impatiemment la fin du souper. Je me suis plainte d’un mal de tête, et je suis remontée afin de rêver sans interruption à la chose qui peut seule fixer mon âme. Je vais m’endormir avec la douceur d’avoir ramené un homme d’honneur à ses principes. Quelle supériorité j’ai acquise sur vous, mademoiselle d’Ette ! C’est une des raisons, je crois, qui me feront garder le silence avec elle. Ses intentions étoient bonnes, et je ne veux pas l’humilier.


Le lendemain. (16 Avril 1749.)

M. de Francueil est venu voir aujourd’hui M. de Bellegarde. J’étois convenue avec lui qu’il ne me demanderoit pas, et que je ne paroîtrois pas pendant sa visite. Mais l’ayant vu arriver par ma fenêtre, je trouvai, au bout d’une demi-heure, qu’il m’obéissoit trop exactement, et j’eus l’injustice de lui en savoir mauvais gré : je savois bien, me disois-je, qu’il est trop difficile d’être l’excellent homme. Sitôt manquer d’empressement ! Mais si cependant il étoit alarmé de toutes les conditions que j’exigeois l’autre jour ? Je lui dirois que j’ai badiné. Et puis je cherchois un prétexte dans ma tête pour descendre. J’en avois trouvé un dont j’allois profiter, lorsqu’il est entré dans mon appartement. Oh ! quelle joie j’ai eue de le voir ! Qu’il y avoit de douceur et de tendresse dans ses regards ! J’étois enchantée, et cependant je témoignai du mécontentement de ce qu’il étoit monté. Il m’a demandé excuse avec vivacité, et m’a dit qu’il étoit prêt à m’obéir, si je lui ordonnois de s’en aller, parce qu’il ne vouloit rien faire qui pût me déplaire, mais qu’ayant beaucoup causé avec M. de Bellegarde, il lui sembloit important que j’en fusse informée. Je l’ai interrompu pour savoir s’il étoit prié de venir à la campagne. Il m’a dit que oui ; il a répondu sans affectation qu’il feroit son possible pour y passer vingt-quatre heures ; on a trouvé que c’étoit trop peu. On veut qu’il accorde au moins huit jours ; il n’a pas promis, se réservant de se conduire par mes ordres ; mais il a ajouté, en me prenant la main, qu’à moins que je ne le chasse, il aura bien de la peine à ne pas donner cette satisfaction à M. de Bellegarde.

Comme nous partons demain, nous sommes convenus qu’il viendroit nous rejoindre après-demain au soir. Au bout d’une heure il a voulu s’en aller, dans la crainte qu’on ne trouvât singulier qu’il restât plus longtemps, ayant passé hier toute l’après-dînée avec moi ; il avoit raison, je lui sus même très-bon gré de cet égard ; mais mon cœur murmuroit comme le sien de cette nécessité. Je n’ai pas eu le courage de refuser une lettre qu’il m’a donnée en sortant, et qu’il avoit écrite au cas qu’il ne pût pas me voir seule. Lorsqu’il a été parti, je suis retournée à la fenêtre pour le voir encore ; et comme s’il s’y fût attendu, il s’est avancé à la portière pour y regarder. Comme nos cœurs se devinent et s’entendent bien ! Certainement ils étoient faits pour s’aimer. J’ai ordonné qu’on fermât ma porte ; je voulois être seule avec ma lettre le reste de la journée. Voici ce qu’elle contient.

« Je ne sais plus, madame, de quelle nature sont mes sentiments pour vous : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’y en a pas de plus tendres ; mais leur vivacité même me laisse la crainte d’en être un jour la victime. Si vous voulez un homme parfait, que deviendrai-je ? Plus je réfléchis aux conditions que vous exigez, et plus mon infériorité me fait trembler. Me tiendrez-vous compte au moins du zèle avec lequel je vais travailler à vous imiter ? Mais est-il bien vrai que vous exigez qu’on soit jaloux, qu’on vous tourmente, qu’on vous querelle ? Jamais mon cœur, madame, ne pourra vous soupçonner ; je suis confiant naturellement, et j’avoue que jusqu’à présent les hommes ne m’ont pas donné sujet de m’en repentir ; jugez, quand je joindrai à cette disposition l’estime la plus profonde et l’amour le plus violent, s’il me sera possible d’être inquiet de vos sentiments. Lorsque votre bouche aura daigné confirmer mon bonheur, si elle prononce aussi souvent que je l’en presserai, que vous m’aimez uniquement, et avec la même ardeur que je vous adore, sera-t-il en mon pouvoir d’en douter ? Ah ! madame, que de temps j’ai perdu !… Vous m’avez défendu de vous voir aujourd’hui. J’ai promis, parce que vous l’avez voulu ; mais pourquoi tenir autant à des préjugés ! Il est cruel à vous d’exiger de moi de me priver d’un bien auquel seul je vais borner mpn existence. Je vais aller faire ma cour à madame votre mère et à M. de Bellegarde ; si j’ai le bonheur d’être de nouveau invité à aller les voir dans leur terre, je vous jure que je ne me le ferai pas dire deux fois ; mais s’ils ne me disent rien, j’irai également, parce qu’il me seroit impossible de m’en dispenser. En attendant, me sera-t-il permis de vous écrire ? me donnerez-vous de vos nouvelles ? Il m’en faut au moins une fois tous les jours ; je ne peux vivre sans vous répéter sans cesse que je vous adore. Je ne vois, je ne sens que mon amour ; tout le reste m’importune et m’est odieux. Il faudra donc laisser cette lettre à votre porte et ne point vous voir ? N’importe, je serai dans la maison que vous habitez. Il n’est que quatre heures ; il est encore trop tôt : mon empressement pourroit paroître suspect. Jamais journée ne m’a paru si longue, »

J’étois bien tentée de répondre ; mais apparemment la multitude de choses que j’avois à dire a fait que je ne trouvois pas une expression ; je serois restée vingt-quatre heures dans cette situation. On est venu m’avertir que le souper étoit servi ; pendant tout le repas je n’ai pensé qu’à Francueil ; mes distractions ont été remarquées ; on me parloit, je ne répondois point, ou je répondois tout de travers. Je me suis excusée sur la quantité des choses que j’avois à faire ou à arranger avant mon départ. Dès que j’ai eu soupé, je me suis servi du même prétexte pour remonter dans mon appartement. Là j’ai relu encore sa lettre, et à présent que je l’ai copiée, je vais la brûler, comme je ferai de celles que je recevrai, et comme je veux qu’il fasse des miennes.

  1. (À la date 1747.) — Peut-être faut-il dater 1748. Madame d’Épinay, dans cette partie de ses Mémoires, n’est pas sans avoir un peu confondu les temps, soit par oubli, soit à dessein. Nous allons voir venir tout à l’heure, dans des pages, du reste, bien jolies et d’une vive couleur, le récit du mariage de madame d’Houdetot qui est de 1748, mais non pas du mois et du jour que madame d’Épinay lui assigne. De même aussi nous la voyons ne pas tenir exactement le compte de ses couches, et supprimer au moins un de ses enfants, comme elle a supprimé l’un de ses beaux-frères.
  2. Sur les almanachs du temps l’adresse de Francœur est rue Saint-Nicaise au magasin de l’Opéra, mais ce n’était sans doute que son logement officiel, son cabinet ; et l’appartement qu’il habitait réellement était situé dans une maison de la rue Richelieu ou de la rue des Bons-Enfants qui donnaient sur le jardin du Palais-Royal. Ni la rue de Montpensier, ni la rue de Valois n’existaient encore.
  3. Francœur s’occupait beaucoup de son théâtre, dont il n’était pas encore administrateur, et dont, à cette date, la ville même n’avait pas encore reçu la direction générale. Son titre, et celui de Rebel, n’était que le litre de surintendant de la musique.

    C’est le mercredi 27 août 1749, à 5 heures du matin (on était alors encore fort matinal, comme au vieux temps), que le prévôt des marchands, M. de Bernage, prit possession de l’Opéra, du théâtre et du magasin. On entrait alors dans la salle par un vilain cul-de-sac qui s’appelait la Cour Auri. Les représentations avient lieu les dimanche, mardi et vendredi, et aussi le jeudi depuis la Saint-Martin jusqu’à la clôture. Voici, depuis Lulli, la liste des directeurs du théâtre : en 1687 Jean-Nicolas de Francine, gendre de Lulli ; en 1698, avec lui, Goureault du Muni, écuyer du Dauphin ; en 1704, Pierre Guyenet, payeur des rentes de l’Hôtel de Ville ; en 1713, Mathurin Besnier, avocat au parlement ; puis les sieurs Chomat, du Chêne, de la Bal de Saint-Pont ; le Comte, le Beuf et autres, en 1731 ; de Thuret, en 1733 ; en 1744, Berger, et en 1747, les sieurs Tréfontaine et Saint-Germain. La ville vint ensuite qui donna le théâtre à bail à Francœur et à Rebel.

  4. Le Luxembourg appartenait au duc d’Orléans. Sa sœur, la reine d’Espagne, l’avait habité depuis son retour en France jusqu’à sa mort, arrivée le 18 juin 1742.
  5. À en croire J.J. Rousseau, ce fut là une des plus fâcheuses connaissances que pût faire madame d’Épinay. La suite de ces Mémoires laissera voir ce que madame d’Épinay a dû elle-même en penser. « Elle avait une amie, dit Rousseau (Confessions, Partie II, livre VII), appelée mademoiselle d’Ette, qui passait pour méchante et qui vivait avec le chevalier de Valory qui ne passait pas pour bon. Je crois que le commerce de ces deux personnes fit tort à madame d’Épinay. »
  6. Le couvent des Filles de Saint-Thomas d’Aquin était rue Neuve-Saint-Augustin, en face de la partie de la rue Vivienne qui existait seule alors ; c’est sur son emplacement qu’a été bâti le palais de la Bourse. Les Filles-Saint-Thomas, religieuses de l’ordre de Saint-Dominique, avaient été installées à Paris pour la première fois, le 6 mars 1627, dans la rue des Postes. Elles allèrent ensuite dans la vieille rue du Temple, et enfin se firent bâtir en 1642 leur couvent de la rue Neuve-Saint-Augustin. L’église n’en fut achevée qu’en 1715.
  7. Mademoiselle de Bellegarde s’est mariée le 10 février 1748. La date que madame d’Épinay a mise sur son journal n’est donc pas exacte. Du reste il est probable que cette partie des Mémoires a été écrite de souvenir, car l’année 1747 et l’année 1748 y sont confondues.
  8. Madame d’Épinay est extrêmement rigoureuse pour M. d’Houdetot, qui avait, à ce qu’il parût, une belle taille, et qui, né le 5 août 1724, étit Capitaine lieuteuant de la gendarmerie. En 1762, à 38 ans il était maréchal de camp. La Chronologie militaire de Pinard (t. VIII p. 473) ne va pas plus loin ; mais on peut y voir que la vie de M. d’Houdetot ne fut pas celle d’un soldat inutile et désœuvré.

    « D’Houdetot (Claude-Constant-César, comte), né le 5 août 1724.


    « Mousquetaire le 3 mai 1738. Il fit la campagne de 1742, en Flandre et leva le 1er janvier 1743 une compagnie dans le régiment de cavalerie du Roi ; il passa la campagne à la former, et obtint le 28 octobre la charge de guidon de la compagnie des gendarmes de Flandre avec une commission du même jour pour tenir rang de lieutenant-colonel de cavalerie. Il se trouva avec la gendarmerie à la reprise de Weissembourg et des lignes de la Loutre, à l’affaire d’Anguenum, au siège de Fribourg, en 1744 et passa enseigne de la compagnie des gendarmes d’Aquitaine, le 14 décembre. Il était à la bataille de Fontenoy, aux sièges des ville et citadelle de Tournay, d’Oudenarde, de Dendermonde et d’Ath en 1745, et devint sous-lieutenant de la compagnie des gendarmes Dauphins, le premier décembre avec rang de mestre de camp de cavalerie par commission du même jour. Il servit aux sièges de Mons, de Charleroy, de Namur, et combattit à Raucoux en 1746 et à Lawfeld en 1747. Capitaine lieutenant de la compagnie des gendarmes de Berry par provisions du 1er janvier 1748, il la commanda au siège de Maestricht la même année, à la bataille d’Hastembeck, à la conquête de l’électorat de Hanovre en 1757.

    « Brigadier par brevet du 1er mai 1758, capitaine lieutenant de la compagnie des gendarmes de Bourgogne par provisions du 22 juillet suivant, il se démit de la compagnie des gendarmes de Berry ; et ayant été employé brigadier à l’armée d’Allemagne dès le premier mai, il se trouva au combat de Sunder-Hausen, à la conquête de la Hesse, à la bataille de Lutzelbourg. Il était à la bataille de Minden, en 1759, aux affaires de Corback et de Wartbourg en 1760, à l’affaire Filinghausen en 1761, et fut déclaré au mois de novembre maréchal de camp dont le brevet lui avait été expédié dès le 20 février précèdent : il s’est démis alors de la compagnie des gendarmes Bourguignons et a été employé maréchal de camp à l’armée d’Allemagne par lettres du 1er mai 1762. »

    M. d’Houdetot est devenu lieutenant général le 1er mars 1780 et madame d’Épinay l’a vu élever à ce grade.

  9. Puisque nous avons, dans une note précédente, indiqué quel était le parrain de mademoiselle de Bellegarde, et qu’on va voir que M. de Rinville l’était, il nous serait permis, s’il y avait de l’intérêt à cela, à changer son nom supposé et à le remplacer par celui de M. Filion de Villemur. Une de ses sœurs, Marie-Louise Filion de Villemur, avait épousé Louis-Pierre de Houdetot, mestre de camp du régiment d’Artois, lieutenant de roi en Picardie, mort le 11 août 1726, et frère ainé du père de M. d’Houdetot. C’est de cette manière que le mariage de madame d’Houdetot fut imaginé. Nous trouvons ce renseignement dans un lieu où on ne le chercherait guère, dans le grand Dictionnaire géographique d’Expilly.
  10. Rue Neuve-de-luxembourg.
  11. La famille d’Houdetot de Normandie (V. Borel d’Hauterive, Annuaire de la Noblesse, 1849-50, p. 398) semble avoir une communauté d’origine avec l’ancienne maison du même nom et de la même province dont un rejeton était à la première croisade, et qui portait d’argent, à six porcelets de sable. Le P. Anselme a donné sa filiation, sans parler de son blason moderne. Ces armes sont d’argent, à la bande d’azur diaprée d’or, de trois pièces, celle du milieu chargée d’un lion, et les deux autres d’une aigle à deux têtes d’or.

    La terre de Houdetot était en Caux, sur la paroisse de Veauville-sur-les-Baons, élection de Caudebec. L’aveu de ce fief se rendait au roi.

    Un seigneur de Houdetot, Jean, alla, en effet, à Jérusalem en 1024 ; un autre, et peut-être le même seigneur, suivit Guillaume de Normandie en Angleterre. Au seizième siècle, un d’Houdetot (pour bien faire il faudrait toujours écrire : de Houdetot) épouse Perronne Chenu, fille de Perrot Chenu, prince d’Yvetot. Voilà donc madame d’Houdetot entrée dans la famille du roi d’Yvetot. On arrive ainsi, pour abréger, aux d’Houdetot du dix-septième siècle.

    Le beau-père de madame d’Houdetot, dont il s’agit ici, est de la branche aînée (car il y a quatre ou cinq branches dans la famille, en comptant les seigneurs de Colomby, les seigneurs de Boisgribout, les seigneurs d’Auffay-la-Malet et les seigneurs du Verger. Le P. Anselme détaille toutes leurs généalogies). Il s’appelait Charles de son nom, chevalier, marquis de Houdetot, sseigneur de Grainbouville, de Saint-Laurent, lieutenant général en l’Isle-de-France et lieutenant de roi en Picardie et pays reconquis, mestre de camp du régiment d’Artois après son frère. » Né le 10 septembre 1678, il était devenu mousquetaire en 1694, lieutenant au régiment du roi le 7 décembre 1691, colonel d’un régiment d’infanterie de son nom, levé par commission du 10 décembre 1702, colonel réformé à la suite du régiment de Boufflers en 1715, brigadier en 1719, lieutenant général de l’Île-de-France en 1720, maréchal de camp le 20 février 1734, et lieutenant général le 1er mars 1758.


    Il avait rendu aveu au roi, le 10 janvier 1725, de son marquisat, érigé par lettres du mois de juin 1724, registrées aux parlement et chambre des comptes de Normandie les 3 août, 15 et 16 novembre. Comme on voit dans les Mémoires du marquis de Sourches (tome I, page 6), qu’en janvier 1685, un « marquis d’Oudetot, gentilhomme de Normandie, parent de M. de Pomponne et de MM. de Feuquières, mestre de camp de cavalerie, fort honnête et fort brave gentilhomme, » abjura la religion protestante, on peut croire que le litre de marquis était porté dans la famille avant d’être légalisé.

    Le marquis Charles d’Houdetot avait épousé, le 28 octobre 1717, Catherine-Madeleine-Thérèse Carrel, fille de Louis Carrel, président en la cour des comptes aides et finances de Normandie, et de Jeanne-Thérèse de Becdelièvre. C’est la marquise peinte par madame d’Épinay.

    Il naquit de ce mariage : 1° Charles-Louis de Houdetot, né à Rouen, le 14 août 1718 ; 2° Charles-Antoine, né à Paris le 1er mai 1721 ; 3° Claude-Constant ou Constance-César, né à Paris le 5 août 1724 (c’est le mari de madame d’Houdetot) ; 4° Anne-Charlotte-Simonette de Houdetot, née à Paris le 31 août 1722, qui devint plus tard madame de Blainville, et 5° Charlolte-Madeleine, née le 21 décembre 1751, qui devint, en 1749, madame Aché.

    M. d’Houdetot ne s’appelait d’abord que le chevalier, et il ne porta toute sa vie que le titre de comte, son frère aîné n’étant mort qu’en 1781, après s’être marié en 1749, et être devenu d’abord, le 3 février 1770, brigadier de cavalerie, puis, le 1er mars 1780, maréchal de camp.

  12. M. d’Houdetot était réellement amoureux, mais d’une autre femme, mariée elle-même, et cette passion dura presque autant que sa vie, car cette dame ne mourut qu’en 1793, et entre ses bras.
  13. C’était dans l’année même, et à peine depuis un mois.
  14. François-Christophe La Live, seigneur de Viennay, Pailly et Sucy, conseiller au parlement de Metz
  15. Le mariage est du 10 février 1748. Le marié demeurait sur la paroisse Saint-Sulpice. L’acte est dans les registres de Saint-Roch. Parmi les témoins figurent « haut et puissant seigneur de Monislay, marquis de Chazeron ; lieutenant général des armées, lieutenant des gardes du corps du Roi, gouverneur de la ville et citadelle de Brest, » cousin de l’époux (c’est le mari de la fille du frère aîné du marquis d’Houdetot et de mademoiselle de Villemur) ; « haut et puissant seigneur Charles-Louis d’argouges, comte de Rannes, maréchal de camp, » autre cousin ; M. d’Épinay, La Live de Sussy et l’intendant Pineau, baron de Lucé.
  16. L’éditeur de la première édition de ces Mémoires, dil que madame d’Épinay était accouchée dune fille le 4 août. On ne trouve pas trace de cette naissance dans les registres des baptêmes de la paroisse Saint-Roch, à la date de 1748. Il faudrait donc que ce fut à Épinay qu’elle eût fait ses couches, mais cela n’est pas probable. Ce qui paraît certain c’est qu’il y a ici un peu de désordre dans les souvenirs de l’auteur et qu’elle mêle ceux de l’année 1747 avec ceux de l’année 1748. Or, en 1747, le 24 août elle était en effet accouchée en l’absence de son mari, d’une fille : Françoise-Thérèse, tenue sur les fonts par François-Christophe La Live, seigneur de Viennay, Pailly, Prunois, Saint-Romain, et de Sucy-en-Brie, conseiller au parlement de Metz, grand-oncle paternel « représenté, dit par erreur l’acte baptismal, par Ange-Laurent La Live de la Briche (au lieu de Jully), oncle paternel ; » et par Thérèse-Suzanne Lestendart de Bully. C’est madame de Roncherolles.

    Ce ne fut pas l’unique lille de madame d’Épinay et peut-être celle-ci mourut-elle de bonne heure. Peut-être même lui en naquit-il une autre en 1749, et encore au mois d’août, à Épinay. Ce serait peut-être celle qui plus tard devint madame de Belsunce et qui s’appelait Angélique-Louise-Charlotte.

  17. Les Valory descendaient ou voulaient descendre d’une famille florentine qui au quinzième siècle a produit des personnages. De 1770 à 1781 l’abbé Galiani, alors ami du chevalier de Valory et de madame d’Épinay, fit à leur sujet, en Italie des recherches généalogiques dont il est question dans ses lettres (t. I, p. 114, 197 ; t. II, p. 518.)

    Le chevalier de Valory avait un frère aîné, le marquis Guy-Louis-Henry, qui né le 11 novembre 1692, avait débuté en 1707 comme enseigne de la colonelle du régiment de Piémont et qui se battit à Malplaquet. Brigadier en 1739 il fut cette année même envoyé ambassadeur en Prusse, devint maréchal de camp en 1745, et ensuite ambassadeur en Hanovre, auprès du roi d’Angleterre. En 1751 il retourna en Prusse. Son nom est connu dans la diplomatie et Frédéric le Grand le distinguait.

    Nous avons trouvé la signature du chevalier de Valory sur un acte de mariage de la paroisse Saint-Eustache (février 1761). Il s’appelait Juies-Hippolyte, demeurait alors au petit hôtel de Noailles, rue Saint-Honoré, comme madame d’Épinay, et portait le titre de chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. On retrouve son nom dans les Almanachs royaux, en qualité d’associé libre de l’Académie de peinture. Il était donc amateur et connaisseur. Collé en parle dans son journal (I, 36 ; II, 12) comme d’un bon juge de comédies.

    Le marquis et le chevalier avaient perdu leur père en 1758. Celui-ci, (Charles-Guy), était né le 24 septembre 1655 et était devenu lieutenant général en 1710.

    Il existait plusieurs autres Valory. Ou sait que l’un des gardes du corps qui accompagnaient Louis XVI dans le voyage de Varennes était un membre de cette famille.

  18. J.J, Rousseau a laissé de M. de Gauffecourt un agréable portrait. (Confessions. Partie I, livre V.) Il l’avait connu à Chambery, au temps de ses printannières folies de musique et d’amour, et, quoique en un autre endroit des Confessions, il l’accuse d’avoir voulu fort grossièrement corrompre Thérèse, il l’a jusqu’à la fin fidèlement chéri.

    « M. de Gauffecourt, dit-il, étoit un des hommes les plus aimables qui aient existé. Il étoit impossible de le voir sans l’aimer, et de vivre avec lui sans s’y attacher tout à fait. Je n’ai vu de ma vie une physionomie plus ouverte, plus caressante, qui eût plus de sérénité, qui marquât plus de sentiment et d’esprit, qui inspirât plus de confiance. Quelque réservé qu’on pût être, on ne pouvoit, de la première vue, se défendre d’être aussi familier avec lui que si on l’eût connu depuis vingt ans ; et moi qui avois tant de peine d’être à mon aise avec les nouveaux visages, j’y fus avec lui du premier moment. Son ton, son accent, son propos accompagnoient parfaitement sa physionomie. Le son de sa voix était net, plein, bien timbré, une belle voix de basse, étoffée et mordante, qui remplissoit l’oreille et sonnoit au cœur. Il est impossible d’avoir une gaîté plus égale et plus douce, des grâces plus vraies et plus simples, des talents plus agréables et cultivés avec plus de goût. Joignez à cela un cœur aimant, mais aimant un peu trop tout le monde, un caractère officieux avec peu de choix, servant ses amis avec zèle, ou plutôt se faisant l’ami des gens qu’il pouvoit servir, et sachant faire très-adroitement ses propres affaires en faisant très-chaudement celles d’autrui.

    « Gauffecourt étoit le fils d’un simple horloger, et avoit été horloger lui-même. Mais sa figure et son mérite l’appeloient dans une autre sphère où il ne tarda pas à entrer. Il fit connoissance avec M. de la Closure, résident de France à Genève, qui le prit en amitié. Il lui procura à Paris d’autres connoissances qui lui furent utiles, et par lesquelles il parvint a avoir la fourniture des sels du Valais qui lui valoit vingt mille livres de rente. Sa fortune, assez belle, se borna là du côté des hommes ; mais du côté des femmes la presse y étoit : il eut à choisir, et fit ce qu’il voulut. Ce qu’il y a de plus rare et de plus honorable pour lui fut qu’ayant des liaisons dans tous les états, il fut partout chéri, recherché de tout le monde, sans jamais être envié ni haï de personne, et je crois qu’il est mort sans avoir eu de sa vie un ennemi. Heureux homme !


    « Cet homme si charmant avoit pourtant ses défauts ainsi que les autres ; mais s’il ne les eût pas eus, peut-être eût-il été moins aimable. Pour le rendre intéressant autant qu’il pouvoit l’être, il falloit qu’on eût quelque chose à lui pardonner. »

  19. Bien plus tard, quand tout ce roman sera clos, M. Dupin de Francueil, à soixante ans passés, doit épouser en secondes noces une fille naturelle du maréchal de Saxe, et devenir le grand-père de George Sand. Il y a dans les Mémoires de ma vie, de madame Sand, plusieurs pages qui disent quel fut le caractère de l’élégant financier. Quoique ce soit mêler un peu les âges, nous croyons qu’il n’est pas inutile de laisser ici en note peindre M. de Francueil septuagénaire par la dernière compagne de sa vie. En voyant ce qu’il était alors encore, on comprend mieux ce qu’il avait été. Madame Dupin disait donc à madame Sand, tout enfant.

    « Votre grand-père, ma fille, a été beau, élégant, soigné, gracieux, parfumé, enjoué, aimable, affectueux et d’une humeur égale jusqu’à l’heure de la mort. Plus jeune, il avait été trop aimable pour avoir une vie aussi calme, et je n’eusse peut-être pas été aussi heureuse avec lui ; on me l’aurait trop disputé. Je suis convaincue que j’ai eu le meilleur âge de sa vie, et que jamais jeune homme n’a rendu une jeune femme aussi heureuse que je le fus ; nous ne nous quittions pas d’un instant, et jamais je n’eus un instant d’ennui auprès de lui. Son esprit était une encyclopédie d’idées, de connaissances et de talents qui ne sépuisa jamais pour moi. Il avait le don de savoir toujours s’occuper d’une manière agréable pour les autres, autant que pour lui-même. Le jour il faisait de la musique avec moi ; il était excellent violon, et faisait ses violons lui-même, car il était luthier, outre qu’il était horloger, architecte, tourneur, peintre, serrurier, décorateur, cuisinier, poëte, compositeur de musique, menuisier, et qu’il brodait à merveille. Je ne sais pas ce qu’il n’était pas. Le malheur, c’est qu’il mangea sa fortune à satisfaire tous ces instincts divers et à expérimenter toutes choses ; mais je n’y vis que du feu, et nous nous ruinâmes le plus aimablement du monde. Le soir, quand nous n’étions pas en fête, il dessinait à côté de moi, tandis que je faisais du parfilage, et nous nous faisions la lecture à tour de rôle ; ou bien quelques amis charmants nous entouraient et tenaient en haleine son esprit fin et fécond par une agréable causerie. J’avais pour amies déjeunes femmes mariées d’une façon plus splendide, et qui pourtant ne se lassaient pas de me dire qu’elles m’enviaient bien mon vieux mari. »

  20. C’était alors un moment d’importance pour MM. les fermiers-généraux, et si M. d’Épinay partait en tournée, c’est qu’il n’était pas des bonnes têtes du conseil de la Ferme.

    « Le bail des fermes doit se renouveler au mois d’octobre prochain. Il est étonnant le nombre de gens qui font des fonds comme ils peuvent, et qui remuent toutes les protections de la cour, à commencer par la reine, jusqu aux seigneurs et dames, pour entrer dans les sous-fermes, que l’on regarde comme une voie sûre pour faire fortune, et qui est aussi une voie aux femmes de cour pour vendre un peu leur protection. Ces projets empêchent la circulation de l’argent. »

    (Journal de Barbier, avril 1749, t.  IV, p. 360.)
  21. La place Vendôme.
  22. Madame Dupin de Francueil s’appelait Suzanne Bollioud, et était née en 1719. Elle avait trois ans de moins que son mari. C’est madame Dupin, belle-mère de Francueil, qui la lui avait fait épouser ; elle était « bien laide, bien douce, » dit Jean-Jacques, et adorait son mari qui « ne lui rendoit assurément pas l’amour qu’elle avoit pour lui. » Madame de Francueil connut le secret de Jean-Jacques, lorsqu’il eut mis ses enfants aux Enfants trouvés, et on sait qu’il y a dans la correspondance de Rousseau une lettre importante qu’il lui a écrite pour se justifier. Elle est datée du 20 avril 1751.
  23. Entre autres l’excellent Collé, qui était de la société intime du Palais-Royal, et qui a laissé un journal fort agréable et fort instructif dont nous préparons une édition.
  24. Il y a en effet un portrait très-agréable de Francueil dans le charmant dialogue que nous lisons. Rappelons-nous seulement, pour le corriger un peu, que M. de Francueil portait le menton trop haut, et n’ignorons pas qu’il n’en était pas à la première infidélité faite à sa femme. On l’avait même cru très-bien avec sa belle-mère, madame Dupin, mais rien ne l’avait prouvé.
  25. La terre de Chenonceaux, dans la haute Touraine, entre Montrichard et Amboise, où il y a un superbe château bâti par Henri II.