Louÿs — Littérature, Livres anciens, Inscriptions et belles lettres/Livres anciens 2.

Slatkine reprints (p. 110-113).

LA PREMIÈRE ÉDITION

DE JOACHIM DU BELLAY


Un exemple entre tous montrera quelles lacunes offre la bibliographie du XVIe siècle telle que le XIXe nous l’a laissée : — la première édition de Joachim du Bellay sous le titre d’Œuvres est restée inconnue au Manuel de Brunet, au Supplément de Deschamps et à la Pléiade Française de Marty Laveaux. Un bibliophile tout au moins l’avait cependant retrouvée sous le second Empire, puisque le maroquin de mon exemplaire porte la signature de Capé, est mort en 1867 ; mais il est des amateurs de livres qui ne veulent avoir aucun rapport avec les bibliographes, sous prétexte que l’on tombe vite de l’examen dans la description, de la description dans l’analyse, de l’analyse dans la réimpression et que chacune de ces épreuves est un danger pour la beauté du livre. Sans doute mon exemplaire ne serait pas si frais s’il était resté quatre mois entre les mains de Marty Laveaux.

Aujourd’hui, cette première édition des Œuvres a été signalée. On sait qu’elle fut donnée par Charles Langelier en 1561, l’année même où Fédéric Morel publia (sans titre collectif) quelques livrets séparés que l’on trouve parfois réunis en forme de recueil factice.

Mais on ne peut confondre ces deux publications. Lisons le privilège de Charles Langelier, qu’il imprime in extenso et dont voici les lignes principales :


Charles, par la grace de Dieu, Roy de France…

Receue avons l’humble supplicatiô de nostre cher et biè aimé Charles Langelier, marchant libraire à Paris, lequel nous a faict dire et remonstre que à sa grande peine et labeur il a faict revoir et corriger fidelement un livre intitulé ŒVVRES DE IOACHIM DV BELLAY…

Donnons par ces presentes permission, privilège, congé & octroy d’imprimer & faire imprimer en telle marge, de tel caractere, tât de fois et en tel nôbre qu’il vouldra et mettre en vête et distribuer iceluy livre… durant le temps de six ans… durant lequel temps aussi ayant esgard à la composition dudict livre avons d’abondât deffendu a tous libraires & imprimeurs qu’ils n’ayent à changer ny muer LE TILTRE dudict livre, augmenter ou diminuer en iceluy soubs couleur de livre nouveau…

Donné à Paris le vingtquatriesme iour d’Avril, l’an de grace, mil cinq cens soixante et un : et de nostre regne le premier.


Pour bien comprendre les termes de ce parchemin, il faut se rappeler que Fédéric Morel avait acheté le 28 février 1560 (1559 v. s.) un privilège exclusif pour les œuvres inédites de Du Bellay et une confirmation de privilège pour quelques-uns de ses ouvrages déjà imprimés. En sollicitant et en obtenant un privilège distinct pour le titre d’Œuvres, Langelier jouait à son confrère un fort mauvais tour, mais réussit. Pendant plus de six ans, Fédéric Morel dut se résigner à publier les œuvres de son auteur par fascicules séparés sans avoir le droit de les réunir sous un titre commun. En vendant deux privilèges la caisse royale avait fait payer les deux plaideurs et pour rester en règle avec le droit strict, à l’un, elle avait vendu le mot, à l’autre la chose.

L’édition de Langelier n’est donc pas aussi complète que le fut, huit ans plus tard, celle de Fédéric Morel[1], seul propriétaire des Regrets et des Jeux rustiques ; mais elle est, de très loin, la première.

Nous n’en donnerons ici qu’une description sommaire. Elle se divise en quatre parties : 1° La Deffence et Illustration de la Langue française, 34 ff. c. et 2 ff. n. c. pour le privilège avec la grande marque des « Anges liés ». 2° L’Olive augmentée depuis les précédentes éditions. La Musagnoemachie et autres œuvres poétiques. Titre spécial et 57 ff. plus un f. blanc au recto portant au verso la grande marque. 3° L’Anterotique de la vieille et de la jeune amye ff ». 1 à 4. Vers lyriques ff. 5 à 23. 1 f. bl. 4° Recueil de poésie présenté à très illustre princesse Ma Dame Marguerite sœur unique du Roy… etc, Titre spécial et 40 ff.

L’impression est de toute beauté. Les Du Bellay originaux de Frédéric Morel (que j’ai réunis aussi) ne peuvent soutenir de comparaison avec ces premières Œuvres. Ce n’est pas que les caractères de Morel ne soient élégants, et bien gravés, mais Langelier possédait seul l’art suprême de Simon de Colines, l’art de composer une page.

  1. Ces secondes Œuvres, dont Fédéric Morel fut l’éditeur, sont du petit format, comme toutes les éditions suivantes. Il n’existe qu’une édition in-4o sous le titre d’Œuvres, c’est la première, celle de Langelier. On la connaît sous deux dates : 1561 et 1562.