Littérature orale de la Haute-Bretagne/Première partie/I/A/1/III

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Voici, à titre de curiosité, un conte que je tiens de mon ami et compatriote, M. Auguste Lemoine, qui l’a entendu aux environs de Dinard. C’est un conte de seconde main, et qui n’est par conséquent point littéral. Je l’ai rédigé en patois du littoral ; mais, pour être vrai, je dois ajouter que jamais aucun de mes conteurs ne s’est servi purement du patois pour me raconter des légendes. La plupart du temps, il y avait entre leurs récits et leur manière habituelle de s’exprimer autant de différence qu’il y en a entre la langue écrite et le langage de la conversation ordinaire.


Un saï[1] que la mère Milie[2], qu’était saïge-femme[3] de son état, était assise su n’un berchet[4] dans l’coin d’son fouyer, o ouït queuqur’un[5] qui cognait à l’hu[6] de son hôté.

O débarrit la porte, et o vit entrer sez ielle[7] eune veille femme qui li dit comme héla de veni do ielle tout cont’ Saint-Leunaire, à cette find’assister une créiature qu’était en ma d’éfant[8], Milie répondit qu’o voulait ben : o print ses solées[9], mint su son dos eune petite devantière, rapport à la fret[10] ; o cutit[11] son feu et sieuvit la veille qui cheminait devant ielle et marchait par les sentes comme s’il avait été joû.

I’y avait mêzé[12] un p’tit d’temps qu’iz étaint partis, quand Milie ouït le bru de la mé, qui menait tenant de ramaïge cont’ les roches des falâses.

— Eioù qu’ous me menez ? qu’o dit[13]. Voul’ous me faire aller diqu’à[14] la Goule-ès-Fées, ousque n’en dit qu’on vaït des fions d’aut’ faïs[15] ?

— Vère[16], Milie, que li repondit la veille ; j’allons directement là. Prends ma main ; tu n’as que faire d’avaï poû[17] ; je n’veux point te défalâser[18]. Sieus-ma, et tu renras service à ieune de tes semblabes.

Milie arait ben voulu êt’e cor sez ielle au coin d’son fouyer, ou ben dans son let ; mais olle était forcée d’aller éioù que l’aut’e la menait, et o marchait sur les pentières des falâses comme su n’eune route messière.

E’ finirent par arriver à la Goule-ès-Fées, qu’est eune grotte escarabe[19], quasiment aussi grande que ielle à Poulifée ou la Salle à Margot, que les monsieux vont va quand le temps est biau, et qui sont au bas des falâses de Ferhel. O vit su n’un let eune femme toute jieune et qu’avait p’usieurs personnes alentour de ielle. O li portit secoû, et bentôt o reçut un biau petit gars, ben mochet[20], qui b’sait ben sept liv’es tras quarts ou le quart maïns de huit liv’es.

Les aut’s femmes donnitent à Milie eune bouêtte où i’ n’y avait une manière d’onguent, quasiment pareil — respé d’vous — à de la graisse de pouër[21], et i’ li ditent de frotter l’éfant, et de ben s’essuer[22] les mains après de cela, ou ben qu’i li en arriverait vantiez du deu[23].

O frottit la garçaille, et sans faire mine de ren o se grattit un zieu[24] et o s’en mint un p’tit dans n’un coin. O n’eut pas p’utôt fait héla, qu’o vit tout changé alentour de ielle. La grotte était belle comme une église à la Miaô[25] ; les femmes étaint attifées comme des princeresses, et Milie n’avait ren veu de si biau ni à Saint-Malo sez les bourgeois, ni dans les châtiaux de Proubala, de Pleurtu et de Saint-Béria[26]. O vayait à l’entour de ielle toutes sortes de petits fions qui n’étaint pas plus gros que l’peuce[27], qu’étaint habillés comme des monsieux cossus, et qu’avaint à leux cautés d’z épées qui n’étaint pas p’us longues que d’s épilles à piécettes[28].

Olle était tenant[29] ébahie, mais o ne dit ren, et o frottit l’éfant diqu’à au moment où i’ li ditent de fini. V li donnitent eune bonne boursée d’argient et la ramenitent, ben contente, diqu’à sez ielle.

Depais le temps-là, o vayait par les sentes, par les clos et un p’tit partout toutes sortes de fions, mais o ne faisait mine de ren. Un joû qu’olle était à la faïre de Saint-Béria[30] éioù que les touchous de Tréméreu et d’ Peûdeûneu[31] viennent venre leux pouërs et leux nourretures[32], o vit les fées qui tenaint toutes sortes de p’tits jeux pour baiser[33] l’ pauv’ monde et li voler sa pauv’ argent. O ne dit cor ren le coup-là, mais quand ce fut su la reciée[34],à n’un moment où i n’y avait ténant[35] d’ monde au Carrousé et alentour des marchands qui vendent des saucisses de Plancoué et des cimériaux[36], o vit ieune des fées qui mettait sa main dans la pouchette de la devantière d’une chupée[37]. O s’ébérit[38] et o criit à la voleuse ! Mais la fée se tournit devers ielle et do le daït, o li arrachit un zieu si viferment[39], qu’o ne s’en avisit que quand o fut devenue borgneuse.

  1. Soir.
  2. Émilie.
  3. Sage-femme.
  4. Escabeau.
  5. Elle entendit quelqu’un.
  6. À la porte de sa maison.
  7. Elle vit entrer chez elle.
  8. En mal d’enfant.
  9. Elle prit ses souliers.
  10. À cause du froid.
  11. Cacha.
  12. Déjà.
  13. Où me menez-vous ? dit-elle.
  14. Jusqu’à.
  15. Les fées d’autrefois.
  16. Oui.
  17. Peur.
  18. Te jeter en bas de la falaise.
  19. Escarable, énorme.
  20. Dodu.
  21. Porc.
  22. S’essuyer.
  23. Ou qu’il lui en arriverait peut-être du deuil, du mal.
  24. Un œil.
  25. La mi-août.
  26. Ploubalay, Pleurtuit, Saint-Briac.
  27. Pouce.
  28. Épingles à attacher la partie supérieure du tablier.
  29. Beaucoup.
  30. À la foire de Saint-Briac.
  31. Les marchands de cochons de Tréméreuc et de Pluduno.
  32. Leurs petits cochons et leurs cochons à moitié engraissés.
  33. Attraper, voler.
  34. Dans l’après-midi.
  35. Beaucoup de monde.
  36. Sorte d’échaudés.
  37. La main dans la poche du tablier d’une femme coiffée du Coq.
  38. Elle s’écria.
  39. Elle lui arracha un œil si vivement.