Lettres parisiennes/Année 1836/06

◄  V.
VII.  ►
1836

LETTRE SIXIÈME.

Commérage. — Les jeunes filles ambitieuses. — Junie épouserait Néron.
— Virginie épouserait M. de Labourdonnaie.
30 novembre 1836.

On a comméré cette semaine sur toutes sortes de sujets. Beaucoup de fausses nouvelles nées subitement et plaisamment démenties ; quelqu’un disait-il : Berryer est parti hier pour Goritz ; au même instant la porte du salon s’ouvrait, et l’on voyait entrer M. Berryer. Savez-vous la nouvelle ? lui disait-on, Berryer est parti pour Goritz. Et M. Berryer affectait un air d’incrédulité. — Puis on parlait de la session prochaine, de la majorité, de la minorité. Les badauds politiques se frottent les mains et se réjouissent : La session sera fort intéressante, disent-ils ; les gens sages haussent les épaules. Tant pis, répondent-ils, nous n’aimons pas les sessions amusantes ; nous préférons de bonnes lois ennuyeuses à d’éloquentes querelles inutiles. Les députés ne sont pas faits pour divertir le pays, volontairement du moins. — Nous pensons comme ces gens-là, et nous avons vu avec peine qu’en Angleterre on voulait accorder aux femmes la permission d’assister aux séances du Parlement. Nous croyons que tout ce qui donne l’air théâtre à la représentation nationale lui ôte de sa dignité. Les personnes qui assistent aux séances des Chambres sont de simples témoins, nous ne voulons pas que l’on en fasse un public de galeries, en y joignant des femmes plus ou moins parées. Les Anglais ont tort de nous imiter. À quoi servent les brillantes assemblées ? à faire de la tribune un tréteau parlementaire ; au lieu de députés qui discutent, vous avez des acteurs qui posent ; au lieu d’hommes d’affaires qui expriment consciencieusement et sans prétention les idées qu’ils doivent à leur expérience, vous avez des orateurs brillants qui choisissent dans leurs convictions, et quelquefois au delà, la phrase brillante qui doit produire le plus d’effet sur une brillante assemblée. Nous ne croyons pas que ces brillants succès rendent la situation du pays plus brillante.

On parle aussi de la guerre que l’ancien président du conseil va déclarer au ministère d’aujourd’hui. Les grands exploiteurs de petites haines font déjà leurs préparatifs ; déjà les hostilités commencent, grâce à leurs soins ; ils courent chez M. Guizot : Thiers, disent-ils, va vous attaquer vigoureusement : il se propose de dire ceci ; ceci ; de dévoiler ça, ça. Puis ils reviennent chez M. Thiers : Ah ! disent-ils, le ministère fait le brave ; il s’attend à tout, il se prépare à vous répondre fièrement ; il répliquera ceci, ceci ; il expliquera ça, ça… Et c’est pitié de voir la supériorité de deux hommes de talent que des circonstances passagères ont pu séparer un moment, mais qui pourraient encore s’entendre si l’intérêt général l’exigeait, misérablement exploitée par les médiocrités les plus obscures. — Et cela s’appelle faire de la politique ? Soit… Nous connaissons de vieilles commères qui n’emploient pas d’autres moyens pour révolutionner tout le quartier.

On parle encore, mais sévèrement, de la plaisante raison que les gens du gouvernement vous donnent quand on leur demande pourquoi la famille royale ne porte point le deuil de Charles X. C’est une raison politique. Vous ne savez point cela ? C’est dans la crainte de déplaire à la classe bourgeoise. La classe bourgeoise, dit-on, verrait d’un mauvais œil cette concession aux idées monarchiques. La classe bourgeoise, messieurs, porte le deuil de ses parents, et c’est une flatterie singulière qui la touchera peu, que de faire une chose inconvenante pour lui plaire. Que penseriez-vous d’un homme qui ne porterait point le deuil de son oncle, parce que son oncle l’aurait déshérité en mourant ? Or, si l’on doit porter le deuil des parents dont on n’hérite pas, à plus forte raison doit-on porter le deuil de ceux dont on a hérité par anticipation. La peur de déplaire n’est pas une peur plus noble que les autres ; il nous semble, d’ailleurs, que voilà assez longtemps que la peur sert de prétexte aux actes du gouvernement. Ce prétexte est un peu usé ; ne pourrait-on pas en changer ?

Le roi s’occupe toujours assidûment des travaux du musée de Versailles. Il passe des heures entières à parcourir ses immenses galeries, et les personnes de sa suite, qu’une aussi vive exaltation ne soutient pas, sont parfois exténuées de fatigue. Quand la nuit vient, les promenades dans le palais se continuent aux flambeaux ; des candélabres ambulants, c’est-à-dire des bougies réunies sur un même plateau, auquel tient un long manche que termine un valet de pied, suivent le roi dans tous ses mouvements, et se placent en cercle autour de lui quand il s’arrête devant un tableau. Ces cariatides vagabondes, cette procession lumineuse est d’un effet magique dans ces galeries, qui sont admirables. Le musée de Versailles est une des merveilles du monde.

Le nouveau roman de Paul de Kock a pour titre Zizine : ce nom est d’un bon présage. La réputation de Paul de Kock grandit chaque jour, malgré les dédains de nos auteurs à prétentions. Pour nous, qui croyons que le commun du genre ne nuit pas à la supériorité du talent, nous préférons un beau Téniers à une mauvaise imitation de Mignard. Nous préférons une grisette qui parle purement son langage à une princesse du Gymnase qui parle comme une ravaudeuse. Nous préférons enfin le petit monde peint avec vérité au faux grand monde, à la bonne société qu’inventent nos auteurs à la mode, et nous leur dirons franchement qu’ils n’ont pas assez d’imagination pour peindre la bonne compagnie.

M. Janin a fait un article fort amusant sur le nouveau drame de MM. Ancelot et Paul Foucher, représenté dernièrement au Vaudeville. M. Janin reproche à M. de Balzac d’avoir inspiré : 1o la comédie de madame Ancelot ; 2o le drame de M. Ancelot ; 3o l’amour de toutes les femmes de quarante ans. C’est bien dur ! Selon lui, on doit à M. de Balzac la découverte de la femme de quarante ans ; il l’appelle le Christophe Colomb de la femme de quarante ans. « La femme de trente à quarante ans, dit-il, était autrefois une terre à peu près perdue pour la passion, c’est-à-dire pour le roman et pour le drame ; mais aujourd’hui, grâce à ces riantes découvertes, la femme de quarante ans règne seule dans le roman et dans le drame. Cette fois le nouveau monde a supprimé l’ancien monde, la femme de quarante ans l’emporte sur la jeune fille de seize ans. — Qui frappe ? s’écrie le drame de sa grosse voix. — Qui est là ? s’écrie le roman de sa voix flûtée. — C’est moi, répond en tremblant la seizième année aux dents de perle, au sein de neige, aux doux contours, au frais sourire, au doux regard : c’est moi ! J’ai l’âge de la Junie de Racine, de la Desdemona de Shakespeare, de l’Agnès de Molière, de la Zaïre de Voltaire, de la Manon Lescaut de Prévost, de la Virginie de Bernardin de Saint-Pierre. C’est moi ! j’ai l’âge, le bel âge fugitif et enchanté de toutes les jeunes filles de l’Arioste, de Lesage, de lord Byron et de Walter Scott. C’est moi ! je suis la jeunesse qui espère, qui est innocente, qui jette sans peur dans l’avenir un regard beau comme le ciel ! j’ai l’âge de Cymodocée et d’Atala, l’âge d’Eucharis et de Chimène ! J’ai l’âge de tous les chastes penchants, de tous les nobles instincts, l’âge de la fierté et de l’innocence. Donnez-moi place, monseigneur ! Ainsi parle le bel âge de seize ans aux romanciers et aux dramaturges ; mais aussitôt romanciers et dramaturges de répondre : Nous sommes occupés avec votre mère, mon enfant ; repassez dans une vingtaine d’années, et nous verrons si nous pouvons faire de vous quelque chose. »

Eh ! mon Dieu ! est-ce la faute de M. de Balzac, si l’âge de trente ans est aujourd’hui l’âge de l’amour ? M. de Balzac est bien forcé de peindre la passion où il la trouve ; et, certes, on ne la trouve plus dans un cœur de seize ans. Autrefois, une jeune fille se faisait enlever par un mousquetaire ; elle s’enfuyait du couvent par-dessus le mur, à l’aide d’une échelle ; et les romans de cette époque étaient remplis de couvents, de mousquetaires, d’échelles et d’enlèvements. Julie aimait Saint-Preux à dix-huit ans ; à vingt-deux, elle épousait par obéissance M. de Volmar : c’était le siècle. Dans ce temps-là le cœur parlait à seize ans ; mais aujourd’hui le cœur attend plus tard pour s’attendrir. Aujourd’hui Julie, ambitieuse et vaine, commence par épouser volontairement, à dix-huit ans, M. de Volmar ; puis à vingt-cinq ans, revenue des illusions de la vanité, elle s’enfuit avec Saint-Preux, par amour. Car les rêves du jeune âge maintenant sont des rêves d’orgueil. Une jeune fille n’épouse un jeune homme qu’à la condition qu’il lui donne un rang dans le monde, une belle fortune, une bonne maison. Un jeune homme qui n’a que des espérances est refusé ; on lui préférerait un vieillard qui n’a plus rien à espérer. Vous parlez des auteurs anciens, ils peignaient leur temps. Laissez M. de Balzac peindre le nôtre. La Junie de Racine, dites-vous ? — Mais aujourd’hui elle choisirait bien vite Néron pour être impératrice. — Manon Lescaut ? — Mais vous la verriez mettre à la porte Desgrieux pour un vieux maréchal de l’Empire. — Virginie ? — quitterait Paul pour épouser M. de Labourdonnaie. — Atala ? — Atala, elle-même, préférerait au beau Chactas le père Aubry, si le vieillard n’avait fait vœu de pauvreté. — Mais voyez donc un peu les femmes passionnées qui, de nos jours, font parler d’elles : toutes ont commencé par un mariage d’ambition ; toutes ont voulu être riches, comtesses, marquises et duchesses avant d’être aimées. Ce n’est qu’après avoir reconnu les vanités de la vanité qu’elles se sont résolues à l’amour ; il en est même qui ont recouru naïvement après le passé, et qui, à vingt-huit ou trente ans, se dévouent avec passion au jeune homme obscur qu’à dix-sept ans elles avaient refusé d’aimer. M. de Balzac a donc raison de peindre la passion où il la trouve, c’est-à-dire hors d’âge. M. Janin a raison aussi de dire que cela est fort ennuyeux ; mais, si cela est fort ennuyeux pour les lecteurs de romans, c’est bien plus triste encore pour les jeunes hommes qui rêvent l’amour, et qui en sont réduits à s’écrier dans leurs transports : « Que je l’aime ! Oh ! qu’elle a dû être belle ! »