Lettres familières écrites d’Italie T.1/Excursion au Vésuve

LETTRE XXXI

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AU MÊME


Excursion au Vésuve.


Rome, 26 novembre.


Doucement, doucement, mon ami, ce n’est pas fait ; croyez-vous en être quitte à si bon marché ? Allons, secouez un peu votre petite paresse ; je vais vous faire faire un voyage de fatigue au sommet du mont Vésuve. Au retour, pour vous délasser, je vous mènerai promener à Pozzuoli, comme on donne du bonbon aux enfants après une médecine. Venez, montez dans cette chaise à


perroquet qui vous aura bientôt rendu au pied de la montagne que vous avez vue, on partant, toute couverte d’un nuage brillant ; c’est la fumée qui réfléchit les rayons du soleil. Le goufl’re en jette incessamment une fort épaisse : pour de la flamme, on en voit quelquefois la nuit ; mais cela est extrêmement rare. Au pied du Vésuve, nous quittâmes nos chaises pour prendre des chevaux. Nous montâmes, pendant un long espace de temps, cette riche et fertile montagne à travers les beaux vignobles qui portent le Lacryma- Chris ti et au très vins les meilleurs de l’Italie, sans contestation. Il est aisé de juger de l’abondance et du goût des fruits que produit un terrain si capable d’exalter la sève. Il est vrai que dans quelques .endroits nous vîmes l’économie des bourgeons un peu dérangée par les torrents de fer rouge qui ont coulé d’enhaut ; mais, malgré les ruines irréparables que causent les accidents et le danger de s’y voir exposé sans cesse, je comprends fort bien comment les gens du pays ne peuvent se détacher d’habiter ni de cultiver un canton de la terre, si riche, si agréable et si abondant. Au bout d’un certain temps il fallut quitter les chevaux et prendre des ânes, qui nous conduisirent, pendant environ une demilieue, à travers de mauvaises ravines obstruées de gros quartiers de rochers ferrugineux, et d’un cimetière de vignobles ravagés, dont on ne voit plus que les squelettes par-ci, par-là. C’est ici que commence l’abomination de la désolation. On trouve déjà des crevasses plus ou moins larges, d’oîi il sort une fumée tiède et humide. Ces crevasses, pour la plupart, ne sont pas plus larges que celles que les chaleurs de l’été produisent dans les marais desséchés ; elles se multiplient à mesure qu’on approche du sommet oîi est l’ouverture du gouffre. Mais retournons un peu la tête pour jouir du plus beau spectacle qu’on puisse trouver en Europe, de ce coup-d’œil si merveilleux qui ravit d’étonneraent, quelque idée qu’on s’en fût faite d’avance.


Les sommets des arbres et les vignobles étendus sous vos pieds, comme un tapis à qui les villages de Portici, Résina et autres, ainsi que les maisons de campagne répandues tout le long du rivage, servent de bordure ; Naples plongé à vue d’oiseau ; les plaines de la Terre de Labour, toutes semées de métairies, jusqu’aux montagnes


del principato d’Otranlo, qui ferment l’aspect à droite.

À gauche, la mer à perte de vue ; le rivage peuplé de bâtiments, avec ses tours et ses contours, qui courent depuis l’entrée du golfe de Salerno, depuis le détroit de l’île de Capri, tout le long de Nnples, du Pausilippe, de Procida, Pozzuoli, Baia, Cuma, jusqu’à Gaota, qui fait le fond de la décoration. Arrêtez-vous là tant qu’il vous plaira, et tâchez de prendre du courage pour les peines inouïes qu’il vous reste à essuyer. Ici il faut aller à pied ; il n’y a âne ni mulet qui puisse vous porter plus loin. La place est entièrement couverte des vomissements du Vésuve, tant anciens que modernes, qui se sont amoncelés là, pour la plupart, à l’exception de ce que les ruisseaux de feu ont entraîné jusqu’en bas. Ce sont des tas do> quartiers de pierres, de terre, de fer, de soufre, d’alun, de verre, de bitume, de nitre, de terre cuite, de cuivre, pétris ou fondus d’une manière écumeuse, en forme de marcassites et de mâchefer. Les pluies ont délavé cela à la longue, par où l’on voit quels sont les plus anciens ou les nouveaux dégorgements. Il n’y a rien en vérité de si hideux à voir, ni de si fatigant à traverser, que ces amas d’épongés de fer, aussi dures que raboteuses. Vous ne pouvez rien vous figurer de plus dégoûtant que ces infâmes déjections ; on marche là-dessus avec une fatigue inconcevable. Toutes ces mottes de mâchefer roulent incessamment sous les pieds et vous font, grâce à la détestable rapidité du terrain, descendre deux toises, quand vous croyez monter d’un pas. Par malheur, nous avions avec nous une troupe de paysans qui avoient quitté les vignes, tout le long du coteau, pour nous suivre ; ils étoient tous vêtus en capucins (l’habit des capucins est celui des paysans de la Calabre), et soi-disant ciceroni, armés de cordes, courroies, lanières et ceintures, dont ils s’enveloppèrent et nous aussi. Chacun de nous se vit saisi, malgré sa résistance, par quatre de ces coquins qui, nous tirant par les quatre membres, chacun de son côté, nous pensèrent écarteler, sous prétexte de nous guinder en haut ; tandis que d’autres, en nous poussant par le cul, nous faisoient donner du visage en terre si adroitement, qu’il n’y avoit que le nez qui portât. Je suis persuadé que, sans le soulagement que nous procurèrent ces maroufles impertinents, nous eussions eu les deux tiers moites de


fatigue ; avec cela, il faisoit une froidure si exécrable ce jour-là, que je n’ai pas d’idée d’en avoir jamais éprouvé de plus forte.


La bise et la roideur du talus nous coupoiont la respiration, ou nous jetoiont aux yeux un agréable tourbillon de fumée. Ainsi se passèrent trois quarls-d’heure et plus, pendant lesquels je ne cessois de soupirer pour un joli pain de sucre pointu et tout uni par les côtés, dégagé de ces vilaines scories, et qui formoit l’extrémité de la montagne. Oh ! hommes inconsidérés, qui ne savent ce qu’ils souhaitent ! Je sais bien pourquoi ce bout pointu étoit si bien nettoyé, c’est qu’il étoit si roide que rien ne peut tenir dessus. Autant vaudroit qu’il fût perpendiculaire, le malheureux, tant il s’en faut de peu. Joignez à cela qu’il est tout couvert (non pas de cendres, car on n’en trouve ni peu ni beaucoup sur le Vésuve), mais d’un petit sable lourd et rougeâtre, qui n’est autre chose que de la mine de fer pulvérisée, dans laquelle on entre à chaque pas jusqu’à mi-jambe ; et, tandis qu’on en dégage une, l’autre creuse un long sillon dans le sable, qui vous ramène tout juste au point d’où vous étiez parti. Ah ! chienne de montagne, apanage du diable, soupirail de Lucifer, tu peux bien abuser de moi tandis que tu me tiens ! Je reviendrois bien mille fois à Naples, que jamais tu ne me serois rien ; et, plutôt que de retourner voir ton goulTre infect, j’aimerois mieux

Devenir cruche, chou, lanterne, loup-garou, Et que monsieur Satan m’y vînt rompre le cou !


Dieu me soit en aide ! nous voilà pourtant tout au sommet sur le bord du gouffre, fondant en eau du travail, et percés à jour de la bise qui nous flagelle. J’ai bien peur d’y attraper quelque méchante pûrisie, comme dit Brantôme. À quelque chose malheur est bon. Quand le temps est calme ou humide la fumée nage et se condense dans le gouffre, de manière qu’on n’y peut rien voir ; il faut, pour y venir, prendre toujours le temps d’un vent du nord violent qui, tourbillonnant dans ce gobelet, le balaya et nous le fit voir aussi net qu’à travers un cristal. Je vois bien qu’il faut vous en faire une exacte description. Dans le moment j’y viens, mon ami ; mais, je vous prie, laissezmoi un peu reprendre mon souffle.


Le Vésuve a deux sommets, l’un méridional, où est le volcan actuel et sur lequel j’étois ; l’autre septentrional, appelé Monte di Somma, oîi le volcan a certainement été. Il est roide et perpendiculaire de son côté intérieur, assez semblable à une muraille brûlée et ruinée, enveloppant à demi-cintre le sommet précédent : ce qui me fît aussitôt conjecturer que le cintre, autrefois entier, s’étoit écorné et ruiné à la longue, à force de feu et de mines ; que le Somma étoit le Vésuve des anciens, à un seul sommet, dont le cratère avoit un prodigieux diamètre, et que notre Vésuve étoit une montagne nouvelle, formée de l’amas de matériaux que le gouffre lance depuis sept siècles, et qui, retombant sur eux-mêmes, ont formé le second sommet, proprement le Vésuve d’aujourd’hui, comme un coqueluchon au fond d’une tasse.


Ces conjectures paraîtroient trop hardies aux gens qui ne sont pas faits aux grandes opérations de la nature ; mais non pas à vous et à notre cher Buffon, qui connaît, mieux que personne, la construction de notre globe et les révolutions auxquelles il est sujet.


Il peut se faire que la terrible éruption où périt Pline, ait fait sauter la voûte, le cacumen de la grosse montagne et ait commencé bien fort à écorner les bords de la tasse ; du moins savons -nous qu’avant cet événement, du temps d’Auguste, le sommet du Vésuve étoit plein et presque plat.


Le gouffre actuel a la forme d’un- cône renversé, ou d’un verre à boire, terminé dans son fond par une plaine Tougeâtre, d’environ cinquante toises de diamètre et légèrement crevassée en quelques endroits ; le sol en paraît être de soufre et de mine de fer : les parois intérieurs de la tasse sont de rocher vif, scabreux, brûlés jusqu’à calcination comme de la chaux, blanc, citron, recouvert en mille endroits de soufre pur et de salpêtre, en d’autres endroits, tendant à vitrification, en quelquesuns ferrugineux, presque partout fendu de longues crevasses, d’où sort une grande quantité de fumée mal odoriférante. Vous jugerez encore mieux de la qualité du sol, à la vue de plusieurs petits morceaux des différentes espèces que j’ai fait ramasser, et que je vous montrerai.


L’orifice du volcan peut avoir, à ce que l’on m’a dit, trois centcinquantetoises,dansson plus grand diamètre, d’orient

en occident, et sa hauteur perpendiculaire n’est que de quatre-vingt-quatre toises, mesurée aussi bien qu’on l’a pu, selon les lois de l’accélération de la chute des corps, au moyen de pierres qu’on y a fait tomber à plusieurs reprises. Il est donc certain, à voir le peu d’étendue de ce gouffre, que ce ne sont pas les matières qui en sont sorties qui ont pu recouvrir la ville d’Ercolano, ni produire l’énorme quantité de toises cubiques de terre ou autres matières dont le rivage de la mer est exhaussé depuis l’ancien sol d’Ercolano jusqu’au sol actuel de Portici ; mais il faut remarquer qu’autrefois la montagne, autant qu’on en peut juger par le récit des anciens, n’avoit qu’un sommet. J’avois fait porter des cordes pour me faire descendre par-dessous les bras, dans le gouffre, quoi qu’il en pût arriver : mais cela n’étoit ni si difficile, ni si périlleux que je me l’étois imaginé : la descente, quoique rapidissime, n’est pas impraticable d’un côté. Je me fis sangler par le milieu du corps, et tenir en lesse par deux ciceroni, pour prévenir la roulade en cas de chute. En cet équipage, je descendis dans le gouffre soixante ou quatre-vingts pas ; puis, reconnaissant que je ne verrois rien de plus à aller jusqu’au fond que je découvrois parfaitement, et faisant quelques réflexions sur mes souliers qui brûloient déjà et sur l’épouvantable fatigue qu’il y auroit pour remonter, je me fis retirer en haut, à peu près comme on tire un seau d’un puits. Vous me direz peut-être que j’eusse été bien étonné si, pendant que j’étois là, Mons du Vésuve fût venu à flamboyer ! Etonné ! Ah ! je vous le jure, et même confondu. Mais cela n’est pas à craindre.


Quand il doit y avoir une éruption, elle s’annonce d’avance par des espèces de coups de canon que la montagne a coutume de tirer. À présent ne vous attendez pas que je vous explique quelle est la cause qui produit de si terribles effets. Je n’en ferai rien pour plusieurs raisons, dont la première est que je ne le sais pas. Je crois qu’il y a bien d’autres personnes dans le même cas. Les académiciens de Naples me disoient qu’il n’y a point de feu intérieur ; que c’est un simple ferment qui y cause lit chaleur et la fumée, que les vapeurs qui s’élèvent de la mer sont l’aliment perpétuel de ce gouffre qui les englobe ainsi que tout l’air d’alentour, par une attraction T. j. 12


chimique, et s’en remplit jusqu’à ce que l’abondance de la matière y produise inflammation, et ejisuite dégorgement. En effet., le cratère commence à bouillir par le fond, et s’élève comme du lait sur le feu, jusqu’à ce que la force de la chaleur, cassant le pot en quelque endroit, le fasse couler. Ils veulent encore douter s’il y a dans la montagne des souterrains intérieurs ; mais, outre que les tremblements de terre l’indiquent assez, ce me semble, je ne comprendrois pas comment, s’il n’y avoit pas de tuyau intérieur pour faire l’effet d’un canon ou au moins d’un mortier à bombes, la montagne pourroit lancer, comme on m’a dit qu’elle avoit fait en dernier lieu, des pierres d’un calibre épouvantable, aussi haut qu’elle est haute. Elle jette des cendres ou du sable jusqu’à plus de trente lieues. Il est de notoriété qu’elle en a porté d’autres fois, peut-être à la faveur du vent^ jusqu’à Rome ; c’est une distance presque double : Dion Cassius dit même jusqu’en Egypte, lors de l’accident de Pline, ce qui me semble incroyable. Lors de l’éruption de 1631, l’une des plus terribles qu’il y ait eu et oh cinq à six mille personnes périrent, le gouffre tiroit des rochers rouges qui allumoient les arbres en les touchant. Malgré les ravages que font ces évacuations, c’est encore pis quand la montagne ne les a pas ; elle souffre alors des vents et de la colique, si bien qu’elle secoue tout le pays d’alentour, et cause encore bien plus d’épQuvante. Enfin, si vous en voulez savoir davantage sur les causes de tout ceci, je vous renvoie à un long passage de Lucrèce [lib. VI.) qui s’est efforcé d’expliquer en beaux vers les effets de l’Etna ; mais, pour vous dédommager de la stérilité de ma physique, je vais vous donner un petit détail de l’éruption arrivée il y a deux ans. Je l’ai extrait d’un journal qu’en a tenu l’abbé Entieri.


Dès la fin d’avril 1737, le Vésuve s’étoit mis à jeter fréquemment des flammes avec de la fumée. Le 14 mai, ceci se renforça beaucoup, et le 16, la cime commença à lancer des pierres rouges et à laisser couler quelque peu de matières fondues. Le 18, le sommet étoit tout couvert extérieurement d’une pluie de soufre. Le 19, le bruit et le frémissement intérieur devinrent horribles à entendre, la fumée étoit d’une noirceur extrême, et il partit des quartiers de roches qui rouloient en retombant le long du


talus, avec un terrible fracas. Le 20, l’incendie fut à son plus fort période ; la fumée, noire comme de la poix, enveloppa toute la montagne de gros tourbillons ; la cime prit feu de tous côtés ; la flamme parut très-vive malgré la clarté du jour, et le gouffre lançoit incessamment le fer, le soufre, la pierre ponce, etc., comme une grenade qui éclate. Sur le soir, la fumée se mit à tourbillonner plus vite, et devint grisâtre. Peu après, la montagne tira un coup de canon épouvantable ; au coucher du soleil, on vit quec’étoit le creuset qui s’étoit fendu, près de son fond, du côté du midi. De cette fente sortoit une épaisse fumée, interrompue de temps en temps d’éclairs et de lances de feu, avec le bruit qu’elles ont coutume de faire. Au bout d’une heure ou deux, la nouvelle crevasse vomit un gros torrent rouge qui se mit à descendre lentement le long du talus, et à prendre le chemin du village de Résina ; mais il s’amortit, et n’avança plus, tandis que le grand orifice continuoit de jouer de la grenade. Quatre heures après, la montagne se remit en furie pis que jamais, surtout à tirer des mousquetades et à secouer la terre ; elle vomit par la bouche du côté de l’occident, et fit, par la nouvelle crevasse, une déjection si abondante, qu’elle occupoit cinq cents pas de long et près de trois cents de large. Ce torrent de fer rouge enflamma la campagne, et, continant à couler, se divisa en plusieurs rameaux, dont le plus large avoit quelque quarante-cinq pieds de large. Un d’eux descendit le 21, vint aboutir à Torre del Greco, heurta la muraille du couvent des Carmes, qu’il eut bientôt renversée, entra dans la sacristie et dans le réfectoire, oîi il ne fit qu’un fort léger repas de tout ce qui s’y trouva ; de là il traversa le grand chemin, et vint s’arrêter au bord de la mer sur les six heures du soir. Jusqu’au 24, l’éruption continua par l’orifice supérieur. Ce jour-là, après avoir fait, sur le midi, un feu d’enfer, le volcan commença à s’arrêter et à no plus éparpiller que des tourbillons de cendres. Le 28, le feu n’étoit presque plus rien. Le 29, il cessa tout-à-fait ; la fumée, aussi abondante que jamais, devint claire, blanche et délavée. Le 6 juin, une grosse pluie qui tomba sur le Vésuve, tira des torrents de fer une odeur de soufre insupportable, et qui ne s’étoit pas fait sentir à beaucoup près si fort dans le temps du grand bombardement. Tous — 26è —

les arbres à un quart de lieue à la ronde en perdirent leurs feuilles et leurs fruits. Une autre pluie, peu de jours après, fit exhaler de ces mêmes torrents une nouvelle puanteur presque insupportable, mais d’un autre genre, et qui n’avoit de rapport avec aucune des mauvaises odeurs connues. Le torrent qui avoit coulé le 21, demeura rouge à sa superficie pendant trois ou quatre jours, après lesquels l’ardeur se concentra ; au bout d’un mois et plus, quand on creusoit cette espèce de gueuse, et qu’on y enfonçoit un gros pieu de bois, il s’enflammoit à l’instant. Pendant tout le temps de cette éruption, le vent régna le plus souvent entre le sud et le sud-ouest.


Nous descendîmes du sommet avec plus de satisfaction et de facilité que nous n’y étions montés ; mais oh Dieu ! quelles furent ma surprise et la véhémence de mon indignation, lorsqu’en plongeant mes regards, j’aperçus au bord d’une ravine mon très-cher cousin ( la paresse l’avoit empêché de monter avec nous), qui, d’un air fort posé, achevoit de manger deux dindons et de boire quatre bouteilles de vin que nous avions apportés pour la halte. Je fis au plus vite écrouler sous mes pieds pierres ponces et mâchefer ; à chaque coup de talon je descendois de vingt pieds : heureusement j’arrivai assez à temps pour lui arracher un dernier pilon sur lequel il avoit déjà porté une dent meurtrière. Je me refis aussi avec un fond de bouteille et un petit flacon d’eau-de-vie qui me sauvèrent à coup sûr d’une pleurésie, baigné comme j’étois de sueur et percé d’un froid si violent. Là-dessus je pris congé du Vésuve, avec promesse solennelle de ne lui faire de ma vie de seconde visite, et je vins à Portici, maison de campagne du roi, dont je ne vous parlerai pas. Elle n’a rien qu’un fermier-général y voulût conserver, s’il l’achetoit. Le village de Portici est joli ; il a des jardins agréables et plusieurs maisons de campagne, dont quelques-unes valent mieux que celle du roi. Je pensai à aller de là à Sorrento {Surrentum) el k Salerne, où vouloit nous mener un officier français de nos amis(M. DuFresnay, major du régiment des gardes napolitaines.) J’avois encore plus envie d’aller dans l’île de Caprée visiter les mânes de feu Tibère, et exécuter quelques spintries avec la Baratti ; mais je n’eus pas le temps de rien faire de tout ceci. Je me suis consolé de Caprée, voyant depuis qu’Adisson y avoit été et qu’il l’avoit parfaitement décrite. Nous rentrâmes le même jour à Naples, fort tard et très-fatigués. Mais voudrois-je aujourd’hui n’avoir pas eu cette peine ? Voilà une considération qu’il ne faut jamais que les voyageurs perdent de vue ; il seroit bon même d’en faire une maxime générale ou précepte obligatoire.