Lettres de Rousseau aux libraires Néaulme et Duchesne

(édition de Pauline Long et Alexis François)
Lettres de Rousseau aux libraires Néaulme et Duchesne
Annales de la société Jean-Jacques RousseauTome septième (p. 107-124).
LETTRES DE ROUSSEAU
AUX LIBRAIRES
NÉAULME ET DUCHESNE

La bibliothèque de l’Université de Leyde possède (B P. L. 246) une cinquantaine de lettres autographes adressées à Néaulme, libraire à Amsterdam, par divers écrivains : Rousseau, Voltaire, le prince Galitzin, le marquis d’Argens, Francheville, Quesnel et d’autres.

Néaulme (1724-1762) collectionnait et vendait des ouvrages rares, particulièrement des livres latins. Son catalogue ne comptait pas moins de 20, 000 titres, et sa librairie avait des succursales à La Hâve, Paris et Berlin. En outre, il publiait les œuvres des écrivains célèbres de l’époque, avec ou sans permission de l’auteur.

Les lettres de Voltaire, au nombre de trois, ont été publiées dans Le Livre, Bibliographie rétrospective, 1882, vol. III (p. 347-352.) Elles se rapportent à la publication de l’Abrégé de l’Histoire universelle.

Les lettres de Rousseau, au nombre de quatre, ont trait a l’Emile ; l’une d’elles, la première, est originale ; les trois suivantes sont des copies faites par Néaulme, comme le certifie la note suivante jointe aux manuscrits sur un feuillet distinct :

Dit is de tW ! dHr. Bochhandelaar Neaulme, & yo~~e.enet~ ~t copijen van Brieven, ooA— van J. J. Rousseau, eene or, c’est-à-dire : « Ceci est de la main du libraire Neaulme, et les lettres suivantes sont des copies de lettres également de Rousseau, comme celle-ci qui est originale. »

Sur la même feuille on trouve, également écrit de la main de Néaulme :

« Le correcteur à répondu luy même à cette Lettre [probablement la première], plusieur des fautes etoit dans l’édition de Paris, est (sic) il a rendu raison des autres, est moi, jai fait faire des cartons pour le reste, je suis fachez de n’avoir pas gardé copie des Lettres du Corecteur. »

Ces lettres n’ont pas été publiées, que nous sachions. On trouve cependant dans l’édition Hachette, tome X, p. 333, n° 352. une partie de la lettre du 5 juin 1762 reproduite d’après la minute autographe qui se trouve à la Bibliothèque de Neuchâtel.

Pauline Long[1].
I
A Montmorenci le 29 Janvr. 1762.

Page 51 ligne 11 se défie de lui. On a ajouté même. Et de quel droit, Monsieur, a-t-on fait cette addition ? A-t-on pu croire que ce n’étoit là qu’une faute d’impression ? N’a-t-on pas dû voir dans l’autre lui-même qui est deux lignes auparavant, la raison qui me l’avoit fait retrancher ici ? N’a-t-on pas dû voir que n’y ayant qu’un substantif dans la phrase, j’avois jugé que le rélatif du pronom ne pouvoit être équivoque ? Il est donc clair que c’est l’auteur qu’on a voulu corriger. Quoi donc Monsieur ! je ne pourrai pas faire des fautes quand il me plaira dans mes ouvrages ? Il faudra qu’ils soient écrits à vôtre mode et non à la mienne, et cependant qu’ils portent mon nom ? Cela n’est pas juste. Commencez donc par ôter au moyen d’un carton ce mot même que vous avez ajoûté sinon mal-à-propos, du moins contre ma volonté ; otez encore le mot de[2] que vous avez ajoûté de même deux lignes plus haut, et ne prenez plus la liberté d’altérer le texte ; ou bien ôtez mon nom de l’ouvrage ; sans quoi tenez-vous assuré que je protesterai publiquement contre vôtre Edition, et je ne ferai rien en cela qui ne soit dans les plus étroites régles de la justice. Eh Dieu ! si vous continuiez à me traiter ainsi jusqu’au bout, mon livre seroit à la fin tellement défiguré que je ne m’y reconnoitrois plus. De grace, lisez vous-même ces quatre lignes avec vos belles additions et jugez[3] si vous n’avez pas l’oreille écorchée. Vôtre correcteur peut savoir mieux que moi les regles de la langue ; mais il y en a une grande que je sais sûrement mieux que lui ; c’est de les violer toutes quand il convient.

Ce qu’il y a de plaisant c’est que ce même correcteur, si hardi à corriger l’auteur, n’ose toucher aux fautes qui sont évidemment de l’imprimeur, comme par éxemple page 115 ligne 19 on a laissé la dans le doute ; et quel doute ? A quoi veut-on que ce la puisse se rapporter, puisqu’il n’y a pas un seul substantif feminin dans toute la partie de la période qui précède ? Faites que ce la puisse avoir un sens, et je vous pardonnerai de l’avoir laissé mais je vous pardonnerai encore moins de toucher au reste. On diroit que vous prenez à tâche d’être hardi et circonspect à contretems. A l’égard des virgules, mettez-en tant qu’il vous plaira ; je vous les abandonne, puisque cela vous fait plaisir.

A l’égard de celles de vos questions auxquelles je puis satisfaire sans lézer M. Duchesne je le ferai volontiers. J’estime que l’ouvrage aura au moins 60 feuilles ; il est divisé en 5 livres que j’avois mis en 3 volumes dont le libraire m’a engagé à faire quatre. Une table des matières y est necessaire. Il m’a demandé des sujets d’estampes et je les lui ai donnés ; ainsi ils sont à lui et si vous voulez être instruit de ces sujets c’est à lui qu’il les faut demander. Au reste, ce n’est pas ma faute si l’impression ne va pas plus vite ; le tems de la publication m’est absolument inconnu, et en general le Sr. Duchesne garde sur tout ce qui a trait a l’exécution de cet ouvrage le même mistére avec l’auteur qu’avec le public.

Je ne sais quels sont les termes peu usités dont vous me parlez. En écrivant en François je n’ai pas pretendu me faire entendre de ceux qui ne savoient pas cette langue, et je n’aime pas expliquer ce qui est clair. Mais vis-à-vis de vous je ne refuse pas de vous donner les éclaircissemens que vous pouvez desirer pourvu qu’il n’en soit pas question dans le livre. Je demanderai à M. Duchesne son consentement pour que vous puissiez m’envoyer des feuilles de vôtre édition, et je vous marquerai ensuite sous quel pli[4] vous devez me les addresser. Je vous saluë, Monsieur, de tout mon cœur.

J. J. Roussea.

Ecrivez-moi, Monsieur, quand cela vous paroîtra necessaire mais n’exigez pas des réponses éxactes nous (sic)[5] le plus pressant besoin. Dans ma triste situation il m’en coûte beaucoup d’écrire, et de plus, je suis fort occupé.

Avez-vous rassemblé avec soin les corrections que je vous ai indiquées ? comme elles sont toutes importantes, il ne les faut pas négliger.

J’oubliois de vous dire qu’il y aura une manière de préface, et une épigraphe au titre, mais qu’il n’y faut pas de Monsieur.

Adresse : A Monsieur | Monsieur Jean Neaulme | Libraire | A Amsterdam. [Cachet : Devise Vitam impendere vero].

II
Mommorenci 5 Juin 1762.

Je reçois Monsieur à l’instant et dans le même paquet avec 6 feuilles imprimées et 5 cartons vos 4 lettres des 20, 22, 24 et 26 May : J’y vois avec deplaisir la continuation de vos plaintes vis à vis de vos deux confreres : Mais n’etant entré ni dans les traités ni dans les negociations reciproques quel droit aurois-je de m’ingerer dans une affaire qui n’est point la mienne, et que puis-je autre chose sinon desirer que la justice soit observée et que vous soyez tous contens ? J’ajouterai seulement que j’auroi[s] souhaité, et de grand cœur, que le tout eut passé par vos mains seules ce[6] qu’on n’eut traité qu’avec vous ; mais n’ayant pas été consulté dans cette affaire, je ne puis répondre de ce qui s’est fait à mon insçu.

Je vous ai dit Monsieur, et je le répète, qu’Emile est le dernier écrit qui soit sorti et qui sortira jamais de ma plume pour l’impression. Je ne compre[n]ds pas sur quoi vous pouvez inférer le contraire il me suffit de vous avoir dit la verité. Vous en croirez ce qu’il vous plaira.

Je suis très fâché des embarras où vous dites être au sujet de la profession de foi ; mais je vous déclare encore une fois pour toutes qu’il n’y a ni blâme, ni danger, ni violence, ni puissance sur la terre qui m’en fasse jamais retrancher une sillabe. Comme vous ne m’avez point consulté sur le contenu de mon manuscrit en traittant pour l’impression, vous n’avez point à vous prendre à moi des obstacles qui vous arrêtent, et d’autant moins que les verités hardies semées dans tous mes livres devoient vous faire presumer que celui-ci n’en seroit pas exempt. Je ne vous ai ni surpris ni abusé ; j’en suis incapable ; Je voudrois même vous complaire, mais ce ne scauroit être en ce que vous exigez de moi sur ce point et je m’étonne que vous puissiez croire qu’un homme qui prend tant de mesures pour que son ouvrage ne soit point altérée après sa mort le laisse mutiler durant sa vie.

A l’égard des raisons que vous m’exposez vous pouviez Monsieur, vous dispenser de cet étalage et supposer que j’avois pensé à ce qui me convenoit de faire. Vous dites que les gens mêmes qui pensent comme moi me blament je vous reponds que cela ne peut pas être ; car moi qui surement pense comme moi, je m’approuve, et ne fis rien de ma vie dont mon cœur fut aussi content. En rendant gloire à Dieu et parlant pour le vrai bien des hommes j’ai fait mon devoir ; qu’ils en profitent ou non, qu’ils me blament ou m’approuvent c’est leur affaire, je ne donneroi[s] pas un fetu pour changer leur blâme en louange. Du reste je les mets au pis ; que me feront-ils que la nature et mes maux ne fissent bientôt sans eux ! Ils ne me donneront ni ne m’ôteront ma recompense, elle ne depend d’aucun pouvoir humain : Vous voyez bien Monsieur que mon parti est pris, quoi qu’il arrive. Ainsi je vous conseille de ne m’en plus parler car cela seroit parfaitement inutile. Mais quand à la déclaration que vous demandez pour votre décharge, rien n’est plus juste que de vous l’accorder vous n’avez qu’à en dresser vous-même la formule, me l’envoyer avec vos dernieres feuilles, et je vous la renverrai ecrite et signée de ma main.

Je n’ai pas encore pu lire les feuilles que vous venez de m’envoyer. Sitôt que j’aurai le tout je vous enverrai la note des fautes que j’aurai remarquées et que je n’aurai pas relevées précedemment. Je vous suppose instruit de la publication et suppression de mon livre ; ainsi je ne vous en parlerai pas. On dit que le Parlement se propose de poursuivre l’auteur, mais je ne pense point qu’un Corps si sage et si éclairé fasse une pareille sottise. Je vous embrasse de tout mon cœur.

(Etoit signé :) J. J. Rousseau.

Adresse : A Monsieur | Monsieur Jean Neaulme | Libraire à Amsterdam.

III
A Motiers-travers le 21 8bre 1762.

J’ai reçu Monsieur, il y a peu de jours votre Lettre du 28 Juillet et j’avois aussi reçu les Lettres que vous m’aviez écrites sous le couvert de M. le M[aréch]al de Luxembourg, avec les feuilles que vous y aviez jointes. Mais comme dans mes divers transports je n’ai pas porté ces Lettres avec moi, et qu’occupé de beaucoup de choses je suis excusable d’avoir oublié ce qu’elles contenoient je ne me rappelle point de quoi il s’agissoit dans le temoignage que vous dites m’avoir demandé dans la derniere. Si donc ce témoignage vous est encore bon à quelque chose et que je puisse vous le rendre avec verité, rappelez-moi ce que c’étoit je vous en prie, et malgré l’indifférence que vous me supposez vous me trouverez aussi pret que jamais à faire ce qui peut vous être utile ou agréable.

Je comprends combien les Etats de Hollande ont du être indignés de l’insolence avec laquelle le Parlement de Paris a fait bruler leur Privilege comme s’ils eussent été soumis à sa jurisdiction mais je ne comprends pas par quelle bizarrerie ils se sont à cause de cela pressé d’acquiescer à son inique décret en revoquant leur privilège. Je n’aurois pas cru ces Messieurs si soumis à ce Parlement ni si pressé[s] d’imiter les sottises de leurs voisins. Quoi qu’il en soit, les folies des hommes ne font point mon tort, et tout cela n’empeche pas que n’ayant rien fait que de juste, d’utile et d’honnete, je ne sois content d’avoir fait tout ce que j’ai fait, et que je ne le fisse de tout mon cœur si c’étoit à recommencer. Vos opinions ni celles du public, ni celles de ceux que vous dites être de mes amis et qui me blâment, ne changent rien à la verité des choses ni à ma maniere de penser. Comme j’ai d’autres maximes de conduite que les jugemens des hommes, tous leurs Buchers, tous leurs Decrets, tous leurs sots Discours ne me touchent gueres ; c’est pour moi comme s’ils ne disoient rien.

Cela n’empêche pas que je n’aye un vrai deplaisir des embarras où vous vous etes trouvé ; mais comme je n’en suis pas la cause, comme je n’ai point été le maitre dans cette affaire, qu’elle s’est traittée tout autrement que je ne l’aurois voulu, je ne puis que vous plaindre mais je ne saurois me repentir de rien; car certainement je n’ai ni vis-à-vis de vous, ni vis-à-vis de personne aucune espèce de tort. Du reste, marquez moi en quoi je puis vous obliger et je le ferai de tout mon cœur.

Vous m’avez envoyé la feuille K du tome II partie I à double ; de sorte que je presume qu’à la place de cette feuille il m’en manque quelque autre ; mais c’est ce que je ne puis encore verifier ; mes Livres et papiers en route depuis 6 semaines n’étant point encore arrivés. Je n’ai aussi que deux de vos Estampes savoir Orphée et Thetis. Je souhaiteroi[s] d’avoir de toute votre édition un Exemplaire complet. Si vous pouvez aisément me le faire parvenir je vous en seroi[s] obligé ; si cela est difficile, ce n’est pas la peine de s’en tourmenter.

Bonjour, Monsieur, je suis faché que la seule affaire que nous ayons fait[e] ensemble ait si mal tourné. Quoiqu’il n’y ait pas de ma faute, j’en suis faché pour vous à qui je ne cesserai point de prendre intérêt. Quand vous écrirez à Mr Guerin, je vous prie de lui faire mille amitiés de ma part. Je vous saluë, Monsieur, de tout mon cœur.

(Etoit signé :) J. J. Rousseau.

Je ne me reproche rien. Vous en êtes bien la cause quoiqu’innocente Je n’aurois jamais confié mon P. à Mr Duchesne dans l’idée ou j’étois pour vous complaire.

Adresse : A Monsieur | Monsieur Jean Neaulme | Libraire | à Amsterdam.
IV
A Moitiers-travers le 13 9bre 1762.

Vous avez pu voir, Monsieur, par ma reponse en droiture à vôtre precedente Lettre, que vous m’imputez gratuitement un oubli dont je ne suis point coupable ; vous supposez que je règle mes façons de penser sur les evenements, et vous vous trompez, je suis toujours le même, et je prends à l’ami de M. Guérin le même intérêt que j’y ai pris ci-devant. Mais fâché de toutes les tracasseries dont vous vous plaignez, que puis-je y faire ? Est-ce ma faute si parce qu’il plait au Parlement de Paris de donner aux Etats de Hollande un soufflet sûr l’une de mes joues, et à ceux-ci de m’en donner à cause de cela encore un sur l’autre vous vous sentez du contre-coup ? Je voudrois à cause de vous que tout cela ne fut pas arrivé, car pour moi je vous jure que les maussades jeux de ces troupes d’enfans ne me font que pitié, même quand j’en suis la victime.

Vous m’annoncez dites-vous Monsieur un autre ouvrage, et cet ouvrage c’est mon Emile. Je ne comprends pas bien cela. Si c’est mon Emile, il est défendu, et si ce ne l’est pas, pourquoi dites-vous vôtre. Il est vrai que vous faites entendre que c’est mon Livre mutilé. Mais c’est ce que je ne puis croire ; car vous êtes trop éclairé pour ignorer qu’un Livre de ma composition et qui porte mon nom n’apartient qu’à moi seul pour les choses qu’il contient et au Libraire pour le débit, et trop honnête homme pour vouloir vous emparer de mon bien même de mon vivant, et oser par une usurpation inouïe toucher à mon Livre sans mon aveu. Je voudrois bien savoir quel sera l’homme assez hardi pour mêler son travail au mien, inserer ses liaisons dans mon ouvrage et faire passer ses idées sous mon nom ? Il faut s’attendre à tout de la part des hommes mais je pourrai toujours apprendre au public votre procédé et ce que j’en pense, et je doute qu’aucun homme honnête en puisse être instruit sans indignation. Au reste j’attendrai de voir ce curieux ouvrage pour dire mon sentiment sur la conduite de mon associé. Qoique je fisse peu de cas des gens de Lettres, j’avoue que je n’en croyois aucun capable d’une pareille iniquité.

Le frontispice dont vous m’avez envoyé l’épreuve me paroît assez bien gravé mais je le trouve bien pompeux dans ses promesses. Ces magnifiques annonces ne sont point de mon goût. Celui qui veut aller à l’immortalité tâche de faire ce qu’il faut pour cela sans rien dire, et il a raison ; car on n’en croit pas aux auteurs sur leur parole. Je trouve plaisant aussi que vous m’ayez fait commencer mon livre par un solecisme. Ceux qui savent que j’ai un peu étudié ma langue, verront bien que ce titre traité d’éducation n’est pas de moi.

Je ne suis pas étonné, Monsieur, que vous qui me donnez des Correcteurs vous me condanniez à faire des traductions. Pour moi je vous dirai que je fais mieux encore je me condanne à faire des lacets.

Bonjour, Monsieur, je vous salue de tout mon cœur.

J. J. Rousseau.

J’oubliois de vous dire que je me suis chargé de vous parler d’un manuscrit dont Mylord Maréchal est depositaire. Voici ce qu’il m’en écrit :

Les Mémoires de Russie dont je vous ai parlé sont écrit[s] par un officier confident du mareschal Munich, bien instruit, et qui étoit a la guerre contre les Turcs et contre les Suedois. Il etoit à Petersbourg quand Biron duc de Courlande fut arrêté, et ce fut lui qui l’arrêta. Il quitta la Russie quand Munich fut envoyé en Siberie. Il y a joint un état de l’Empire de Russie. Mon frere (le Feldmareschal de Keith) qui étoit en Russie pendant tout ce temps-là m’assuroit que tous les faits étoient vrais. A l’égard du stile je le crois assez bien. Si je ne me trompe, M. de Maupertuis l’a corrigé, car l’auteur étoit allemand. Ce manuscrit appartient à la veuve de l’auteur et elle a les Plans des Batailles et autres. Si vous voulez je vous enverrai le tout à examiner.

Voyez là dessus, Monsieur s’il vous conviendroit de vous charger de ce manuscrit.

Adresse : A Monsieur | Monsieur Jean Neaulme | Libraire | à Amsterdam.


Aux lettres qui précèdent, adressées à Neaulme, nous croyons bien faire de joindre quelques lettres à Duchesne, ayant trait également à la publication de l’Emile, et qui n’ont pas encore pris place dans la Correspondance. La provenance en est variée.

A. F.
I
[7]
ce vendredi 15 [janvier 1762].

Je suis fâché, Monsieur, que vous n’ayez pu m’envoyer le commencement du 3e Volume ; cela me forcera de faire sur les épreuves le travail que j’aurois fait sur le manuscrit. sur la fin de la semaine prochaine je vous renverrai les cahiers que vous m’avez envoyés.

Mon dessein étoit de ne faire qu’une table générale à la fin du dernier volume, et ce seroit certainement le mieux : mais s’il faut absolument remplir la demi feuille restante du 2e volume, on pourra partager cette table en deux parties L’une pour les deux prémiers volumes à la fin du second, et l’autre pour les deux derniers à la fin du 4e. Cela vaudra mieux que de mettre à chaque volume sa table ; ce qui rendroit les gros volumes encore plus disproportionnés aux petits. Au reste je ne puis travailler à cette prémiére moitié de la table que je n’aye en entier les deux volumes imprimés. Je ne puis estimer ce qu’elle contiendra de pages, n’ayant encore jamais fait de table de ma vie, et ne sachant gueres comment me tirer de celle-ci ; toutefois puisqu’il le faut, je l’entreprendrai.

Voila, Monsieur, vos deux épreuves ; je vous salüe de tout mon cœur.

II[8]
Montmorency, 12 février 1762.

Puisque vos deux derniers tomes, monsieur, sont déjà si avancés, et que vous voulez continuer à tout risque, voilà deux de vos épreuves. Vous aurez les deux autres Lundi, mais je dois vous avertir que quant à ces deux derniers tomes je ne serois pas surpris que vous fussiez contraint d’en envoyer l’édition en Hollande pour la débiter à Paris, surtout si vous en gardez aussi mal le secret que vous avez fait jusqu’ici. Les embarras où je suis et où vous pouvez être viennent tous de votre faute. Pour moi, je sais bien que si dans le tems de notre traitté l’on ne m’eut pas assuré que vous feriez imprimer en Hollande, je ne l’aurois jamais signé. Maintenant que me voilà engagé et vous aussi, il faut s’en tirer du mieux qu’on pourra. Pensez bien à ce que vous avez à faire, et après cela ne barguignez point dans le parti que vous avez pris. Ou suspendez tout à fait ou poussez l’impression avec la plus grande rapidité ; ce sont vos lenteurs qui laissent fermenter les discours publics et qui nous perdent. Il n’y a point dans le cas où nous sommes de plus mauvais parti que d’hésiter ou temporiser.

Je persiste à croire qu’il est à propos de donner d’abord les deux prémiers volumes pour calmer un peu la grande inquiétude du public, et pour lui laisser croire, s’il est possible, que les deux autres ne s’impriment pas dans le même lieu. J’ai mis à la tête du manuscrit le titre et l’épigraphe que doit porter le pr volume. Les titres des autres volumes doivent être semblables, mais il n’y faut pas mettre l’épigraphe. La disposition est une affaire de typographie que j’abandonne à votre goût. Il suffira de m’en envoyer l’épreuve ou le modèle pour vous en marquer mon avis. Je ferai en sorte que vous ayez la table quatre ou cinq jours après que j’aurai receu la fin du tome pr Quant à la préface, quoique je sois très peu en état d’y travailler maintenant, cependant je ne vous la ferai pas non plus attendre, ou le chiffon qui en tiendra lieu, mais comme ce travail ne doit point se faire à l’avance, marquez-moi précisément le jour où vous voulez la faire composer, et je vous l’enverrai avant ce jour-là. Au reste, ce sera tout au plus l’affaire de 4 ou 5 pages — d’autant plus que le pr volume n’est déja que trop gros par raport au second.

Depuis que les dessins sont faits, vous ne m’avez plus parlé des planches. Seroit-il possible que vous les eussiez oubliées, ainsi que l’édition que vous aviez promise. En ce cas vous seriez d’autant plus inexcusable que c’est vous qui les avez demandés, et que cela m’a obligé d’inserer des additions dans le texte pour en amener les sujets ; ce sont surtout les trois prémiéres dont nous avons maintenant besoin. Si par bonheur elles étoient faites, ou à peu près, je dois vous prévenir que quoique j’eusse d’abord pensé à y mettre des inscriptions j’ai changé d’avis, et qu’il n’y en faut point. Je vous salue, monsieur.

P.-S. — Les trois estampes qui doivent entrer dans les deux prémiers volumes sont Thétis, Chiron et Hermès. Vous dites qu’il vous reste 8 pages à la fin du pr tome, en vous servant d’un caractère un peu gros pour la préface elle pourroit à peu près remplir cela, car pour la table elle fera sûrement plus de 8 pages.

III[9]
19 fevr [1762].

La partie du manuscrit que M. Neaulme demande[10] n’est pas du pr. volume, mais du 3e. Je ne sais d’où lui vient cette préférence, mais vous comprenez que ce 3e volume n’étant pas imprimé, c’en est assés pour ne pouvoir rien écarter de ce qui s’y rapporte, à cause des transpositions. Ainsi avant de lui rien envoyer, je lui ferai ma difficulté et j’attendrai sa réponse.

Quand il y a eu de doubles épreuves, j’ai quelquefois négligé de vous renvoyer la prémiére devenue alors inutile, mais je n’ai jamais retenu aucune épreuve nécessaire au travail ; Et, loin d’être en arriére, j’ai même demandé une seconde épreuve de la feuille E du 3e Tome, laquelle ne m’est pas venue. Ce que je vous renvoye n’a pas besoin de 2e épreuve, et j’espère que la suite sera dans le même cas.

Ce Dim. 4 [avril 1762].

Puisque vous voulez, Monsieur, les explications des figures, si vous n’avez pas encore fait graver le mot au dessous de chaque estampe, ne le faites pas et au lieu de cela, faites imprimer sur le verso du titre du pr tome les explications suivantes. J’opine à les joindre toutes sur ce pr titre afin que cela fasse comprendre au public que les deux derniers tomes sont imprimés et lui donne sur cette idée la confiance de prendre les deux premiers ; car on n’aime point achetter un ouvrage imparfait. Si le mot est déjà gravé sous chaque planche, laissez-le et ne donnez point d’explication ; car il n’y a rien de si plat que d’expliquer deux fois la même chose. Au surplus, quelque parti que vous preniez, prenez-le définitivement, je vous prie c’est trop longtems chipoter entre nous sur la même chose.

Voilà l’épreuve qui répond à la partie du manuscrit que j’avois receue seule ; cette épreuve étoit avec celles de la table dans un second pacquet que l’Epine m’a apporté hier avec l’autre, et lequel paroit avoir trainé longtems quelque part et même été décacheté.

Il faut absolument ôter toute la note de la page 10 du prémier tome car je n’y pourrois rien substituer qui dans la circonstance présente ne déplût au gouvernement. Ce carton-là, par parenthèse, est plaisamment fait il ne contient rien de plus ni de moins que le feuillet auquel il est substitué autant valoit laisser le feuillet même[12]. Le carton J. 6 du tome 2 peut demeurer tel qu’il est. Celui de la p. : 8 est bien aussi. Il n’y a dans tous ces cartons que la note susdite à ôter, et quelques fautes d’impression à corriger. Il seroit à propos de m’envoyer une seconde épreuve de ces cartons corrigés, et de suspendre de les tirer jusqu’à ma réponse.

Je vous prie de faire revoir ces épreuves, parce que je n’ai pu les lire qu’à la hâte et qu’il faut fermer mon pacquet. Je vous salue, Monsieur, de tout mon cœur.

Rousseau.
V
[à Duchesne et Guy.][13]
Ce Vendredi 16 [avril 1762].

Je vous remercie, Messieurs, de vôtre envoi. Me voila bien pourvû d’instrumens et de science grace à vos soins. Il ne me manque plus que de quoi employer tout cela ; n’ayant pas encore un seul volume complet à pouvoir couvrir.

Il faut ôter le titre d’Avertissement ; je trouve les lignes bien serrées. Bon jour, Monsieur, je ne puis vous écrire…



  1. Notre confrère, M. K.-R. Gallas, professeur à Amsterdam, a bien voulu collationner les épreuves des lettres à Néaulme sur les originaux.
  2. page 26 (note de Rousseau).
  3. Rousseau avait écrit d’abord voyez.
  4. Rousseau avait écrit d’abord : à quelle adresse.
  5. Sans doute pour sans.
  6. Minute : et.
  7. Manuscrit autographe, Bibl. de Genève, Ms. fr. 232.
  8. Publié par M. Genonceaux dans la Revue des Indépendant du 1er mars 1900, p. 6 et 7.
  9. Billet autographe, s. a. et s. s., Archives J. J. Rousseau, Ms. R. 46.
  10. Cf. la lettre de Rousseau à Duchesne du 13 février, dans les Œuvres, X, p. 312.
  11. Publié dans la Revue des indépendants du 16 mars 1900, p. 42 et 43.
  12. En verifiant, j’appercois le retranchement, mais ce n’est pas assés, il faut oter la note entière.
  13. Ms. aut., Archives J. J. Rousseau, Ms. R. 41 (rédigé sur une demi-page, dont le reste manque avec la fin du billet.)