Lettres de Madame Roland de 1780 à 1793/Lettres/1783

Imprimerie nationale (p. 209-281).
ANNÉE 1783.



AVERTISSEMENT.

En 1783, les Roland ne quittèrent pas Amiens, sauf deux voyages de l’inspecteur à Paris ; au premier se rapportent les lettres du 16 janvier au 5 février ; au second, les lettres du 19 au 31 août.

On verra, par les lettres à Bosc, que Roland fut sérieusement malade à la fin de février et en mars.

Nous n’avons, pour cette année-là, aucune lettre de lui à sa femme ; c’est un moyen de contre-épreuve qui nous manque. Les seuls points de repère que nous trouvions sont les lettres suivantes de Roland :

Pap. Rol., ms. 6243, fol. 134, un brouillon de lettre au libraire Moutard, du 25 janvier 1783, daté d’Amiens, bien que l’inspecteur fût alors à Paris ; mais ce n’est qu’un brouillon ;

Ibid., fol. 101, une lettre, datée d’Amiens, 25 février 1783, a MM. de l’Académie de Lyon, au sujet d’une polémique qu’il avait avec Brisson, son collègue, inspecteur des manufactures de la généralité de Lyon (cf. fol. 131-132, deux lettres de Roland, du 12 juillet 1782, sur le commencement de cette querelle) ;

Ibid., fol. 119-120, deux lettres de lui, datées d’Amiens, des 1er octobre et 14 décembre 1783, à son ancien ami l’abbé Auger (voir Appendice D), pour lui demander d’appuyer sa candidature au titre de membre correspondant de l’Académie des Inscriptions ;

Ibid., fol. 102, une lettre du 12 décembre 1783, à M. Maret, secrétaire perpétuel de l’Académie de Dijon, où il le remercie de son élection d’ « associé non résident » ;

5° Une lettre de lui à Bosc, du 1er avril 1783 (ms. 9532, fol. 155-156).

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À ROLAND [À PARIS[1]].
Jeudi au soir, 16 janvier 1783, — [d’Amiens].

Mes craintes sont trop justifiées ; tu as eu autant de fatigues et de contre-temps qu’il soit possible ; mais tu as passé mes espérances en me donnant de tes nouvelles malgré ce retard ; j’avais calculé que le courrier d’aujourd’hui ne m’apporterait rien si tu n’étais pas arrivé mardi, et j’attendais impatiemment son heure pour savoir si j’avais à me féliciter de ton voyage. Ton active tendresse s’occupe de ma satisfaction avant que tu prennes le repos dont tu avais si grand besoin ; j’en recueille le témoignage avec transport et j’y suis aussi sensible que s’il m’était nouveau. Tranquillise-toi, prends du temps, aie bien soin de ta santé et ne sois pas en peine de la mienne. L’effet de la médecine d’hier s’est prolongé dans l’après-midi, j’ai eu la nuit bonne et je souffre un peu moins de mon lait. M. d’Hervillez me fait prendre de la terre foliée de tartre, m’ordonne d’appliquer fréquemment des linges chauds, et d’éviter soigneusement le froid, très dangereux dans cette circonstance. Mes projets de sortie ne peuvent encore s’exécuter ; je suis un peu faible et le temps est horrible.

Je ne fais rien, qu’un peu de musique et des rangements de ménage ; je joue une partie du jour avec ma petite, qui est déjà venue ce matin sur mon lit après avoir déjeuné et qui s’y est jouée fort joliment. Elle aime encore sa mère et court ou crie après ses caresses, quoiqu’elle n’en ait plus le sein ; j’avais grand besoin de cette expérience et je craignais qu’elle ne fut plus attachée qu’à celle qui lui donnerait à manger. M. d’Eu m’a déjà fait deux longues visites, ainsi que M. de Bray et Flesselles ; tous font informer le matin et viennent eux-mêmes le soir. M. de B[ray] te prie de joindre à sa note d’acquisitions les Démonstrations de botanique de l’École vétérinaire[2] ; il te prévient aussi que tu peux user à l’aise de l’adresse qu’il t’a donnée, parce que le sellier ne revient de Paris que dans huit à dix jours. Je crois qu’il veut me faire encore passer une note.

Le petit Cornette[3] m’a fait voir un extrait copié à la main d’une méthode où sont d’excellentes tables d’accords qui me serviraient beaucoup ; je lui ai demandé s’il ne voudrait pas me faire un extrait semblable à celui-là, qui est destiné à une autre écolière ; le prix de 9tt m’en a fait passer l’envie, parce que j’imagine qu’a pareille somme j’aurais l’ouvrage imprimé. C’est la méthode d’Andrieux[4] pour le clavecin et la composition ; j’en prendrai le titre au juste et je te l’enverrai : il serait possible de la rencontrer d’hasard (sic). J’ignore si elle est raisonnée comme Bemetzrieder[5] mais les tables m’en plaisent beaucoup et doivent donner une grande facilité.

J’ai expédié hier toutes tes missives, grandes et petites ; une heure après, Mme Coquerel avait envoyé un couvreur, et les ouvriers travaillent aujourd’hui ; ta formule est magique. Je viens de recevoir une lettre de M. Duperron, contenant l’extrait chétif de l’Almanach d’Abbeville et la notice de deux dettes à payer, l’une de 107tt à un marchand de soie, l’autre de 36tt à son ancienne auberge. J’y ferai satisfaire demain ; je tirerai des reçus ; je demanderai une rescription pour le reste et je lui écrirai ensuite.

Mille choses tendres au frère et aux amis. Mes honnêtetés a l’excellente dame Bussière.

Le jeune Martin va toujours comme de coutume, doucement, mais de suite et bien : j’ai fait finir ces petites misères qui tenaient à la soierie, et il continue la copie de la filature. Demain je me mettrai a vérifier la traduction de l’anglais, c’est un travail de convalescente. Je n’ai pas encore vu il signor cavaliere servente ; il est toujours occupé à ne rien faire ou à politiquer ; j’ai envoyé hier un mémento qui a fait revenir l’Almanach.

Je t’écris sur ta petite table, mais je promets bien de ne plus me servir du papier que j’y trouve ; il me brouille la vue tant il boit ; je souhaite que la tienne en soit moins fatiguée. Et Mlle de la Belouze ? Et la cara cugina[6] ? poverina ! Tu ne peux encore voir ces gens-là de sitôt. Je me souviens que j’aurais pu écrire à Mlle de la Belouze…, mais il est peut-être un peu tard.


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[À ROLAND, À PARIS[7].]
Vendredi, 17 [janvier 1783, — d’Amiens].

MM. de Bray et Flesselles étant hier ensemble avec moi, je leur dis que j’avais des détails de l’affaire qu’ils connaissaient, concernant D. de La Croix[8]. Ils me demandèrent avec empressement où elle en était : je leur lus ce qui nous en avait été écrit, remarquant que ces drôles de Montdidier triomphaient, malgré les plaintes de l’évêque d’Amiens[9] qui pourrait les empêcher de rire en les réitérant. Le bon M. de B[ray], trop occupé, affairé de ce qui l’intéresse pour s’échauffer beaucoup en faveur des autres, se répandit en complaintes et finit par me lire des catalogues de Buchoz[10]. Flesselles, qui s’en allait à la comédie, revînt après la première pièce me dire qu’il irait voir demain le secrétaire de l’évêque, si je voulais lui donner l’extrait de cette lettre. J’acceptai, sans lui parler des idées que nous avions eues, ni de ce qui nous avait arrêtés et sur quoi j’avais coulé en lui faisant lecture ; de manière qu’il imagine la lettre arrivée depuis ton départ et trouve tout naturel que je ne livre pas en original une pièce qui peut renfermer beaucoup de choses particulières : moyennant quoi, il est tout chaud et tout propre à donner à la copie l’authenticité qu’elle doit avoir près de {{M.|Homelane[11] par le témoignage d’un honnête homme. Je lui ai donc fait, hier au soir, un extrait fidèle mais bien choisi, accompagné d’une lettre d’envoi, bien tournée, qui peut n’être pas sans effet ; mais le tout sans signature et sans citation qui puisse désigner l’auteur de la lettre ni de la copie : non que M. Humelane ne doive bien savoir l’un et l’autre, mais parce qu’il ne faut pas qu’un papier qui lui restera le porte.

Il est onze heures, j’ai attendu jusqu’à présent, espérant que Flesselles viendrait en sortant de l’Évêché, comme il me l’avait promis. M. Cucu sort d’ici, je l’ai reçu dans ma chambre à côté de mon lit où je suis encore. Cette terre foliée de tartre, que j’ai prise dans une tasse de thé, m’a causé le plus grand malaise durant une heure ; la bouche remplie de salive, le cœur soulevé, toujours comme si j’allais vomir ou me trouver mal. À force de linges chauds sur la poitrine, la drogue a coulé ; je me porte bien, à un peu de faiblesse près, causée par des lavements journaliers, et je vais me lever.

Je me rappelle que tu n’as pas mis M. Senart sur ta liste ; tu devrais bien l’aller voir.

M. de B[ray] m’envoie une note que, dans un autre moment, j’aurais copiée sur un même papier ; mais l’heure s’avance et j’ai beaucoup de commissions à faire faire. Je vais encore avoir recours à M. d Antic.

Je t’embrasse corde et animo.

63

[À ROLAND, À PARIS[12].]
Vendredi au soir, 24 janvier [1783, — d’Amiens].

Je ne me plains pas, mon ami, je suis touchée et pénétrée de tes motifs ; j’ai osé douter d’après ce que je me sentais, j’ai voulu…, mais enfin tu t’es affligé, inquiété de tout cela, c’est ce que j’en regrette. D’après ta lettre, j’ai aussi écrit à M. d’Hervillez pour le prier de me faire l’amitié de venir, lui disant que j’apprenais qu’il en recevait une de toi, et que je croyais qu’il verrait dans ton procédé celui d’un homme aimant, absent et inquiet, agissant et se montrant avec toute l’énergie et la franchise de son caractère ; dans le mien, celui d’une femme timide, balancée par de fortes considérations et mettant de ce nombre les égards qui lui étaient dus, etc. Je l’attends : j’avalerai la confusion d’un mensonge avec toute la simplicité qui m’a fait souffrir en le commettant, et, si l’expiation est méritoire auprès de quelqu’un, ce ne sera pas un mal inutile. Tu auras vu, par mes lettres suivantes, que cette précaution de ta part se trouve superflue, que tout s’arrangeait sans elle ; mais il ne dépend pas de moi de saisir d’abord le meilleur parti à prendre ; et, comme j’écris toujours sur le moment, que tu me juges de même, il s’ensuit de petites méprises qu’il faut bien confondre dans la masse totale des choses meilleures qu’elles.

J’ai pris, pour la seconde fois aujourd’hui, la dose de sel prescrite dans la décoction indiquée ; j’en ai été menée un peu moins rudement qu’avant-hier ; je n’en suis qu’altérée et un peu fatiguée. Peut-être le serais-je moins encore si je ne souffrais pas du tourment que je te vois. Mais c’est une chose impossible, il me semblerait plus faisable que la réflexion te tranquillisât ; et, par contre-coup, cela servirait à ma santé bien autant que tous les trésors de la pharmacie. Mon ami, je n’ai qu’une chose à te répéter, ce que j’ai de faiblesse et d’un peu de malaise n’est qu’une suite des drogues, un effet de celles que je prends encore ; il n’y a là ni fièvre, ni quoi que ce soit d’inquiétant ; le lait prend son cours, je n’en ai plus dans les mamelles ; si, malgré l’état des choses, tu reviens sans aller te reposer ta huitaine a Crespy, tu me causes la plus sensible mortification que je puisse éprouver ; tu réveilles toutes mes agitations sur ta santé, sur l’effet de tes fatigues non interrompues, etc., en un mot, tu me fais du mal. Arrange-toi aussi d’après cela.

Je viens d’envoyer tes bottes à la diligence, à l’adresse de M. Lanthenas ; je les ai garnies de paille à l’endroit des éperons pour éviter que ceux-ci soient cassés. Si ce ménagement est encore inutile, du moins est-ce tout ce qu’il en peut être de pis. Il y a, dans une des bottes, un petit fouet que j’y ai attaché. M. de Bray m’avait offert l’occasion de son sellier, mais il n’arriverait que mardi : j’ai craint que l’attente te parût trop longue. Cet homme reviendra de Paris le jeudi suivant, tu pourrais lui remettre la veille quelque paquet, si tu le jugeais convenable.

Ma fille crie et foire aujourd’hui ; elle souffre des gencives ; elle ne veut pas me quitter : nous ne sommes pas gaies. Envoie-nous la paix, mon ami, elle est tout entière dans tes mains ; rétablis le calme dans ton esprit, nourris-toi de ce qui peut te faire content, nous en serons tous mieux. Je sens qu’une lettre consolante de toi fera à ma santé tout le bien qui lui manque. Cet estomac, ces autres misères qui y tiennent seront dans le meilleur état dès que j’aurai fini ces purgations et que ton bien-être me rendra l’équilibre moral que je sens altéré. Je t’embrasse avec un attendrissement inexprimable.


7 heures du soir.
Samedi.

Je reçois ta lettre et, puisque tu m’embrasses, je me console un peu ; mais je ne sais ce que tu veux dire de cachoterie à ton égard, je te dis tout ce que je peux et tu m’attristes : voilà tout ce que je sais. Je ne me porterais pas mal si l’espèce d’anxiété où [me] met l’histoire que tu me fais avec M. d’Hervillez ne me donnait du malaise. Je ne l’ai toujours point vu, j’attends son arrivée.

M. Descroisilles[13], de Rouen, arrive et m’interrompt ; c’est la cause qui me fait finir en te disant pour lui mille choses, et te priant de me suppléer auprès de M. d’Antic. Adieu, embrasse-moi encore ; il faudra le faire plus d’une fois : j’ai le cœur très gros.


64

[À ROLAND, À PARIS[14].]
Lundi, 17 janrier 1783, — [d’Amiens].

Vivat ! je me porte mieux, car tous mes goûts renaissent avec la vivacité qu’ils ont aux beaux jours. J’ai passé la journée d’hier à lire de la poésie et faire de la musique ; les débris de Sophocle, d’Anacréon, de Sapho et des autres enchanteurs m’ont causé une douce ivresse ; je me suis embarquée dans les brillantes chimères de la mythologie, et j’ai été ravie comme au premier voyage. Je commence à croire qu’il fait bon être quelquefois malade ; ces moments de langueur qu’on regarde comme perdus sont ceux d’une régénération, d’un sommeil réparateur : on se réveille avec une nouvelle vie. Mon dîner ne m’a point fait mal, j’ai dormi profondément, j’ai commencé la journée par un petit air d’épinette, après avoir bien joué et caressé ma petite fille qui rôde sans cesse autour de moi, tire mes habits, appelle maman et demande un baiser que je suis encore plus pressée de lui donner. Je fais ranger au cabinet, et demain je m’y établis pour reprendre ma vie ordinaire ; c’est un parti qu’il faut prendre ; je ne saurais faire le plus léger travail avec ce lutin d’enfant qui ne saurait souffrir une table entre moi et lui ; toutes mes lettres sont écrites sur mes genoux près desquels est une chaise où il se tient et d’où il caresse mes mains et chiffonne mon papier.

Voilà, mon cher maître, le compte que j’ai à vous rendre aujourd’hui et tout ce que ma santé peut fournir à mon journal. Je me garderai bien de te dire : « Si tu n’y crois pas, viens-y voir ! », et tu sens ma raison qui n’est point du tout celle que tu pourrais méchamment supposer.

Je viens d’être interrompue par l’abbé Reynard ; nous avons beaucoup causé en peu de temps ; il m’a conté ce que tu sais, mais ce qui m’a paru plaisant, ce sont ses éloges affectés d’un ouvrage traduit de l’allemand sur les merveilles de la nature et de la Providence, ouvrage qu’il a trouvé à Paris, dont il est enchanté et qu’il a fini par me proposer de lire. Il ne faut pas que le titre t’en donne une idée scientifique : ce sont des méditations pour chaque jour de l’année. Bref, cela peut être bien fait et remarquable dans son genre, mais j’imagine que le bon abbé est pressé de me le procurer, comme Dom Blondin[15] était pressé de te faire lire la brochure contre Voltaire ; et ce zèle actif, manifesté à une première visite depuis un long temps que je ne l’avais vu, me parait fort singulier.

M. de Bray m’a dit hier que le départ de son sellier était retardé de deux jours, d’après quoi je présume qu’il ne faut pas l’employer pour rien faire venir ici.

J’ai vu Flesselles et lu tes lettres, fermé moi-même celle a M. Homelane qu’il allait voir hier en me quittant. Tu as fait tout cela très bien ; tes représentations à l’évêque sont dignes, fortes et pressantes ; j’ai gardé cette copie, elle est dans mon goût.

Ce pauvre D. de La Cx. [Croix] ! J’imagine que tu attendais la requête qui sollicite sa détention pour avoir cela à citer, et c’est en effet très bon.

Je ne t’en dirai pas davantage aujourd’hui, malgré ma bonne envie de causer ; mes filles ont à travailler, je veux dépêcher la sortie de l’une d’elles pour hâter d’autant son retour. Par cette raison, je n’écris pas un seul petit mot à M. d’Antic à qui je mets tout crûment une enveloppe ; c’est à toi de lui exposer ma raison et de lui dire de jolies choses pour mon compte. El fedele Achate ? Amicizia, salute, letizia a voi tutti tre ; addio, caro ; amico carissimo, ti bacio per tutto, di cuore ardente e devotissimo.

Non dimenticarmi presso del fratello di Crespy, delle care monache ; sopre tutto dimori là i otto giorni abmeno. Addio ancora, sono al tuo lato, fra voi tre, spesso, spesso, quasi sempre[16]

Je reçois les copies et ce qui les accompagne. Je suis contente aujourd’hui ; mais, par la raison que tu dis, j’ai peur que tu ne t’agites. Mettons une fois de l’harmonie, je veux dire un accord parfait, car les dissonances sont bien aussi de l’harmonie et, qui plus est, y font merveille : mais il faut promptement les sauver par une consonance. Au reste, il faut n’être pas à trente lieues pour que celle-ci se fasse entendre, et l’éloignement sera toujours la plus grande dissonance entre nous.

Je t’embrasse tendrement, embrasse nos amis, et reste avec eux encore quelques jours ; c’est un singulier souhait de ma part, car M. d’Antic a bien raison ; c’est ma réponse à sa dernière phrase que je recueille affectueusement comme toutes les autres.


65
[À ROLAND, À PARIS[17].]
Mardi soir [28 janvier 1783, — d’Amiens].

Tu m’as envoyé une charmante causerie, mon bon ami ; je la lis et relis de nouveau, c’est ma plus douce compagnie. Mes nouvelles subséquentes n’auront pas altéré, je l’espère, la tranquillité dans laquelle je te vois rétabli et qui me charme plus que je ne saurais dire. Je suis très aise que tu aies prolongé ton séjour ; je regarde cela comme autant de gagné sur le cabinet, qui m’effraye pour toi comme il effraye notre frère dont j’ai lu la lettre avec attendrissement ; mais tu te rappelleras tes promesses : tu ne travailleras pas l’après-midi, ni le soir ; nous expédierons de l’ouvrage le matin, et le reste du jour s’écoulera doucement en occupations de délassements. M. de Vin, à qui j’avais écrit un billet au reçu de ta lettre, est venu me répondre que son dégoût avait été l’effet d’un mouvement d’humeur contre une friponnerie dont, au bout du compte, il ne devait pas se punir ; qu’il garderait son édition, ne pouvant avoir présentement celle de 1800. Il m’a demandé Tavernier[18] ; je ne sais si tu l’as, je lui ai indiqué à peu près le coin des voyages : il a cherché pendant que je prenais ma leçon d’épinette, et il a emporté Paul Lucas[19] qu’il s’est trouvé sous la main. Il voulait me déterminer à aller ce soir avec Mme d’Eu, en loge grillé, voir un Grammont[20] de Paris qui est ici pour quelques jours.

J’ai trouvé plus doux de t’écrire avec mes pieds devant le feu, et j’y suis plus contente que je ne saurais être nulle part, si ce n’est à tes côtés.

Je t’envoie toutes tes copies, ci-jointe celle de la lettre à l’évêque ; j’écris à M. Flesselles pour savoir quelque chose de ce qui a résulté, et je t’en ferai part si je l’apprends assez tôt. Tu n’en sais donc rien d’ailleurs ? J’entends de l’affaire et de la requête. En vérité, je crois que ces horreurs qui nous révoltent font peu d’impression dans les cloîtres, parce qu’on y est accoutumé à toutes les petites intrigues qui y conduisent insensiblement, et, par cette raison, ceux des confrères de D. de la Cx [Croix] qui lui rendent le mieux justice sont probablement médiocrement touchés de son sort. On perd la faculté de s’identifier avec ses semblables en vivant trop avec eux dans le choc continuel des petites passions.

Je ne sais comment il a pu m’échapper de te prier de témoigner particulièrement à M. Hoffmann le vif intérêt et l’estime singulière qu’il m’inspire ; mais tu en sais tout ce qu’il faut pour suppléer à mon silence. Je désire bien qu’il trouve en lui-même toutes les ressources que je lui suppose, et je suis en peine d’apprendre ce que tu en as vu. Mais, à ton retour, ce sera l’une des choses avec mille autres dont nous aurons à causer.

Tu as donc trouvé M. Godinot[21] ? Il faut ton activité pour déterrer les gens dans le tourbillon de Paris ; il aura vu peut-être aussi Mlle de la Blz [Belouze], près de laquelle je ne suis pas en peine du témoignage que tu as pu rendre. Tu traites Panck [Panckoucke] haut la main et comme il doit être conduit par un homme d’honneur qui ne lui ressemble pas ; tout le monde crie à la friponnerie ; il s’en moquera et ne fera pas moins sa fortune aux dépens de tous ceux qui crient. L’affaire des de Lahaye[22] va se plaider à l’édification du public ; le maire se tourne gauchement sans se tirer ; il a demandé caution ; M. Flesselles s’est porté pour tel, tout simplement : cela fera bruit. Il y a dans ce pays des filles qui en feraient par leurs folies amoureuses, si elles étaient d’un autre étage ; mais pour moi qui ne regarde pas au cadre, je les plains grandement.

Mlle de Chg [Chuignes], toujours brillante et parée, se nourrit toujours, ainsi que sa mère, de superbes projets ; la paix lui ramène un lieutenant qu’on dit être sur les rangs avec bien d’autres : c’est l’embarras du choix, mais cet embarras pourrait la conduire à zéro, ou à un lot plus mince, car tous les prétendants ont les oreilles remplies de six peut mille livres, toujours sonnantes dans les paroles. Le reste se mène comme de coutume, Mme de B[ray] toujours rechignant, M. de Vin disant d’elle comme de sa souscription, et en faisant de même. Mme d’Eu est harassée de repas, etc…, ennuyée de tout, à commencer de sa personne, comme aussi elle a coutume. Elle est venue hier en longue visite matinale, sempre collo cicisbeo. J’ai fait part à M. d’E[u] de l’expédition de l’ouvrage Sonnerat[23] et du reste ; il me charge toujours et tous les jours d’amitiés sans nombre à ton intention et aussi pour les amis, avec prédilection pour M. d’Antic dont il me parle souvent. Eh ! comment feras-tu donc pour reconnaître les honnêtetés, ordonnances, etc., du docteur[24] ? Je t’embrasse. Toto corde.


66

[À ROLAND, À PARIS[25].]
Jeudi, 30 [janvier 1783, — d’Amiens].

Aux tentations répétées il est difficile de tenir ; M. d’Eu m’a poussée hier, et je vais ce soir avec sa femme voir Mahomet joué par l’acteur de Paris[26], qui nous quitte incessamment. J’ai réfléchi qu’il n’était pas trop édifiant pour mon monde de voir ma première sortie, depuis trois semaines et plus, pour aller à la comédie ; mais ce n’est pas en dévote que j’ai coutume de les édifier, et, quant à ceux à qui je dois visite, je ne suis pas censée sortie, je vais incognito.

Je ne sais encore ce qu’a fait l’évêque, mais je sais qu’il veut venir à la maison ; c’est ainsi qu’il s’en est exprimé hier, chez M. d’Eu où il rendait visite, en s’informant de ton retour, et témoignant beaucoup de désir de te parler et d’une affaire que tu lui avais recommandée et de la gravure de Rome, etc… Le temps apprendra le reste. Il me semble, en revoyant ta lettre, que j’ai bien mal calculé l’arrivée de ma précédente au moment de votre réunion, et que mon épisode tombe tout à plat ; mais, comme la bonne amitié n’est jamais hors du propos, c’est une méprise sans conséquence.

J’attends des nouvelles aujourd’hui ; M. d’Hervilliez est venu voir hier s’il n’y en avait point qui le regardassent indirectement ; au reste, il juge que l’air et l’exercice sont actuellement les meilleures choses que je puisse prendre. Au milieu de tout cela, je ne fais rien ; j’ai seulement beaucoup avancé la révision de la traduction d’anglais ; il y a une assez longue omission dont je ne sens pas la raison : il faudra bien la réparer, et ce n’est pas pour moi une petite affaire à cause de quelques mots ou noms de choses que je ne trouve pas dans le dictionnaire ; ceux que je ne pourrai deviner, je les enverrai à M. Lanlhenas qui est un habile ; et, en attendant, il me fera le plaisir de m’expliquer une expression, fort mal rendue par le traducteur, à ce qu’il me semble, mais que je n’entends pas bien non plus. Voici la phrase : « The chief shepherd’s first case is to see that each tribe is conducted to the same district it fed in the year before, and where the sheep were yeaned[27]. » J’entends tout, et c’est bien aisé, excepté it fed ; cela se prend-il pour le même chemin, ou autrement, je ne sais ; ce ne serait pas non plus pour la nourriture, ce mot s’écrit avec un e de plus. Ce passage, par conséquent, donnerait lieu à une erreur qui pourrait être grave, si le traducteur s’était trompé. À vous autres, docteurs, je laisse l’examen.

Je n’entends plus parler du brave Gosse ; n’en apprendrais-tu rien ?

Ta lettre arrive, et je juge par sa date qu’elle a souffert du retard. Je ferai ce que tu juges convenable pour la caisse, le Fougeroux et le reste. Sois tranquille à cet égard ; je crois que tu peux l’être aussi sur ma santé, sans convenir de ce que tu dis si lestement que tu te mêlais de ce dont tu ne devais pas te mêler. Repose-toi à Crespy ; embrasse mon frère, et fais-le bien aise, en le dédommageant de tant d’attente vaine ; je t’embrasse toi-même de tout mon cœur.

Je reçois avec sensibilité le mot d’amitié du fidèle Achate ; il y avait longtemps que je n’avais vu de son écriture ; je lui répondrais si j’avais plus de liberté en ce moment. Ma petite souffre des dents, crie après moi, ne se tait que dans mes bras et me préoccupe depuis une heure ; elle s’était levée très gaie ; ses cris ont commencé comme j’écrivais et m’ont fait interrompre ma lettre ; je la tiens actuellement et je griffonne d’une main gênée.

Addio, pace e letizia ; salute, etc…, sia con voi fin’ al eternita.

J’imagine que tu recevras cette lettre avant de partir ; je me trompe peut-être. Je suis brouillée avec les jours, on m’apprend qu’il n’est que jeudi ; j’ai donc daté faussement[28] et je ne sais ce que je dis dans plusieurs endroits de cette lettre. Tu t’en accommoderas telle qu’elle soit, et j’en serai contente si tu la reçois comme un nouveau témoignage del amor mio. Ti bacio per tutto.


67

[À ROLAND, À PARIS[29].]
Jeudi au soir, [30 janvier 1783, — d’Amiens].

J’arrive de la comédie où, suivant mon usage, j’ai pleuré comme une petite fille qui est au spectacle pour la première fois de sa vie. C’est quelque chose que de n’avoir pas fait pis ; car la lecture de Mahomet m’a jadis donné la fièvre. Je suis sortie à quatre heures pour aller jusque chez Mme d’Eu, que j’étais bien aise de prévenir, quoiqu’elle dût venir me prendre ; la première impression de l’air m’a rendu les genoux tremblants et la voix faible, mais, en sortant de chez elle, je n’ai plus éprouvé cet effet que d’une manière presque insensible, et j’ai jugé que je pouvais suivre notre projet sans inconvénient ; nous avons été accompagnées de MM. Suart[30] et de Vin. L’acteur, qui n’est sûrement à Paris qu’une mince doublure, est si bon ici par comparaison, que les autres semblent des machines à ressorts, encore fort mal montées. Avec un assez vilain masque et une voix médiocre, il a une déclamation assez bonne, de l’usage du théâtre, de l’intelligence, de la justesse et de la vérité dans son jeu. Je suis bien aise d’avoir été l’entendre. On a si peu de goût, d’idée, de jugement, de sens commun dans ce pays qu’on lui préfère un homme doué, il est vrai, d’une voix sonore et d’une figure plus intéressante, mais braillard, outré, se fâchant dans tous les rôles, faisant du bruit qu’il donne pour de l’âme ; tel enfin que, jouant aujourd’hui Zopire, il disait à ses enfants ces choses si touchantes que le poète lui prête du ton dont on ferait des menaces. Et nos benêts d’applaudir à ses cris. Il m’a si fort impatientée, que moi, qui suis tout bonnement où je me trouve, j’ai laissé échapper plusieurs fois très haut : « Ah ! que c’est mauvais ! » J’ai applaudi l’autre quand il m’a paru bien faire, et notre loge a deux ou trois fois déterminé les applaudissements. Je me suis tenue bien voilée ; néanmoins je sortirai demain pour faire les visites les plus pressées, les grands parents, Mme de B[ray] qui était aujourd’hui dans tout son éclat et qui m’a bien lorgnée sans pouvoir découvrir ma figure ; nous étions au second étage, mais de son premier elle était du côté opposé au nôtre. Son fils est dans ce moment l’objet des calembours. Il avait envie d’aller chez une dame de M.[31] qui devait donner un bal, et il faut noter que Mme de Chg. [Chuignes] est très liée dans cette maison ; mais ne voulant pas y être présenté par sa tante, à cause des petites bêtises de famille, il s’y est fait introduire par L’Apostole. Tu juges des allusions que cette gaucherie fait imaginer. En vérité, c’est de bien mauvais goût ! Mme d’Eu voudrait que je terminasse mes visites demain par le spectacle et un souper chez elle ; cela n’est rien moins qu’arrêté au premier égard, et, quant au second, je reviendrai très sûrement manger au logis mes pommes cuites ou mes confitures ; il n’y a que cela qui me laisse dormir.

J’ai eu tant de plaisir à revoir ce soir ma petite fille après quatre heures d’absence, j’étais si pressée de la caresser que je n’ai fait qu’un saut jusqu’à ma chambre en rentrant, et que je m’y suis tenue assez longtemps sur le plancher pour l’embrasser tout à mon aise. Pour toi, fripon, il faut que je lève la tête. M. de V[in] est venu me lire à ma toilette, ce matin, un noël terrible, fait de bonne main, un peu… je ne sais comment dire, et qu’il m’a promis de copier pour toi. Ce n’est ni le ton austère de Juvénal, ni le cynique de Piron, mais celui d’un courtisan malin, qui connaît et peint bien, et nomme tout par son nom[32].

On fait ici M. de Verg. [Vergennes] premier ministre[33]. Moi, qui ne me mêle pas des grandes affaires, j’ai donné au jeune homme à copier les morceaux essentiels de l’art du filier (sic) ; comme il vient de finir les moutons de M. Delporte et que je n’ai pas d’autre besogne à lui fournir, j’ai préféré l’occuper ainsi à faire un extrait que j’entreprendrai dans un autre moment. Je continue ma révision ; je l’aurai achevée demain, à l’exception des morceaux à traduire.

Bonsoir, cher ami, je te quitte à ce moment pour des comptes de ménage. Mme de Gomiecourt[34] m’écrit et te dit mille choses. Adieu, je t’emhrasse à tort et à travers. M. Duperron ne m’a seulement pas accusé la réception du mandat que je lui avais envoyé : je lui ai fait hier sa petite leçon, en six lignes, qu’il recevra par la poste.


68

[À ROLAND [À PARIS[35].]
vendredi, [31 janvier 1783, — d’Amiens].

Je reçois ce matin vendredi, mon cher ami, un paquet de Villefranche contenant une lettre de M. Dessertines, et, ce qui est bien meilleur, une de notre cher frère, si tendre et si affectueuse, que j’en suis pénétrée plus que je ne saurais dire ; mais je ne te l’envoie pas, tu la trouveras ici. Je ne sais à quelle heure tu partiras demain, mais j’imagine que tu recevras le courrier auparavant, et, dans tous les cas, je ne suis pas en peine de ce que deviendra ma lettre. J’envoie au fidèle Achate un petit mot italien ; je te charge de tout pour M. d’Antic, et ce n’est pas peu dire ; je ne lui écris pas, je le crois assez occupé d’ailleurs, mais je l’aime toujours-bien, et tu [le] lui diras. Adieu, mon bon ami, je tressaille en songeant que tu te rapproches de moi ; mais repose-toi bien à Crespy.

Je viens de voir M. d’Hervillez qui pense qu’il me faudra encore une petite purgation, mais qui me dit de suivre, en attendant, une ordonnance plus pressée : de l’air, de l’exercice, du far niente. Je t’embrasse affettuosissimamente


69

À MONSIEUR, MONSIEUR D’ANTIC,
secrétaire de l’intendance des postes, à paris[36].
Samedi, 1er février 1783, — [d’Amiens].

On dit que vous connaissez le diable ! et que vous le feriez pour vos amis ; d’après cela, je ne craindrai pas de vous demander un service ; non qu’il faille être enfant de Belzébuth pour le rendre, ains au contraire : il faut seulement habiter son empire et daigner s’occuper des affaires d’autrui. Or vous êtes à Paris, et vous savez aimer autre chose que vos plaisirs, ce qui n’est pas un si petit prodige ; partant, je vous charge d’une commission qui n’est pas non plus pour moi, mais pour une femme que j’aime aussi. Il s’agit de savoir s’il existe un marquis de Genlis[37] ; nous ne sommes pas tellement provinciales que nous ignorions le comte, et bien moins la comtesse-gouverueur[38] qui fait des livres et autre chose, contre et pour qui l’on fait des épigrammes et des chansons ; mais nous en sommes pour le marquis. Quel est-il donc ce personnage, qui est mari comme l’autre ? Sa fortune est-elle belle, ou du moins sûre, et peut-on regarder comme bien placé de l’argent qui serait entre ses mains et dont, avec sa femme, il constituerait une rente ? Si le marquis était imaginaire, les informations retomberaient sur le comte ; c’est bien cette crainte qui nous agite, car nous doutons qu’une personne qui aurait mis sa fortune dans de telles mains fût pour toujours à l’abri de l’indigence, et nous ne savons si la communauté de l’engagement avec la comtesse devrait beaucoup rassurer.

Mon bon ami vous quitte aujourd’hui ; il va m’apporter de nouvelles raisons de vous aimer, en me racontant tout ce qu’il vous a vu êre, et ce que vous avec été pour lui.

J’espère qu’il passera tranquillement quelques jours à Crespy ; je me porte bien ; je ne travaille presque point encore ; je suis même, pour une veuve, un peu dissipée.

J’ai été voir hier[39] la médiocre pièce de Gengiskhan où sont de si beaux rôles, entre autres celui du héros, bien rendu par un Grammont que vous dédaignez à Paris et qui brille comme un soleil au milieu de nos petits histrions.

Je vous crois dans les affaires de noces et de famille, et j’admire comment, malgré tout cela, vous avez su être à vos amis sans négliger vos occupations.

Dites, je vous prie, à l’ami Lanthenas que j’ai oublié de lui témoigner la sensibilité de la bonne fille qu’il a honorée de son souvenir ; c’est un sujet dans le cœur duquel les bons procédés se gravent profondément et qui me devient toujours plus précieux[40].

Dites-lui encore que je suis toujours la sorella sua ; e di voi che ? L’amica.

Adieu.


70

[À ROLAND, À CRESPY-EN-VALOIS[41].]
Dimanche, 2 février 1783, — [d’Amiens].

J’ai écrit hier à mon frère[42], à toi ; mais j’ai pris la douce hahitude de t’écrire tous les jours, et, semblable à ceux qui supportent plus aisément les maux de chaque journée quand ils ont fait leur offrande aux dieux, je soutiens mieux ton absence en répandant chaque matin mon cœur devant toi. Je crains aussi les retards et ton inquiétude ; je prierai l’actif ami M. d’Ant[ic] de te faire passer la présente. Je te dirai, pour ton édification, que je viens de la messe avec la petite bonne, plus douce, plus affectueuse que jamais et dont le service n’a pas besoin de comparaison avec celui de sa compagne pour me plaire infiniment. Mais il faut ajouter, pour l’intégrité de ma confession, que je vais dîner chez ma voisine avec cinq ou six hommes, ma petite santé ne s’arrangeant pas des soupers, quoique mon goût s’en accommodât mieux ; mais je collationne à sept ou huit heures, suivant le besoin, quelquefois un peu plus tard, et je suis couchée à dix heures. J’ai pris l’air hier sur le rempart, en revenant de voir Mme Baudeloque[43] : brave femme, enchantée de ma visite, et que j’ai été fort aise de rencontrer.

Mme Miot a pourtant écrit depuis peu à sa mère, qui parle de l’état de sa fille avec la tranquillité que tu lui connais : bonne tête, mais point d’entrailles !! Je ne saurais l’aimer. Il cavalière servente est retombé dans les accès de cette profonde mélancolie où nous l’avons déjà vu plongé ; j’ai causé plus d’une heure avec lui chez la dame hier : son cœur est en souffrance, ses yeux annoncent autre chose que de la tristesse, il a l’air d’un homme qui regorge d’amour dont il ne sait que faire. La touchante amitié pourrait le soutenir peut-être, mais Mme D. [d’Eu] est sèche et légère ; au reste, si elle était autre, il pourrait trop l’aimer pour sa tranquillité : car tout son mal vient d’une trempe sensible, mais sans énergie ; il a besoin d’une compagne moins pour remplir son cœur que pour le supporter. Je juge tout cela à son insu, car avec l’air de chercher à s’épancher, il ne sait le faire. En causant, je reçois des lettres : une de l’ami d’Ant[ic], qui, pressé d’occupations, me fait le plaisir de me donner des nouvelles de ton départ ; une de M. Jubié[44], que tu verras et par laquelle il offre de t’être utile auprès d’un confrère de sa connaissance[45], sous l’inspection duquel sont les manufactures de tapisseries que tu as crues de sa dépendance ; une enfin de M. Garlé[46] de Saint-Quentin, proposant plusieurs questions sur des objets de fabriques, te priant de lui faire passer quelques bobines d’échantillons et t’envoyant un mandat pour toucher le montant de cette dépense. Je vais lui répondre, non à ce qu’il désire, mais pour l’instruire de ton absence, etc., et le préparer au retard indispensable. Enfin le Cornard[47] m’a répondu en me faisant des excuses et disant qu’il croyait accuser la réception des objets envoyés en te faisant passer les états d’Abbeville, qu’il n’a pu encore obtenir, mais qu’il enverra sous peu.

J’attends mon musicien avant de sortir ; je veux écrire à Saint-Quentin.

Adieu, cher ami, je t’embrasse, j’embrasse mon frère ; mille choses aux voisines[48]. La petite est sempre la mia pazzia. Adieu.

Salut, joie, amitié et tranquillité[49]. C’est tout ce que je vous mande aujourd’hui. J’ai arraché hier à une vergette de chiendent le petit morceau de collet ci-joint, qui prouve bien démonstrativement que c’est une racine et non une panicule. Ce morceau est précieux et peut mettre sur la voie.


71

[À ROLAND, À CRESPY[50].]
Mercredi, 5 février 1783, — [d’Amiens].

Non, mon cher maître, je ne prendrai pas la poste, d’après votre recommandation que m’a fait passer l’ami Lanthenas ; je m’attendais bien à quelque chose de semblable, car cet austère silence est une chose méditée depuis longtemps : encore une fois, briccone, ce n’est pas par pénitence ce que vous en faites. Au bout du compte, je ne sais trop si je calcule bien, mais je crois la présente être la dernière que tu recevras de moi a Crespy ; arrange-toi aussi là-dessus, et ne va pas arriver à franc étrier. J’ai écrit hier à ton frère, par indulgence pour toi, afin de ne pas t’assommer chaque jour d’une épître maritale ; n’est-ce pas très bien vu ? Je n’ai point encore reçu de caisse ; le voisin attend avec impatience ; je lui ai lu hier ta lettre à P[anckoucke]. Il la trouve bien dans tes principes, mais il la juge très inutile quant à l’homme et à la chose. J’ai vu chez lui, dimanche, tous les hommes de la ville : M. Le Riche[51] y est demeuré longtemps, a demandé de tes nouvelles, etc… J’ai parlé assez lestement des arrangements de Pck [Panckoucke] sous les dénominations convenables ; je l’ai trouvé indulgent, cela m’a fait soupçonner quelque raison, et j’ai appris depuis qu’ils sont un peu alliés. Le petit poétereau qui m’attribuait des logogriphes est venu à son tour s’efforcer de faire un peu d’esprit : il mange des pois chauds, le pauvre garçon ! Le bavard Despx [Despréaux][52], bon homme au demeurant, doit t’envoyer je ne sais quel état de la province qui pourrait t’être utile ; je crois que c’est la même chose qui t’a été procurée par M. d’E[u]. Le vilain Clér.[53], le médiocre Gerbier[54], le jeune de Bry [Bray], Chamtt [Chamont] fils, ont circulé avec d’autres. Au milieu de tout cela, M. le R[iche] m’a paru le plus spirituel, et le plus estimable M. Frot [Froment], le trentième de président[55], qui annonce une âme et du sentiment. Je ne t’ai pas dit que le Dognin[56] s’était mis en frais d’honnêtetés l’autre jour a la Comédie ; je l’ai reçu avec une dignité froide à laquelle il n’est pas accoutumé ; il a dit qu’il te croyait absent, j’ai répondu que tu étais en tournée ; puis, ajoutant quelque chose sur le spectacle, comme pour me faire causer, je lui ai laissé digérer sa phrase et me suis tournée vers M. Chamt [Chamont], pour m’entretenir.

L’amie C[annet][57] ne se mariera point encore pour cette fois ; la dernière affaire proposée est une vision qui n’aurait pas le sens commun ; mais elle est pour les bonnes, qui sont en l’air, d’une incertitude qui m’impatiente et [que] je qualifie comme elle le mérite. C’est peine perdue ; elle sera toute sa vie victime d’une mauvaise tête associée à un cœur délicat, à un tempérament de feu. La mère se conduit bien et très bien ; on voit qu’il ne lui coûte pas autant de perdre celle-ci que l’autre. Les jeunes gens[58] vont revenir ce carnaval ; ce spectacle ne rétablira pas l’équilibre chez la sœur.

L’anglais de Dom. Bld. [Blondin] me fait perdre tout mon temps ; je suis des heures à chercher des mots. J’ai trouvé et traduit une petite note sur le sparte, dont tu pourras peut-être faire usage. Si j’en jugeais par ce que j’éprouve à ce moment, je croirais n’être plus aussi propre que par le passé à l’étude des langues, je m’impatiente grandement de feuilleter un dictionnaire. Oh ! mon pauvre latin ! Heureusement Eudora pourrait s’en passer. Bisognorebbe purgarmi ancora, ma s’aspetta nuove di cardinale e si deve star quieta. Adieu, cher ami, ne te presse pas ; aime-moi bien, embrasse ton frère : sono di te la tortorella.

P.-S. — j’ai reçu réponse de Vincennes ; nous déciderons à ton retour d’après les moyens de faire passer, etc…


72

[À BOSC, À PARIS[59]]
9 février 1783, — [d’Amiens].

Je ne vous dirai pas comme la femme du vieux conte : « Eh ! je veux être battue, moi ! » Je ne serais pas de ce goût-là. Mais je vous apprendrai que ce mot loup qui vous paraît si terrible, est une gentillesse, une douceur, un charmant nom qui m’est acquis, non de temps immémorial, car c’est du lendemain d’un 4 de février, il y a trois ans[60] ; je ne sais pourquoi ni comment ; mais enfin il m’est acquis, et je m’appelle « loup » pour quelqu’un, comme peut-être vous vous appelez « mon bel ami » pour quelque discrète dont vous ne parlez pas non plus. D’après cela, jugez les gens sur leurs paroles ! N’aurait-on pas autant de raison de douter de ce qu’elles signifient, que Barkley[61] en avait de douter de l’existence des corps ? Mais vous avez autre chose à faire que lire des contes, et je puis mieux faire que d’en écrire.

La tranquille soirée d’hier vous a sans doute restauré. J’ai passé cette journée à travailler fort et ferme, comme je n’avais fait depuis longtemps.

Salut et joie.


73

[À BOSC, À PARIS[62].]
1er mars 1783, — d’Amiens.

En vérité, nous ne nous entendons avec personne pour vous taire nos nouvelles, et nous serions privés les premiers s’il fallait ne pas vous en donner. Vous aurez reçu un petit mot le même jour, je crois, que votre lettre nous est parvenue ; c’est bien nous qui l’attendions avec empressement et que votre écriture réjouit toujours. Je vous exprime nos sentiments communs, tandis que le cher malade, au coin de sa cheminée, s’appuie la tête et porte la main à son cœur que la tisane soulève horriblement. J’exposerai ci-après tout ce qui le concerne, car j’ai souvent de petites craintes, de légers doutes sur la continuation des remèdes quand j’en vois des effets un peu vifs, et je suis absolument dans le cas de ces ignorants qui, n’osant juger, demandent toujours avis. Ainsi le seigneur père[63] s’armera, s’il lui plaît, d’un peu de patience ; je sens qu’il a bien des gens à qui répondre et que notre ami pourrait, avoir mal pris son temps ; mais enfin, un coup d’œil sur le journal[64] et un mot de réponse dont vous serez l’interprète aussi souvent que mon cœur en aura besoin, voila ce que je réclame.

Au milieu de nos misères, nous ne perdons pas de vue les travaux qu’elles obligent de suspendre : ainsi les instructions sur les racines étant toujours nécessaires, tout moyen pour en avoir de bonnes nous paraît bon aussi quand vous le jugez convenable ; l’ami vous prie de lui renvoyer la lettre sur cet objet qui lui a été adressée de Rouen et qu’il vous a fait passer.

Je vous prierais, moi, dans un des moments où votre chemin s’adonnerait vers le pont Saint-Michel, de vous informer, chez Bluet, de l’ouvrage in-4o qui a pour titre : Leçons de clavecin et principes d’harmonie, par M. Bemetzrieder[65], et d’un autre ouvrage en deux volumes in-8o qui y fait suite. Si ces deux ouvrages se vendaient ensemble et qu’il y eût de l’avantage à les prendre à la fois, je vous prierais de les acheter ; autrement vous n’achèteriez que les leçons in-4o. On les fera prendre de vos mains lorsque vous aurez eu la complaisance d’en faire l’acquisition.

L’ami désirerait aussi certain catalogue de livres latins, français, turcs, etc., etc., de la succession de M. Pellerin[66], qui se distribue chez P. Théophile Barrois, rue du Hurepoix.

Nous n’avons pas fréquemment non plus révélation de l’ami Lanthenas ; il est dans l’étude jusqu’au cou, et je ne lui en sais pas mauvais gré, si cela le fait content.

Voilà donc l’Académie décidée[67] ; nous venons d’avoir un petit démêlé avec celle de Lyon[68] pour une bêtise ; mais ce sont de ces nouvelles de province qui ne méritent pas d’aller jusqu’à ta capitale. Et vos jeunes mariés[69] ? Qu’en faites-vous ? ou que font-ils ? Je n’entends plus parler de M. Gosse[70] ; on dit que des Genevois ont écrit au ministère anglais pour se mettre sous sa protection et se réfugier dans la Grande-Bretagne.

Adieu, salut et joie ; amitié ne manque pas, c’est l’assurance que je puis vous donner.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Si vous pouvez prendre lecture pour me rendre réponse ce soir, je vous serai obligé[71].


74

[À BOSC, À PARIS[72].]
20 mars 1783, — [d’Amiens].

Vous êtes un bon enfant qui mérite bien qu’on l’aime de tout son cœur ; votre dernière lettre respire la sensibilité, la raison ; elle vous ferait des amis des gens estimables qui ne vous connaîtraient même que par elle. Goûts heureux, projets sages, sentiments vrais, voilà les semences du bonheur : vous les avez ; sans doute que l’événement justifiera vos droits et remplira les vœux de ceux qui vous chérissent ! Nous ne serons jamais des derniers parmi ceux-ci.

Je crois bien qu’un guide, comme les leçons en question, vous suffirait pour aller aussi loin qu’il vous plairait ; je n’en demanderais pas davantage si j’avais avec cela du loisir ; mais il me faut un maître pour déterminer un temps quelconque à donner à ce genre d’étude ; le maître est inexact : c’est d’ailleurs une pure machine avec laquelle je ne puis raisonner, et qui ne sait que remuer ses doigts pour signifier ce qu’il faut faire. Je m’impatiente et je n’apprends pas grand’chose, pas même la musique que vous m’avez choisie, et qui pourtant est facile en général ; mais le nigaud préfère me faire étudier ce qu’il sait, et je suis obligée d’y souscrire pour on tirer le moins mauvais parti qui soit possible.

Je crois que les gens qui craignent l’écroulement[73] du beau projet de la réformation dans l’administration de la justice sont très fondés en raison : ce serait un phénomène bien singulier.

Adieu ; nous vous embrassons en toute amitié et de bien bon cœur.


75

À MONSIEUR D’ANTIC.
secrétaire de l’intendance des postes, à paris[74].
24 mars [17]83, — d’Amiens.

Ayons donc espoir et patience sur votre invitation ; il est doux de recevoir des encouragements donnés par l’amitié et motivés par la science. Au reste, les circonstances sont favorables à l’impression qu’ils peuvent faire : il y a du mieux depuis deux jours, non que l’appétit soit revenu dans son activité, mais le malaise est moins grand et le teint s’est éclairci. Il est survenu, au bras même qui porte le garou, un très petit clou sur le poignet, qui fait beaucoup souffrir. Nous agirons en conséquence des indications que vous nous donnez, et je les solliciterai toujours avec autant de confiance que d’empressement dans l’occasion[75].

Vivat ! Notre cœur s’est épanoui lorsque nous avons lu dans le Mercure : « Mme Lallement s’est sauvée avec ses enfants, et M…, qui faisait les affaires de France en l’absence du consul, est péri. » Il est donc clair que notre ami n’était point à Messine, et que sa femme, ses enfants ont eu le bonheur d’échapper au malheur commun[76]. Il nous reste à savoir où il est ; tâchez de nous le déterrer. Je ne doute pas que l’affreuse nouvelle l’ait jeté dans la plus horrible inquiétude et n’ait peut-être changé sa marche ; nous sommes également persuadés que nous avons des lettres de perdues, parce qu’il a dû nous écrire lors de son départ. Ce ne sera pas la première fois que nous éprouverons cette disgrâce dans notre correspondance avec lui, ainsi que nous l’avons déjà reconnu. Nous voudrions présentement savoir où le prendre, et nous ne pouvons l’imaginer.

M. d’Eu prendra l’ouvrage que vous lui avez acheté ; il est en peine de tout ce qui tient à la botanique. L’ami prétend que si l’ouvrage de M. de Buffon est mauvais, il n’y aura rien de nouveau[77] ; et qu’on en peut dire, quant au fond, à peu près autant de plusieurs des choses qu’il nous a déjà données. Moi, je serais curieuse de savoir s’il promène avec autant de grâce son brillant pinceau sur les pierres et les cailloux qu’il l’a fait sur les animaux ; je crois que la nature vivante prête davantage à ses nuances et que le mérite des teintes ne doit pas ressortir également dans tous les sujets.

Le nom de M. de Lisle réveille en moi des idées de cristallographie ; mais je vous écouterai là-dessus, vous autres docteurs, et je ferai mon profit de vos observations. Mais vous qui connaissez l’abbé Bexon, connaissez-vous aussi sa grande sœur aux yeux noirs ? Que fait ce petit grand chantre ? la fin d’une Histoire de Lorraine ou des morceaux pour Buffon[78] ?

Si l’ami Lanthenas avait trouvé mon étoffe, je le prierais de joindre ce chiffon à l’expédition prochaîne d’Encyclopédie, etc. Dans tous les cas, salut et amitiés sans nombre à ce fidèle Achate[79].

Faites-vous toujours de la musique le vendredi ? Douce chose en vérité ! Moi, je désapprends quasi avec mon petit maître ce que j’acquiers par ma petite étude. Il faut se résoudre à ne point raisonner avec ces machines qui exécutent sans savoir pourquoi, et à tirer d’elles quelques exemples de mécanique.

Adieu, vous trouverez cette feuille barbouillée par étourderie. Promenez-vous, portez-vous bien et aimez-nous de même, car nous sommes de bonnes gens.

Du moment ou j’ai écrit ma lettre à, celui où je vais la fermer, la douleur du poignet étant devenue très vive, nous avons levé l’appareil de Basilicum que j’avais appliqué sur le clou ; les environs étaient très enflés et rouges, je viens d’y mettre un cataplasme de mie de pain et de lait[80].

Vous ne nous avez rien dit de la traduction des animaux d’Aristote ; vous êtes un terrible moderne qui oubliez nos anciens. Profane !… s’écrierait Mme Dacier ; mais, comme je ne suis rien moins, je vous le pardonne.

Je décachète ma lettre pour vous conter un autre chagrin dont la cause est bien étrange.

Nous recevons des nouvelles d’un négociant de Lyon auquel mon bon ami avait écrit pour savoir des particularités de Messine et le sort de M. Lallement, pour lequel le neveu voyageur de ce négociant avait des lettres de nous. Il nous répond que M. Lallement est demeuré sept mois en France, qu’il vient de le voir à son passage à Lyon, partant de nous, surpris au possible de ne pas avoir de nos nouvelles, de nous à qui il a écrit de Paris plusieurs fois en y arrivant, et encore la veille de son départ ; ne sachant que penser de nous et partant pour Marseille d’où il va retourner promptement près de sa femme et de ses enfants.

Dites-moi si vous imaginez rien de plus contrariant ; nous voilà, par le malheur des circonstances, séparés a jamais peut-être d’un des hommes que nous estimons le plus ; il avait promis que, s’il venait à Paris, il pousserait son voyage jusqu’ici pour nous voir. Probablement, et sans doute, M. Roland était à Paris dans le même temps que lui. Où lui adresser des lettres maintenant ? Comment détruire l’impression des apparences ? Nous avions raison de le pleurer : il est toujours perdu pour nous ; mais l’attendrissement accompagnait nos premiers regrets ; ceux d’aujourd’hui ont un caractère désolant qu’on ne peut exprimer. Connaissez-vous du remède à cela ? Maudite poste ! Je suis bien fâchée que vous y teniez de quelque façon, car je chargerais d’imprécations tout ce qui s’en mêle.


76

[À BOSC, À PARIS[81].]
[Fin mars 1783, — d’Amiens].

J’ai commencé ma lettre en étourdie, sans remarquer que l’ami avait écrit sur une demi-feuille qui doit être détachée et livrée à celui qu’elle regarde. Vous aurez la peine de couper cette partie, et je reviens à cette place où je ne sais plus ce que je voulais vous dire.

Vous ne nous parlez pas de votre santé dont nous vous avons demandé des nouvelles ; je ne sais de quel jour est votre billet, mais lui, ou la lettre qui l’a occasionné, a éprouvé du retard. Nous venons de voir le petit crapoussin de Lalande joliment bafoué dans le Journal de Paris[82] ; le voilà hautement démontré comme ignorant sur un objet où il faisait le docteur, et qui pis est, comme vilain, s’il ne veut pas augmenter le nombre des battus payant l’amende ; encore a-t-il ajouté l’insolence dont il fait montre dans ses premières réponses. Mais j’ai trouvé les journalistes bien singuliers de dire que la bienfaisance était le plaisir le plus rare que les âmes nobles puissent goûter : rare, en ajoutant délicieux, de manière qu’on ne peut prendre l’un pour l’autre, et qu’il s’ensuit qu’il n’y a guère de bien à faire dans ce bas monde, où tous sont heureux apparemment.

Nous souffrons toujours et beaucoup ; voilà deux nuits passées sans dormir. Ce clou du poignet, devenu gros, est enfin percé, mais tout n’est pas mûr encore. Battements, tiraillements, relancements, c’est une complication de sensations douloureuses et répétées. Vous jugez que l’appétit ne va guère avec cela et que le malaise est général.

Dites encore mille amitiés à notre Achate ; je voudrais lui écrire, mais je n’ai pas le temps. Adieu, portez-vous tous deux aussi bien que nous le souhaitons et que nous vous aimons.

M. de Vin, qui bientôt ira à Paris, désire vous y voir[83].

77

[À BOSC, À PARIS#1.]
1er avril 1783, — [d’Amiens].

C’est pourtant une bien laide chose qu’une femme qui se porte mal et qui va contant ses maux : mais enfin, le maître le veut. Contons donc. 1° Lors de mes misères au moment du sevrage et de l’envoi d’une sage ordonnance par M. votre père, j’avais été déjà médicamentée ; j’avais pris une bonne purgation, des lavements sans nombre et, par-dessus tout, de la terre foliée de tartre ; j’étais excessivement fatiguée, j’avais l’estomac en mauvais état, et le médecin ordinaire décida que je n’étais point en force suffisante pour prendre durant quinze jours, de deux jours l’un, l’once de sel d’Epsom ordonnée par Monsieur d’Antic. En conséquence, je ne la pris que trois fois : j’en fus bien menée, puis je m’en tins là. Cependant les forces, le bon état enfin ne revenant pas, j’en pris trois onces encore, en deux temps différents, un seul jour une fois ; puis, deux jours de suite, une autre fois. Mais, parmi quelques jours de bien-être, j’en ai beaucoup plus de malaise ; je mange peu, surtout le soir, et souvent la nuit l’estomac est gêné ; j’ai un extrême besoin de sommeil, je me couche accablée, je dors, pour ainsi dire, d’assoupissement, souvent avec agitation ; je ne me lève qu’avec effort et toujours lasse. Ainsi tout le mal se [84] réduit essentiellement à une lassitude habituelle, seulement plus ou moins grande.

Depuis quinze jours, je prends les eaux de Spa, à mes repas seulement ; elles me donnent pour le moment une chaleur dans l’estomac qui fait plaisir, et je leur attribue le bien de celui-ci, quand il fait complètement ses fonctions, ce qui pourtant n’est pas constant, comme je l’ai observé.

Je pense, je crois, que la belle saison et l’exercice qu’elle favorisera rétabliront tout, et je crains terriblement la nouvelle fatigue des purgations. Voilà très au juste mon état et ma confession, sincère, entière, etc., bien conditionnée enfin.

Adieu, portez-vous mieux que nous, mais aimez-nous comme nous vous aimons. Mille choses amicales à Achate, auquel j’écrirai aussi.

Puisse la lettre de Messine arriver à bon port ! Je m’attends bien que vous nous répondrez : « Patience » aussi pour moi. C’est fort bon à une femme lasse, fatiguée. Mais à un aussi qui a des douleurs décidées et vives ?… Je vois qu’il en faut une terrible dose. Il ne vous dit point que ce vilain petit clou l’a retenu quinze jours dans la chambre, sans sommeil, appétit. Il faut finir, adieu donc, sans recommencer pour cette fois[85].


78

[À BOSC, À PARIS[86].]
5 avril 1783, — [d’Amiens].

C’est un bonsoir que je vous envoie aujourd’hui. Il est huit heures et demie ; le moment du souper d’une provinciale ne peut être bien éloigné, mais je sais toujours où prendre celui de vous entretenir. Ne croyez pourtant pas que j’aille vous assommer d’une éternelle causerie ; vous n’avez point de temps à perdre, et je ne veux pas dépenser le mien d’une manière onéreuse pour personne, encore moins pour mes amis. D’après ce principe, bien posé, il ne reste plus qu’à venir au fait ; c’est ce que j’éloignerais bien encore jusqu’à la fin de la quatrième page, pour vous faire pièce et m’amuser, si la fantaisie ne devait le céder à la raison. Cette dame-là n’est point d’un service aisé. Quoi qu’il en soit de la réflexion, que vous prendrez pour une boutade, vous saurez que M. Maille, quincaillier, me des Lombards, fait commerce de ce chiendent fameux, ou prétendu tel, qui a exercé tant de docteurs, vous compris ; chiendent que les vergetiers emploient[87], et dont moi, ignorante, je me sers fort bien sans discuter sur sa nature. Mais il faut de la pâture pour tous les estomacs ; et l’on est si fort habitué à chercher la science dans les dictionnaires, que ce serait faire crier anathème que de n’en point mettre dans un ouvrage de ce genre, où cependant il n’y en a pas toujours. Vous voudrez donc bien voir M. Maille et, sachant en philosophe tirer instruction des moindres choses, vous éclairer avec un marchand. Vous lui demanderez d’où il tire cette marchandise, ce qu’il pense de sa nature, des préparations qu’elle peut avoir subies, etc., etc… Vous n’avez pas besoin qu’on vous fasse votre leçon, et vous n’êtes certainement pas de ceux que le poète Saadï dit ne savoir même s’enquérir : en quoi je ne prétends pas vous faire compliment, mais exprimer un fait qui se trouve au bout de ma plume.

Il me semble qu’il y a déjà deux ou trois grands jours que nous n’avons eu de vous ce qu’on appelle une lettre. Nous désirerions savoir aussi si vous avez reçu cet Art du tourbier ; l’empressement de l’auteur serait bien mal secondé, si l’ouvrage ne vous avait pas été remis mercredi dernier ; c’est à vous que la première expédition en a été faite.

Nous avons été très occupés ces deux jours à travailler, labourer, semer notre petit jardin ; nous y voulons des fleurs, non des belles, suivant l’idée commune, mais d’intéressantes pour des yeux, de botanistes. Ah ! nous faisons de belles choses !

Adieu ; il est beaucoup plus tard que je ne croyais.

79

[À BOSC, À PARIS[88].]
14 avril 1783, — [d’Amiens].

N’est-ce donc pas assez de laisser là ces pauvres femmes, sans les envoyer encore à tous les diables ? Jeune homme, vous n’êtes point tolérant ; mais, comme votre petit dépit est plaisant, il vous est aussi pardonné, et nous ne tirerons de l’aventure d’autre conséquence, sinon que vous aimeriez mieux avoir affaire à tous les boux de l’univers qu’à Mme Maille. D’après quoi, vos amis peuvent bien vous prier de courir quelquefois pour eux les champs et les buissons, mais non pas autre chose. Au reste, l’amitié trouve bien mieux son compte a votre désintéressement ; et, lorsqu’elle seule motive vos démarches, elle a bien plus de droit de compter sur votre persévérance. Vous avez beau me peindre tous vos travaux, je ne vous plains pas du tout ; je crois qu’être occupé, c’est être déjà à moitié heureux, surtout quand c’est un moyen de conserver la liberté ; et dès qu’on peut se soustraire à l’empire de l’habitude, on n’est guère exposé à celui de l’amour. Courez donc bien à votre aise les bois et les vergers, en moineau coquet qui ne connaît pas encore l’esclavage ; on peut l’éviter longtemps à cette manière de vivre, et l’âme s’en fortifie d’autant. Je vous plains seulement de ne pouvoir vous promener ces fêtes[89], et j’y penserai toutes les fois que nous irons faire notre promenade, à laquelle nous vous associerons en idée.


80

[À BOSC, À PARIS[90].]
17 avril 1783, — [d’Amiens].

Vous êtes triste, et nous en sommes tout affligés ! Personne assurément n’apprécie mieux combien, avec votre délicatesse, vous avez de motifs de l’être. Il est pénible de voir germer dans les cœurs de ceux qui nous environnent des semences de malveillance ou de quoi que ce soit qui ressemble à cela ; une âme généreuse le regrette d’autant plus, qu’elle le doit à quelque avantage extérieur : il lui serait, à quelques égards, plus facile de s’élever au-dessus d’une injustice formelle, que de vaincre le désagrément d’affliger ses alentours par une autre supériorité que la personnelle. Au reste, cette même disposition doit faire pardonner bien des avantages, et il est très rare que coin dont ne se prévaut pas le possesseur indisposent vivement l’amour-propre des concurrents. D’ailleurs, c’est malheureusement une des compensations de la société, que l’espèce de mécontentement de plusieurs de l’avancement d’un heureux, et, à cet égard, il faut bien prendre un peu son parti pour ce qu’on ne peut éviter.

L’ami vous écrit aujourd’hui une lettre qui vous sera remise par M. de Vin, dont le départ pour Paris est fixé à ce soir. C’est un excellent homme, vraiment honnête et sensible, auquel ses amis ne reprochent qu’une paresse qui l’empêche de développer tout ce qu’il vaut et d’user de tous ses moyens. Mais je lui reprocherais volontiers de s’occuper singulièrement d’une politique gazetière qui m’ennuie, et de laisser dormir tout ce qu’il sait de belle littérature que j’aime ; mais enfin chacun a son goût. Je suis bien aise que vous ayez tous ceux d’une âme saine, tous ceux qu’alimente une grande activité ; c’est autant de matériaux pour le bonheur et d’armes contre la mélancolie accablante, dont un naturel paresseux ne peut également se délivrer.


81

[À BOSC, À PARIS[91].]
19 avril 1783, — d’Amiens.

J’ai le cœur tout gros du sérieux avec lequel, vous nous exposez vos dispositions obligeantes, comme si nous eussions douté de votre amitié. Je n’ai pas eu d’autre intention que de faire une plaisanterie que j’ai plantée dans ma lettre tout en causant, comme il m’arrive de les écrire, mais je l’ai faite bien mauvaise assurément, puisqu’elle a pu me faire soupçonner d’une toute autre idée que celle que j’ai de vous. Peu s’en faut que je ne vous fasse une excuse aussi grave que votre réponse, tant je suis fâchée d’avoir dît un mot qui vous fasse prendre cet air-la. La paix soit faite, s’il vous plaît ; nous sommes tristes quand nos amis ne sont pas très contents, et je serais inconsolable si je me trouvais être pour eux la cause d’une ombre de peine. Au reste, je vous prouverai combien ma phrase était gauche, et la confiance avec laquelle nous vous demanderons ce que le zèle amical peut fournir vous fera voir qu’il fallait que l’un des deux se fût bien trompé, soit en l’écrivant, soit en la lisant.

Je vous dirai, pour nouvelles de santé, que l’ami est aujourd’hui dans sa purgation de quinzaine ; il est faible et travaillé ; le bras donne très bien, mais la présence et l’action de l’humeur aux endroits qu’elles se sont affectés sont toujours les mêmes.

Il fait une sécheresse désolante pour nos campagnes, elle ne favorise que les promeneurs pour le moment ; nous sommes cependant demeurés hier, retenus par des survenants ; mais, à l’heure présente, je vous quitte pour aller acheter des fleurs. Adieu ; connaissez vos bons amis qui vous connaissent bien aussi et qui vous aiment tant à cause de cela.


82

[À BOSC, À PARIS[92].]
23 avril 1783, — [d’Amiens].

Vous avez trop d’âme pour qu’on vous reproche d’avoir des sens ; ce serait au moins une inconséquence. Il est permis à vingt-cinq ans d’oublier Aristote pour de beaux yeux, et il serait bien étrange de n’être pas graciable au tribunal d’une femme pour un tel fait. La paix soit faite d’ailleurs, c’est bien mon avis aussi.

J’ai souri a votre empressement de voir M. de Vin ; votre active amitié mesure les autres sur elle : mais le bon M. de Vin est l’homme du monde qui aperçoit le moins toutes ces petites choses qui vous intéresseraient, parce que votre cœur y met un prix, et certainement vous en sauriez toujours plus dans notre correspondance abrégée, que lui-même en nous voyant tous les jours. Je ne serais pas étonnée qu’il passât peut-être trois semaines à Paris sans vous voir, quoiqu’il le désire véritablement, et il est de trempe à employer la moitié de sa vie à projeter le contraire de ce qu’il fera dans l’autre : excellent cœur avec cela, âme honnête, et taillé pour faire le meilleur mari d’une femme qui aura beaucoup de sens.

Vos pucelles du Poitou[93] ne ressemblent point à nos demoiselles d’Amiens, qui ont toute l’assurance d’une femme dont la timidité est bien remplacée ; elles causent en cercle tout aussi haut, jouent dès douze ans, et sont dès lors représentantes avec les mines et les petites façons des routières ; c’est une vraie cocasserie, à laquelle heureusement on trouve quelques exceptions remarquables.

Je gagerais presque que vous êtes l’homme au jeu de quilles ; nous avons déjà fait de grandes parties avec ma fille, mais c’est une petite sotte, qui jette sa boule à côté : en vérité, si elle ne vise jamais mieux, ce sera une pauvre chose ; mais il faut patience à tout. Ainsi en avez-vous besoin pour soutenir le travail et la résidence, ou la pluie quand elle vous prend aux champs. Mais Dieu soit loué ! puisqu’il vous reste encore le temps de nous dire un mot d’amitié et surtout la volonté de conserver ce sentiment, malgré les friponneries du petit drôle qui vous donne des distractions près de la sœur de l’abbé !

Adieu, nous vous aimons bien aussi, et sans distractions nous autres bonnes gens qui avons fait le voyage.


83

[À BOSC, À PARIS[94].]
25 avril 1783, — [d’Amiens].

[Vous êtes un excellent homme que nous embrassons de bien bon cœur ; votre sensibilité, votre âme se peignent, sans que vous cherchiez à les montrer, d’une manière bien touchante pour vos amis et bien faîte pour vous assurer à jamais tous leurs sentiments. Défendez M. de Vin ; vous ne sauriez nous faire plus de plaisir, comme à lui plus de bien, s’il était possible de lui inspirer une activité semblable à la vôtre. C’est l’énergie qui manque à sa trempe comme à son bonheur ; il le sent, et peut-être il en aurait plus, s’il était toujours avec des gens dont la sensibilité exerçât la sienne avec avantage. Je crois que vous verrez avec plaisir ceux auxquels il appartient : on peut dire qu’il est d’une famille d’honnêtes gens, en employant cette expression dans la force de la signification.

Je vous souhaite une Eudora, parce que vous êtes fait pour goûter tous les plaisirs simples qu’elle nous procure et que nous espérons qu’elle pourra étendre quelque jour ; mais je souhaite pour nous qu’elle soit telle qu’un homme qui vous ressemble raisonne de même dans dix-huit ans : alors je chanterais presque le Nunc dimittis.]

J’aime à vous voir jouer aux œufs rouges avec vos sœurs[95], et ce tableau dit plus de choses à mon cœur que je ne saurais exprimer. Les méchants plaisants demanderaient, d’après votre phrase, si ce sont les œufs ou les sœurs que vous avec roulés [durant deux heures][96], mais le sentiment que m’a inspiré la chose ne me laisse pas la froide liberté de faire une plaisanterie.

La santé de l’ami, dont je ne vous ai pas parlé depuis quelque temps, continue d’être dans un état qui n’a rien de très inquiétant ni de satisfaisant non plus ; la présence de l’humeur aux mêmes places que par le passé et les picotements, etc., qu’elle y occasionne sont toujours les mêmes ; le bras donne bien cependant, mais l’estomac souffre souvent d’une sorte d’empâtement, et la constipation est telle, que, dans la quinzaine qui sépare les purgations, les selles n’ont lieu que par des lavements ; cette disposition habituelle…[97].

[Adieu, portez-vous bien ; c’est ainsi que nous vous aimons.]

84

[À BOSC, À PARIS[98].]
1er mai 1783, — d’Amiens.

Il y a bien longtemps que nous n’avons eu de lettre de vous ; je sais que vous êtes très occupé, aussi je ne vous fais pas de querelle, mais je parle d’une privation que nous sentons. Si vous voyez l’ami de Vin, dites-lui pour nous mille choses ; nous en avons reçu de sa part de nos voisins ; il devait aussi nous écrire ; mais ne lui dites pas cela, parce qu’il faut qu’il s’en souvienne tout seul, et, s’il l’oublie, je lui demande à son retour de faire une Épître à la paresse, commencée depuis longtemps.

Avez-vous définitivement trouvé quelqu’un plus accommodant que la dame Maille[99] ? Nous attendons constamment vos décisions sur les chiendents et vos instructions sur les pinceaux, sans oublier les éclaircissements de M. Sonnerat. Les yeux noirs de la grande sœur ont-ils toujours le même effet ? Très pardonnable, assurément, pourvu qu’au bout du compte il nous revienne un petit mot sur la traduction d’Aristote. M…., dont je ne sais pas le nom, a-t-il la bonté de s’occuper de la soierie ? Ce gros cahier nous tient au cœur, il a grand besoin de réforme, de corrections, etc… Nous serons fort aises qu’un homme versé dans cette partie nous donne des secours ; nous vous prions de soutenir et d’échauffer la bonne volonté de votre ami à cet égard ; c’est un vrai service à nous rendre.

Vous verrez, par la note ci-jointe, qu’il est question d’acheter un livre de botanique pour M. d’Eu. Nous croyons avec lui que la Flora est préférable à l’Hortus, mais que vous déciderez en dernier ressort lequel des deux est à choisir, et vous en prendrez deux exemplaires, parce que nous en désirons un aussi. Ces plantes médicinale sont nos compagnes futures et doivent être de votre connaissance ; mon Eudora transplantée deviendra leur commensale.

Je vous écris sur un chien de papier qui m’impatiente ; ma petite fille me tire par la manche, et vous jugerez de l’effet.

Mon pauvre ami ne peut plus dormir ; les nuits se passent à chercher le sommeil, et il se lève plus fatigué qu’il ne s’est couché ; nous sortons cependant tous les jours.

Demandez par grâce au seigneur Père une petite recette pour dormir au moins quelques heures dans les vingt-quatre. Je voudrais aussi savoir s’il doit absolument s’interdire les groseilles et les fraises[100].

Il fait un temps charmant ; je tousse depuis plusieurs jours d’une petite toux qui ferait croire que c’est par air ; mais je me promène, et si mon ami n’était pas si maigre, nous serions contents. Quand est-ce qu’on vous verra ? Oui, vous-même, à qui j’avais parlé durant des années comme au travers d’un voile. Portez-vous bien ; dites-nous un petit mot : un seul mot d’amitié ravive. Adieu, nous vous embrassons avec toute la bonhomie de notre petit ménage.


85

[À BOSC, À PARIS[101]]
5 mai 1783, — [d’Amiens].

Nous avons hier reçu avec grand plaisir votre dernière lettre ; c’est une douce chose que ce dédommagement de l’absence des amis.

Vous avez retrouvé votre liberté du soir ; est-ce au moins d’occupations que vous en êtes redevable, ou bien à l’amitié d’un de vos camarades ? Cette cause-ci serait plus agréable encore et plus constante.

Grâce à vos renseignements, nous savons à quoi nous en tenir sur la traduction d’Aristote, et tel estimable que soit l’ouvrage, cette édition ne sera pas la nôtre ; nous n’avons pas besoin du texte grec, nous pouvons nous passer d’un in-quarto : ainsi nous attendrons un modeste in-octavo sans texte, qui probablement se fera par la suite, et nous conviendra beaucoup mieux. Je suis très aise du bien que vous nous dites de la Flore en question ; nous rangerons cet ouvrage parmi ceux de l’aimable science qui en fait l’objet, et qui fera l’un de nos plus chers délassements, lorsque nous aurons pris sans réserve la vie patriarcale.

J’accepte votre heureux augure sur ma petite Eudora, et il ne tiendra pas à moi de travailler à le justifier comme une prophétie ; je jouis du moins chaque jour du temps présent, en me rendant le témoignage qu’elle a toute la santé, tout le bonheur de son âge. Il me faut cette conviction pour m’applaudir de son existence ; il me la faudrait encore pour m’aider à soutenir sa perte, si j’avais le malheur de l’éprouver. Notre tante ne s’améliore pas rapidement. L’ami vous dirait presque que je ne suis plus bonne à voir, et que je penche sur ma tige ; il s’alarme de mon malaise comme moi de sa maigreur, et nous nous inquiétons l’un de l’autre. Contentement et la permission (sic) de manger des fraises que Linné juge si bonnes, et qui, sans être merveilleuses dans ce pays, sont ici comme partout un des plus jolis fruits à mon gré, parce qu’il flatte l’odorat autant que le goût, agrément qu’il ne partage pas avec beaucoup d’autres.

Il me semble que vous avez été obligé de fermer les yeux en consultant l’abbé. Eh mais !… ceux de sa sœur vous feraient-ils tout de bon la guerre ? Gare le petit fripon ailé qui frappe et fuit comme un voleur ! Adieu ; joie et santé.


86

[À SOPHIE CANNET, À AMIENS[102].]
Lundi matin, 12 mai [1783, — d’Amiens].

Aurais-tu ou connaîtrais-tu quelqu’un qui vit le Journal encyclopédique[103] ? Il y a quelque chose que nous désirerions voir. J’ai une lueur d’espérance sur nos points de broderie, mais j’y compte faiblement, et je ne négligerai pas nos Ursulines[104] pour la petite part qu’elles pourraient fournir. Il faut leur laisser le temps d’y songer : je les verrai dans la semaine. Notre sœur Henriette chante sans doute son duo à merveille, et moi je l’aurai peut-être oublié sans l’avoir jamais bien su : mais je l’apprendrai en l’exécutant ensemble. Ma pouponne fait sa petite chanson, dort comme moi, boit davantage, et rit comme une folichonne. Le Grec[105] travaille et pousse sa santé. Je voudrais travailler aussi, mais je ne suis pas merveilleusement disposée, pas aussi bien qu’à vous aimer, vous le dire et vous embrasser toutes les deux toto corde.


87

[À BOSC, À PARIS[106].]
13 mai 1783, — [d’Amiens].

Vous nous avez fait une aimable causerie, et j’ai cru que vous étiez à côté de nous. Je vous admire de mettre sur le compte de la froideur ce qui paraîtrait le fruit de la sagesse ; assurément c’est le plus haut point de celle-ci que de ne voir que ce qui est visible et de ne point envelopper la réalité d’illusions. N’importe, pour le fait, ce qui vous a conduit là ; tant mieux pour vous, si vous n’avez pas eu besoin d’épreuves et d’efforts pour y arriver ; votre âme n’a pas été froissée, et votre énergie vous reste. Dans telle carrière qu’on se jette, on peut aller loin, dès que l’imagination ne se met pas à la traverse et qu’elle demeure subordonnée au vrai.

M. de Vin nous avait dit un mot de ces diatribes parlementaires[107]. Il faut convenir que Paris est un singulier séjour : des calembours et des pamphlets y sont le résultat ou la cause des plus graves affaires, et l’on finit toujours par se moquer du mal et du bien, pour se consoler de l’existence de l’un et de l’impossibilité de l’autre.

Vous ne feriez donc plus votre partie dans les barres ? Mais s’il s’agissait de disputer à la course une Sophie, ne retrouveriez-vous pas des jambes aussi bonnes que celles d’Émile ? Je ne regrette pas non plus l’herborisation que le mauvais temps nous a fait laisser pour nous écrire. Mais je souhaite que vous profitiez du beau jour que voici pour en faire une autre ; c’est, a mon avis, l’une des plus charmantes occupations que l’on puisse prendre ; l’activité de la jeunesse, la rêverie des âmes tendres, tout ce que la campagne inspire et fait goûter se développe et fait jouir en herborisant ; la gaieté folâtre et la douce mélancolie s’y repaissent également. Nous avons été hier parcourir les fossés de cette ville et nous y avons trouvé quelques plantes ; mais je suis encore si ignorante et j’ai si peu de temps pour me décrasser, le besoin de recourir aux livres qu’on ne peut porter, et que je n’ai guère le loisir de consulter au logis, revient si souvent, que j’en serais impatientée si le goût ne l’emportait sur les mécomptes.


88

[À BOSC, À PARIS[108].]
[10] juin 1783. — de Sailly, près Corbie.

Je ne sais quel quantième de juin ; tout ce que je puis vous dire, c’est que l’on compte ici trois heures d’après-midi d’un lendemain de fêtes. J’ai vu mon bon ami le dimanche ; il m’a quittée hier au soir ; j’ai passé une très mauvaise nuit, et je me portais encore si mal ce matin, que je n’ai pu vous écrire, quoique j’en eusse formé le projet. Je ne vous donne point cette succession de choses comme causes et effets nécessaires, mais je vous la donne telle qu’elle est, tout bonnement. J’ai eu communication des lettres que vous avez écrites, parce que leur réception est au nombre de nos plaisirs, et que nous ne savons goûter aucun de ceux-ci sans le partager entre nous. Je ne vous offrirai rien en échange de vos nouvelles ; je ne me mêle pas des politiques ; je ne suis plus au courant de celles d’un autre genre, et je ne suis en état de parler que des chiens qui m’éveillent, des oiseaux qui me consolent de ne pas dormir, des cerisiers qui sont devant mes fenêtres et des génisses qui paissent l’herbe de la cour.

J’habite sous le toit d’une femme que le besoin d’aimer me fit distinguer, lorsque, à l’âge d’onze ans, je me trouvais au couvent avec une quarantaine de jeunes personnes qui ne songeaient qu’a folâtrer pour dissiper l’ennui du cloître. J’étais dévote, comme Mme Guyon du temps jadis ; je m’attachai à une compagne qui était aussi un peu mystique, et la bonne amitié s’est nourrie de la même sensibilité qui nous faisait aimer Dieu jusqu’à la folie. Celle compagne, retournée dans son pays, me fit connaître M. Roland, en le chargeant de lettres pour moi ; jugez si tout ce qui s’en est suivi doit me faire continuer de chérir l’occasion ou la cause accidentelle qui y a donné lieu !

Enfin, cette amie est mariée depuis peu, et j’ai contribué en quelque chose à la déterminer ; je viens la voir à la campagne dont je lui ai vanté le séjour comme le plus approprié au bonheur des âmes pures ; je parcours son domaine, je compte ses poulets, nous cueillons les fruits du jardin, et nous disons que tout cela vaut bien la gravité avec laquelle on entoure le tapis vert où l’on fait promener des cartes, l’attirail d’une toilette dont il faut s’occuper pour aller s’ennuyer dans un cercle, le petit bavardage de celui-ci, etc., etc. Au bout de tout cela, j’ai grande envie de retourner à Amiens, parce que je ne suis ici qu’a moitié : mon amie me le pardonne parce que, son mari étant absent, elle juge mieux de ma privation par la sienne ; et quoique nous trouvions fort doux de nous dolenter réciproquement, nous convenons qu’être éloignée du colombier, ou s’y trouver toute seule, est une chose assez triste. Cependant je passe encore ici la semaine tout entière : je ne sais si ma santé en retirera tout le profit que mon bon ami avait espéré. J’ai pourtant fait trêve entière avec le travail depuis trois jours, mais je ne me sens pas encore merveilleusement. J’ai été assez contente du visage de l’ami ; je crains son cabinet comme le feu, et la semaine à passer me parait une éternité par le mal qu’il peut se faire dans cet intervalle.

Avouez que je suis bien confiante de vous envoyer ainsi un babillage de campagnarde ! Je prétends bien pourtant, non que vous m’en soyez obligé, mais que vous le preniez comme un acte d’amitié bien sincère et bien dénuée d’amour-propre. Je suis pesante ; et, malgré mon goût pour ce qui m’entoure, malgré cet attrait qui m’attache à tous les détails de la campagne, malgré cet attendrissement que réveille toujours le spectacle de la nature dans sa simplicité, je me sens endormir et bêtifier.

J’ai rapporté des plantes de toutes mes promenades ; j’en ai reconnu plusieurs ; les autres ont été sèches avant que Murray[109] m’ait aidée à les juger, et le temps s’écoule sans me ranimer. Au reste, les femmes, dans leur physique, sont aussi mobiles que l’air qu’elles respirent ; j’écris d’après l’impulsion du moment et, si j’avais remis cette lettre à demain matin, peut-être aurait-elle été vive-et gaie.

Adieu, souvenez-vous de vos bons amis ; je réunis le mien dans cette expression, parce que nous ne sommes jamais séparés dans nos sentiments, et que vous êtes l’un des objets sur lesquels nous les fixons avec le plus de complaisance.


89

[À BOSC, À PARIS[110].]
29 Juillet 1783, — d’Amiens.

Il me suffit que vous posiez les armes, je ne demande pas qu’elles me soient rendues ; je ne veux pas recevoir de loi, mais je ne prétends pas non plus en imposer à personne. Vous ne vous êtes pas trompé sur les prétentions de votre sexe, — je dirais plus, sur ses droits, — mais bien dans la manière de les défendre ; vous ne les avec pas non plus compromis envers moi, qui ne veux en attaquer aucun : vous avez oublié le mode, et c’est tout. Que sont les déférences, les égards de votre sexe pour le mien, autre que les ménagements du puissant magnanime pour le faible, qu’il honore et protège en même temps ? Quand vous parlez en maître, vous faites penser aussitôt qu’on peut vous résister, et faire plus peut-être, tel fort que vous soyez. (L’invulnérable Achille ne l’était pas partout.) Rendez-vous des hommages ? C’est Alexandre traitant en reines ses prisonnières, qui n’ignorent pas leur dépendance. Sur cet unique objet peut-être, notre civilisation ne nous a pas mis en contradiction avec la nature ; les lois nous laissent sous une tutelle presque continuelle, et l’usage nous défère dans la société tous les petits honneurs ; nous ne sommes rien pour agir, nous sommes tout pour représenter.

N’imaginez donc plus que je m’abuse sur ce que nous pouvons exiger ou ce qu’il vous convient de prétendre. Je crois, je ne dirai pas mieux qu’aucune femme, mais autant qu’aucun homme, à la supériorité de votre sexe à tous égards. Vous avez la force d’abord, et tout ce qui y tient ou qui en résulte : le courage, la persévérance, les grandes vues et les grands talents ; c’est à vous de faire les lois en politique comme les découvertes dans les sciences ; gouvernez le monde, changez la surface du globe, soyez fiers, terribles, habiles et savants ; vous êtes tout cela sans nous, et par tout cela vous devez nous dominer. Mais, sans nous, vous ne seriez ni vertueux, ni aimants, ni aimables, ni heureux ; gardez donc la gloire et l’autorité dans tous les genres : nous n’avons, nous ne voulons d’empire que par les mœurs, et de trône que dans vos cœurs. Je ne réclamerai jamais rien au delà ; il me fâche souvent de voir des femmes vous disputer quelques privilèges qui leur siéent si mal ; il n’est pas jusqu’au titre d’auteur, sous quelque petit rapport que ce soit, qui ne me semble ridicule en elles. Tel vrai qu’on puisse dire de leur facilité à quelques égards, ce n’est jamais pour le public qu’elles doivent avoir des connaissances ou des talents.

Faire le bonheur d’un seul, et le lien de beaucoup par tous les charmes de l’amitié, de la décence, je n’imagine pas un sort plus beau que celui-là. Plus de regrets, plus de guerre, vivons en paix. Souvenez-vous seulement que, pour garder votre fierté avec les femmes, il faut éviter de l’afficher à leurs yeux. La petite guerre que je vous ai faite pour nous amuser dans la liberté de confiance vous serait faite d’une autre manière par l’adroite coquetterie, et vous n’en sortiriez pas si dégagé. Protéger toujours, pour n’être soumis qu’à volonté, voilà votre secret à vous autres. Mais que je suis bonne de vous dire cela, et le reste, que vous savez mieux que moi ! Vous avec voulu me faire jaser ; et bien ! nous sommes quittes ; adieu.


90

À ROLAND [À PARIS[111].]
Mardi, [19 août 1783, — d-Amiens].

Eh bien, cher ami, le temps est beau, l’air assez doux : te portes-tu bien avec cela ? J’ai faim de tes nouvelles, j’en cause tous les jours avec ta fille qui ne me répond que des petit papa et des baisers.

Rien de nouveau depuis ton départ ; je n’ai vu personne. M. d’Eu est venu le dimanche, mais j’étais allée promener Eudora et ma tête un peu faible sous les arbres de la porte de Noyon[112]. J’ai fait peu de choses ce jour-là ; cependant le boursier est fini, l’article poil aussi, et la frise est commencée : tout cela n’est que broutilles ; il n’en est pas de même du plan[113].

Le serrurier a bien employé son temps, du moins je l’ai vu toujours travailler ; les mécaniques, m’assure-t-il, seront prêtes ce soir ; en conséquence, il prévient son menuisier, qu’il m’a paru désirer que je préférasse parce qu’il a déjà fait le bâtis de la grande machine.

En cherchant des renseignements pour des planches à faire faire, j’ai reconnu une erreur qu’il faut que tu vérifies. Il est question de savoir quelle est la planche où se trouve inséré le cartouche Z, relatif au collage des chaînes. J’en ai trouvé l’explication à la planche III du retordage, et je suis sûre qu’il ne peut lui appartenir ; mais je ne me rappelle point la planche où il est et à l’explication de laquelle il faut reporter celle de ce cartouche.

J’ai reçu des nouvelles de M. Chevandier[114] qui dit que le montant de ses avances est de 21tt 5s 3d et qui prie de les remettre à MM. Lami frères, de cette ville[115], ce que je compte prier M. Flesselles d’exécuter. Notre Lyonnais ajoute qu’il est délogé, sans avoir quitté pourtant la maison, et qu’il est assez au large pour nous offrir une chambre commode toutes les fois que nous irons a Lyon ; beaucoup de choses honnêtes et empressées sur la retraite future, etc.

Je n’ai pu avoir encore nouvelles de la pension de la rue Royale[116] ; voudrais-tu t’informer de celle de Mlle…, je ne sais plus son nom, au bout de la rue du Hurepoix, en entrant sur le quai de la Vallée, au troisième d’une maison à porte cochère.

Pour commencer ma semaine par une bonne œuvre, avant que ma lessive m’arrête, j’ai été voir la petite pensionnaire des Ursulines. J’avais demandé sa maîtresse (la sœur de M. Le Riche) pour faire tout en règle, en lui disant que je me proposais de faire sortir quelquefois la jeune personne ; je n’ai pu la voir. Mais la pauvre petite, qui n’avait encore vu personne depuis sa clôture, a été enchantée de la visite et des espérances que je lui ai données ; son jeune cœur s’est gonflé en parlant de sa maman et elle a pleuré de si bonne grâce, que la bonne, que j’avais avec moi, était prête d’en faire autant. Au premier jour, j’écrirai un mot à la maîtresse et je ferai sortir cette enfant qui paraît douce et sensible, et qui aime beaucoup la, lecture.

Mme Cannet a toujours pauvre mine et pauvre santé ; M. Galland[117] vient de mourir ; Mme d’Hangard[118] était jeudi à la Comédie, samedi elle a été extrémisée ; hier, elle n’avait plus de connaissance ; elle est peut-être morte à présent. Il règne certaines fièvres officieuses (sic), avec dépôt à la tête, qui troussent les gens en quatre ou cinq jours, et notre voisinage devient tous les jours comme l’année dernière, par les petites véroles. Quant à moi, je me porte bien, mon lait fait toujours merveilles, je mange et dors : il y aurait bien malheur si tu ne me trouvais engraissée à ton retour. Va voir notre Longponien, embrasse-le pour moi en mémoire de l’ancienne connaissance et de ta tendre amitié. Mille choses au fidèle Achate et encouragement à mieux faire pour nous qu’il ne projette.

Je vais envoyer tes dépêches à la poste. Adieu, ménage-toi bien ; songe que ma fille ne me tient à la vie que par un petit fil et que tu m’y attaches de tous les côtés, et choie ma santé dans la tienne.

À propos, n’oublie pas de m’acheter ma musique. Voici le titre : Quatuor pour le clavecin et forte-piano, deux violons et basse…, par M. Lasceux, Œuvre IV. Chez l’auteur, rue Saint-Jacques, vis-à-vis celle des Mathurins, ou chez Mlle Girard, rue du Roule, « à la Nouveauté »[119].

Je veux toutes les parties, car j’espère faire un jour le violon, quand ma fille touchera le clavecin, et l’abbé Pein jouera la basse. Le prix des quatre est marqué 9tt. S’il est possible d’avoir meilleur compte, ce sera benissimo.

Pour finir par une chose importante, je te dirai que le chapeau noir raccommodé est aussi vilain qu’auparavant ; il fallait être M. de V[in] pour faire une aussi mauvaise acquisition ; c’est manqué en tout point et irrémédiable. Cedit seigneur n’est point arrivé, et il fait probablement là-bas d’aussi belles affaires que l’acquisition de mon chapeau. Addio, ti bacio di quà, di là, e sono sempre tua.

Je défais mon paquet pour l’ami d’Antic qui me donne de tes nouvelles, et je l’embrasse sans façon, ce que tu lui confirmeras. J’ajoute que je reçois une lettre honnête de Taillardat de Sainte-Gemme[120], avec un état et des observations.

91

À ROLAND [À PARIS[121].]
Le 21, au matin [août 1783, — d’Amiens ].

Enfin la grande affaire des mécaniques est terminée ; elles ont été emballées hier soir, ce qui a demandé trois heures et n’a fini qu’à près de dix. Je suis demeurée présente à l’opération pour y concourir par mes avis, et aussi pour veiller au feu, car la cour étant embarrassée par des tonnes et cuviers, il a fallu emballer près du bois et de l’écurie. La chandelle au milieu de la paille et de toutes ces choses me faisait trembler ; il faisait du vent, et, en y mettant tous mes soins, j’ai encore eu peur d’une odeur de brûlé qui cependant venait du voisinage. Il m’en a coûté une caisse de 9tt ; j’envoie ce matin et le ballot et la lettre d’avis. Pour compléter cette journée, ma fille s’est faite au front la première bosse qu’elle ait encore eue, par une chute sur le pavé, en tombant les deux marches de la salle que le tracas de lessive avait rendues glissantes. Je n’étais pas témoin de l’accident, mais la marque en demeurera plus d’un jour. Et le soir, en jouant autour de nous, l’enfant se mit à mâcher un bout de corde. Je m’en aperçus, le retirai ; le petit cœur se souleva, Eudora vomit partie de son souper ; j’ai craint qu’elle n’eût avalé quelque chose, cela m’a tourmentée, fatiguée, chagrinée ; je n’ai pu manger, je n’ai point dormi et je ne suis ni forte, ni gaie. Cependant ma fille a bien passé la nuit, j’espère qu’elle n’aura rien : elle court, joue et mange comme de coutume. Je vais faire de la musique ce matin pour remettre la machine en équilibre, et je ferai sortir la petite pensionnaire afin d’avoir à me réjouir de la joie de quelqu’un. Ma femme de chambre se donne les airs de me gronder, elle me choie bien et prend dans tous les petits soins de ma santé un ton de Dame j’ordonne qui est tout à fait plaisant. J’ai vu M. d’E[u], qui m’a apporté avant-hier les feuilles et journaux, en me témoignant tous ses regrets de ne m’avoir pas rencontrée le dimanche et de ne m’avoir pas vue le lundi, à cause de quelqu’un de Paris qui était tombé chez lui comme une bombe ; beaucoup de choses empressées dont on sent le ton, auxquelles j’ai répondu comme il fallait, etc. Le brave Flesselles est venu me voir ; il a fait ma commission près de MM. Lami, et je joins ici une petite lettre à M. Chevandier en conséquence ; sa tante, sa fille et sa cuisinière sont malades des fièvres courantes, mais sans aucun danger. J’ai fait venir et récompensé le garçon du cabriolet.

M. Le Riche ne revient toujours pas, je compte aller voir sa femme un de ces jours ; M. de Mtban[122] est en tournée ; M. d’E[u] le blâme de s’échapper contre M. de Seigne[123], et il est porté à croire que M. le Riche se retirera ; mais on croit volontiers à ce que le cœur souhaite tout bas. La grande société est dans le deuil : Mme d’Hangard est morte le cinquième jour de sa maladie ; Amiens pleure celle de ses habitantes qui recevait le mieux son monde et qui tenait la seule maison ouverte de cette ville. Sa fille est revenue hier de Paris ; tu vois que tout le monde n’y perd pas, car je crois nos amies fort débarrassées du séjour de cette seconde fille chez la vieille tante[124].

Je me suis promenée avec l’amie[125] et ma fille avant-hier, et nous avons été boire du lait au manoir, sur le chemin de Saint-Fuxien[126]. Je désire bien de tes nouvelles ; ménage-toi, mon ami. Je n’attends pas le courrier pour expédier, parce que je prends le moment pour faire sortir ma fille. C’est toi que je charge de mes amitiés pour M. d’Antic à qui j’envoie aujourd’hui mes dépêches toutes nues, sans un petit mot pour lui ; autres amitiés au camarade ; je t’embrasse de tout mon cœur.


92

[À ROLAND, À PARIS[127].]

Dimanche, 24 [août 1783, — d’Amiens].

Je n’avais pas dessein d’écrire aujourd’hui, parce que je ne me suis levée qu’à neuf heures, que j’en ai passé une à raisonner avec Limozin[128] sur des corrections à faire à un dessin qu’il vient de finir, qu’il faut sortir ce matin, etc. Mais je reçois la ci-jointe de M. Flesselles et je te la fais passer avec celle qui y a donné lieu. J’ai eu hier la visite du sieur Martin[129] avec son honnête beau-frère ; je compte le charger de trois dessins achevés, payés, quittancés, que tu joindras à ceux que tu avais emportés. Ta petite causerie m’a fait grand bien ; je suis bien aise d’Agathe, de M. Le Riche, etc. J’ai fait un grand « hélas ! » à la nouvelle que m’a donnée M. d’Antic, à qui je ne dis rien pour être trop pressée, mais que je te charge de dédommager, si tant est que cela vaille un dédommagement.

Je fais le diable à quatre dans ma maison et, comme je ne suis pas trop diable naturellement, cela me fatigue et me déplaît beaucoup ; mais je crois que ma cuisinière fait danser l’anse du panier, et je suis d’une colère épouvantable.

Tu me diras si tu veux faire faire quelque chose au dessinateur, car pour moi je n’ai plus rien et ne sais plus quoi. Tu sauras que pour ma musique il n’est question que de toutes les parties d’un même Œuvre : clavecin, 1er violon, 2e violon et basse de l’œuvre IV. Je te dirais bien à cette occasion une méchanceté, mais je ne veux pas l’écrire. Adieu ; ma chère Eudora (dont je ne trouverais pas si aisément que toi des dizaines) se porte à merveille et t’a bien appelé ce matin. Je t’embrasse à tort à travers et je t’aime comme je ne puis dire.


93

[À ROLAND, À PARIS[130].]
25 août 1783, — [d’Amiens].

Il est huit heures du soir du 25 août 83 ; assise devant ma table avec beaucoup de gravité quoique sous les débris d’une coiffure légère qui annonce qu’on n’a pas oublié la toilette dans la journée, je recueille mes esprits, pour me rappeler ce que j’ai entendu aujourd’hui et pour en faire part à ceux que j’aime. Je n’ai pu joindre ma compagne[131] qu’à plus de trois heures et demie, par des raisons qu’il serait trop long de déduire ; nous sommes parties triomphantes, mais modestes et sans hommes, pour nous rendre à l’Académie[132]’ ; l’assemblée était formée, les discours commencés, pas une place pour d’honnêtes femmes : il fallait être debout derrière je ne sais qui. Nous avons été prendre un petit escalier qui rend à des salles dont les portes intérieures étaient ouvertes sur celle de l’assemblée, dans le haut ; nous avons frappé à la porte de l’escalier : les laquais de l’Intendant ont ouvert ; nous sommes parvenues à la tête de l’assemblée où un homme m’a donné sa place, et où Mlle Cannet a été obligée d’en demander une au jeune conseiller Fontaine[133], que j’allais en prier pour elle, parce que c’est un Jean-faut-tout-lui-dire. Le nouvel associé parlait alors ; chapeau sur tête, ou plutôt sur perruque, papier en main, se donnant un air agréable, l’air enfin que tu connais à mon insouciant accoucheur. Le Sr Ancelin[134] débitait des phrases sur les avantages de l’émulation pour les progrès des connaissances, les ressources que fournissait l’Académie à cet égard, ce qu’il en espérait pour lui indigne, presque étonné d’avoir osé solliciter l’honneur d’y être admis ; en quoi il se rendait justice, quoiqu’il ne la fît pas aux membres sur la célébrité de chacun desquels il s’écria d’une manière qui aurait été épigrammatique de la part de tout autre sujet. De là, passant à l’éloge de son prédécesseur, l’ignare docteur Demery[135], de la science duquel il fit un pompeux éloge, éloge auquel il plâtra aussitôt celui de Bourgeois[136], je ne sais comment il vint, tout en louant, à Colignon[137], son défunt maître, qu’il exalta beaucoup comme de raison, et l’on sent pourquoi. Je ne serais pas embarrassée de caractériser son style, mais je me contenterai de remarquer qu’il a comparé chacun des membres à autant de conducteurs électriques par lesquels il te sentait tout vivifié ; qu’il a, de plus, fort judicieusement regretté de n’avoir pas l’éloquence académique, mais qu’il s’en est consolé en-observant qu’elle n’était pas nécessaire à un chirurgien, qui devait être consolant et persuasif pour déterminer ses malades à prendre ce qui leur était bon, quoique cela ne leur fut pas agréable. À quoi je me suis dit qu’il avait en cela très bien fait sa tâche, puisqu’il avait persuadé la caduque Académie de l’adopter. Un coup d’encensoir par le nez de l’Intendant et un autre au sexe aimable pour le prier de s’intéresser aux observations qu’il allait faire ont terminé son discours. Puis, tirant de sa poche un instrument qui, par ma foi, avait bien les quatre pouces, bonne mesure, il nous a dit qu’il l’avait inventé pour soulager certaiune maladie qui consiste dans le rétrécissement de je ne sais quoi, au-dessus de l’os sacrum ; à cet os sacrum, toutes les femmes ont fait une petite grimace, il s’est élevé un bisbiglio dans toute l’assemblée ; mais, le silence régnant tout de nouveau, l’orateur, qui barbouillait parce qu’il n’avait plus de leçon écrite, nous a démontré de son mieux comment son ingénieux outil saisissait les matières trop durcies, les amenait dans le rectum et les faisait sortir par l’anus, soulageant ainsi les malheureux qui ne pouvaient chier. Après avoir servi ce petit plat de son métier, fort gracieusement, maître Ancelin s’est tu. Le lourd Baron[138], le digne secrétaire, a répliqué, chapeau bas, par des encensements d’usage en l’honneur du défunt et du récipiendaire dont il a vanté l’Éloquence poétique ; mais, excepté quelques expressions aussi peu justes, aussi ridicules que celle-là, son petit discours n’était pas trop mal écrit pour une rapsodie de mensonges ; il les a heureusement terminés en disant : Vous trouverez ici, Monsieur, ce que vous y apportez aussi : des talents dont l’usage fait des vertus. On a fort applaudi ; j’aurais fait comme un autre, s’il y avait eu quelque vérité, mais je n’ai pas décroisé mes pattes.

J’ouvrais les yeux pour deviner qui allait parler : je ne connaissais autour de cette table que l’emphatique Rousseau[139] le bonhomme du Liège[140], le gros Maugendre, le malin Boitel[141] ; je voyais un petit augustin bien effronté, un gros visage que je n’osais caractériser parce que j’y trouvais par moments la singularité qui annonce parfois de l’esprit, quelques autres figures sans physionomie ; le paisible d’Hervillez n’y était pas (il est à Paris). Le professeur Reynard occupait la place à côté de l’Intendant et ne paraissait pas disposé à rien dire. Enfin j’entends : Discours sur les manufactures d’étoffe ; je cherche et je découvre certaine mine oratorienne à laquelle je reconnais mon Villin[142] : c’était lui-même. J’attendais une critique de toi, j’ai bien ouvert les oreilles et j’ai entendu « que les manufactures étaient la richesse d’Amiens ; que leur importance méritait qu’on s’occupât de tous les moyens de les perfectionner encore, quoique cet art fût porté, parmi nous autres modernes, à un point où les anciens n’avaient su atteindre ; que les Égyptiens, si savants d’ailleurs, n’étaient rien, à cet égard par comparaison avec nous, non plus que les peuples de la Judée et autres contrées ; qu’on pouvait augurer du silence de Moïse que, de son temps, les vêtements étaient fort simples, et encore après lui etc… ». À quoi j’ai dit : « l’ignorant ! » Il n’a pas même lu son Écriture, il ne sait pas comment était vêtu le grand prêtre, il a oublié les déclamations d’Isaïe contre les riches vêtements des femmes, etc. Mon exclamation d’« ignorant » a été entendue de trois personnes qui m’ont beaucoup regardée. Cependant l’abbé Villin continuait, observant que cet art (toujours cette expression incorrecte en parlant des manufactures) avait dû ne s’avancer que très lentement ; que te premier homme d’abord couvert de feuilles (consuerunt ficus, etc.) les avait bientôt abandonnées, parce que cela n’était ni solide, ni commode ; que la laine des brebis arrachée par des buissons, flottant au gré des vents et formant de petits flocons, que la toile de l’araignée, etc., avaient sans doute donné l’idée de l’emploi des toisons et du tissu régulier. Mais, il y a loin du désir à la jouissance ! À ce grave apophtegme, si bien appliqué, beaucoup de gens ont ri, et moi toute la première. Je ferai grâce des réflexions pour suivre l’orateur qui est revenu sur l’importance des manufactures qui fournissent des vêtements variés, des ornements aux autels et aux ministres du Seigneur (vestes gratissimæ, ai-je dit). Définitivement il a proposé un cours de manufactures, disant que tout ce qu’on avait écrit à ce sujet était insuffisant, renferme d’ailleurs dans des ouvrages volumineux, hors de la portée du simple fabricant dont l’intelligence n’était pas non plus assez développée pour entendre les gravures ; que plusieurs de nos machines, telles que l’ourdissoir et le moulin à retordre, étaient très imparfaites. Tu vois d’ici qu’il s’est étendu à perte de vue sur les avantages à attendre d’un cours de manufactures. Son discours était français, mais point d’ordre, point de plan, point de choses : du bavardage, et puis c’est tout. Le Villin lisait avec complaisance et a paru fort content de sa personne ; je doute qu’aucun l’ait écouté avec autant d’attention que moi. J’oubliais d’observer que Baron avait dit à Ancelin que l’amitié était un titre académique ; tu sens l’application.

Lorsque l’abbé eut fini, le gros visage que j’avais remarqué tordit un peu la bouche et dit, d’une manière très agréable, « que l’obligation de payer son tribut académique à son passage dans cette ville lui avait fait regretter de se trouver la mémoire et les mains vides, et qu’il ne pouvait offrir qu’une bagatelle préparée en deux jours au milieu des distractions dont l’amitié lui avait fait des devoirs. » Il annonça, avec quelques autres phrases nullement béotiques, une petite pièce qui a pour titre : l’Homme dé quarante ans corrigé, ou la fée Sincère. Je demandai autour de moi quel était ce personnage : c’était M. Sélis[143]. Mais je vais manger une soupe au lait et me coucher ; demain matin vous aurez le conte. Bonsoir.


94

[À ROLAND, À PARIS[144].]
26 [août 1783], au matin, — [d’Amiens].

Salut et joie à toi, mon ami, et au trio[145] que vous formez souvent ; j’ai promis un conte, j’avais envie de le faire : mais, comme c’est celui de M. Sélis que vous attendez, il faut vous satisfaire, quelque ingrat qu’il soit d’en faire le récit à la troisième personne ; aussi n’aurez-vous que l’esquisse.

L’auteur se suppose à Paris, mélancolique et chagrin ; il voit tout changé, tout autre, tout dégénéré de ce que tout était à son jeune âge, lorsque, à vingt ans, enivré par les plus douces illusions qui embellissaient son existence, il ne voyait que des objets charmants, il ne sentait que des plaisirs. Il ne peut se persuader que ce changement tienne à lui-même : il croit que, s’il revoyait les lieux et les choses qu’il voyait à vingt ans, il les trouverait changés également par l’influence de ce siècle de fer ; il souhaite de les voir encore. À l’instant sa fenêtre s’ouvre, un nuage brillant descend et amène une femme charmante, la fée Sincère, qui se fait connaître, se montre empressée de le satisfaire, l’emporte avec elle sur son nuage au milieu des airs. Bientôt ils se trouvent au dessus de campagnes fertiles, chargées d’abondantes moissons, coupées de routes alignées et faciles. « Eh bien ! dit la fée, ne trouves-tu pas les champs toujours riches, aussi bien cultivés ? Ce sont ceux de Picardie. » Il fallut bien convenir de la vérité. (Vous jugez que la description de ces campagnes était moins rapide que je ne la rends et que le canal[146] n’y était pas oublié.) Mais on aborde près de ce temple sublime, chef-d’œuvre des temps barbares où la coquetterie des détails le dispute à la majesté de l’ensemble et que le hardi architecte approcha le plus qu’il pût du ciel[147]. On entre, on voit les ornements modernes, dont la grâce s’allie heureusement aux antiques beautés (petite flatterie corrigée par une expression fine qui m’est échappée par sa finesse même, telle que bien des gens ne l’ont pas sentie). La fée fait toujours observer la permanence de ces beautés dont l’homme chagrin est obligé de convenir. De la, le Palais épiscopal ; tableau touchant du prélat[148] qu’on y rencontre occupé à soulager les malheureux qui font ses soins les plus chers ; dialogue du prélat avec l’administrateur chargé de ses aumônes, un mot de l’ancien évêque[149], adroit éloge des deux. En traversant cette jolie ville où les fabriques et le commerce répandent de toutes parte l’activité, l’aisance, où leur réunion donne un air de vie qui charme, on rencontre l’homme respectable chargé de la recette des tailles[150] ; portrait avantageux de son digne caractère… Je voulais l’embrasser, la fie m’arrête : « Sois persuadé, me dit-elle, qu’il n’est pas ton ennemi et que tu trouveras l’occasion de rendre publiquement l’hommage que tout cœur honnête doit à ses vertus, » (Tu te souviens de l’épigramme de Sélis contre Houzé en toutes lettres, épigramme insérée dans l’Almanach des Muses, il y a quelques années, et qui a fait grand bruit.) Toute l’assemblée a singulièrement applaudi à cette réparation que l’adroit Sélis a su rendre digne et touchante ; j’en ai été émue, je l’ai trouvée noble et heureuse. On rencontre encore une famille en deuil, celle de Démery, qui donne lieu à un épisode sur la mort de son fils ; de là à l’Intendance, éloge du bâtiment, du magistrat homme de lettres, du discours, etc. ; tout cela aussi adroit qu’il était possible. Enfin il se trouve, au milieu de ces choses, une petite oraison funèbre bien frappée, bien sensible, d’une personne que Sélis a aimée et qui est morte jeune ; comme les gens de mérite revêtent en partie du leur les personnes qu’ils chérissent, le portrait de son amie donne l’idée d’un diminutif de Cléobuline[151]. Il ne fallait pas laisser le public sur ce morceau tragique ; la fée entraîne son protégé à la Hautoie[152] ; description enchanteresse ; résultat total, l’homme de quarante ans avoue que lui seul a changé, et, dans cet heureux pays où il a passé ses belles années, il retrouve les mêmes agréments. Le collège, sa chartreuse[153], ses anciens compagnons et disciples n’ont pas été oubliés, et Gresset[154] a trouvé sa place. Enfin ce petit morceau, très bien écrit, a fait le plus grand plaisir ; il présente des tableaux, des scènes, des descriptions variées, agréables, touchantes, pittoresques ; l’esprit en a fait les frais et le cœur y trouve sa part ; et, grâce à Sélis, la séance a fourni quelque chose d’intéressant.

En s’en allant, l’Intendante[155] qui passait près de moi s’est arrêtée pour me souhaiter le bonjour et me bredouiller bonnement quelques honnêtetés que je n’ai pas entendues et auxquelles j’ai répondu tout comme ; son cher mari s’est arrêté à son tour et m’a dit que j’étais donc venue à la séance ? Je lut ai répondu que j’étais arrivée tard et que j’apprenais qu’il s’était fait un discours auquel je n’avais pas assisté. Il ne m’a pas laissé achever et a repris vivement : « Mais vous avez entendu des choses agréables ? » « Très agréables, intéressantes même. » — Mme d’Agay s’en allait, il l’a suivie, et notre dialogue s’est terminé par une révérence.

J’ai su que M. de Meaux[156] avait ouvert la séance par un discours sur l’amour de la patrie, et je me suis rappelé que Baron avait aussi balbutié quelques phrases à ce sujet qui me fait toujours pitié parmi nous autres, pauvres esclaves.

M. du Belloy[157] a témoigné ses regrets de ne pouvoir nous accompagner, parce qu’il allait avec ses confrères procéder a l’élection d’un directeur. Le grand Clairval[158] s’est trouvé sur mon passage et m’a donné la main pour descendre le petit escalier ; un salut m’a acquittée, et nous sommes rentrées l’amie et moi manger des pêches et des figues chez elle, très près voisine de l’Académie ; puis nous avons tenté une promenade que la pluie nous a forcées d’abréger. Elle est disposée à attendre la nouvelle édition du Dictionnaire.

J’oubliais de dire que l’abbé Villin attribuait la beauté de nos pannes à la vivacité des eaux de la Somme pour la teinture du poil de chèvre ; je crois cela bien faux. Mme Guérard[159] est bien malade de la fièvre ; Flesselles a perdu sa tante et m’envoie le billet ci-joint.

Je travaille au plan depuis trois jours et je n’ai qu’une page d’ouvrage ; le temps se passe à rêver ; je n’ai su tracer un arbre généalogique[160], c’est trop difficile. Adieu, je t’embrasse de tout mon cœur.


95
[À ROLAND, À PARIS[161].]
19 [août 1783], après souper. — [d’Amiens].

Je m’étais fait une loi d’aller digérer avec mon clavecin ; mais je trouve aujourd’hui qu’il me fait mal au dos, le mouvement de mes doigts semble répondre entre mes épaules, et, quelque mal qu’on dise de l’occupation d’écrire pour l’estomac, je la trouve meilleure dans ce moment. Assurément, dans la proscription que les préceptes d’hygiène ont fait (sic) de l’usage de la plume, les lettres à un mari n’ont jamais été comprises.

Je ne t’ai pas écrit ce matin, malgré la réception de tes jolis détails ; je m’étais levée tard, j’avais beaucoup de soins de ménage, j’attendais ma petite pensionnaire et je voulais travailler. Je suis seule avec ma fidèle[162], et sans cuisinière. La dernière, sur une lettre de son pays où l’appelle la maladie d’une tante, et voyant d’ailleurs que j’avais de graves sujets de mécontentement dont il ne pourrait résulter rien de bon, m’a dit sans façon qu’elle partait aujourd’hui et que je prisse quelqu’un à son compte pour le temps de son absence ; à quoi j’ai répondu que ce n’était pas assez qu’elle partît, mais qu’il fallait qu’elle emportât ses effets et ne s’occupât plus en rien de ma maison, où j’entendais qu’elle ne remît pas les pieds. Compte fait, fille et bagages débarrassés, j’ai fait courir pour chercher une seconde et fournir, en attendant qu’elle se trouve à mon gré, la carrière des deux ; elle s’acquitte de tout de fort bonne grâce ; mais avoir une autre fille honnête n’est pas l’affaire d’un jour : j’ai plusieurs personnes à l’affût et j’attends le gibier.

La petite pensionnaire a passé avec moi depuis onze heures jusqu’à six ; elle en est toujours aux grandes douleurs ; l’idée d’Abbeville, le nom de sa mère ou de sa sœur aînée lui font jeter des sanglots qui feraient fendre les pierres ; sa figure douce, innocente et jolie, son extrême sensibilité, ses goûts sages, ses douze ans intéresseraient tout le monde et ne peuvent manquer d’attacher une femme qui est mère. Elle se console à lire, elle y passerait toutes ses journées ; je l’ai mise à même de se satisfaire ; je lui ai fait emporter un livre, mais avec un billet à sa maîtresse à qui je l’adresse pour que tout se fasse convenablement ; nous avons été promener sur les remparts ; je crois lui avoir fait passer son plus beau jour depuis qu’elle est à Amiens, et cela même en a fait un agréable pour moi.

L’amie[163] m’est venue voir ce soir et je me suis engagée à dîner demain chez la maman, chose dont je crois bien que celle-ci me saura gré : nous aurions été à la comédie s’il y avait eu moyen, mais les pauvres diables sont partis, et la troupe de Valville[164] qu’on attendait n’est point arrivée.

Dans l’espace d’une heure que je suis sortie hier avec Eudora, Mme Le Riche est venue ; j’ai été très fâchée de ne l’avoîr pas vue : peut-être, à raison de son départ, passerai-je demain chez elle en m’en allant dîner. Les longueurs de l’affaire font mal augurer ici des suites pour son mari, mais cela n’est pas autrement fondé ; j’ai bien envie qu’il y ait une fin et qu’elle doit bonne pour eux.

Mon Eudora est fortement menée d’un dévoiemment ; elle a fait une grosse dent, percée d’aujourd’hui ; sa gaieté, son activité du moins, n’en souffrent pas ; seulement elle recherche davantage les caresses, les petits soins, comme par le besoin né de quelque affaiblissement.

Le plan va son train et sera, je crois, fait demain ; fait, sauf tes corrections, bien entendu. Je n’ai vu personne aujourd’hui de chez M. d’Eu que des feuilles périodiques ; je n’ai pu envoyer chez Flesselles, je suis en peine de sa fillee. On a écrit pour la pension de Mme Audoi[165], mais c’est une femme à tant d’ambages dans ses écrits, qu’on n’espère guère de réponse claire qu’à son voyage ici le mois prochain.

On vient me prêcher pour me coucher, cela n’est pas sans raison ; ainsi bonsoir. Puisses-tu avoir une nuit aussi douce que mon cœur te la souhaite ! Je t’embrasse tendrement.

Bonjour au trio d’amis, salut du cœur et souhaits heureux ; je ferme ma lettre sans attendre le courrier, parce que je vais sortir de bonne heure. Tu sauras que la Cléobuline de Sélis était une demoiselle Morgan, fille de l’avocat[166], morte, il y a deux ans au plus, en octobre, par suite de cette passion malheureuse que Sélis, maintenant placé, aurait pu couronner aujourd’hui si elle eût vécu.


96

[À ROLAND, À PARIS[167].]
[31 août] 1783, [d’Amiens].

Je dors toujours grandement ; je sors de mon lit quoiqu’il soit neuf heures et que je fusse couchée hier à dix, et, les pieds dans l’eau pour soulager ma tête, je commence ma journée par t’écrire. J’ai fait peu de chose hier, j’en ferai peu aujourd’hui ; je vais dîner chez Mme d’Eu qui est venue m’inviter tandis que j’étais chez Mme Cannet, où j’ai beaucoup causé avec l’amie. Son beau-frère Guerd[Guérard][168] est arrivé dernièrement de Paris où il t’a vu ; il lui a raconté que M. de Vaugland[169], ce criminaliste, conseiller au Grand-Conseil, dont je t’ai parlé quelquefois pour l’avoir connu chez les cousines, est veuf depuis dix-huit mois et grille de se remarier ; les médecins le lui ont même conseillé (nota ; il a soixante-dix ans) ; il a demandé Mlle d’Hangard de Paris qui n’en veut point et qui s’en rit. Le beau-frère prétend que, si sa belle-sœur le voulait, ce serait chose facile, et l’on voit que, dans l’idée qu’elle peut vouloir se marier, il pourrait aimer mieux celui-là qu’un autre parce qu’il ne fait pas craindre de donner des neveux. J’ai trouvé l’idée plaisante et l’affaire à conclure s’il y avait lieu. L’amie est convenue que ce serait se tirer fort honnêtement et en a pris quelque envie : mais le diable, c’est qu’elle n’a personne pour conduire l’affaire ; elle est sure que son frère[170] ne la favoriserait pas, par trente et une raisons ; elle ne sait à qui s’ouvrir, et besoin sera peut-être de voir passer le moment de pêcher ce poisson, faute de ligne pour le tirer. Je te conte notre petit chagrin, quoique je sache bien que tu n’y puisses rien, à moins que le premier des hasards du monde ne t’ait fait rencontrer quelques connaissances du vieux criminaliste qui n’aime pas Beccaria. Cependant elle doit causer avec le Guerd [Guérard] pour savoir de lui, qui croirait la chose possible, quel moyen il imaginerait.

Voilà qui peut faire pendant à l’histoire de Cucu ; cela nous a fait dire des folies qui nous ont fait abandonner une poule de trictrac commencée avec M. de Cayeux[171], et j’avais aux trois quarts gagné, moi mazette, par pure réminiscence.

Je n’ai toujours pas de cuisinière ; beaucoup de personnes sont à la campagne, c’est une affaire. Il n’est pas mal que tu ne sois point à la maison dans ce moment où le service languirait assez. La bonne se tire d’affaire pour la petite cuisine et je mange mieux depuis qu’elle ma la fait, car la mauvaise humeur de l’autre m’a fait faire des repas à la diable. Mes chères bouillies de fécule de pomme de terre, amères de brûlé sans être cuites, etc… Mais Caron arrive ; je m’interromps pour te lire.

Je te lis, je t’embrasse, je te demande pardon de mon chagrin d’hier ; je n’ajouterai rien, parce que je vais m’habiller aussitôt pour voir Mme Le Riche ce matin. Je ferai de mon mieux, j’y mettrai plus de sensibilité que d’autre chose, parce que c’est de cela que j’ai davantage ; mais je sens que si elle résiste à la peinture de son mari affligé, c’est une femme jugée et perdue dans mon esprit. Je me rappelle une chose à son sujet que l’amie me contait hier, et qui me donne des craintes.

M. Tolozan a accusé la réception de ta lettre d’observations il y quelques jours, en voici une autre qui m’arrive et que je te fais passer pour le plus court. Je n’aurai pas de repos que je n’aie fait tout ce que je puis près de la petite femme ; je suis affectée plus que je ne saurais dire ; je crois agir pour toi en plaidant la cause d’un mari fait pour qu’on lui sacrifie toute une famille et mille autres choses, s’il était nécessaire.

Adieu ; aux amis, tout ce que tu sais ; le frère n’aura de réponse aujourd’hui que du cœur. Ce pauvre M. de Châlons, je lui dois une réponse, je me reproche de la lui devoir si longtemps.


97

[À ROLAND, À PARIS[172].]
[31 août 1783], 9 heures au soir, — [d’Amiens].

J’ai couru ce matin chex Mme Le Rch. [Riche] ; elle part demain, voilà le résultat. Restent les petits détails, entre nous, dont je vais causer. J’ai trouvé cette jolie petite femme entre les mains de son coiffeur ; j’étais parvenue jusqu’à elle sans demander ni rencontrer personne ; elle m’a beaucoup accueillie, m’a demandé de tes nouvelles, a ajouté d’un air empressé qu’elle en avait reçu de son mari qui la tourmentait toujours pour aller le trouver. J’ai trouvé le propos leste et le ton léger, je n’ai pas répondu un mot ; j’ai dirigé la conversation sur des généralités : nous avons beaucoup parlé de la séance, des nouvelles, de journaux qui couraient sur sa toilette, de toutes choses enfin qu’un espion de coiffeur puisse répéter sans conséquence. Quand nous avons été seules, je lui ai dit que l’intérêt et l’attachement qu’elle m’avait inspirés me portaient à lui ouvrir mon cœur avec confiance, etc., que j’avais reçu une lettre de toi où tu te montrais si affecté que je l’étais moi-même et que je venais partager avec elle l’impression que j’en ressentais. Elle a cru à une confidence qui me regardait seule, elle s’est ouverte à cette idée et m’a répondu d’une manière très obligeante en ajoutant la question « quoi donc m’affectait péniblement ? » — « Vous le dirai-je ? Mon mari a vu le votre triste, de cette tristesse qui vient de l’âme et qu’il tient à vous d’adoucir. M. L. R. [Le Riche] a confié qu’il désirait vous avoir près de lui et qu’il souffrait que vous vous trouvassiez retenue par des raisons que je crois bien, moi, avoir leur bonté, mais qui ne sont pas les siennes, » Elle m’a dît quelque chose de l’opposition de ses parents, j’ai discuté le poids des autorités par le sentiment, par le devoir et par l’intérêt. Elle est convenue de tout ; ses yeux s’humectaient souvent, les miens n’étaient pas secs ; elle parlait peu, je la voyais balancée par beaucoup de considérations qu’elle n’exposait pas ; on distinguait une foule de ces choses de secret de famille et de situation qui tourmentaient son âme ; enfin l’inquiétude des suites a percé. Je l’ai rassurée en lui disant que, sans avoir reçu aucun détail, je ne pensais pas qu’il y eût à présumer rien de fâcheux ; que je lui parlais bien plus d’après le tact du sentiment que par la connaissance d’aucune raison ; que j’avais cru ne pas trahir la confiance en lui communiquant la connaissance d’un chagrin dont l’expression avait échappé et qu’il lui était si aisé de détruire, etc. Définitivement, avec un air moitié sensible et moitié dépité : « Eh bien ! je vais lui écrire que je partirai ». — « Il n’y a pas, lui répondis-je, un moment à perdre pour la poste : je me chargerai de la lettre. » Elle prend une plume, commence et me dit, en écrivant : « Je lui dis de venir me prendre mardi à Chantilly ». — « À Chantilly ? N’avez-vous pas de voie plus directe et plus prompte ? C’est obliger à moitié un mari qui vous demande depuis plusieurs jours[173]. »


1er septembre.

J’ai fait venir M. d’Hervillez ce matin, parce que j’avais des amertumes de bouche, un dégoût qui annonçaient de l’humeur dans l’estomac, et surtout des pesanteurs de tête qui m’inquiétaient. J’ai en la folie de craindre un dépôt, parce que c’est la maladie régnante, et j’avais envie de t’écrire de m’acheter de la poudre capitale. Le médecin s’est moqué de moi, il n’a trouvé dans tout cela, que des suites de l’embarras de l’estomac, assez ordinaire après un long usage du lait ; il m’a conseillé de me rafraîchir durant quelques jours, de me purger ensuite avec un gros de rhubarbe et de laisser le lait. Ce qu’il y a de vrai, c’est que je suis très capable d’application, ce qui n’annonce pas une très mauvaise tête, que j’ai le travail facile et que je ne sens un peu de mal que dans les moments où je ne fais rien, c’est-à-dire à ta promenade et au lit. Mais je vis d’activité plus que de nourriture ; je consomme moins que jamais ; un pain de demi-livre dont ma fille prend une petite partie, un peu de légume ou une moitié de pigeon font ma pitance de chaque jour. Sitôt que j’ai mangé, j’éprouve durant quelques minutes une sorte d’ivresse qui m’empêcherait de marcher droit et qui n’est pas sans agrément. Le sommeil répare tout, quoiqu’il soit accompagné de sueurs ; je dors énormément, et c’est là ce qui me régénère.

Tout cela n’est pas effrayant ; aie bien soin de toi, car ta santé fera toujours beaucoup à la mienne. Je viens d’arrêter une jeune fille pour cuisinière ; elle appartient à d’honnêtes gens et n’a point encore les vices de son état ; j’espère qu’elle ne les prendra pas chez moi, mais je crains qu’elle n’ait pas grand talent. Une tante habile fait espérer un supplément au besoin ; ainsi soit-il ; j’en essayerai.

Tu rendras mille bonjours au fidèle Achate  ; c’est bien à toi de te charger de mes réponses, puisque, en t’écrivant, je ne sais plus quitter pour dire mot à personne. Amitiés et encore mille choses à l’ami d’Antic. M. d’Eu m’a chargée de beaucoup de compliments, sa femme m’a bien assuré qu’elle aimait toujours singulièrement son prince grec[174], et moi aussi ; mais j’ai bien l’air de n’être qu’après, comme de raison.

    de 1783, p. 71). Il était un des cinq directeurs du Jardin des Plantes (ibid). C’est lui aussi, sans doute, qui était « secrétaire du Bureau général de charité » (Invent. d’Amiens, AA. 30, ann. 1786, fol. 244, et Alm. de Picardie de 1783, p. 24), et qui avait été nommé en 1785 régisseur du dépôt de mendicité d’Amiens, qu’il administra avec une singulière négligence (Invent. de la Somme, C, 1625).

  1. Ms. 6238, fol. 234-235. — Au haut de la page à gauche : « M. de Laplatière ».
  2. De Claret de la Tourette. Voir lettre du 16 janvier 1782.
  3. Cornette. — Lire probablement « Cornette ». (Voir lettre du 20 janvier 1782.)
  4. Andrieux, inconnu.
  5. Bemetzrieder, le maître de musique de la fille de Diderot. — Leçon de clavecin et des principes d’harmonie, in-4o, 1771 ; — Nouvelles leçons de clavecin, 1782 (Biogr. Rabbe)
  6. Mlle Desportes.
  7. Ms. 6238, fol. 236.
  8. Dom de la Croix. — On verra par cette lettre et les suivantes que c’était un religieux bénédictin, moine dans ce couvent de Montdidier dont nous avons déjà parlé (lettre du 16 janvier 1782), en lutte avec les chefs de l’ordre. Il semble que les deux frères Roland, le prieur de Crespy et le curé de Longpont, étaient de son parti. — Voir lettres des 27 et 28 janvier 1783, 12 et 22 mai 1784 (sur sa mort subite). — Cf., sur ces profondes divisions intestines de l’ordre des Bénédictins, les Mémoires secrets du 17 juillet 1783 au 11 mars 1785. passim.
  9. Louis-Charles de Machault, fils du ministre de Louis XV, évêque d’Amiens de 1774 à 1790. — Voir sur ce prélat aussi charitable que fanatique la Biogr. Rabbe et les Mém. secrets, 19 et 27 avril, 8 et 9 mai 1781.
  10. Pierre-Joseph Buchoz (1731-1807), naturaliste.
  11. Le}} secrétaire de l’évêque.
  12. Ms. 62238, fol. 227-228.
  13. Sur Descroizilles, chimiste rouennais, voir Appendice D.
  14. Ms. 6238, fol. 229-230.
  15. Dom Blondin. — Nous ne savons rien de lui.
  16. Roland devait, au retour, s’arrêter plusieurs jours à Crespy, et Madame Roland croyait que le curé de Longpont devait s’y trouver aussi.
  17. Ms. 6238, fol. 231. — La date du 28 janvier 1783, qui est un mardi, se déduit nécessairement du rapprochement de cette lettre avec la précédente.
  18. J.-B. Tarvernier (1605-1686), Voyages en Turquie, en Perse et aux Indes.
  19. Paul Lucas (1664-1737), Voyage au Levant ; Voyage dans la Grèce, etc. ; Voyage dans la Turquie.
  20. L’acteur J.-B.-Jacques Nourry, dit Grammont d Roselly, dont il va encore être question plus loin. — Voir les Mém. secrets, 6 février 1781, 20 janvier, 7 et 24 février, 24 et 25 juillet 1782, sur les démêlés qu’il avait eus avec la Comédie-Française, et dans lesquels il avait été soutenu par la protection de la Reine. Il devint, pendant la Révolution, chef de l’État-Major général de l’armée révolutionnaire et fut guillotiné, le 13 avril 1794, dans la même fournée que Chaumette, Gobel, etc. — Voir son article dans la Biogr. Rabbe
  21. Voir sur Godinot, inspecteur des manufactures à Rouen de 1751 à 1779, parent de Roland (il avait épousé une de ses cousines du Beaujolais) et son premier protecteur, l’Appendice C. Il était alors à la retraite.
  22. Nous ne savons de quelle affaire il s’agit.
  23. On voit par les lettres de Roland (lettre du 22 novembre 1781, ms 6240, fol. 113) qu’il était en relations avec le voyageur Pierre Sonnerat (1745-1814), neveu du célèbre voyageur Poivre, né à Lyon comme lui, et par conséquent compatriote de Roland. Le Voyage aux Indes orientales et à la Chine, de Sonnerat, avait paru en 1782, 3 vol. in-8o. Roland le cite dans son Dictionnaire des manufactures, I, 128°, pour le contredire d’ailleurs. Cf. Correspondancd littéraire, février 1783.
  24. De Bosc d’Antic, le père, qui était médecin du Roi par quartier.
  25. Ms, 6238, fol. 237-238.
  26. Grammont.
  27. Madame Roland revoyait, pour l’article Moutons du Dictionnaire des manufactures, la traduction d’un traité anglais sur l’éducation des troupeaux. Roland, dans son Dictionnaire (I, 137°-149°), renvoie en effet au Traité du bétail de john Mills (Londres, 1776), en regrettant « de n’avoir pas eu le temps de le traduire en entier », et au Guide des bergers (The Shepherd’s sure Guide) d’Ellis.
  28. Madame Roland avait écrit d’abord, au haut de sa lettre : « Vendredi, 31 janvier 1783 ». Ces mots sont biffés et il y a au-dessous : « Jeudi 30 ».
  29. Ms. 6238, fol. 232-233. — La lettre n’est pas datée, mais la date du 30 janvier 1783, qui est un jeudi, ressort des trois lettres précédentes.
  30. M. Stuart, entreposeur des tables à Amiens, Alm. de Picardie, 1783, p. 66.
  31. Mme de M. — Peut-être Mme de Mailly. – Voir lettre du 30 décembre 1781.
  32. Voir Mém. secrets, 15, 20 et 22 décembre 1781, 26 février et 19 avril 1782, sur les noëls abominables qui couraient alors contre la Reine.
  33. Depuis la mort de Maurepas (21 novembre 1781), il n’y avait pas eu de premier ministre ; mais Vergennes allait se faire nommer « chef du Conseil royal des finances » (Mém. secrets, 22 février 1783) et devenir par là une sorte de premier ministre.
  34. Sophie Cannet.
  35. Ms. 6238, fol. 239. — Il y a « vendredi » dans le corps de la lettre, et l’on y voit d’autre part qu’elle fait suite immédiatement aux précédentes. — En haut, à gauche : « M. de Lap. »

    Suit un post-scriptum de Bosc à Roland. Nous croyons utile de donner presque toujours ces post-scriptum, qui concourent à la physionomie de la correspondance. Celui-ci montre comment elle se pratiquait : en faisant passer ses lettres à son mari par Bosc (pour épargner les ports). Madame Roland les lui envoyait tout ouvertes, tant était grande l’intimité, et il y ajoutait à l’occasion une ligne ou deux pour son ami :

    Le 1er février, soir.

    Et moi aussi, je veux après, vous dire seulement qu’en vous quittant je suis allé au bureau et que j’y ai trouvé les bas de Germain* qui ne les avait envoyés le 31 qu’à une heure, après mon départ. Que fait-il en faire ?

    Je vous ai quitté gaiement, mais je n’ai pas été plus tôt rendu à moi-même que votre départ m’a occupé l’esprit et que j’y pense encore désagréablement.

    *. M. Germain, bonnetier à Paris, rue du Faubourg-Saint-Jacques (Alm. de Paris de 1785, p. 18), était un des industriels qui avaient mis le plus de complaisance à fournir des reseignements à Roland pour son œuvre. — Voir Dict. des manufactures, I, 42 : « Dès 1776, M. Germain découvrit le moyen d’exécuter le tricot doublé. » — Ibid, p. 57 ; — Ibid, t. II, Supplément, p. 60-61.

  36. Ms. 6239, fol. 238-239.
  37. Sur le marquis de Genlis, frère aîné du comte dont il va être parlé, voir les Mémoires de Madame de Genlis, t. I, p. 139 et suiv. (éd. de 1825).

    Le marquis, possesseur de la terre de Genlis, valant 75.000 livres de revenu, et à laquelle en outre était substituée celle de Sillery, d’un revenu de 125.000 livres, était interdit à cause de ses dettes et de ses folies, et réduit à 15.000 livres de pension. Il avait épousé, en 1765, Mlle de Vilmeur (ibid, p. 190).

  38. Félicité du Crest, comtesse de Genlis (1746-1830), bien connue. Le duc D’Orléans l’avait nommée, en 1782, « gouverneur » de ses enfants (Mém. secrets, 15 janvier). On sait que son mari, le comte de Genlis, devenu plus tard marquis de Sillery, puis député à la Constituante et à la Convention, périt avec les Girondins le 31 octobre 1793.
  39. On voit que Madame Grammont dans Mahomet(Zopire), y était retournée le 31 dans l’Orphelin de la Chine (Gengis-khan).
  40. Il s’agit de la « fidèle bonne », Marguerite Fleury. Lanthenas, qui était allé voir ses amis à Amiens en août 1782 (lettre 57), la connaissait déjà.
  41. Ms. 6238, fol. 240-241.
  42. Le prieur de Crespy, près duquel Roland, revenant de Paris, s’était arrêté.
  43. Baudeloque. — Il y avait à Amiens un notaire et un procureur de ce nom. (Alm. de Picardie), 1783, p.40.)
  44. Pierre-Joseph-Fleury Jubié, inspecteur des manufactures à Clermont-Ferrand (Alm. royal de 1783, p. 271). En 1790, devenu inspecteur honoraire, il fut à Clermont, avec Bancal des Issarts, un des fondateurs de la Société des Amis de la Constitution (Mègre, p. 18). Il fut plus tard député de l’Isère au Conseil des Cinq-Cents, puis au Corps législatif, etc., et finit sa carrière comme secretaire général de la Seine-Inférieure (Dict. des Parlementaires.)
  45. M. de Château-Favier, à Aubusson.
  46. Nous ne savons rien sur Garlé. C’est probablement de lui qu’il est question dans une note du Dictionnaire des manufactures (I, 60) où Roland remercie, en regrettant de ne pouvoir la nommer, « une personne très instruite » de Saint-Quentin, qui lui a fourni des reseignements pour son article sur le blanchiment des toiles.
  47. Madame Roland joue sur le nom de Conard Duperron, l’élèvre inspecteur.
  48. Nous ne savons de quelles « voisines » il peut être question.
  49. Lignes ajoutées de la main de Bosc pour Roland, à qui il transmettait la lettre. Il s’agissait de rechercher, pour l’article Crin, brosse, pinceau du Dictionnaire de manufactures, d’où provenait le « chiendent » dont on faisait alors des brosses et vergettes. Voir Dict. des manuf., I, 232 ; Roland avait consulté Daubenton, Thouin, etc., inutilement. — Cf. lettre suivante, du 5 avril 1785.
  50. Ms. 6238, fol. 242-243.
  51. François-Louis-Henry Le Riche, directeur et receveur général des domaines à Amiens. Marié depuis 1777 à Geneviève-Louise de Gand. (Invent. de la Somme, B. 160 ; Alm de Picardie de 1783, p. 67)
  52. Despréaux, procureur du roi à la maîtrise particulière des Eaux et Forêts d’Amiens. (Alm. de Picardie de 1783, p. 62.)
  53. Clér. — Peut-être Bernard de Cléry, juge subdélégué d’Amiens pour « la commission du conseil établi à Reims par lettres patentes du 21 novembre 1765 ». (Alm. de Picardie de 1783, p. 65-66)
  54. Gerbier, receveur des traites à la douane d’Amiens. (Alm. de Picardie de 1783, p.66.)
  55. Sur M. Froment, voir lettre du 27 janvier 1782.

    Le Bureau des finances et chambre du domaine de la généralité d’Amiens comprenait 23 charges de présidents-trésoriers généraux. De là le mot sur « le trentième de président ». (Alm. de Picardie de 1783, p. 42-44 ; A. de Louvencourt, Les trésoriers de France de la généralité d’Amiens.)

  56. L’Intendant, M. d’Agay.
  57. Henriette.
  58. Sophie Cannet et son vieux mari, M. de Gomiecourt.
  59. Bosc, IV, 50 ; Dauban, II, 488.
  60. Madame Roland s’était mariée le 4 février 1780.
  61. Berkeley, l’évêque philosophe (1684-1753).
  62. Collection Alfred Morrison, 2 folios.
  63. Le « seigneur père », c’est le père de Bosc, le médecin Paul Bosc d’Antic. On voit ici et on verra par plusieurs de lettres qui suivent qu’il traitait Roland par correspondance.
  64. Le journal de la santé de Roland, qu’on envoyait au « seigneur père ». Il y en a un fragment à la fin de cette lettre, et un autre à la suite de la lettre du 20 mars 1783. Nous ne donnons pas, en raison de leur caractère par trop intime ; c’est un vrai journal de garde-robe.
  65. Voir lettre du 16 janvier 1783.
  66. Joseph Pellerin, célèbre antiquaire et numismate, 1684-1782.
  67. Nous ne savons de quoi il est question.
  68. Voir Avertissement de cette année 1783.
  69. Nous présumons que ces jeunes mariés sont M. et Mme Daustel. Mme Daustel était la sœur de M. d’Eu. Bosc, dès cette époque, par les Roland, était entré en relations d’amitié avec M. d’Eu, grand amateur de botanique. Une série de lettres intéressantes de M. d’Eu à Bosc, que le possesseur M. Beljame, nous a obligeamment communiquées, nous montre Bosc fort lié non seulement avec M. et Mme d’Eu et bientôt avec leur fidèle ami M. de Vin, mais aussi avec M. et Mme Daustel.
  70. Voir lettre du 23 août 1782.
  71. Ces deux lignes, qui viennent à la suite de l’extrait du journal médical que nous avons cru devoir supprimer, sont de la main de Bosc. Il les a ajoutées en communiquant la lettre à son père.
  72. Bosc, IV, 51 ; Dauban, II, 489. — Un feuillet de la collection Morrison, de la main de Madame Roland, contient sur la santé de son mari des détails datés des « lundi 17 », — « 19 » — et « aujourd’hui 20 ». Ces détails sont trop médicaux pour offrir quelque intérêt, et nous ne les reproduirons pas. Notons seulement que, par les dates, ce feuillet est évidemment un journal de santé annexé à cette lettre du 20 mars 1783, et fait pour être placé sous les yeux du père de Bosc.
  73. Voir Mém. secrets, 11 avril 1783 : « Les assemblées du palais continuent pour procéder à la réforme des abus de la justice… » Ibid., 25 décembre. — Mais rien n’aboutit.
  74. Collection Alfred Morrison, 4 folios.
  75. Paragraphe biffé dans l’original, probabement par Bosc.
  76. Un tremblement de terre venait de détruire Messine. 40.000 personnes avaient péri. Sur M. Lallement, vice-consul en cette ville, voir la lettre du 3 janvier 1782.
  77. Buffon venait de faire paraître le premier volume de son Histoire des minéraux (1783-1785). — Voir Correspondance littéraire, juin 1783.
  78. L’abbé Gabriel-Léopold-Charles-Amé Bexon, né Remiremont en 1748, mort le 15 février 1784 (Mém. secrets, 3 avril), ami et collaborateur de Buffon, auteur d’une Histoire de Lorraine (dont il ne parut que le premier volume, 1777, in-8o), chanoine et chantre de la Sainte-Chapelle, « petit bossu plein d’esprit », avait fait la connaissance de Marie-Phlipon en 1778, chez sa cousine Trude, dont il était alors locataire. Depuis, il avait pris avec lui sa mère et sa sœur, « sa grande sœur aux yeux noirs » (Mém., II, 210-2111.)

    Roland avait chargé Bosc d’aller prendre chez l‘abbé Bexon des renseignements sur une traduction d’Aristote.

  79. Paragraphe biffé.
  80. Paragraphe biffé.
  81. Collection Alfred Morrison, 1 folio.
  82. Voir sur le premier Journal de Paris, 1777-1811, Hatin, Bibliogr., p. 76.
  83. Ceci marque le commencement des relations personnelles de Bosc et de M. de Vin. Elles devinrent bientôt très affectueuses, ainsi que l’attestent quatre lettres de M. de Vin à Bosc, que possède M. Beljame.
  84. Ms. 9532, fol. 155-156. — Cette lettre est un long post-scriptum à une lettre de Roland à Bosc, dont voici les principaux passages  : « Je vous expédie deux exemplaires de mon Art du tourbier, que je reçois de Neufchâtel… » (ceci nous donne la date exacte de la publication ) ; puis, après des détails sur sa santé et celle de sa femme : « elle va toujours maigrissant, et elle me semble dépérir. Je veux absolument qu’elle vous rende compte elle-même de ce qu’elle a fait de sa situation et je vous prie de vouloir bien en conférer avec M. votre père… Je ne suis point surpris du peu de sensation qu’a fait le changement, inattendu cependant, dont vous me parlez [le remplacement du contrôleur général Joly de Fleury par d’Ormesson, 30 mars 1783] ; je vous avouerai cependant que j’en suis bien aise, non à cause de l’arrivant, que je ne connais point, mais à cause du partant que j’aimais encore moins. »
  85. Bosc a écrit, pour son père, au bas de la lettre :

    « Je vous serais obligé, si vous trouvez un moment pour répondre à cette consultation d’Amiens. »

  86. Bosc, IV, 51 ; Dauban, II, 489.
  87. Voir le post-scriptum de Bosc à la lettre du 2 février 1783
  88. Bosc, IV. 52 ; Dauban, II, 491.
  89. Pâques, 20 avril 1783.
  90. Bosc, IV, 53 ; Dauban, II, 491.
  91. Collection Alfred Morrison, 1 folio.
  92. Bosc, IV, 54 ; Dauban, II, 492.
  93. Cette allusion aux relations de Bosc avec le Poitou peut s’expliquer par sa liaison avec Creuzé-Latouche, qui était du Poitou et qui habitait alors Paris (rue des Lavandières-Sainte-Opportune ), à côté de Bosc (rue des Prouvaires). Peut-être Bosc était-il en Poitou, chez Creuzé-Latouche, profitant du congé de Pâques.
  94. Ms. 6239, fol. 240. — Bosc, IV, 55 ; Dauban, II, 493. — Le manuscrit contient deux paragraphes inédits. Les autres sont entre crochets.
  95. Voir, sur les sœurs de Bosc, Madame de Boinville (l’aînée), et Sophie, l’Appendice K.
  96. Ces trois mote sont biffés au manuscrit.
  97. La suite manque au manuscrit.
  98. Collection Étienne Charavay. — Mlle Bader avait déjà publié quelques fragments de cette lettre dans le Correspondant du 25 juin 1892.
  99. La femme du quincaillier de la rue des Lombards, chez qui Bosc était allé demander des échantillons de chiendents. — Voir lettres des 2 février et 5 avril 1783.
  100. Cet trois lignes sont bâtonnées dans l’original, évidemment par la main de Bosc.
  101. Bosc, IV. 56 ; Dauban, II, 494.
  102. Dauban, II, 438. — M. Dauban met cette lettre en 1781, ce qui est impossible, puisque Madame Roland y parle de sa fille. D’ailleurs, c’est en 1783 que le 12 mai tombe un lundi.
  103. Le Journal encyclopédique (1756- 1773), fondé par Pierre Rousseau (de Toulouse). Hatin, p. 62.
  104. Les Ursulines d’Amiens. — Voir, plus loin, lettres du 19 août 1783 et suivantes. — Madame Roland cherchait des renseignements pour l’article « Broderie » du Dictionnaire des manufactures.
  105. Roland.
  106. Bosc, IV, 57 ; Dauban II, 495.
  107. Voir Mém. secrets, 30 avril 1783.
  108. Bosc. IV, 57 ; Dauban, II, 496. On voit par la lettre, que Madame Roland écrit le lendemain du lundi de la Pentecôte, donc le 10 juin 1783. — Sailly-le-Sec, sur l’Ancre (département de la Somme, canton de Bray et arrondissement de Péronne). Madame Roland était là chez Sophie Cannet, dont le mari, M. de Gomiecourt, était « seigneur de Sailly-le-Sec ». (Invent. de la Somme, B, 275.) — Voir Appendice E.
  109. Murray (Jean-André, 1740-1791, élève de Linné, professeur de médecine et de botanique à Göttingen avait donné, en 1774, la 13e édition du Systema vegetabilium de Linné.
  110. Bosc, IV, 59 ; Dauban, II, 498.
  111. Ms. 6238, fol. 245-246. — Dans un coin de la lettre, on lit : « M. de Laplatière ». C’est une indication pour Bosc, l’intermédiaire habituel. Une note, d’écriture ancienne, porte : « Probablement 20 août 82 ». Mais c’est inadmissible, car l’enfant, à cette date, n’avait pas onze mois. Il faut aller jusqu’en 1783. De plus, le 20 août 1783 étant un mercredi, et le 19 un mardi, il en ressort que cette lettre est du 19 août. Cela ressort encore mieux de la liaison de cette lettre avec celles qui viennent après.
  112. À deux pas de son logis.
  113. « Le boursier », c’est l’article Boursier du Dictionnaire des manufactures (I, 83-90) ; l’article Poil se trouve dans la 2e partie du même même volume (I, 286*-288*) ; de même pour l’article Frise (I, 29*-34*. Quant au « Plan », on voit, par les lettres suivantes, que c’était une sorte de tableau synoptique à mettre en tête du Dictionnaire des manufactures.
  114. On retrouvera souvent, dans la suite, le nom de M. Chevandier. C’était un négociant de Lyon, ami de Roland et Lanthenas dès 1777 (voir ms. 6242, fol. 255-257, une lettre de Lanthenas à Roland, du 16 septembre 1777). Sa femme, dont il sera aussi souvent parlé, était une Italienne de Livourne (voir lettre du 12 décembre 1784).
  115. MM. Lamy frères étaient des fabricants d’Amiens, que nous retrouverons, en mai 1784, associés à Flesselles pour exploiter la machine d’Arkwright (le Mull-Jenny), introduite en France. — Voir Dictionnaire des manufactures, II, 312.
  116. Il semble qu’il s’agisse d’une pension pour la fille de Flesselles.
  117. Galland de Longuerue, chevalier de Saint-Louis, demeurant faubourg de Noyon, échevin d’Amiens en 1783 (Alm. de Picardie de 1783, p. 47) et qui ne figure plus nulle part à l’Almanach de 1784.
  118. La mère de cette Mlle d’Hangard dont nous avons parlé (lettre du 2 mars 1780 ; cf. Appendice E) et qui est si souvent mentionnée dans les Lettres Cannet.
  119. Guillaume Lasceux, organiste de Sainte-Étienne-du-Mont (Tuetey, III, 5479). Électeur de paris en 1793 (Alm. nat.). — Mlle Girard ne figure pas à l’Almanach de Paris de 1785.
  120. Roland, dans son Dictionnaire des manufactures, I, 282, publie un « État des fabriques de la Champagne en 1782 » et ajoute : « Je le dois à la complaisance de M. de Taillardat de Sainte-Gemme, inspecteur des manufactures en Champagne ». Il le mentionne également, dans son Discours préliminaire (t. I, p. xxxiv), parmi ceux qui lui ont fourni des documents. — l’' Almanach royal de 1783, p. 271, dit : « Taillards de Saint-James, inspecteur à Châlons-sur-Marne ».
  121. Ms. 6238, fol. 247-248. — Dans un coin : « M. de Laplatière ». Une note, d’écriture ancienne, dit « Probablement août 82. Conjecture inadmissible. Le rapport de cette lettre avec celle qui précède et surtout avec celles qui suivent prouve qu’il faut lire août 1783
  122. M. de Montauban, contrôleur et receveur ambulant de Domaines à Amiens (Alm. de Picardie de 1783, p. 67).
  123. Nous ne trouvons pas trace de ce nom. — Peut-être est-ce M. de Senne, subdélégué à Doullens de 1757 à 1785.
  124. Celle des demoiselles de Lamotte, cousines de Mlles Cannet et tantes de Mlle d’Hangard, qui vivait encore. L’autre était morte avant 1780. — Voir Mém., II, 119-120, et Appendice A.
  125. Henriette Cannet.
  126. Saint-Fuscien, village à 6 kilomètres d’Amiens.
  127. Ms. 6238, fol. 249. — Une note, d’écriture ancienne, dit « probablement août 83 ». C’est fort vraisemblable, car le 24 août 1783 tombe un dimanche.
  128. Voir lettre du 8 août 1782.
  129. Sans doute Jacques-François Martin, frère utérin de Delamorlière, qui avait apporté en France la machine d’Arkwright et qui s’associa à Flesselles et aux frères Lamy, en 1784, pour l’exploiter à Amiens (voir Dict des manuf., II, 309-312, et Biogr. de la Somme, « article K.-B.-J. Delamorlière ». Cf. Maiseau, Hist. de la filature du coton, p. 112.)
  130. Ms. 6238, fol. 250-252. — La date se trouve dans le corps de la lettre.
  131. Henriette Cannet.
  132. La « Société des gens de lettres d’Amiens » avait obtenu, en juin 1750, des lettres patentes du Roi l’érigeant en « Académmie des sciences, des belles-lettres et des arts » (Inventaire de la Somme, B, 43, et Almanach de Picardie, 1783, p. 69). Elle recevait une subvention annuelle de la ville sur le produit de l’octroi de Picardie (Invent., t. II, Introd., p. xii). Elle était, depuis 1751, propriétaire du terrain appelé « Jardin du Roi », y entretenait un jardin botanique (Archives d’Amiens, AA, 22, fol. 57) et y faisait faire des cours publics de botanique, de chimie expérimentale, puis, en 1783, de meunerie et de boulangerie (Alm. de Picardie, 1783, p. 71 et suiv.).

    Roland, qui vivait en mauvais termes avec la classe de gros marchands, bourgeois enrichis et demi-nobles où se recrutaient et la municipalité et l’Académie, ne fit jamais partie de cette compagnie, alors qu’il appartenait à une foule d’autre (voir Appendice H). Aussi les sarcasmes abondent-ils dans la Correspondance contre « L’Académie béotique ». Dès le 21 juin 1777, Marie Phlipon, prévenus par Roland, écrit aux demoiselle, Cannet, à propos de la mort de Gresset : « Je crois que l’Académie d’Amiens doit se croire morte et enterrée avec lui : elle est si piètre, si chétive ! » Le 19 mars 1784, Roland écrit à sa femme (ms. 6240, fol. 92-93) : « Hier, à côté de M. Déj., il me demandait si l’on ne m’avait point proposé d’être de l’Académie ; quelques-uns m’en ont parlé, l’abbé Rey. [Reynard], etc… Mais j’ai toujours dit que, si l’on attend que je le demande, je n’en serai jamais. Je le crois bien, dit-il, et vous avez raison. » Madame Roland répond (21 mars) : « Si l’Académie béotienne n’avisait…, accepte toujours, tu seras là pour montrer comment tu la juges ; cela suffit et ne prêtera pas au blâme comme un refus… » Et Roland de dire (23 mars) : « Je suivrais ton conseil à l’égard de la Béotique, si… Mais je ne pense pas que cela ait lieu ; on ne parle point d’assemblée ; il n’y a point de place vacante, je ne suis pas un financier ; bref, je ne crois même pas qu’il en soit question… » Et Roland, qui fut de dix ou douze Académies, ne fut pas de celle d’Amiens !


    Cette compagnie, comme presque toutes celles qui existaient alors, tenait sa grande séance annuelle le 25 août, jour de la fête de Saint-Louis.

  133. M. Fontaine, conseiller au baillage et présidial d’Amiens (Alm. de Picardie, 1783, p. 38). Il était probablement fils de Nicolas-Joseph de Dompierre, seigneur de Fontaine-Hornoy, président trésorier de France au bureau des finances d’Amiens, qui avait épousé en 1738 une nièce de Voltaire.
  134. C’était la séance de réception du chirurgien Anselin. — Voir, sur lui lettre du 15 novembre 1781.
  135. Denis-Isidore Desmery, doyen du collège des médecins d’Amiens, membre de l’Académie de cette ville, qui était mort depuis peu, après avoir fait au Jardin des Plantes son 29e cours de botanique (Alm. de Picardie de 1783, p. 71).
  136. Bourgeois, maître en chirurgie, « lieutenant du premier chirurgien du Roi » (Alm. de Picardie de 1783, p. 77).
  137. L’expression de « défunt maître » ne permet pas de reconnaître là Collignon, « chirurgien major de l’hôpital » (Alm. de Picardie de 1783, p. 77), car ce Collignon se retrouve à l’Almanach de 1784, p.61.
  138. Baron, avocat (Alm. de Picardie de 1783, p. 40), secrétaire de l’Académie d’Amiens (p. 70), administrateur de l’hôpital (p. 23), ancien bâtonnier, rédacteur des Affiches de Picardie (Invent. d’Amiens, AA. 29, ann. 1782, fol. 163.)
  139. Rousseau, ingénieur de la ville d’Amiens (Alm. de Picardie de 1783, p. 48), membre de l’Académie (p.71). — Cf. Invent. d’Amiens et Invent. de la Somme, passim.
  140. Pierre-Antoine Du Liège, né en 1714, mort en 1789, écuyer, seigneur de Warlusel, trésorier général de France à Amiens (1756-1785), membre de l’Académie (Alm. de Picardie de 1783, p. 43, 71 ; A. de Loouvencourt, Les trésoriers de France de la généralité d’Amiens).
  141. Nous trouvons, à l’Almanach de Picardie de 1783, M. Boistel de Belloy, avocat, membre de l’Académie (p. 39, 70), bailli de la justice temporelle du chapitre (p. 26), de la justice des RR. PP. Jacobins (p. 27) et de la justice du vidame (p. 65). Mais peut-être s’agit-il de son fils, comme lui avocat et membre de l’Académie (ibid, p. 40, 71).
  142. Villin, « ancien curé de Cormeilles » membre de l’Académiee (Alm. de Picardie
  143. Voir, sur Sélis, la lettre du 30 décembre 1781.
  144. Ms. 6238, fol. 253-255.
  145. Roland, Bosc, Lanthenas.
  146. Le canal de la Somme, de Saint-Quentin à la mer, auquel on travaillait. Voir à l’Inventaire de la Somme, t. II, l’excellente Introduction de M. Georges Durand, p. xix
  147. La cathédrale d’Amiens.
  148. Louis-Charles de Machault (voir lettre du 17 janvier 1783). C’est lui qui avait fait créer en 1778 les bureaux de charité d’Amiens.
  149. Louis-François-Gabriel d’Orléans de la Motte, évêque d’Amiens de 1733 à 1774.
  150. Houzé (voir lettre du 25 juillet 1781).
  151. Celle des demoiselles Malortie que Roland avait aimé et qui était morte. — Voir Appendice D.
  152. Beau parc public au N.E. d’Amiens.
  153. C’est-à-dire sa petite chambre de professeur, chambre sans feu, comme celle du collège de Louis-le-Grand que Gresset a chanté. — Voir à l’Inventaire de la Somme, B. 383, la requête de Delille, alors collègue de Sélis à Amiens, qui, atteint de fièvre quarte, réclame « une chambre à feu ». On ne peu la lui donner qu’en prenant la chambre réservée pour le principal
  154. Gresset était le grand homme d’Amiens. On se rappelle d’ailleurs que Sélis avait épousé une de ses nièces.
  155. Mme d’Agay.
  156. Demeaux, secrétaire de l’Intendance, qui avait été reçu à l’Académie précisément en 1783 (Alm. de Picardie de 1784, p. 58). Il fur secrétaire général de la Somme, sous l’Empire.
  157. List : « de Belloy ».
  158. Clairval ; nous ne rien sur lui.
  159. Mme Guérard, sœur aînée de Henriette et de Sophie Cannet. Madame Roland la connaisait depui 1776. — Voir Append. A.
  160. Le « Tableau synoptique des manufactures et arts ». — Voir lettre du 19 août 1783.
  161. Ms. 6238, fol. 255-256.
  162. Marguerite Fleury.
  163. Henriette Cannet.
  164. On trouve, à l’Inventaire de la Somme (C. 602-605 et 1551-1554), d’assez nombreux renseignements sur la troupe du sieur Valville, qui s’intitulait tantôt « Directeur de la troupe des comédiens de Reims », tantôt « Directeur privilégié pour Amiens, Abbeville et Saint-Quentin », et qui promenait ainsi ses représentations dans les villes de la région. Il avait joué à Abbeville en juillet 1783, malgré la municipalité qui avait traité avec une autre troupe, sous la protection de l’Intendant, et le conflit qui en était résulté l’avait probablement empêché de se rendre à Amiens. On voyait d’ailleurs se succéder à Amiens, en une seule saison théâtrale, jusqu’à trois ou quatre troupes de passage. Il semble que celle de Valville avait quelque importance (17 hommes, 8 femmes, en 1781).
  165. Audoy, originaire d’Amiens, était procureur au Parlement de Paris, rue Saint-Bon, et était chargé des affaires de sa ville natale (Inv. d’Amiens, AA. 25, p. 9, et Alm. royal de 1763). Il mourut en 1776, et nous trouvons, à l’Inventaire d’Amiens (I, AA. 32, fol. 39), une lettre de sa veuve, du 31 octobre 1766, aux maire et échevins d’Amiens, les priant de continuer leur clientèle au successeur de son mari. — Il semble résulter de la lettre de Madame Roland que Mme d’Audoy avait ouvert, pour vivre, une pension de demoiselles. — C’était une cousine des demoiselle Cannet (lettre du 30 octobre 1778). Elle demeurait rue Saint-Bon (lettre du 5 décembre 1775), ce qui établit bien l’identité de cette cousine avec la veuve du procureur, bien que les éditeurs des Lettres Cannet aient imprimé « Audoin » en cet endroit.
  166. Sur l’avocat Jean-Baptiste-François Morgan, voir Inventaire de la Somme, passim, mais particulièrement C. 1546 :: « Mémoire de l’Intendant au Contrôleur général (15 octobre 1774), relativement à un mémoire du sieur Morgan, avocat à Amiens, qui demande les grâces du Roi… » L’Intendant rappelle que Morgan avait été député par la ville d’Amiens à Paris, à l’effet d’y chercher des professeurs pour Amiens lorsqu’il fut défendu aux jésuites d’enseigner, et il ajoute : « Le temps n’a point encore apaisé l’animosité contre lui, surtout parle le grand nombre de particans qu’avaient les jésuites dans la ville d’Amiens. Le sieur Morgan était, avant sa députation, l’avocat le plus occupé de la ville et le plus assidu au travail. Les disgrâces qu’il a souffertes ont dérangé absolument sa fortune, qui consistait principalement dans le produit de sa profession qu’il exerçait avec éclat. Il a donné une très bonne éducation à sa nombreuse famille, mais ses malheurs l’ont empêché de marier aucune de ses filles… Le sieur Morgan est d’une famille très honnête, dont il est le seul qui ne soit pas noble, quoique de la branche aînée… ses puînés ont pris le parti du commerce ; ils y ont réussi et ils sont encore au nombre des meilleurs commerçant d’Amiens… »
  167. Ms. 6238, fol. 259-260.

    On voit, par la lettre suivante, que cette lettre, datée « du 1er septembre » dans l’original, n’est en réalité que du 31 août.

  168. Sur Guérard, voir Appendice A.
  169. Sur Muyard de Vouglans, qui épousa en effet Henriette Cannet en 1784, à soixante-dix-sept ans, voir Appendice A.
  170. Sélincourt.
  171. M. de Cayeux. — Probablement M. Decaïeu, receveur des consignations au présidial (Alm. de Picardie de 1783, p. 38 ; cf. p. 25). — Probablement le même que M. Decaïeu, « procureur vis-à-vis de l’hôtel de Ville » (ibid, p.41). On trouve aussi M. Decaïeu, « Lieutenant de louveterie du Roi » (ibid, p. 63). Nous ne sommes pas en mesure de choisir.
  172. Ms. 6238, fol.257-258. — En rapprochant ces deux lettres, on s’aperçoit tout de suite que celle-ci doit venir après la précédente. Or, comme il y est dit, dans un coin de la lettre, au haut, à droite : « J’ai appris que ce n’est aujourd’hui que le 31 août » — et que son post-scriptum est du 1er septembre, — les dates des deux lettres paraissent donc bien déterminées ; c’est le matin du 31 août que Madame Roland écrit le n° 96, et le soir qu’elle commence le n° 97.
  173. Ces mots terminent les verso du folio 257, et ce qui suit commence le recto du folio 258. Il semble que Madame Roland, s’interrompant en cet endroit, n’ai pas repris son propos.
  174. Roland