Lettres de Fadette/Troisième série/32

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 86-89).

XXXII

Petites curieuses


Elles étaient trois : jeunes, fraîches et bavardes, et elles allaient en tramway chez une vulgaire chiromancienne, dans un quartier douteux. Je les entendais se raconter les révélations déjà faites, le prix des consultations, etc. Je n’ai jamais été si tentée de faire ce que je m’interdis toujours : me mêler de ce qui ne me regarde pas !

Ces prédictions fantaisistes sont souvent très nuisibles aux folles imaginations, et je ne conçois pas bien que la délicatesse d’une jeune fille ne se révolte pas à la seule idée de faire lire les jolis secrets de son cœur par ces femmes grossières.

Il faut pourtant reconnaître que c’est une tentation pour les jeunes d’essayer de percer le mystère vers lequel nous allons. Il me semble que celles qui ont souffert sont moins curieuses : elles savent que pour conserver leurs forces, il faut arriver dans le malheur les yeux fermés et qu’une longue prévoyance minerait leur courage.

Et cependant, il s’en trouve, même parmi celles-là, qui vont toutes tremblantes consulter les voyantes, les cartomanciennes et autres prétendues prophétesses. Est-ce simple inconséquence humaine, ou compliqué illogisme féminin, ce désir de livrer leurs mains à l’étude des lignes mystérieuses de vie et d’amour, de déboires et de succès, et de savoir, ou de croire savoir, ce qui les attend demain ?

Étrange curiosité des âmes humaines qui demandent à la graphologie l’énigme de leur caractère, à la chiromancie le mystère de leur avenir et qui négligent ou redoutent de descendre dans les retraites intimes de l’âme pour y voir leurs faiblesses et leurs forces qui feront pourtant cet avenir à la mesure de leur âme. Porter le passé et le présent, c’est assez ; ne convoitez pas, petites filles imprudentes, d’y ajouter la connaissance du futur — dans tous les sens !

Le deviner, le rêver, le créer à la nuance de vos désirs, ne savez-vous pas que c’est une des joies les plus délicates de vos heures douces ?

Pourquoi vous donner l’inutile appréhension du malheur qui vous attend au tournant de la route ?

Pourquoi enlever au bonheur le charme de l’imprévu ?

Vous ignorez encore, peut-être, que pour nos cœurs puérils, le bonheur qui n’est plus nouveau cesse d’être un trésor : on s’y habitue, on n’y pense plus… par le fait même, ne cesse-t-il pas d’être un bonheur ?

Non, ne consultez pas ces vilaines femmes ; vous chercheriez à donner à votre vie la forme de leurs mensonges — des mensonges que vous payez trop cher, je vous assure. Je puis bien vous dire, moi, ce qu’il sera votre avenir ?

Il sera ce que vous le préparez maintenant.

Si vous saviez quelle puissance vous possédez pour commencer à créer en vous une réserve de bonheur où vous pourrez puiser toujours !

Que votre âme vivante et profonde s’unisse à votre volonté dans la recherche de l’harmonie, l’harmonie qui naît de l’accord entre votre conscience et votre devoir, et ce sera toujours en votre âme une source inépuisable de joie intérieure que nulle épreuve ne pourra tarir.