Lettres de Fadette/Quatrième série/33

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 92-94).

XXXIII

Aimons la vie !


Les premiers rayons chauds nous apportent de la joie et elle entre dans notre cœur comme une caresse de Dieu : les malades et les tristes reçoivent de leur chaleur bienfaisante une douceur de vivre qu’ils avaient oubliée.

Il me semble que ce n’est qu’avec cette joie dans le cœur que notre activité peut avoir tout son rayonnement. Dieu qui est toute Bonté et toute Bienfaisance doit aimer ceux qui apprécient la simple et grande joie de vivre. Je m’étonne souvent de constater que cette joie est rare, et j’entends plus de plaintes contre la dureté de la vie que de bénédictions, sur le seul bienfait d’exister.

C’est peut-être parce que nous nous occupons trop de nous-mêmes, et que voyant tout par rapport à notre personnalité, nous fermons les yeux sur la beauté de la nature qui nous entoure et sur la beauté des âmes avec lesquelles nous vivons en les ignorant.

Nous ressemblons à des lampes remplies d’huile mais enfermées dans des armoires. Qu’une flamme allume la mèche toute prête, et la lampe donne de la lumière en éclairant les autres et elle remplit ainsi le but pour lequel elle a été préparée.

L’étincelle qui allume notre lampe, c’est la joie de sentir que la vie est un bienfait. Sans elle nous restons sur la tablette de l’armoire fermée, éteints et inutiles.

Malgré la plus ferme détermination contraire, les égoïstes sont contraints de donner aux autres de leur temps, de leur travail, un peu d’eux-mêmes enfin. Ils sont mécontents et tristes parce que ces dons sont forcés, et leurs meilleures actions ont l’acidité des fruits verts. Ils détestent la vie et s’en plaignent amèrement. Mais pour ceux qui ont compris la magnificence du grand don de Dieu, l’égoïsme est à jamais chassé de leurs âmes : ils donnent avec la même joie qu’ils reçoivent ; la vie qu’ils aiment les remplit de cette joie unique qui vous fait remercier Dieu d’un beau coucher de soleil.

La pensée de la mort ne saurait les assombrir. Ils savent qu’au delà de la barrière que la Mort leur fera franchir, ils retrouveront la Vie dans une plénitude qu’ils pressentent.

Je regarde les grands arbres nus : leurs pieds enfoncent encore dans la neige qui disparaît si lentement : leurs cimes, sur le ciel clair, ont déjà un frémissement. La sève ne verdit pas encore leurs branches, mais elle leur communique une souplesse vivante : ils sentent le Printemps tout près qui ranimera en eux la vie interrompue.

Je me figure que nous serons ainsi dans notre hiver, et qu’ils passeront paisibles et doux les jours qui nous rapprocheront du Grand Printemps où nous sera rendue la vie suspendue un instant.

Mais si la vieillesse ne tue pas la joie de vivre, que devient-elle, me dites-vous, au milieu des séparations, des deuils, des épreuves inévitables ?

La douleur qui passe ne fait pas nécessairement disparaître la joie de vivre qui accompagne le don de la vie même, et qui ne peut être étouffée, semble-t-il, que par le contact du mal voulu et consenti.

Chaque aurore rose et fraîche nous apporte la force de porter le fardeau quotidien. Ce jour qui sort de la nuit, c’est l’espoir qui sort de la souffrance, c’est la sérénité qui sort de l’acceptation, c’est surtout l’évidence que Dieu prodigue l’amour comme il prodigue la lumière, magnifiquement.

Aimons la vie, et de toute la bonne volonté de nos pauvres cœurs humains, rendons-la plus douce aux malheureux qui veulent être tristes.