Lettres de Fadette/Première série/52

Imprimerie Populaire, Limitée (Première sériep. 122-125).

LI

Fadette directeur


Mais savez-vous, chers lecteurs, que l’amie Fadette tournerait au directeur de conscience si elle répondait à toutes vos demandes de conseils, et si elle donnait son opinion sur les différents « états d’âme » que vous lui soumettez avec une confiance si déconcertante ?

Or, je ne vous cache pas que ce rôle me semble assez ingrat dans tous les cas, et dans le mien il est impossible. Il faut tant de sagesse pour diriger les autres… et au moins faudrait-il avoir un semblant d’autorité et je manque de l’une et de l’autre !

D’ailleurs, sans douter de votre sincérité, ce qui serait vraiment très vilain, je sais qu’en me faisant vos confidences, vous êtes surtout entraînés par le besoin de parler de vous, de plaider d’avance les causes que vous sentez vaguement mauvaises. Vous m’exposez vos petites affaires sentimentales en les enguirlandant, pour moi comme vous le faites pour vous, et au fond, rien ne vous déplairait tant que de me voir les tirer au clair et vous dire : « Elle n’est pas jolie ! Il faut la sortir de votre cœur ! »

Ah ! ces mystères que l’on trouve au fond des cœurs de femmes : elles cultivent, sans savoir d’où elles viennent, de petites plantes inconnues qui peuvent devenir bien encombrantes avec le temps… et l’ombre !

Moi, je me défie de tout ce que l’on ne veut pas regarder en face, de tout ce que l’on refuse de définir clairement, de tout ce qui flotte en vapeurs fines et insaisissables dans les âmes féminines et dont elles font leurs délices.

La plupart de nos fautes et de nos erreurs sont faites de nos indulgences inavouées, mais réelles, pour ce qui n’est pas bien, de nos sentiments mal définis et caressés les yeux fermés, de nos révoltes sourdes contre ceux qui veulent amener la réalité sous nos yeux, et mettre une barrière infranchissable entre notre faiblesse et ce qui la séduit.

Il vient une heure, où notre habitude d’excuser les défaillances des autres nous fait trouver les nôtres dignes d’indulgence et d’excuses, et où l’habitude de reculer ce qui gêne notre liberté devient une révolte ouverte contre les résistances de notre conscience.

Et je pense que voilà en quatre mots l’histoire des déchéances qui nous surprennent chez les femmes que nous avions crues si droites, si pures et si religieuses.

Elles ont été tout cela un peu vaguement ; leur foi floue, leurs principes élastiques, leurs sentiments mal définis étaient jetés pêle-mêle dans une âme faible qui ne voulait pas voir le fond des choses, et qui vivait dans l’illusion d’elle-même et des autres.

La réalité a toujours son heure, et à bien soigner les petites plantes, elles poussent de si solides racines que lorsqu’il s’agit de les arracher, elles emportent un morceau du cœur !

On entend souvent critiquer les personnes à principes fixes et qui refusent tous les compromis. — Une barre de fer, dit-on, elle n’a aucune largeur d’esprit et sa sévérité est exagérée !

Quoique les moralistes rigides et les censeurs de profession me déplaisent infiniment, je comprends très bien que si l’on veut conserver une barre droite, il ne faut pas la plier bien souvent pour qu’elle refuse de se redresser complètement, et les austères rigides sont des vertueux et des sincères qui ne se payent pas de mots et qui conforment leur conduite à leurs principes.

Rien n’est plus rare que de trouver une femme sincère avec elle-même. Généralement, elle s’arrange pour croire ce qu’elle désire, et elle y réussit trop bien pour ne pas avoir des réveils brusques qui la laissent désarmée.

Et à toutes celles qui veulent mes conseils, et qui ne les mettraient pas en pratique s’ils allaient contre leur sentiment, je ne puis que recommander la recherche vraiment honnête et sincère de tout ce qui germe et pousse dans leur âme. Voyons bien d’où cela vient et surtout où cela va… et défions-nous prudemment de tout ce que nous ne pouvons classer franchement : le bien ou le mal. Défions-nous de notre amour de la guirlande et des jolis voiles, et adorons la lumière qui visite tous les coins et qui ne favorise pas l’illusion, cette éternelle ennemie des femmes qui les blesse en les caressant.