Lettres de Fadette/Première série/48

Imprimerie Populaire, Limitée (Première sériep. 113-115).

XLVII

Leur secret


La caresse douce de ce précieux et rare soleil d’octobre précipite le départ des oiseaux. Les retardataires s’affairent en rangs pressés sur les fils de télégraphe, ils s’attendent et s’appellent. Il en est parti des millions, et il en part encore… je les envie de s’en aller très loin, loin du froid qui transit, des tempêtes qui hurlent, et de la neige qui ensevelit si lamentablement toute la vie radieuse que nous aimons.

Je pense, en voyant le nombre incalculable de leurs petites armées si bien organisées, qu’ils sont venus en plus grand nombre encore, et qu’il a dû en mourir sur les bords des toits, dans les gazons des jardins, sur la mousse des bois… ils sont morts, mais nul ne sait ce que deviennent leurs petits squelettes. La curiosité de votre amie Fadette a bien cherché, et depuis des années, à découvrir au moins un de ces petits morts emplumés. Inutilement… et quand il fait un temps velouté, et caressant comme aujourd’hui, j’imagine des fantaisies que je ne vous demande pas de croire… mais, qui sait, si, affolés par une souffrance inouïe et inconnue, ils ne s’élancent pas éperdument dans l’azur, toujours plus haut, si haut qu’ils ne reviennent pas et sont recueillis par la Bonté Suprême dans un paradis d’oiseaux où tous leurs maux sont finis ?

Les oiseaux cachent leur agonie comme certaines femmes cachent la douleur qui remplit leur cœur.

Elles ont déjà été heureuses, éblouissantes de grâce et de jeunesse : le bonheur est perdu, mais elles ne cessent de se parer, de sourire, de faire des petits gestes vifs et charmants, de semer de la lumière sur leur route, au point que les passants se disent : « Est-elle heureuse, celle-là ! »

Cependant la souffrance mortelle est entrée dans son âme, et tapie bien au fond, elle ronge toutes les forces vives : confiance, espoir, amour, courage, tout s’effrite, tout s’en va, le cœur se crispe, se tord, voudrait crier sa détresse, mais la loi, l’inexorable loi du silence qui clôt tant de lèvres de femmes, lui ordonne de ne rien laisser voir de ses déceptions, de ses regrets, de ses amertumes, de son infinie lassitude.

La loi qui rend introuvables les petits cadavres d’oiseaux lui ordonne d’enterrer seule, dans le mystère profond, tous les morts qui meurent dans son pauvre cœur, et de continuer à paraître heureuse… comme autrefois ! Et pourtant… écoutez, il serait possible, si ces pauvres désolées l’essayaient d’un cœur sincère, que le miracle que j’imaginais pour les petits oiseaux malades, se réalisât pour elles. Si d’un grand coup d’aile, la douleur féminine s’élançait en haut, vers l’infini Divin, je crois qu’il la prendrait tendrement, et ne lui permettrait pas de redescendre aussi lourde et amère dans les pauvres âmes accablées. Il la transformerait, et si elle doit, pour le mieux, revenir dans l’âme éprouvée, ce serait pour la vivifier et non pour l’écraser.