Lettres de Fadette/Première série/43

Imprimerie Populaire, Limitée (Première sériep. 100-102).

XLII

Tendresse discrète


Elle était le « reposoir de son cœur ». Quel mot charmant et quel rêve de sérénité idéale il évoque. Il est heureux le mortel qui a trouvé la femme et l’amie qui sait le reposer, de tout !

Ce rôle si féminin tente toutes les femmes : plusieurs ont l’illusion de l’exercer, et quand elles n’y arrivent pas, elles accusent de mauvaise volonté ou d’aveuglement ceux des leurs qui ne veulent pas profiter de leurs offices de bonnes petites samaritaines.

Ce n’est donc ni le sentiment, ni le désir de bien faire qui leur manquent : elles aiment leur mari et leurs enfants, rien ne leur coûterait pour obtenir leur confiance, et elles constatent tristement, qu’à mesure qu’elles avancent d’un pas, ils reculent de dix.

C’est qu’elles ne se doutent pas du calme et du silence que réclament ceux qui sont bien las : elles n’ont pas remarqué que l’empressement trop visible, la curiosité aussi questionneuse que tendre les écartent définitivement de ceux qui n’aspirent qu’à se reposer.

Mes amies, si vous voulez devenir des « reposoirs », devenez discrètes et douces, apprenez à paraître ne rien voir, guettez les ombres sur le visage aimé, mais ne les signalez pas ; et si vous surprenez la petite fêlure dans le rire dégagé, demandez-vous ce qui fait souffrir, mais ne le demandez pas à celui qui semble vouloir le cacher.

Enfin, — il faut bien finir par le dire, — sachez vous taire à propos, mais que votre cœur veille et ne laisse pas échapper le plus léger indice de joie ou de chagrin.

D’ailleurs, qu’importe que vous sachiez le pourquoi d’une tristesse ? Votre mission est d’entourer de douceur et de confiance l’âme en désarroi qui cherche un refuge où il aura la paix !

C’est cela que ne comprennent pas tant de femmes aimantes et fines, et cependant si gauches avec ceux qu’elles aiment. Soyez patientes, qu’on se repose près de vous, et vous ne tarderez pas à être l’aimée, la confidente chère. Rien ne prépare mieux une femme à être le repos des siens que d’avoir souffert elle-même, d’avoir en vain cherché la solitude et le silence, d’avoir été blessée par des questions maladroites dont le cœur garde la cicatrice, d’avoir eu horreur des vains bavardages qu’il faut endurer, d’avoir été condamnée à parader avec un sourire figé sur les lèvres quand tout l’être aurait crié d’angoisse éperdue.

C’est quand une femme a subi ce martyre qu’elle a les délicatesses silencieuses, les effacements volontaires et les aveuglements voulus qui permettent à un pauvre être humain d’être au moins libre de pleurer sans témoin, de se détendre et de se reposer !

Cela ne semble pas difficile ? C’est une illusion. Pour y arriver il faut aimer « l’autre » uniquement pour lui, et n’avoir aucun souci de son propre bonheur et de sa propre tranquillité, car rien n’est plus difficile en ce monde que de souffrir ou de laisser souffrir les autres en paix !

Consultez vos amis, repassez vos propres souvenirs, et dites-moi, si, dans vos plus grandes tristesse, il n’y aurait pas eu une douceur infinie à sentir, sans les « voir », les sollicitudes affectueuses et à pouvoir vous isoler librement, sans crainte de faire de la peine, d’éveiller des soupçons, d’exciter la malveillance de ceux mêmes qui prétendent ne vivre que pour vous.